Magazine Moyen-Orient

La République islamique d’Iran dans tous ses états

Promise dès sa naissance à une mort prochaine, la République islamique d’Iran progresse dans une maturité insolente. Son existence a changé la vie des Iraniens, mais aussi celle de tout le Moyen-Orient et, dans une certaine mesure, la vie internationale dans son ensemble. Pour le comprendre, plusieurs dates et moments clés de son histoire politique sont à retenir, dont la révolution de 1979, les contestations populaires de 2009 et l’accord sur le nucléaire de 2015.

Avec l’arrivée à Washington du démocrate Jimmy Carter (1977-1981), élu sur un programme de respect des Droits de l’homme, un vent nouveau souffla en Iran. Les intellectuels, les libéraux, les prisonniers politiques espéraient la détente après le durcissement inattendu du régime impérial en 1975. La parole se libéra progressivement, pour des réformes plus que pour la révolution, car ni les marxistes-léninistes, ni les marxistes islamistes et encore moins les khomeynistes ne proposèrent de solution crédible. On rêvait au retour du nationalisme libéral dans la ­lignée du leader destitué par un coup d’État en 1953, ­Mohammad ­Mossadegh (1951-1953), qui nationalisa le pétrole et dont la chute fut attribuée aux Américains. Appliquée de manière démocratique, la Constitution de 1906 permettait de limiter les pouvoirs du monarque sans bouleverser le régime.
L’Iran était un pilier de l’ordre dans la région : face à l’URSS et aux différentes guerres des Arabes contre Israël, au régime de Gamal Abdel Nasser (1954-1970) en Égypte, à Saddam Hussein (1979-2003) en Irak, à Hafez al-Assad (1970-2000) en Syrie, aux rébellions du Dhofar (1964-1976), Téhéran présentait une solidité économique, politique et militaire telle que le shah Mohammad Reza Pahlavi (1941-1979) passait pour le « gendarme du golfe Persique », gardien de l’ordre américain.

1979 : chute du régime impérial
La déstabilisation n’est pas venue que du changement politique à Washington. La dynastie iranienne avait un point faible : le shah n’avait pas de successeur immédiat, et il se savait atteint du cancer lymphatique qui allait l’emporter en 1980. Sa mégalomanie amplifiée par le boom pétrolier de 1973, les projets de développement qu’il pensait financer sans limites et la récession qui survint peu après entraînèrent des dysfonctionnements : spéculation de l’immobilier urbain, pannes d’électricité quotidiennes, mécontentement et frustration des travailleurs attirés vers la capitale par une prospérité factice. Et une corruption généralisée.
La lenteur du shah à comprendre la profondeur des protestations a permis à Rouhollah Khomeyni de s’affirmer comme le plus radical et efficace pour présenter l’alternative d’une république vertueuse, respectueuse des libertés. Peu après son retour d’exil (1964-1979), il forma un gouvernement transitoire modéré. Le 11 février 1979, quand l’armée, encouragée de manière ambiguë par les Américains, se rallia au mouvement protestataire, le régime s’effondra comme un château de cartes. Allait-on voir apparaître une république islamique à la pakistanaise, gouvernée par des élites occidentalisées et bénie par des clercs depuis leurs mosquées ? Le gouvernement de Mehdi Bazargan ne cherchait que la bonne entente avec les libéraux et avec le monde occidental. Il fut balayé le 4 novembre 1979 par la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran, rupture radicale du cordon qui maintenait la domination. Le caractère révolutionnaire de la République ne faisait plus de doute ; ses positions internationales vis-à-vis des Palestiniens, des mouvements de libération du tiers-monde et des soulèvements du monde islamique contre l’impérialisme occidental en faisaient foi.
Curieusement, l’URSS, qui entrait dans son aventure fatale en Afghanistan (1979-1989), ne suscitait pas autant de dénonciations véhémentes que les États-Unis et leurs alliés. Certains accusaient Téhéran de se préparer à une satellisation par Moscou. Mais, comme personne ne croyait à la solidité du nouveau régime, les Occidentaux ont tous misé sur la victoire rapide de l’Irak quand Saddam Hussein envahit la région pétrolifère du sud de l’Iran. La guerre dura huit ans (1980-1988), assez pour permettre à Rouhollah Khomeyni de se débarrasser de ses rivaux libéraux, communistes, nationalistes ou islamo-marxistes. Peu avant de mourir en 1989, il proclama une fatwa condamnant à mort l’écrivain britannique Salman Rushdie pour avoir blasphémé contre le Coran dans Les versets sataniques (1988). Ce dernier coup d’éclat accrut l’isolement de l’Iran, mais la République islamique devenait le rempart de l’islam militant face aux tergiversations des théologiens sunnites. En réaction, les Occidentaux protégèrent plus encore les régimes réprimant sans pitié les radicaux salafistes ou djihadistes : Hafez al-Assad en Syrie, Mouammar Kadhafi (1969-2011) en Libye, Hosni Moubarak (1981-2011) en Égypte, Zine el-Abidine ben Ali (1987-2011) en Tunisie, Saddam Hussein en Irak.

Un équilibre du pouvoir instable
Malgré les présidences réformistes de deux clercs modérés, Hachemi Rafsandjani (1989-1997) et Mohammad Khatami (1997-2005), on pouvait douter des capacités du régime à trouver un équilibre international et à renouer avec la prospérité. La logique interne de la Constitution de 1979 permet une certaine alternance dans les pouvoirs législatif et exécutif et l’Iran semble avoir fonctionné comme une démocratie avec des cycles électoraux réguliers depuis 1979. Mais le pouvoir est réparti de manière instable entre un président élu pour quatre ans dont le gouvernement est responsable devant le Parlement (Majles) et un Guide suprême désigné à vie par une Assemblée des experts élue séparément (cf. document). Cette dualité reflète le compromis entre deux légitimités antinomiques : celle qui vient du peuple et celle qui vient du clergé, pour ne pas dire de Dieu. Le Guide – Ali Khamenei depuis 1989 – contrôle le pouvoir judiciaire, le législatif, le militaire et, finalement aussi, l’exécutif.
Le rôle du président, conçu comme arbitre du gouvernement, a changé après la mort de Khomeyni et la suppression du poste de Premier ministre. Le président devenant chef unique de l’exécutif, l’arbitrage est revenu au Guide. Ni Rafsandjani ni ­Khatami n’ont réussi à débloquer durablement les relations avec les pays industrialisés, indispensables pour le secteur pétrolier et pour la réorganisation de l’économie nationale, et à sécuriser l’espace minimal de liberté auquel les Iraniens aspiraient. Les lois libérales que Khatami voulait mettre en place ont été bloquées par le Guide, dont la force s’appuya de plus en plus sur les milices et sur le refus de détendre les relations extérieures.
Les plus déterminés à affronter l’Occident dans la continuité de la révolution ont été et sont encore les miliciens, anciens combattants volontaires du front, les Gardiens de la révolution (pasdaran) et les bassidjis. Ils tirent de leurs sacrifices, des blessures et de la mort de leurs camarades pendant la guerre contre l’Irak une légitimité que personne n’oserait contester. En prix de leur dévouement, les avantages sociaux ou financiers ne sont rien face au pouvoir qu’ils ont acquis en tant que milice, qui fonde leur solidarité avec la République. En cristallisant leur immobilisme idéologique sur la référence à Khomeyni, ces hommes ont empêché l’évolution du régime et sont devenus le soutien du Guide contre toute libéralisation.
L’armée des pasdaran s’est professionnalisée sans abandonner ses origines militantes. Elle bénéficie de la priorité dans les investissements matériels et compte environ 120 000 combattants, dont une marine et une aviation. Pour assurer sa dotation, elle a pris une part grandissante dans des secteurs stratégiques de l’économie : pétrole, gaz, pétrochimie, travaux publics (routes, barrages, tunnels), télécommunications, infrastructures portuaires et aéroportuaires et énergie (technologie nucléaire). Un revenu annuel de 12 milliards de dollars a été évoqué avant que les sanctions américaines n’entravent toutes leurs transactions vers les pays industriels.
Les réformes prévues par Khatami étaient des projets généreux. Mais il se heurta au veto du Guide. Lors des dernières élections législatives de sa présidence en 2004, les candidats furent triés pour éviter une nouvelle majorité réformatrice. Mohammad Khatami menaça de démissionner, mais il finit par se soumettre à la logique d’un système verrouillé. Ni son projet de Dialogue des civilisations, accueilli à l’ONU, ni ses réformes avortées n’ont brisé l’isolement de la République islamique, qui s’est au contraire enlisée, depuis 2002, dans la crise du nucléaire. Honni par les réformistes, qui lui reprochèrent d’avoir neutralisé par son inaction les espoirs de changement, oublié à l’étranger, interdit de parole et de photographie dans les médias de son pays, Khatami laissa l’impression d’un échec et montra la puissance des Gardiens de la révolution.

Un premier retour sur la scène internationale ?
Plusieurs événements ont donné à l’Iran l’occasion de banaliser sa situation internationale. Après l’invasion du Koweït par l’Irak (août 1990), les Occidentaux ont réagi et, sept mois plus tard, Saddam Hussein était contraint de se replier. Deux révoltes, des Kurdes dans le nord, des chiites dans le sud, furent réprimées par l’armée irakienne en déroute. L’Iran, qui a accepté la mise à l’abri sur son sol des avions civils et militaires irakiens, n’a pas bougé pour soutenir les révoltés et n’a pas protesté quand les Américains ont survolé son territoire. La raison d’État a prévalu ici sur la solidarité religieuse et sur l’idéologie. Cette alliance tacite était le prologue à l’alliance de facto avec les États-Unis à la suite du 11 septembre 2001. Après avoir manifesté ses condoléances, l’Iran a été le seul pays de la région qui a véritablement été favorable au renversement des talibans d’Afghanistan (1996-2001) et de Saddam Hussein, deux opérations à ses frontières qui aboutirent au rétablissement de l’influence iranienne dans la région. Téhéran allait-il rentrer dans une normalisation de sa diplomatie ?
Cela aurait été compter sans l’émergence, en 2002, de la question nucléaire et de l’arrivée, trois ans plus tard, de Mahmoud ­Ahmadinejad (2005-2013) à la présidence. Ce non-religieux, ancien membre des pasdaran, avait suscité d’abord l’espoir d’un renouveau politique, mais il a multiplié les provocations. Déjà, avant son élection, les institutions sensibles comme la police et les ministères régaliens étaient investis par les miliciens. Ahmadinejad plaça d’anciens pasdaran aux postes clés du gouvernement et dans les gouvernorats de province. Sa politique populiste rencontra un certain succès à l’intérieur du pays, par la distribution de subsides multiples qui épuisèrent les réserves financières. À l’extérieur, les rodomontades à l’égard d’Israël rendirent le président iranien populaire chez les Arabes et son refus d’envoyer une délégation à la conférence d’Annapolis (2007), à laquelle même les Syriens ont participé, a pris pleine signification lors de l’opération « Plomb durci » de l’État hébreu à Gaza (décembre 2008-janvier 2009). L’intransigeance dans la question palestinienne était une posture payante, un engagement verbal sans plus. Les Israéliens, de leur côté, ont exagéré le danger iranien pour se faire livrer plus d’armement et faire oublier la colonisation et la construction du mur.

La révolte de 2009
Tout sembla bousculé lors de l’élection présidentielle de 2009. Se croyant à l’abri d’une réelle contestation, ­Mahmoud ­Ahmadinejad accepta de se livrer à des débats télévisés en ­direct avec les trois candidats qui briguaient la succession. Deux d’entre eux, Mehdi Karoubi et Mir Hossein Moussavi, le premier clerc et l’autre non, furent pugnaces dans la dénonciation de la gabegie budgétaire, du clientélisme, de la répression des libertés et des discours anti-israéliens du président sortant. Beaucoup d’Iraniens, parmi les jeunes et la moyenne bourgeoisie des grandes villes, sont allés voter dans l’espoir d’un changement réel. La nuit même du scrutin, on annonça la ­réélection ­d’Ahmadinejad au premier tour avec un score inattendu (62,9 %). Les protestations entraînèrent des manifestations de masse, notamment à Téhéran.
L’intervention du Guide en faveur du président encouragea les miliciens dans la répression très dure qui suivit. Pendant plusieurs mois, portés par l’écho de leur mouvement dans les médias occidentaux, de nombreux manifestants défièrent le régime et les morts furent comptés par dizaines. Même si la dénonciation des emprisonnements arbitraires, des exactions, des viols, des exécutions sommaires, etc., a fait temporairement reculer le gouvernement, il a réussi à rétablir l’ordre. Les deux candidats contestataires sont depuis réduits au silence et soumis, sans jugement, aux assignations à résidence.
Le « succès » de cette répression contrasta avec l’effondrement des régimes tunisien et égyptien en 2011. Pourtant, le même genre de revendications pour les libertés démocratiques s’exprimait. Triste leçon : là où la répression s’est exercée, comme en Iran ou en Syrie, les régimes se sont maintenus. Mais en Iran, le président populiste a fini par être désavoué par le Guide, et c’est un « libéral », Hassan Rohani, qui lui a succédé lors de l’élection de 2013, preuve qu’il n’était ni un dictateur ni inamovible. Le nouveau chef de l’exécutif, homme du sérail qui jouit de la confiance d’Ali Khamenei, avait promis qu’il irait au bout des négociations sur le nucléaire avec les Occidentaux, verrou de la levée des sanctions. Il n’a pas bougé sur les réformes et les libertés publiques bloquées par les durs du régime.
Relevons deux autres conclusions : dans la République islamique, le véritable pouvoir, de type monarchiste, est dans les mains du Guide. Les présidents, députés et ministres, bien qu’élus par le peuple, ne sont que des acteurs secondaires. Enfin, que ce soit dans la politique d’Ahmadinejad ou chez ses opposants, la question religieuse n’a pas été le facteur décisif ; elle ne se pose pas. Le régime iranien se comporte comme une monarchie parlementaire milicienne. Les opposants de 2009 ne demandaient ni son renversement ni sa laïcisation, mais simplement que les lois fussent appliquées.

L’arrangement de 2015 sur le nucléaire
Les Américains avaient procuré à l’Iran leur premier réacteur nucléaire destiné à la recherche, et ce sont les Français et les Allemands qui ont signé avec le shah la vente de cinq centrales dont la construction fut arrêtée lors de la révolution. Pendant son bref passage à la tête de l’exécutif entre janvier et février 1979, Chapour Bakhtiar, conscient que l’Iran n’avait pas besoin de nucléaire civil, une technologie onéreuse et dangereuse, annula les contrats ; une annulation confirmée plus tard par la République islamique. Le discours des dirigeants iraniens a toujours condamné les armes de destruction massive. C’est pendant la guerre Iran-Irak que l’idée de reprendre la technologie nucléaire resurgit. Le but, cette fois, fut la dissuasion et c’est l’armée des pasdaran qui s’empara du projet. Malgré le secret de la décision et la dissimulation des activités dans des sites souterrains, elles furent dévoilées en 2002.
Dans les négociations engagées dès cette année-là, tout le monde a menti. Au nom du traité sur la non-­prolifération des armes nucléaires (1968), on interdisait à l’Iran de développer une filière nucléaire autonome, y compris pour l’usage civil. Et dans le même temps, en violation du traité, on livrait des technologies nucléaires à trois pays non-signataires, voisins de l’Iran, qui ont l’arme atomique et qui sont en état de guerre larvée depuis leur création en 1947 et 1948 : l’Inde, le Pakistan et Israël.
L’Iran avait repris la construction de centrales nucléaires civiles – celle de Bouchehr fut achevée par les Russes en 2011 – et avait dissimulé son programme d’enrichissement dont le nucléaire civil n’était qu’une couverture. L’isolement dans lequel le pays s’était retrouvé lors de l’attaque irakienne en 1980 avait persuadé ses stratèges que seule l’éventualité d’une riposte nucléaire le protégerait contre une future menace. L’opinion iranienne, hostile à des investissements coûteux et dangereux dont elle ne percevait pas la finalité claire (le pétrole et le gaz étaient plus faciles à exploiter pour produire de l’électricité) a soutenu la justification du programme par les autorités : l’accession de leur pays à cette technologie de haut niveau était un sujet de fierté et les puissances nucléaires liguées contre l’Iran semblaient mal placées pour l’en écarter.
Les tractations dans le cadre de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ont d’abord connu une phase positive conduite par les Européens, pendant laquelle Hassan Rohani était lui-même négociateur pour l’Iran. Trois ministres européens des Affaires étrangères, français, allemand et britannique, se déplacèrent ensemble à Téhéran (octobre 2003) et obtinrent le gel pour deux ans de l’enrichissement. Les Américains torpillèrent l’avancée des discussions quand George W. Bush (2001-2009) entra, à la suite de l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak, dans la logique du renversement de la République islamique. L’avènement d’Ahmadinejad n’arrangea rien.
Barack Obama, arrivé au pouvoir en 2009, désireux de renouer avec Cuba et l’Iran, eut beaucoup de mal à se faire entendre : Hillary Clinton, secrétaire d’État de 2009 à 2013, a refusé de reprendre les discussions. L’arrivée de John Kerry et, du côté iranien, de Hassan Rohani, un président informé du dossier et connu pour sa volonté de compromis, encouragea les négociations. Encore fallait-il vaincre les réticences du ministre français Laurent Fabius (2012-2016), attaché aux sanctions afin de préserver les marchés d’armement avec l’Arabie saoudite. Les progrès ont été lents, le délai ultime pour une signature a été repoussé plusieurs fois et le suspense a duré jusqu’au 14 juillet 2015. On peut risquer un paradoxe : en mars, alors que les négociateurs sentaient venir une solution acceptable, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou (depuis 2009), fut invité à parler devant le Congrès américain auquel il a promis les pires catastrophes en cas d’accord avec l’Iran ; c’est sans doute cette intervention contestée par l’administration Obama qui a convaincu en Iran les opposants à tout compromis que l’accord en vue à l’AIEA devait aboutir…
Sur le plan diplomatique, ce qui a été signé à Vienne n’est qu’un « arrangement », qui n’a pas été soumis à ratification des Parlements. Néanmoins, il engage un processus de normalisation par lequel l’Iran a été contraint de se plier à des contrôles humiliants (visites inopinées de ses installations militaires, renonciation à l’enrichissement de l’uranium au-delà d’un seuil très bas). Les réticences des adversaires du rapprochement avec les Américains trouvent de nombreux arguments pour dénoncer le recul de la souveraineté et l’injustice de la situation. D’autant plus que seules quelques sanctions ont été levées immédiatement, mais non le gel ni le blocage des transactions bancaires. Certaines mesures prises par Washington peuvent encore se heurter aux États américains dont les gouverneurs sont hostiles au rapprochement avec Téhéran. Et les banques européennes ont été échaudées par la sévérité des amendes infligées pour avoir enfreint les règles dictées par les États-Unis dans le passé interdisant tout transfert financier vers l’Iran.

2016, et après ?
L’Iran a accepté l’accord de Vienne pour retrouver la voie du développement, qu’il n’envisage qu’avec les pays industrialisés. Or la situation est dramatique : l’embargo, les sanctions, les retards de construction d’infrastructures industrielles et le bas niveau d’extraction du pétrole s’ajoutent à la baisse du prix du baril (de 120 dollars en 2012 à 20 en décembre 2015). Ce marché a affaibli l’économie iranienne qui dépend encore pour une grande part des exportations de pétrole. L’arrangement du 14 juillet 2015 permet d’espérer un redressement sur de nombreux points où les investissements étrangers pourraient compenser la faiblesse de la production de brut (3,9 millions de barils par jour en 2015, alors que le pays détient 9,3 % des réserves mondiales). L’Iran, avec ses immenses réserves de gaz et de pétrole, reste l’un des pays les plus solvables de la planète.
Deux autres facteurs peuvent menacer la reprise : une situation internationale explosive et les tensions de l’opinion iranienne. L’Iran est impliqué dans les conflits contre l’organisation de l’État islamique (EI ou Daech) en Irak et en Syrie. Mais toute la région est en ébullition : le retour des talibans en Afghanistan, la guerre au Yémen, les conflits au Caucase, l’évolution du Kurdistan vers l’indépendance, la radicalisation progressive de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. La politique étrangère iranienne n’est pas toujours claire. On la résume trop souvent à la rivalité avec l’Arabie saoudite, mais les deux puissances ont également des intérêts communs et la déstabilisation de l’un mettrait l’autre en position délicate.
L’incertitude sur l’évolution du peuple iranien, dont on a vu en 2009 la force d’insurrection reprendre le chemin des grandes manifestations, peut réserver des surprises. L’adhésion au régime dans les classes les plus pauvres et chez les miliciens dépend en partie de la personne du Guide. Le vieillissement d’Ali Khamenei (il est né en 1939) et les conflits qui surgiront pour sa succession décideront de la survie du système. Pour l’instant, la République islamique continue à fonctionner et se présente comme un îlot de stabilité dans une région agitée et menacée. Inutile de faire des pronostics. Personne n’aime vraiment ce régime, mais beaucoup, y compris parmi ses ennemis déclarés, sont heureux qu’il se maintienne.

Article paru dans Moyen-Orient n° 32, octobre-décembre 2016.

À propos de l'auteur

Yann Richard

Professeur émérite à l’université Sorbonne-Nouvelle Paris-III, Yann Richard est notamment spécialiste de l'histoire de l'Iran, et l'auteur de nombreux ouvrages, dont L’Iran de 1800 à nos jours (Flammarion, 2016).

0
Votre panier