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Pérou : le nouveau « dragon » d’Amérique latine ?

Il n’y aura pas un nouveau membre de la famille Fujimori à la tête du Pérou. La victoire au second tour de l’élection présidentielle, le 5 juin 2016, de Pedro Pablo Kuczynski sur la fille de l’ancien chef de l’État Alberto Fujimori (1990-2000), Keiko, a constitué une surprise dans un pays divisé par l’héritage controversé de ce dernier. L’occasion de revenir sur les ramifications politiques d’une des économies les plus dynamiques d’Amérique latine.

Le Pérou est-il le nouveau « dragon » latino-américain ? Le pays est devenu un pôle de stabilité qui tranche avec les géants de la région, comme le Brésil et le Venezuela, touchés par des crises politiques et économiques majeures. Il bénéficie en effet d’une croissance annuelle de 5,5 à 3,3 % entre 2002 et 2015, selon la Banque mondiale. Elle repose sur les industries halieutique et touristique, mais surtout sur l’extraction minière : le Pérou était le troisième producteur mondial de cuivre et le septième d’or en 2015. Ce secteur, dominé par des compagnies internationales, représente 15 % du PIB et 60 % des exportations.

L’héritage d’Alberto Fujimori

À partir de 1980, le pays, soumis à une inflation de 2 000 %, prend la voie de la dérégulation et des privatisations massives sous la présidence d’Alberto Fujimori, fils d’immigrés japonais. Un chemin repris par ses successeurs, Alan -García (2006-2011) et Ollanta Humala (2011-2016). Ce dernier, ancien militaire connu pour être à l’origine d’un putsch raté contre Fujimori en octobre 2000, a d’abord suscité les espoirs de la gauche en incarnant l’un des leaders du mouvement « ethnocacériste », défendant la reconquête du pouvoir par les populations non blanches. Si la baisse du taux de pauvreté, passé de 54,8 % en 2001 à 22,7 % en 2014, selon les Nations unies, s’est poursuivie sous son mandat, il a rapidement renoncé à ses projets de nationalisation en concentrant les efforts pour favoriser l’économie de marché.

Les deux finalistes de l’élection présidentielle de juin 2016 ont revendiqué une continuité avec cette politique économique libérale, tout en s’opposant sur l’héritage politique d’Alberto Fujimori. Pedro Pablo Kuczynski, issu des milieux d’affaires américains, a réussi à réunir autour de sa candidature les opposants à la famille Fujimori, y compris la représentante de gauche, Verónika Mendoza, du Frente Amplio. Car, au Pérou, le nom de Fujimori renvoie pour beaucoup à l’autogolpe, coup d’État mené par le président contre le Parlement en 1992, et aux exactions commises par les militaires sous son régime ainsi qu’aux pratiques de corruption, qui lui ont valu d’être destitué en 2000 et d’être condamné à vingt-cinq ans de prison en 2009.

Quant à Keiko Fujimori, elle a récupéré à son crédit la lutte contre la guérilla marxiste du Sentier lumineux (1980-2000) sous le mandat de son père. Elle s’est assuré le soutien des populations amérindiennes rurales des régions andines, qui rassemblent 75 % des 69 000 victimes du conflit, selon la Commission vérité et réconciliation (2001-2003). Elle reprend également à son compte l’approche populiste de son père, défendant une alternative à l’élite créole de la côte et descendante des colons. Proche des milieux évangélistes et de l’organisation catholique traditionaliste Opus Dei, elle attire une partie des conservateurs du pays.

L’écart minime au second tour, remporté par Pedro Pablo Kuczynski avec 50,12 % des voix, souligne le degré de fragmentation du champ politique. De même, les résultats de l’élection doivent être mis en perspective avec le rapport de force au Congrès, Parlement monocaméral, renouvelé en avril 2016. Le parti du nouveau président, Peruanos por el Kambio, ne dispose que de 18 députés sur 130, alors que celui de Keiko Fujimori, Fuerza Popular, possède la majorité avec 73 sièges. La cohabitation entre les pouvoirs législatif et exécutif s’annonce tendue, tandis qu’Alberto Fujimori vient de déposer une demande de grâce.

Conflits sociaux et environnementaux 

Pedro Pablo Kuczynski aura à gérer les importants conflits sociaux qui ont émergé à la suite du soutien étatique à l’activité des compagnies minières internationales. À la différence des voisins bolivien et équatorien, il n’existe pas de mouvement indigène de premier plan au Pérou, alors que 30 à 45 % de la population s’identifie comme descendant des Précolombiens. Mais les groupes d’opposition unissant habitants, ONG de protection de l’environnement et syndicats de gauche se sont renforcés sous Ollanta -Humala contre l’expropriation de zones minières, notamment dans le cadre du projet de la plus grande mine d’or du sous-continent, à Conga, en 2011-2012, finalement abandonné. Durant son mandat, la répression policière a entraîné la mort d’au moins 70 manifestants.

La stabilité actuelle pourrait n’être que temporaire. L’État subit la baisse des prix des matières premières. Le cours du cuivre a ainsi chuté de près de 50 % entre le printemps 2012 et l’été 2016, menaçant la bonne santé économique du pays. Le Pérou, premier producteur mondial de cocaïne, doit également faire face au narcotrafic, une industrie évaluée à 1,5 % du PIB. Plus récemment, la recrudescence d’attaques de groupes armés se réclamant du Sentier lumineux remet en question la mort de la guérilla.

Le pays est aussi confronté à la persistance de l’économie informelle, qui emploie environ 70 % des travailleurs péruviens, vue comme une limitation de la souveraineté de l’État. L’encadrement des « mineurs informels », qui dominent les petites et moyennes exploitations, apparaît ainsi comme l’un des enjeux majeurs de la « révolution sociale » promise par Pedro Pablo -Kuczynski.

Cartographie de Laura Margueritte

<strong>Repères</strong>

Nom officiel
République du Pérou

Chef de l’État
Pedro Pablo Kuczynski (président depuis juillet 2016)

Superficie
1 285 216 km2 (20e rang mondial)

Langues officielles
Espagnol et quechua

Capitale  
Lima

Population est. 2015
31,37 millions d’habitants

Densité  
24 hab./km

Monnaie
Nuevo sol

Histoire
Cœur de la civilisation précolombienne et de l’Empire inca (1438-1533), le Pérou est sous domination espagnole jusqu’en 1821, date de l’indépendance, après quarante années de troubles. Le XXe siècle est marqué par des luttes d’influence entre militaires pour occuper le pouvoir jusque dans les années 1980, avant la période de la guérilla communiste du Sentier lumineux

PIB par habitant est. 2015 (en parité de pouvoir d’achat)
12 200 dollars

Indice de développement humain (2014)
0,734 (84e rang)

Article paru dans Carto n°37, septembre-octobre 2016.

À propos de l'auteur

Théotime Chabre

Chercheur et journaliste.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

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