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Conserver les F-16 belges six ans de plus ? Analyse et implications + Mise à jour 1, 2 (analyse du rapport) et 3

Un F-16 sur le point de se ravitailler en vol. Maintenue en bonne condition, la force aérienne constitue la « pointe de diamant » des forces armées belges. (©DoD)

Mise à jour du 26 mars, 1230

Il est à présent établi que le processus d’achat d’un successeur du F-16 est gelé, en attendant les conclusions de deux audits, internes et externes, afin de savoir si des éléments ont été délibérément cachés au ministre. Dans le même temps, j’ai eu l’occasion de poser à plusieurs des parlementaires ayant procédé aux accusations la question de leur lecteur/vérification préalable du rapport avant qu’ils ne passent à l’offensive politique. Cela a d’abord été le cas pour Benoit Hellings sur sa page Facebook, puis, le 23 mars et via Twitter, à Julie Fernandez-Fernandez, Ahmed Laaouej et Georges Dallemagne. Seul le premier a répondu sur sa page Facebook, en libre accès, pour insister sur la question de la résistance structurelle.

On notera que si les débats du week-end se sont focalisés sur les dates d’entrée en service des appareils, peu ont pris en compte les variables liées aux heures de vol (non, tous les F-16 ne quitteraient pas le service en 2023) ou techniques, comme ceux liés à l’interruption des mises à jour réalisées dans le cadre de l’EPAF. Ces questions sont pourtant évoquées dans nos pages depuis 2013-2014 et ne sont certainement pas absentes de la littérature. 

Les implications hors-défense

On notera que la presse généraliste belge a souvent repris le narratif d’un mensonge délibéré, manquant de remettre en perspective les accusations ou de procéder à l’analyse par un spécialiste aéronautique ou de la résistance des matériaux, du dossier théoriquement incriminant. L’affaire est, de ce point de vue, intéressante en théorie de l’information : un message clés en main a été donné, appuyé par des figures positives – le lanceur d’alerte – et taillé, que ce soit volontairement ou non, pour obtenir un maximum d’écho.

Plusieurs leviers impliquant un fort potentiel de mobilisation politique mais aussi médiatique ont ainsi été activés : le mensonge (jusqu’à la figure… du putsch militaire) ; le déficit de débats autour du remplacement (et donc la menace sur le processus démocratique), non sans taire le fait qu’il y eu bien débats ; la captation de forts volumes budgétaires, non sans inexactitudes (la question des « 15 milliards ») ; les ressorts classiques du pacifisme (en particulier dans un contexte post-22 mars où la rhétorique du « vos bombes, nos morts » peut trouver un écho) ; et d’un militarisme prêté à l’actuel gouvernement de centre-droit (qui sonne en écho aux critiques liées à sa politique économique, fiscale, sociale ou encore d’immigration). La victime est quant à elle idéale : les forces belges sont, plus qu’aucunes autres en Europe, dans un rapport de soumission au politique et non de subordination. 

Dans pareille configuration, il est ainsi probable que les résultats des audits, une fois rendus publics, seront critiqués – ne serait-ce que parce qu’ils ont été commandés par l’Etat, mais surtout parce que le fait de ne pas s’attacher a minima aux facteurs techniques ne permettra pas d’avoir une lecture complète des résultats des audits…. Plusieurs problèmes découlent évidemment de cette séquence : c’est le cas pour les forces belges, mais aussi et d’une manière beaucoup plus insidieuse, sur les rapports entre mondes militaires et politique ; et mondes civils et militaires. Marteler que « l’armée a menti » sans autre forme de procès ou de remise en perspectives devrait laisser des traces durables. 

Les drones au tapis…

Au-delà, la remise en cause de l’action de la majorité gouvernementale a débouché sur une autre accusation de malversation, cette fois pour le marché de drones MALE, sur base d’une lettre adressée aux ministres MR (libéraux francophones, membres de la majorité. Selon l’opposition, la lettre a été écrite par un ancien colonel responsable du programme de drones tactiques B-Hunter. Nous avons demandé à plusieurs personnes – dont le député ayant réalisé la capture d’écran ci-dessous et qu’il a diffusé sur Twitter – s’il était possible d’avoir la copie de la lettre. Si les personnes contactées n’ont pas encore réagi, le député contacté nous a indiqué qu’il ne préférait pas afin de protéger la personne… (sic : alors que l’une de ses fonctions est clairement indiquée dans la capture…). Nous ne pouvons donc procéder, pour l’heure, qu’à un examen critique que sur base de la capture communiquée. 

L’argument avancé – et retenu par le gouvernement belge, qui a également bloqué le processus d’achat – est que la spécification d’une capacité à être armé restreint les possibilités de choix et implique une victoire de General Atomics. On peut sourire de la confusion entre « drone de reconnaissance » (la reconnaissance étant par ailleurs l’antithèse fonctionnelle de ce que permettent les drones…) et « drones de combat » ou rester sceptique face à l’étonnement du choix belge de se doter d’un drone armable… alors qu’ils sont devenus une norme à la légitimité militaire bien établie dans la littérature. De facto, tous les Etats historiquement dotés de drones MALE cherchent à les armer… et les Etats qui se dotent pour la première fois cherchent naturellement des appareils pouvant être armés. 

Il n’en demeure pas moins le le blocage du programme témoigne de l’état de tension d’une majorité belge inaudible, au-delà de l’annonce d’audits et qui semble peu propice à défendre un une modernisation pourtant validée aussi bien par l’exécutif que le législatif. Logiquement donc, l’opposition poursuit son travail de détricotage du processus de modernisation de la défense belge. Julie Fernandez-Fernandez (PS francophone, opposition) semble remettre en question la négociation toujours en cours autour du programme CAMO/KAMO de remplacement des blindés belges par le système SCORPION, sélectionné en juin 2017. Comme pour le successeur du F-16 et les drones, aucune commande ferme n’a encore été effectuée. Julie Fernandez-Fernandez semble par ailleurs laisser la porte ouverte au réexamen d’un dossier autrement plus controversé – et dont nos lecteurs se souviennent – du remplacement des chars belges par des véhicules dotés de tourelle de 90 mm

In fine, le bilan de l’actuel gouvernement belge en matière de défense est donc, jusqu’ici, à relativiser : aux nouvelles coupes ayant immédiatement suivi son entrée en fonction s’est ajouté un programme de modernisation passé du statut de « plan » à celui de « vision ». Dès ce moment, il était déjà clair que la plupart des investissements seraient à réaliser par le gouvernement suivant… sur base du travail réalisé durant cette législature. Les récentes annonces, bien évidemment, apparaissent donc comme la perspective d’un nouveau décalage… 

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Mise à jour 2 du 22 mars, 1230 (nous avons réarticulé l’article de manière à ce que les mises à jours les plus récentes apparaissent en premier).

Un vent favorable nous a transmis les photos du dossier remis par le ministre belge de la défense aux parlementaires, le 20 mars. C’est a priori ce rapport qui a déclenché l’actuelle crise. Il se présente comme un polycopié de 10 pages daté du 12 février 2018. Concrètement le document porte sur l’évaluation de la flotte belge de F-16B – et non pas de l’ensemble de la flotte. Ainsi, « A request was made to the IFG Structural Integrity Team to update the existing BAF (Belgian Air Force, ndlr) force projection with the latest flight hours, CSI data (Crack Severity Index, ndlr) and AFH/year (Actual Flight Hour, ndlr) for B-model aircraft ». 

Le rapport porte donc sur la question de l’intégrité structurelle et de la vulnérabilité aux criques, l’essentiel de son volume étant lié à la méthodologie à la démonstration. Détail intéressant, Lockheed indique que l’analyse est délicate du fait de méthodes calquées sur celles utilisées pour les flottes de F-16 Block 30 (les belges sont au block 15) ; mais aussi que l’état des enregistreurs de vol n’a pas toujours permis d’avoir des données fiables. Sachant que les F-16 belges doivent, selon la planification initiale, quitter le service à partir de 2023 et qu’ils sont déjà anciens, on n’a évidemment aucun mal à comprendre qu’un suivi de la flotte soit effectué ; ce qui montre au passage le professionnalisme de l’équipe chargée de la gestion de la flotte F-16. Ce rapport fait d’ailleurs suite à une précédente édition remontant à avril 2017 ; ce qui est tout aussi logique dès lors que l’on est bien dans une rationalité de suivi du vieillissement d’une flotte.

Dès lors : 

  • soit ce rapport est le seul reçu et il est la source d’une tempête dans un verre d’eau. Sans évaluation de l’avionique et des systèmes de combat pour les F-16B, mais aussi pour les F-16A, il n’y a rien de pertinent opérationnellement au regard d’une éventuelle prolongation de la flotte de F-16. Dit plus simplement, ce document ne prouve pas que les F-16 puissent rester en service opérationnel. 
  • soit il y a d’autres rapports. Logiquement, il doit y en avoir pour la flotte de F-16A (il n’est absolument pas dit qu’ils aient été reçus à la même date : il n’y a aucune conclusion hâtive à tirer de l’existence de ce documents) ; mais la question avionique continue de se poser. 

Qu’en penser ? La tempête dans un verre d’eau a propos d’un document tout ce qu’il y a de plus classique dans la gestion d’une flotte aéronautique montre que le degré de compréhension politique des facteurs techniques et militaire a une certaine marge de progression… 

Mise à jour 1 du 22 mars, 1030 

Le ministre belge de la défense a annoncé une enquête devant permettre de comprendre pourquoi les informations relatives à la prolongation de la durée de vie du F-16 ont été cachées ; sachant que la presse se fait l’écho de pressions de plusieurs haut gradés visant à interdire la diffusion des travaux de Lockheed. Concrètement, plusieurs officiers se sont mis en retrait le temps de la durée de l’enquête ; dont le général Vansina, chef d’état-major de la Force aérienne et le colonel dirigeant le programme ACCAP.

On note au passage que la teneur des travaux de Lockheed n’est toujours pas connue : on ne sait donc pas si la possible prolongation des F-16 est analysée du point de vue purement structurel ou plus globale (conséquences sur les systèmes de combat, d’armement, les contre-mesures, etc.). Cet aspect de la question, s’il semble technique, est évidemment crucial pour la crédibilité de l’option d’une prolongation des F-16. Interrogés via twitter, le PS et le SPa, en pointe sur l’affaire, n’ont pas répondu. 

Concrètement, quels effets sont à attendre sur la compétition ? Prolongation ou pas du F-16, la procédure est suspendue de facto : la Force aérienne belge n’est plus en mesure de rendre un avis sur les propositions rentrées par les candidats au gouvernement. L’inconnue se situe au niveau de la durée de l’enquête annoncée par le ministre belge. Il semble très peu probable que le choix soit effectué alors qu’elle toujours en cours. Une fois de plus, l’élément-clé est ici la temporalité : deux séries d’élections se profilent dans un contexte hostile à l’achat d’un nouvel appareil de combat. Avant l’éclatement de l’affaire, il était question que le kern (« noyau » : le Premier ministre et ses vice-premiers ministres, chacun représentant un parti de la majorité), prenne sa décision en juillet. La temporalité permettait de neutraliser une éventuelle opposition politique et était suffisamment éloignée du « coup de force » de Paris de septembre dernier, permettant aux juristes de voir si la candidature française était recevable… Le fait que le kern soit décisionnaire permettait par ailleurs à la France de faire valoir ses cartes : prudent, le ministre avait abandonné à son échelon supérieur la décision.

Le choix du vainqueur de la compétition ne sera donc probablement pas fait durant le reliquat de la législature. L’actuel gouvernement a certes un bon bilan économique à faire valoir, mais il est peu probable qu’il prenne le risque de ne pas se faire reconduire. Au demeurant, choisir n’est pas conclure : avec un choix en juillet, une signature rapide des contrats eut été douteuse. Pratiquement donc, l’affaire est reportée à la prochaine législature… si toutefois la majorité qui en ressort décide de continuer à suivre la méthode de l’actuelle compétition – ce qui est douteux dès lors que l’offre pour le F-35 ne peut pas être ferme et définitive – ou décide de relancer une nouvelle compétition. Rien n’est en effet acquis : plusieurs partis francophones – Ecolo, PS, PTB marxiste et certaines franges du CDH – ont des postures ambivalentes, voire hostiles, à l’égard de ce remplacement. 

Les risques à court terme et à ce stade, sont de deux ordres. D’une part, un étiage capacitaire dès lors que le « tuilage » avec les F-16 sortant de service ne pourra plus guère être assuré : tout dépendra de l’industriel vainqueur – au passage, cette capacité à livrer rapidement pourrait être un avantage clair. D’autre part, la mise au point d’une nouvelle procédure pourrait à nouveau être diluée dans le temps, au risque de se retrouver dans une configuration calendaire équivalente à l’actuelle. Evidemment, la prolongation de tout ou partie des F-16 sera un surcoût et il y a une certaine probabilité que ceux qui défendent actuellement l’option d’une prolongation au motif du coût du remplaçant… ne veulent pas d’un remplaçant lorsque la prolongation sera terminée. Nous avions ainsi interviewé Christophe Lacroix, du PS belge, en période pré-électorale en 2014 (voir DSI n°101). L’adhésion du PS francophone au remplacement du F-16 était alors loin d’être acquise. Une position n’ayant pas évolué en plus de quatre ans n’est guère de bon augure pour un remplacement.

Au demeurant, il est évident que le seul prolongement structurel de l’appareil, sans celui de ses systèmes de combat (à l’instar des appareils roumains, par exemple), aboutit à un déclassement politico-stratégique de la Belgique, où l’aviation de combat est le coeur capacitaire. A voir ensuite comment les alliés otaniens de la Belgique – avec 0,9 % du PIB à la défense, presque autant est dépensé pour les pensions des anciens militaires que pour tout le reste – réagiront face à une nouvelle démonstration de « free-riding » de la part du huitième pays le plus riche de l’Union européenne…

Article original (20 mars, 1240)

La presse généraliste belge s’est faite ce matin d’écho d’un rapport de Lockheed Martin considérant qu’il est possible d’accroître la durée de vie des F-16 belges au-delà des 8 000 heures de vol, pour la faire passer à 9 500 environ. L’étude, remise en avril semble indiquer que ledit prolongement provoquerait un surcoût d’un milliard d’euros. Elle ne semble donc pas à confondre avec une autre étude de Lockheed, cette fois pour l’US Air Force et qui avait été assez largement commentée dans la presse spécialisée, à peu près au même moment.

A priori, l’enjeu de ces annonces est bien maigre : le programme ACCAP de remplacement des F-16 belges est déjà lancé et a fait l’objet d’un appel d’offre assez pointu mais ouvert, exigeant de répondre à 164 questions. Les candidatures américaine (F-35) et britanniques (Typhoon) ont été validées et leur « Best And Final Offer » (BAFO) rendue dans les temps. La France, avec le Rafale, avait de réels avantages comparatifs mais le choix de Brienne a été de jouer cavalier seul ; au risque de s’exclure. Sauf que l’annonce de ce matin pourrait bien remettre en cause tout le processus. Jusque là, 2023 avait toujours été considéré comme la date de début de sortie de service des F-16 belges, justifiant de leur remplacement… maintenant dans l’urgence.

Comment peut-on analyser ces révélations ? Elles ne sont évidemment pas fortuites : la sortie du PS belge, dans l’opposition, intervient alors que le choix définitif devrait être effectué début juillet ; que les élections communales et, surtout, fédérales, se profilent (respectivement en octobre 2018 et au printemps 2019) ; que le coût du remplacement est considéré comme excessif par une partie de la population mais aussi les partis d’opposition. Ces révélations sont-elles de nature à causer un problème politique ? Peut-être bien : accusé d’avoir menti, le ministre belge de la défense doit s’exprimer au Parlement dans l’après-midi du 20 mars. 

Mais cette affaire peut aussi être une chance politique ; y compris pour le ministre lui-même. La possibilité d’une extension de vie des F-16 a souvent été vue comme la solution permettant de disposer de plus de temps pour la réalisation du choix. Certains argueront aussi que ce temps peut profiter à Paris – pour tenter de rattraper les erreurs de Brienne, qui argue d’un partenariat inédit mais dont les tenants et les aboutissants sont peu médiatisés aujourd’hui. 

Mais c’est aussi une chance potentielle pour Washington. De facto, le F-35 est dans une très mauvaise posture : la presse américaine révélait récemment que les coûts du passage au standard Block 4 du logiciel du F-35 avaient été totalement sous-estimés. A tous les problèmes déjà rencontrés et à une opacité notoire des coûts de l’appareil (à l’achat comme durant sa carrière opérationnelle), il faudrait ainsi, pour l’ensemble des flottes… aller jusqu’à ajouter 16 milliards de dollars de surcoût. Autrement dit, la « BAFO » récemment rendue n’est probablement pas « finale » et la viabilité même du processus pourrait être remise en cause : la méthode était la bonne mais elle implique une sincérité budgétaire. Le temps gagné permettrait ainsi à Lockheed de faire une offre plus fiable…

La Belgique pourrait ainsi choisir le vainqueur de sa compétition avec un peu plus de recul. En espérant, évidemment, que les prochaines majorités fédérales procèdent effectivement au remplacement de l’appareil. La sociologie politique belge au regard des questions de défense est extrêmement particulière : le consensus des partis autour de la défense nationale est si fragile que le « plan » que l’actuel gouvernement avait demandé au ministre de la défense est devenu in fine une « vision » – un changement loin d’être anodin. Or, les appareils de combat sont le principal atout de Bruxelles, dont l’investissement de défense est notoirement insuffisant, pour pouvoir bénéficier de la « couverture » de l’OTAN. Un argument que D. Trump n’avait pas hésité à mobiliser pour pousser la candidature du F-35. 

Au-delà, le ministre belge a-t-il menti par omission ? Rien n’est moins sûr. Selon les éléments donnés par la presse généraliste, la prolongation des F-16 présenterait un coût d’un milliard d’euros pour 6 ans de vie supplémentaire ; ce qui semble peu efficient du point de vue des comptes publics, en particulier dès lors que 3,4 milliards – le coût prévisionnel de l’achat du remplaçant – sont déjà critiqués… Un autre aspect ne semble pas pris en considération : les F-16 belges, tout comme les appareils norvégiens, néerlandais et danois, ont bénéficié de mises à jour constantes prises en charge par le consortium formé par ces Etats, de même que par les Etats-Unis. Ces mises à jour portent notamment sur les bibliothèques de menace, indispensables pour la survie en opération des appareils et de leurs pilotes. Or, le phasing-out prévisionnel des F-16 est tel que ces mises à jour sont interrompues. Entre les surcoûts et les risques, il n’est donc pas dit que la prolongation soit un « vrai » choix… 

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