Par Joseph Henrotin, chargé de recherche au CAPRI. Aucune reproduction autorisée.
Comme souvent lors d’un événement aussi marquant que des attaques terroristes, les exécutifs politiques tendent à s’emparer du problème, certes pour chercher des solutions – ce qui n’est que très légitime – ; mais en montrant également des réactions paradoxales. Il s’agit ainsi de « montrer que l’on fait quelque chose », sorte de cri du cœur adressé au contrat social et devant montrer que « nous sommes préoccupés ». Et ce, au risque de dévoiler ce qui s’apparente à une « panique politique » démontrant bien peu de résilience – un terme à la mode et toujours aussi mal compris, d’ailleurs.
Reste que si c’est là encore plus que légitime – les citoyens ont des questions et il faut y répondre – grand est aussi le risque d’agir dans la précipitation. La vie politique occidentale est ainsi faite que les décideurs politiques passent d’un « dossier » à un autre, de l’aéroport de Notre Dames des Landes à la dissuasion nucléaire ; des emplois d’avenir à telle situation dans telle circonscription. A certains égards, le moteur de la politique aujourd’hui, c’est la crise – et ce moteur n’est pas fiable.
Du point de vue du stratégiste que je suis, au-delà de l’émotion suscitée par les attaques, la première réaction est de croiser les doigts pour que des bêtises ne soient pas faites – et elles sont potentiellement nombreuses. Il y a celle de la société elle-même – les attaques, stupides et ignorantes, sur des mosquées ou des citoyens qui ont le tort de ne pas avoir la bonne couleur de peau ou la bonne croyance – mais aussi celles des décideurs.
Dans la foulée des marches de dimanche, une exceptionnelle démonstration de résilience (dont on espère qu’elle ne se limitera pas à ça), la question d’un renforcement de l’arsenal législatif s’est rapidement posée, sans encore compter plusieurs propositions passablement hasardeuses. Mais nous ne sommes pas démunis en matière législative. Si des choses doivent être améliorées ou proposées, qu’elles le soient sur base d’une analyse objective et non sur base de la « volonté de faire quelque chose », dans l’urgence et au risque de faire pis que mieux.
Prenons l’exemple de l’interdiction de la propagande sur le web. Contrer la capacité d’influence/recrutement ennemie est important – essentiel même – mais est le problème est plus complexe que celui de la dénonciation. L’ennemi a fait la démonstration qu’il s’adapte à nos dispositifs et il continuera de le faire sur le web, ne serait-ce qu’en utilisant de nouvelles techniques ou… en positionnant son site ailleurs, là où la loi n’a pas prise. On s’offre ainsi à bon compte le sentiment « d’avoir fait quelque chose »… mais sans rien améliorer, ou alors marginalement.
Au-delà, la question d’un « Patriot Act » se pose également mais sans profiter du recul que nous offre une expérience américaine qui nous apprend 1) que les services ont été noyés sous les informations (jouer cette carte implique donc nécessairement d’accroître les effectifs des renseignements) ; 2) qu’elle n’a pas empêché des cellules de travailler ou de passer à l’action ; 3) que la méfiance à l’égard de l’Etat s’est accrue alors qu’une lutte efficace contre le terrorisme passe par une plus grande cohésion entre l’Etat et la Nation – ce serait une erreur de « casser » l’affection des Français applaudissant policiers et gendarmes observée dimanche.
On peut aussi, a-t-on entendu, refermer les frontières intra-communautaires. Mais c’est là aussi oublier que la menace est le fait de gens nés en France et que positionner policiers, douaniers et gendarmes aux frontières les empêchera de patrouiller là où les risques existent. Dans la même veine, l’incantation à la coopération internationale est un grand classique. Seulement, cette coopération est maintenant bien établie et fonctionne bien et, surtout, ne résout pas la question de nos jihadistes. Améliorions-là si on le peut mais ne croyons pas y trouver une solution magique.
On peut également, avancent timidement éditorialistes et commentateurs, s’appuyer sur l’enseignement. Mais outre ces propositions n’ont rien de neuf – elles sont évoquées dès 2010, à une époque où les enfants de 10 ans rompant les minutes de silence n’en avaient que 5 – l’éducation nationale est maintenant bien démunie, conceptuellement comme en termes de soutien politique. Paradoxalement, l’EN doit bénéficier de nombreuses ouvertures de postes, là où les forces en auront perdu 80 000 de 2008 jusque 2019 et que Police et Gendarmerie en ont perdu plusieurs milliers. Pour l’un les hommes ne manquent pas mais les concepts oui ; pour les autres, c’est l’inverse.
Or, la nature même de la menace impose de disposer d’une masse de présence et de manœuvre – une question qui, cette fois, ne semble guère abordée par le législateur. Tout comme celle, un temps évoquée mais ensuite rejetée, d’un véritable conseil national de sécurité, qui permettrait de coordonner en permanence tout ce qui a trait à la sécurité nationale – jusqu’au ministre de l’éducation, de la santé ou au directeur de la SNCF. Comme l’indique Yves Trotignon dans une interview à paraître dans nos pages en février, le problème aujourd’hui est que nous « voyons » deux théâtres (l’intérieur et l’extérieur) là où le jihadiste n’en voir qu’un seul.
Au-delà, sans doute faudra-t-il aussi revoir ce que l’on entend par la « résilience », abordée dans les Livre blanc de 2008 et 2013 comme étant essentiellement du fait de l’Etat. Mais la résilience n’est pas l’indispensable protection des infrastructures vitales ou la continuité du gouvernement : le centre de gravité de la résilience d’un pays n’est pas l’Etat mais la société elle-même, c’est là où la résilience se joue. C’est à ce titre que la question des attaques sur des personnes ou des lieux de culte est une question essentielle, vitale même, à la cohésion nationale. Ce ne sont là que quelques pistes ; il en existe d’autres.
Les démonstrations de dimanche dernier ouvrent la voie à une réforme en profondeur de notre politique de sécurité nationale – GIGN, RAID et BRI ont été excellents tactiquement, à nous de voir si nous pouvons exceller stratégiquement. Mais il serait aussi dommage que dangereux de gaspiller cette formidable énergie dans une épuisante panique qui ajouterait de la complexité – on oublie trop souvent que la simplicité est un principe de la guerre – à une menace déjà suffisamment complexe.