Actualités de DSI Blog de Joseph HENROTIN

On n’en peut plus du journalisme idiot !

Le 27 septembre, Pierre Beylau publiait une chronique sur le site du Point intitulée « Terrorisme : on n’en peut plus, des spécialistes ! » qui peut, dans un premier temps, prêter à un sourire de contentement. Effectivement, regarder certaines chaînes en continu permet de voir un long cortège de « spécialistes » qui « parlent, parlent avec l’assurance des médecins de Molière du chiisme, du sunnisme, du djihad, du wahhabisme, du salafisme (et qui) savent tout, ont réponse à tout ».

Leurs qualités peuvent parfois, lorsque l’on s’attache quelque peu à ces questions, faire sourire : peu de science, beaucoup d’impatience. Il est vrai qu’une interview de trois minutes est plus simple à exécuter qu’un ouvrage d’un million de signes.

Mais dans le même temps, moi qui suis également un de ces « experts » (depuis une dizaine d’année, je dois en être dans les 450 interviews au compteur – je rassure P. Beylau, j’évite les chaînes en continu et nait été payé quà une reprise pour ce faire), je suis également étonné de la tournure de son billet dans laquelle je sens poindre un soupçon d’anti-intellectualisme.

De fait, la charge est lourde : sus aux « Espions retraités n’ayant jamais beaucoup espionné, demi-soldes d’un journalisme à compte d’autrui (et pas d’auteur) ; spécialistes ès questions de sécurité qui ont surtout sécurisé leurs honoraires ; universitaires ayant usé leurs souliers d »aventurier sur les trottoirs du Quartier latin ; « consultants » que pas grand monde consulte ; chercheurs qui n’ont nullement vocation à trouver quoi que ce soit » !

Allons bon ! Le fait est que la presse généraliste compte peu de spécialistes des questions stratégiques dans leur rang et s’il est un fait qu’on peut y voir défiler un certain nombre d’imposteurs de première classe, il en est un autre que l’économie générale du journalisme est au premier chef responsable. Il faut raison – et cynisme – garder : faire parler un « expert » en chaîne d’info continue, c’est gagner des minutes de temps d’antenne et ce, gratuitement.

Car l’intervenant n’est pas payé et représente souvent une « chair à micro » mobilisable à merci qui se paiera d’une éphémère gloire et, avec un peu de chance, d’une citation de ses derniers travaux. Combien de fois, après qu’une série de questions m’aient été posées à une heure donnée, on ne m’a pas proposé la même intervention, une fois à 20 heures, l’autre à 22h30 et – avec la voix tremblotante du journaliste qui sait qu’il abuse – si ce n’était pas possible aussi, vers minuit trente. Inutile de dire que je n’ai pas vocation à devenir perroquet, noctambule de surcroît et, qu’en pratique, je tends à éviter ces chaînes.

Reste que le journalisme contemporain, dans son traitement des questions stratégiques – parce que là est le véritable enjeu – peut avoir un problème. Là où il devrait donner un sens à des faits parfois aussi contradictoires que peu lisibles, la répétition en boucle de questions aussi basiques que stupides (« dans combien de temps la guerre finit-elle ? » détenant sans doute la palme) ne rend service ni à l’information, ni à l’auditeur et ne permet certainement pas de participer à un véritable partage du savoir.

Au-delà, les formats ramassés impliquent de répondre en quelques minutes sur des thématiques ayant pu susciter des milliers de pages. Ces seules problématiques des formats ramassés comme des questions idiotes favorisent des « experts » qui ne le sont en réalité pas : tout le monde est capable de répéter qu’on commence une guerre quand on veut mais qu’on la termine quand on peut.

Derrière ces deux seules problématiques s’en cache une troisième, qui a trait à la « vulgarisation » : l’auditeur étant semble-t-il idiot, la simplicité sauverait le journalisme (ce n’est certes pas la définition de la vulgarisation, mais c’est ce qui est concrètement pratiqué). C’est une double erreur. D’une part, parce que l’auditeur n’est pas idiot – il sait qu’une guerre se termine quand on peut – en particulier à une époque où nombre de sources de référence sont à portée de smartphone.

D’autre part – et je parle avec mon expérience de rédacteur en chef de revues spécialisées – parce que les publications misant sur la simplification sont aussi celles qui voient un effritement de leur lectorat. On m’a souvent dit que DSI faisait « intello » et que parfois, la lecture était ardue. Il n’en demeure pas moins qu’il se porte bien grâce à son lectorat, dont on n’hésite pas, il est vrai, à mobiliser l’attention : c’est aussi le respecter.

Reste, aussi, qu’il existe des médias qui ne jouent pas le jeu du sempiternel martèlement des mêmes questions auxquelles il faut répondre en trois minutes. J’ai toujours beaucoup de plaisir à intervenir sur France Info ou France Culture, entre autres, ou dans quelques médias généralistes écrits. On peut développer des idées, des concepts, partager le savoir, débattre sereinement. Ça tombe bien. En tant que chercheur ayant usé mes souliers entre des amphis et des bibliothèques – parce que vous pensez sérieusement qu’un rebelle kurde va vous expliquer ce qu’est un ciblage axiologique, les subtilités du hanbalisme ou quelles sont les failles de la théorie du loup solitaire ? (1) – c’est tout ce que j’apprécie.

Et par pitié, cher Pierre, arrêtez de considérer que ces spécialistes seraient systématiquement motivés par l’appât du gain : si ça peut être le cas chez certains mais que le travail journalistique soit correctement fait et le ménage le sera faire de la recherche dans le domaine des sciences humaines n’a jamais rendu riche qui que ce soit.

J. Henrotin

(1) Le fait même que l’on demande une expérience de terrain à ceux qui sont souvent des théoriciens démontre une confusion entre le travail du chercheur et celui du journaliste alors que leurs méthodes, si elles peuvent se recouper, ne sont pas similaires.

À propos de l'auteur

Joseph Henrotin

Rédacteur en chef du magazine DSI (Défense & Sécurité Internationale).
Chargé de recherches au CAPRI et à l'ISC, chercheur associé à l'IESD.

0
Votre panier