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Robotique de combat : les progrès viennent des petits États

Le Dogo et son système de commande. La rigole permet de tirer au ras du sol. (© JH/Areion)
Le dernier salon Eurosatory a certes été l’occasion de voir un certain nombre de drones et de robots – comme souvent depuis une dizaine d’années –, mais cette édition restera celle de la présentation des premiers robots de combat terrestre. Si le « robot tueur » n’est toujours pas à l’ordre du jour, l’intelligence artificielle et les progrès de l’électronique permettent cependant des avancées intéressantes.

Si certains voient dans les progrès récemment réalisés de nouveaux pas vers les « robots tueurs » qui ont envahi la littérature sur l’éthique des technologies, force est aussi de constater que la réalité est à nuancer. Qu’il y ait une robotisation des plates-formes de combat et de soutien est indéniable, mais la logique prévalant dans le chef des industriels comme des militaires est celle d’un strict contrôle de l’autonomie décisionnelle (1). Les solutions proposées sont cependant originales et montrent que l’on a le plus souvent affaire à la téléopération d’armements – qui existe, réalisée depuis l’intérieur des véhicules les portant, depuis une dizaine d’années maintenant – depuis des plates-formes qui sont elles-mêmes téléopérées. On est donc dans une logique d’innovation (la combinaison de ce qui est déjà existant) plus que dans une logique d’invention stricto sensu.

THeMIS, la plate-forme estonienne
Présenté au public pour la première fois au début de l’année et ayant effectué des démonstrations dynamiques au cours d’Eurosatory, le THeMIS (Tracked Hybrid Modular Infantry System) de la firme estonienne Milrem est pour le moins original. Il se compose de deux pods chenillés reliés par différents types de plates-formes. La propulsion peut être assurée par des batteries insérées dans les pods ou par un petit moteur diesel-électrique. Les dimensions du robot sont respectables : 2 m de longueur pour une largeur de 90 cm à 2 m (selon la plate-forme) et une hauteur de 90 cm à vide. Sa masse varie alors de 750 à 850 kg en fonction de la motorisation ou de la plate-forme choisie. C’est cette dernière qui confère au robot sa modularité. Pouvant être positionnée à différentes hauteurs entre les deux pods, elle peut supporter jusqu’à 750 kg de charge utile : systèmes de manipulation, relais de communication, civières, capteurs divers, cargo ou encore tourelleau téléopéré. Plusieurs THeMIS peuvent par ailleurs être articulés entre eux.
La propulsion du robot lui permet d’atteindre 25 à 35 km/h selon les conditions, l’adoption de chenilles relativement larges lui conférant une bonne mobilité tout-terrain, avec une pression au sol allant de 0,069 à 0,115 kg/cm² en fonction de la charge embarquée. Théoriquement, il peut opérer durant huit à dix heures d’affilée. Pratiquement cependant, le THeMIS n’est jamais qu’un fardier téléopéré via une liaison line-of-sight. L’originalité, comparativement à d’autres mules, consiste en l’adoption de chenilles – un choix particulièrement avisé pour les opérations dans les pays baltes –, mais aussi en la compacité du système. L’armement n’est guère qu’une option. En l’occurrence, le véhicule est doté d’un tourelleau Adder (ST Kinetics), de 350 kg en condition de combat et approvisionné en munitions, qui peut accueillir des mitrailleuses de 7,62 mm ou de 12,7 mm, ou un lance-grenades de 40 mm.

Le Dogo, robot contre-terroriste
General Robotics, une PME israélienne, travaille ainsi sur le Dogo, un petit robot chenillé de 12 kg expressément conçu pour la lutte antiterroriste et construit en composites à haute résistance. Le dessus de la machine abrite un compartiment monté sur un bras articulé. Il est surmonté d’un rail Picatinny permettant de positionner des capteurs ou encore un lanceur de pepper-spray. L’originalité du système réside cependant dans le fait qu’un pistolet Glock 26 de 9 mm peut être installé dans le compartiment. Celui-ci étant mobile en site, le tir peut être ajusté et, de plus, reste possible une fois le compartiment rétracté dans le robot, permettant ainsi de tirer alors que la garde au sol du pistolet n’est que de quelques centimètres. Le ciblage est traditionnellement un problème en robotique : il suffit de mettre hors service une optique pour y parvenir. Ici, cependant, la mission assignée à la machine a impliqué l’installation de huit microcaméras positionnées sur deux bras montés à l’arrière du robot, de part et d’autre, offrant une couverture à 360°. Deux autres caméras sont placées dans le compartiment mobile et permettent plus spécifiquement de voir le champ de tir de l’arme, ce à quoi il faut ajouter la possibilité d’utiliser un point laser. Neutraliser la machine nécessite donc de viser trois endroits différents… et de révéler ainsi sa position. Un micro et un haut-parleur permettent également de donner des ordres ou de négocier.
Le pistolet est armé et tire par l’intermédiaire d’une tablette durcie, couplée à un cadre comprenant le système de transmission ainsi que les boutons de commande du robot et de l’arme. Le fonctionnement de l’ensemble est intuitif – il est comparé à « un jeu vidéo » –, le système étant compact et offrant une bonne représentation de la situation, avec cinq canaux vidéo. Il est possible de zoomer à l’envi, mais aussi de procéder au ciblage, par l’activation d’un point laser ou encore en travaillant par pixel. À ce stade, le robot se positionne automatiquement de la manière la plus adéquate pour effectuer le tir sur la cible désignée. L’arme doit être déclenchée par l’opérateur en pressant simultanément deux boutons – le système n’est pas automatique –, de sorte qu’il faut y voir un « robot armé » plus qu’un « robot tueur ». La mobilité des robots terrestres dans les zones construites est généralement leur point faible. Dans le cas du Dogo, le déplacement dans des escaliers est facilité par la sortie, à l’arrière, de deux tiges en fibres composites afin d’éviter un retournement. Il peut également progresser sur une pente de 60 %. Les batteries embarquées permettent à l’opérateur d’utiliser le système durant cinq heures, à des distances variables suivant la nature du terrain et les obstacles rencontrés, susceptibles de gêner le signal. En conditions optimales, la portée maximale de la liaison est de 500 m, mais ne dépasse pas 200 m si le signal doit traverser des murs en béton. Des répéteurs peuvent cependant être utilisés, de même qu’une antenne directionnelle, qui double la portée du signal. Le Dogo a été développé en tirant parti de l’expérience de plusieurs forces spéciales, dont les israéliennes qui le testent et ont déjà tiré plus de 1 000 balles, notamment afin de vérifier que le système ne s’enraye pas. Il intéresse par ailleurs plusieurs forces spéciales européennes.
Les avantages de la formule sont multiples. Outre la discrétion de l’approche, le tir par l’intermédiaire du robot est plus stable, permettant de toucher la partie du corps effectivement ciblée – tout tir en contexte de contre-terrorisme n’étant pas nécessairement à visée létale. Le fait que l’opérateur soit éloigné est également susceptible de réduire le poids du stress pesant sur ses épaules, tout en donnant à d’autres personnels (analystes du renseignement) la possibilité de travailler à une identification en restant à distance de sécurité. La commande à distance est aussi l’interface utilisée pour une éventuelle négociation. Par ailleurs, toutes les données – audio, vidéo – sont enregistrées, et peuvent donc être exploitées dans le cadre du retour d’expérience ou d’une enquête sur les circonstances d’une frappe.

La tourelle téléopérée Pitbull
General Robotics a aussi conçu la tourelle téléopérée Pitbull, d’une masse de 50 kg, qui peut équiper le gros robot RoBattle LR3 d’IAI. La mission type de ce tandem est alors l’ouverture d’itinéraires en environnement urbain, ou encore la reconnaissance. L’originalité du Pitbull découle de son mode de ciblage : l’industriel a délibérément écarté la localisation acoustique de tirs pour une localisation optique du flash des départs de coups. La solution est ainsi, théoriquement, plus précise, d’autant plus qu’elle peut être couplée, comme c’était le cas sur le salon, à un petit radar millimétrique d’Elta. In fine, la localisation optique permet d’aligner automatiquement l’arme en site et en azimut en direction de la source des tirs, en moins d’une seconde. L’alignement concerne également une caméra devant zoomer sur la zone de départ du tir. Ce sera ensuite à l’opérateur du robot d’autoriser ou non le tir, le fonctionnement du système lui faisant gagner un temps précieux afin de préparer la frappe de manière optimale. Les capteurs comprennent de plus une visualisation infrarouge, de sorte que le système est capable de fonctionner de jour comme de nuit.
Le couplage au radar millimétrique offre par ailleurs une meilleure vision dans des conditions de pluie, de brouillard ou encore de fumée. Il permet aussi de détecter des mouvements très lents de personnes, l’opérateur pouvant ensuite utiliser ses systèmes optiques et IR afin de confirmer une présence et, le cas échéant, procéder à une identification positive avant un éventuel tir. Selon l’industriel, il serait possible d’automatiser la séquence détection-tir, mais l’option ne paraît pas pertinente, et ce pour deux raisons. D’une part, parce que les tests effectués ont révélé que le système pouvait être leurré dans certains cas, même si les algorithmes de reconnaissance d’une signature de tir sont évolués. D’autre part, plus classiquement, parce que la demande militaire pour un système autocontrôlé en environnement urbain n’existe pas : à la moindre bavure, toute la légitimité d’une opération s’effondrerait. En revanche, l’option n’est pas totalement écartée par l’industriel dans une optique de riposte à une embuscade, où les risques de tirs contre des civils ou des forces amies sont inexistants. Le Pitbull a par ailleurs été conçu comme un système en soi, ne requérant qu’une fixation par quatre vis et le passage des câbles sur n’importe quel véhicule léger.

IAI mise sur le LR3
C’était l’une des nouveautés présentées sur Eurosatory. Le RoBattle LR3 est un engin massif, 6 × 6 de 7 t, apte aux missions de soutien et de reconnaissance comme de combat. Bénéficiant d’une conception modulaire, il est propulsé par un moteur Diesel et peut être équipé de différents types de charges utiles – à concurrence de 3 t – et est spécifiquement conçu pour l’accompagnement des forces. La hauteur du train de roues est variable en fonction du terrain rencontré, la garde au sol allant de 60 à 120 cm. Étant aussi articulé, il peut donc franchir de gros obstacles verticaux. De plus, les roues peuvent être remplacées par des chenilles, selon la demande. L’engin dispose également d’une autonomie décisionnelle lui permettant, grâce à ses capteurs nourrissant un système d’évitement d’obstacles, d’être engagé en suivi ou en protection de convois. Il peut aussi être utilisé de manière purement téléopérée. Le RoBattle a été conçu pour des engagements de haute intensité et ses parties vitales ont été blindées. Il peut ainsi ouvrir des itinéraires, ou être engagé dans des missions de déminage ou en tant que leurre dans le cadre d’un mouvement tactique. Grâce à sa charge utile, il lui est également possible d’assurer des fonctions de renseignement étoffées. En plus du tourelleau téléopéré Pitbull peut être installée la suite de capteurs Black Granite qui comprend des systèmes optroniques, radar et d’écoute des communications. Sa puissance lui permet en outre de tracter des charges importantes ou de servir de générateur d’électricité mobile. En mode embuscade, son endurance est de douze heures. Il est en cours de test et devrait entrer en service dans Tsahal.

Le robot traditionnel a encore la cote
Au-delà des applications de combat stricto sensu, la robotisation traditionnelle continue de progresser, sans cependant que l’on observe de véritable rupture. Le progrès est alors incrémental, se jouant au niveau de la masse des engins et de leur ergonomie de pilotage. C’est notamment le cas pour le MTGR (Micro-Tactical Ground Robot) d’une autre firme israélienne, Roboteam. Sa conception privilégie la portabilité dans un sac à dos, avec une masse de 7,5 kg à vide (14 kg avec la charge utile maximale), la console de commande pesant quant à elle 2 kg, dont 500 g pour sa batterie – soit une charge totale de 16 kg. Les batteries de l’ensemble du système sont identiques, facilitant la logistique. En fonction des demandes du client, des batteries standards déjà présentes sur d’autres équipements peuvent être adaptées. Le système a une autonomie de deux heures, quatre en positionnant une batterie supplémentaire à l’extérieur.
Ses chenilles en tandem permettent au MTGR de progresser y compris sur des marches ou des débris, autre facteur essentiel dans sa conception. La progression sur des marches peut être effectuée de manière automatique, le système assurant une stabilisation par déplacement du centre de gravité. Il peut également se retourner de manière automatique s’il venait à se retrouver sur le dos. Pour l’instant, c’est ainsi le seul robot israélien à avoir été utilisé dans les tunnels partant de la bande de Gaza. En condition optimale, la portée de la liaison line-of-sight est de 500 à 700 m ; dans les autres cas, en particulier dans les environnements fortement cloisonnés, on peut recourir à des répéteurs s’autoconnectant au réseau. La charge utile, composée de capteurs, est variable et se positionne sur un rail Picatinny. Par ailleurs, une fois doté d’un bras, le robot peut tirer une charge de 20 kg. La commande de l’engin dispose d’une mémoire de 65 Gb, permettant de conserver les images prises au cours d’une reconnaissance.
Outre un throwbot (robot lançable), l’industriel présentait également le fardier robotisé Probot. Avec une masse à vide de 250 kg, il peut transporter jusqu’à 750 kg de charge utile. Il est doté d’une propulsion électrique, le rendant discret des points de vue acoustique mais aussi IR, le tout avec une vitesse maximale de 8,5 km/h. Son endurance est respectable : de huit à douze heures selon les terrains rencontrés. Il peut être commandé par la même console que le MTGR ou par un joystick tenant dans la main, permettant un suivi automatique par un soldat ou depuis un véhicule. Seul bémol, sa vitesse limitée peut, dans certains cas de figure, constituer un inconvénient.

Quelles évolutions ?
Le domaine de la robotique terrestre évolue peu à peu, mais plusieurs obstacles continuent de limiter l’utilité des systèmes. Le premier est d’ordre cognitif : opérer un tel engin implique de se concentrer sur ses commandes. Si elles sont de plus en plus intuitives, ce qui est vu nécessite cependant d’y porter attention. Autrement dit, le robot n’est pas tant l’auxiliaire du soldat débarqué que celui de l’unité dans laquelle il est intégré : l’opérateur doit pouvoir bénéficier de la protection de ses camarades lorsqu’il est focalisé sur les tâches permises par le robot. Le problème est bien connu : qui dit meilleure ergonomie dit aussi champ opérationnel plus important – plus peut être fait – pour une unité dont les ressources humaines sont par définition restreintes. À ce stade, il n’est pas dit que même une plus grande intelligence artificielle palliera ces limitations…

Note
(1) Lequel n’est pas nouveau : outre que la tendance actuelle est au contrôle le plus précis possible des effets, la possibilité d’une perte totale de contrôle est l’antithèse même de la logique militaire. Durant la Deuxième Guerre mondiale, l’US Air Force avait ainsi refusé le développement d’armes biologiques, au motif que leurs effets pourraient ne pas être localisés.

Article paru dans DSI n°125, septembre-octobre 2016.
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