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Chypre : vers la perpétuation de la partition ?

Le 27 juillet 2017, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte l’extension pour six mois du mandat de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP). Mise en place en 1964, elle comptait en 2017 un effectif de 1106 personnes pour un budget de 57,6 millions de dollars. (© UN/Manuel Elias)

L’enjeu majeur de l’élection du président de la République de Chypre, les 28 janvier et 4 février, est la reprise ou l’abandon des négociations intercommunautaires. Mais l’avenir de l’ile dépend pour beaucoup de l’exploitation des gisements sous-marins de gaz et de la politique menée par la Turquie, puissance occupante de la zone nord.

Dans un environnement régional incertain, notamment en raison de l’évolution de la Turquie, la République de Chypre (RC), membre le plus oriental de l’Union européenne, voit le risque de perpétuation de sa partition s’accroitre : un cycle de négociation de deux ans a échoué en juillet 2017. Cependant, son avenir économique parait meilleur, notamment dans la perspective (relativement proche) de l’exploitation de gisements de gaz sous-marins. Il est cependant moins sûr que ce nouveau paramètre contribue au règlement final du conflit.

Un conflit gelé, apparemment insoluble

Le conflit chypriote est à la fois le dernier des conflits sécessionnistes issus de la décolonisation britannique (après l’Irlande, l’Inde et la Palestine) et le modèle des conflits identitaires qui allaient se multiplier après la dislocation de l’Empire soviétique, de la Yougoslavie au Caucase. L’ile passa des Ottomans aux Britanniques, qui craignaient de voir s’installer les Russes en Méditerranée orientale, sur la route de Suez, en 1878. Cependant, une élite, parlant au nom de 80 % des habitants, hellénophones orthodoxes (« Chypriotes grecs »), revendiquait l’union (Enosis) avec la Grèce. Il fallut une insurrection armée, de 1955 à 1959, et un début de conflit intercommunautaire, pour décider les Britanniques à se retirer. Mais ils jouèrent alors sur les inquiétudes de la minorité musulmane turcophone (18 % de la population) et sur la revendication nationaliste de partage (Taksim) de l’ile entre la Grèce et la Turquie pour refuser l’Enosis et accorder plutôt l’indépendance. Étrange indépendance, conclue et « garantie » par trois traités signés par trois « puissances » : le Royaume-Uni, la Grèce et la Turquie (les deux « mères-patries »). Ses termes furent imposés aux Chypriotes. Ainsi, la RC se retrouva-t-elle « alliée » avec les deux « mères-patries » qui ont le droit d’y stationner des troupes (950 Grecs, 650 Turcs). Le Royaume-Uni conserve deux bases souveraines (Sovereign Bases Areas, 3 % du territoire), dont un aéroport qui joue un rôle crucial au Moyen-Orient, du pont aérien établi par les États-Unis pour livrer des armes à Israël en pleine guerre du Kippour (1973) aux opérations aériennes contre Daech en passant par l’invasion de l’Irak (2003). La Constitution elle-même est le fruit des tractations entre la Grèce et la Turquie. Comme à l’époque de la domination britannique, les Chypriotes sont divisés en deux corps électoraux séparés, chrétiens (« grecs » et minorités chrétiennes, à savoir les catholiques – « Latins » –, les Arméniens et les Maronites) d’un côté, musulmans (« turcs ») de l’autre. Les uns élisent le président de la République, les autres le vice-président doté d’un droit de veto, deux assemblées communautaires et des députés au sein d’un parlement unique.

Cette Constitution provoqua une reprise du conflit intercommunautaire (fin 1963), le repli des Chypriotes turcs dans des enclaves assiégées par les miliciens nationalistes chypriotes grecs avant que la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) ne s’interpose (mars 1964), tandis que la Turquie menaçait d’intervenir. Ce qu’elle fit, suite à un coup d’État (15 juillet 1974) fomenté par la junte militaire grecque et ses alliés ultranationalistes chypriotes contre le président Makarios, nationaliste devenu partisan de l’indépendance, car jugeant l’Enosis irréalisable. L’intervention turque entraina la chute des juntes d’Athènes et de Nicosie, mais aussi la partition de l’ile (15 aout 1974). Trente mille à quarante mille soldats turcs occupent depuis lors une zone nord (36 % du territoire). Le pouvoir politique est officiellement entre les mains de l’État fédéré chypriote turc (1976) puis de la République turque de Chypre du Nord (RTCN, 1983), autoproclamés et reconnus par la seule Turquie. L’épuration ethnique, entamée en 1964, est parachevée : les Chypriotes grecs ont fui vers la zone sud en 1974, les Chypriotes turcs ont été regroupés au Nord suite à un accord de 1975. Seules quelques centaines de membres de l’autre communauté demeurent dans chaque zone.

Le conflit est « gelé » : la RTCN ne peut obtenir la reconnaissance internationale, étant le fruit d’une intervention et d’une occupation militaires. Elle est seulement reconnue comme administration chypriote turque. La Turquie ne reconnait plus la RC comme État souverain, mais seulement l’existence d’une administration chypriote grecque. Les deux zones sont séparées par une zone-tampon (3 % du territoire) contrôlée par l’UNFICYP. La RC continue d’appliquer la constitution de 1960, en partie bien sûr, puisque les Chypriotes turcs n’y participent plus. Les responsables politiques chypriotes turcs réclament, selon leur positionnement, soit la reconnaissance de la RTCN, soit l’annexion par la Turquie, soit la réunification avec une nouvelle constitution, mais pas le retour au statu quo ante. Certains responsables politiques chypriotes grecs réclament quant à eux ce retour au statu quo ante, tandis que d’autres se disent favorables à un nouvel ordre constitutionnel. Le Sud compte 850 000 habitants, le Nord 260 000 à 330 000, parmi lesquels des ressortissants turcs et leurs descendants, dont la migration a été, selon les cas, spontanée ou organisée pour combler le vide laissé par les Chypriotes grecs, mais aussi par les Chypriotes turcs émigrés (vers le Royaume-Uni et d’autres pays anglophones) pour des motifs économiques et politiques. Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est, lui, prononcé en faveur d’une fédération bizonale bicommunautaire (résolution 649/1990) qui est désormais la base de toute négociation.

Des négociations sans fin

Une thèse récente (1) recense 41 « initiatives de paix » entre 1955 et 2014. Depuis 1964, en 53 années, 16 seulement n’ont pas connu de négociations sur Chypre, dont trois entières et consécutives (1993-1996). Depuis 1975, les sept présidents successifs de la RC (« dirigeants de la communauté chypriote grecque » selon la formule de l’ONU) et les quatre de la RTCN (« dirigeants de la communauté chypriote turque ») ont participé à des cycles de négociation. À deux reprises, le Secrétariat général des Nations Unies (SGNU) a été jusqu’à présenter son propre projet, synthèse, en grande partie, des négociations « intercommunautaires » : « l’Ensemble d’idées » de Boutros Boutros-Ghali (1992) et le plan Annan (2002-2004). Ce dernier fut même soumis à référendum : 65 % des votants de la RTCN (Chypriotes turcs et résidents turcs dotés de la citoyenneté) l’approuvèrent, mais 76 % des votants chypriotes grecs le rejetèrent (24 avril 2004), une semaine avant l’adhésion de la RC à l’UE. Le dernier cycle de négociation a réuni Nicos Anastasiades, déjà partisan du plan Annan lorsqu’il dirigeait le premier parti chypriote grec (DISY, Rassemblement démocratique, conservateur) et Mustafa Akıncı, partisan historique de la réunification, ancien maire de Nicosie-Nord et à ce titre artisan de mesures de réunification fonctionnelles dans les années 1970. Ce cycle a échoué en juillet 2017 à l’issue d’une conférence à Crans Montana (Suisse) à laquelle participaient également les gouvernements grec et turc. Les données de ce cycle résument le caractère interminable, sinon stérile, du processus de paix supervisé par l’ONU : sur une période de 27 mois, les deux dirigeants se sont rencontrés 70 fois. Les deux négociateurs en chef, Andreas Mavroyiannis et Özdil Nami, ont, eux, tenu 154 réunions (2).

Comment expliquer qu’autant de rencontres n’aient pas débouché sur un accord et aient été nécessaires pour discuter de sujets déjà traités et ayant fait l’objet de compromis antérieurs ? En effet, pour ne s’en tenir qu’au seul plan Annan, rappelons que, ayant obtenu la majorité des voix en RTCN, il devrait servir de base à toute nouvelle négociation menée par les dirigeants de celle-ci. Il n’en est rien. Un exemple : le Plan prévoyait un ajustement territorial (une diminution de la zone nord, au profit de 100 000 des 200 000 réfugiés chypriotes grecs de 1974), lequel avait fait l’objet d’un accord entre les deux parties. Or, en janvier 2017 à Genève, les deux délégations arrivèrent avec des cartes différentes et ne parvinrent pas à se mettre d’accord. Aucune des deux ne correspondait à la carte finale du plan Annan… Un deuxième volet crucial, la répartition du pouvoir, fait tout autant l’objet de négociations repartant à chaque fois du point de départ, la Constitution de 1960. Tandis que les négociations jusqu’en 2002 aboutissaient à un retour à la dyarchie président/vice-président, le plan Annan, inspiré de la Constitution suisse, prévoyait la création d’une direction collégiale élue par le Parlement sur une seule liste, prêtant moins à un affrontement frontal entre Chypriotes grecs et turcs. Mais dès 2006 (processus dit « Gambari », alors Conseiller spécial du SGNU), la dyarchie revint à l’ordre du jour et elle l’est toujours en 2017. D’autres questions n’ont plus l’importance cruciale qu’elles avaient avant l’adhésion de la RC à l’UE : ainsi de la composition du conseil d’administration de la Banque centrale – la RC est dans la zone euro depuis 2008.

Deux raisons majeures expliquent l’échec des cycles de négociations successifs. La première est le manque de sincérité, voire l’opposition presque ouverte à la réunification, de certains dirigeants. Rauf Denktash, chef du mouvement nationaliste turc à Chypre, partisan d’une annexion de la zone nord à la Turquie et chef politique de la zone nord de 1976 à 2005, en est l’archétype. La deuxième est la question de la sécurité, donc du retrait des troupes turques. Avancée significative, le plan Annan prévoyait un retrait graduel jusqu’en 2018. À cette date, on serait retourné au statu quo ante, le traité d’Alliance, soit 650 soldats turcs. Les enquêtes d’opinion montraient que les électeurs de la RCTN étaient peu à l’aise vis-à-vis de cette disposition. Mais les politiciens chypriotes grecs hostiles à la réunification l’exploitèrent en sens inverse, expliquant que la Turquie pourrait ne pas respecter son engagement et réintervenir massivement à tout moment – ce qui était tout de même peu crédible alors que le plan Annan prévoyait l’entrée immédiate de toute l’ile dans l’UE. En 2017, le ministre grec des Affaires étrangères, Nikos Kotzias, suivi par N. Anastasiades, a demandé l’abrogation du traité de Garantie, ce que la délégation chypriote turque et le gouvernement turc ont jugé inacceptable. N. Kotzias a ainsi rompu avec la politique en vigueur depuis 1996 à Athènes : soutenir le gouvernement de la RC mais ne plus prendre d’initiative (3). Par ailleurs, et nous l’avons constaté nous-mêmes à maintes reprises, les Grecs (décideurs compris) connaissent souvent peu la question chypriote en dehors de ses aspects légaux et internationaux, et méconnaissent les Chypriotes turcs, qu’ils perçoivent trop souvent comme des « enfants » de leur « Mère-patrie ». Ainsi, sur cette question du traité de Garantie, le professeur de droit international de profession qu’est N. Kotzias a raison sur le fond : ce traité est une bizarrerie juridique. Mais sur la forme, il faut s’interroger : pourquoi le gouvernement turc, mais aussi une partie des habitants de la RTCN – et pas seulement les ressortissants turcs – y tiennent-ils tant, au point de contraindre M. Akıncı, qui y est plutôt défavorable, à le défendre ? La première réponse à cette question est que les Chypriotes turcs n’ont pas pleinement confiance dans les Chypriotes grecs, lesquels souffrent d’amnésie collective concernant le conflit. En effet, phénomène comparable à ce qui se passe en Israël avec la guerre de 1948, seuls quelques « nouveaux historiens » ont une approche critique de l’histoire officielle de la RC. Or, celle-ci véhicule des clichés problématiques : les Chypriotes turcs auraient été constamment manipulés par des chefs au service de la Turquie ; les combattants nationalistes chypriotes grecs seraient tous des héros de l’indépendance – même si certains ont commis des crimes contre les Chypriotes turcs avant 1960 puis après 1963 ; la Turquie porterait l’entière responsabilité de la partition, comme si son intervention militaire n’avait pas été provoquée par le coup d’État et la proclamation de l’Enosis… À Chypre, comme ailleurs, on ne voit pas comment parvenir à la paix sans un processus de « vérité et réconciliation » qui n’est qu’embryonnaire aujourd’hui.

La Turquie détient une partie de la solution

La deuxième réponse est que le gouvernement turc tient au traité de Garantie et à la présence de ses troupes dans l’ile pour d’autres raisons, de même que la partition de 1974 n’a pas été décidée seulement pour protéger les Chypriotes turcs. Les considérations stratégiques paraissaient évidentes en 1974 : l’armée turque établissait un avant-poste plus au sud – et faisait une démonstration de sa capacité à mener une intervention extérieure. En 2017, l’armée turque n’a plus à faire ses preuves : elle est engagée en Syrie, après l’avoir été en Irak dans des opérations de poursuite des rebelles séparatistes kurdes du PKK. Elle pourrait installer une base en Somalie, après celle du Qatar. Elle dispose de moyens techniques de surveillance de la Méditerranée orientale, même sans base à Chypre. Ses forces aériennes pourraient y identifier et frapper des cibles, sans troupes au sol. Par ailleurs, on imagine mal le gouvernement de la RC défier la Turquie et celle-ci attaquer un État membre de l’UE… D’ailleurs, lors des négociations sur le plan Annan, le Premier ministre Erdogan s’était montré plus ouvert, en rompant avec le soutien inconditionnel d’Ankara à R. Denktash puis en acceptant le retrait graduel des troupes turques. C’est également lui qui décida de la mesure de rapprochement la plus spectaculaire de 1974 à aujourd’hui : l’ouverture de la ligne de démarcation entre les deux zones au passage de tous les Chypriotes (avril 2003).

Le maintien du traité de Garantie relève donc de considérations politiques. Vis-à-vis de l’élite politique et militaire, voire de « l’opinion publique » turques, la présence à Chypre est perçue comme un facteur de prestige, une démonstration de puissance qui peut renforcer la cohésion nationale dans une période où celle-ci est mise à mal par les conséquences multiples du coup d’État raté de juillet 2016, tandis que la population est très divisée, comme l’ont montré les résultats du référendum d’avril 2017 (51,4 % de « oui » à la réforme constitutionnelle demandée par le président Erdogan, 48,6 % de « non ») (4). Bien entendu, la position turque est aussi un message adressé aux États partenaires, et pas seulement à la Grèce ou à l’UE : la Turquie est incontournable dans la région, non seulement sur le plan politique, mais aussi militaire. Mais qui en doute ? Le gouvernement turc pourrait donc faire des concessions pour résoudre rapidement la question chypriote, ce qui serait perçu comme un geste positif du côté de l’UE, mais pas suffisant pour relancer la candidature turque, car sa situation intérieure est aujourd’hui le sujet de préoccupation majeure. Un tel accord de paix pourrait avoir un prix électoral, car d’autres partis – notamment le nouveau Iyi (Bon) Parti de la nationaliste séculariste Meral Aksener – ne se priveraient pas de le juger insuffisant ou dangereux pour les intérêts turcs.

Le conflit chypriote représente donc une carte maitresse dans les relations de la Turquie avec la Grèce, l’UE, voire les États-Unis, mais pas seulement. Le gouvernement turc s’est rapproché de la Russie pour contrebalancer ses relations plus médiocres avec ses alliés de l’OTAN et de l’UE. Or, ceci devrait, en principe, favoriser un accord de paix avec les Chypriotes grecs, qui entretiennent d’excellentes relations avec la Russie, en partie au nom de la solidarité chrétienne orthodoxe. Dernier élément, enfin, la Turquie jouera-t-elle un rôle dans la distribution du gaz extrait des gisements sous-marins prospectés aux confins des zones économiques exclusives (ZEE) de la RC, du Liban, d’Israël et de l’Égypte ?

Les gisements de gaz, une solution ou une nouvelle source de conflit ? 

En effet, depuis 2009, des gisements de gaz ont été découverts dans ces quatre ZEE (5). Le gouvernement de la RC a délimité 13 blocs d’exploration dans sa ZEE, ou plus exactement dans celle qui correspond à la zone sud. Le gouvernement turc a cependant réclamé que les éventuels revenus gaziers soient partagés avec les Chypriotes turcs. Il s’agit d’une position contestable puisqu’il n’y a qu’une alternative, vue d’Ankara : la reconnaissance d’une RTCN comme État indépendant avec une ZEE différente et non concernée par les forages actuels, ou bien une réunification et donc une redistribution évidente de la rente au profit de tous les habitants de l’ile. Un seul gisement significatif (baptisé Aphrodite, 128 milliards de m3) a été découvert, en 2012-2013, par Noble Energy dans le bloc 12. Total a lancé des opérations de forage dans le bloc 11, situé à la limite de la ZEE égyptienne où se trouve le gisement Zohr, le plus important en Méditerranée, avec des réserves probables de 845 milliards de m3. D’autres forages dans la ZEE de la RC sont menés par les compagnies ENI, ExxonMobil et Qatar Petroleum notamment, engagées dans des consortiums. La question de l’ampleur des découvertes reste donc posée. Elle est cruciale, car elle donnera une idée du montant de la rente (en fonction des variations de prix) et donc des sommes que la RC pourrait engager dans la réunification – qui nécessitera un effort conséquent, notamment en termes d’infrastructures, et de reconstruction dans la zone-tampon. Les négociations ont commencé – et quelques accords ont été conclus – en vue de créer un réseau de gazoducs entre les quatre États concernés, lequel pourrait ensuite s’étendre soit directement vers la Grèce et l’Italie, soit vers la Turquie. Or, la présence de la Turquie dans ce « grand jeu » dépend notamment d’un accord sur la réunification de Chypre, mais pas seulement, car ses relations avec Israël et l’Égypte ont été compliquées ces dernières années. Par ailleurs, le gouvernement turc a menacé la RC de représailles si l’exploration continue, au nom des droits des Chypriotes turcs. Faudrait-il donc attendre la conclusion d’un accord de réunification pour exploiter ces gisements gaziers ? Déjà, entre octobre 2014 et avril 2015, la Turquie avait créé une situation de tension en envoyant dans la ZEE de la RC son navire de recherche sismique, le Barbaros. De nouvelles menaces, verbales, du gouvernement turc ont été proférées en mars 2017. Cependant, on voit mal le gouvernement turc s’engager dans une confrontation impliquant non seulement la RC, mais aussi, indirectement, les trois autres États producteurs, voire les États dont sont issues les compagnies citées plus haut : États-Unis, France, Italie… et le Qatar, très lié à la Turquie.

L’avenir de l’ile dépend, une fois encore, non seulement de la volonté de ses citoyens et dirigeants politiques de parvenir au meilleur accord (et, de fait, compromis) possible, mais aussi de la politique européenne et moyen-orientale de la Turquie, donc de ses relations avec ses voisins et partenaires. La découverte de gisements gaziers en Méditerranée orientale constitue donc un nouveau paramètre, sans doute une chance, et non pas, espérons-le, une nouvelle source de conflit.

Chypre, une ile coupée en deux
Gaz en Méditerranée : une chance pour Chypre ?
Les candidats à l’élection présidentielle en RC et la réunification de l’ile
Le scrutin, qui doit se dérouler le 28 janvier 2018 (avec un 2e tour si nécessaire le 4 février), oppose le sortant, Nicos Anastasiades (DISY, conservateur), Stavros Malas, candidat indépendant soutenu par le Parti communiste (AKEL), tous deux favorables à un accord de réunification ; Nicolas Papadopoulos (DIKO, nationaliste en politique, libéral en économie) soutenu par les partis écologiste, socialiste et Solidarité (tous nationalistes) ; Yiorgos Lillikas (gauche nationaliste), ainsi que Christos Christou (ELAM, extrême-droite, émanation du parti grec Aube dorée). Ces trois derniers candidats sont peu favorables à la reprise des négociations et à un compromis avec les Chypriotes turcs. Tassos Papadopoulos, père de Nicolas, était président de la RC lors du référendum sur le plan Annan et avait appelé avec succès au « non ».

Notes

(1) Eleftherios A. Michael, Peacemaking Strategies in Cyprus. In Search of Lasting Peace, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2015, 410 p.

(2) Données fournies par le Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour Chypre de 2014 à aout 2017, Espen Barth Eide, diplomate norvégien. Voir aussi G. Bertrand, « Chypre : trop de négociations ont-elles tué la négociation ? », Confluences Méditerranée, no 100, printemps 2017, p. 111-121.

(3) Car les Chypriotes grecs accusaient auparavant la « Mère-patrie » de faire passer ses intérêts – notamment dans les nombreux litiges l’opposant à la Turquie, mais aussi en raison de son appartenance à l’OTAN – avant la résolution du conflit.

(4) Voir Jean Marcou, « La Turquie de Recep Tayyip Erdogan, un an après le coup d’État manqué de juillet 2016 », Diplomatie no 89, novembre-décembre 2017.

(5) Luca Baccarini et Sohbet Karbuz, « Découvertes de gaz en Méditerranée orientale : quels lendemains ? », Revue internationale et stratégique, vol. 104, no 4, 2016, p. 113-122.

Article paru dans la revue Diplomatie n°90, « Les nouvelles routes de la soie : forces et faiblesses d’un projet planétaire », janvier-février 2018.

• Hubert Faustmann, James Ker-Lindsay, Fiona Mullen (dir.), An Island in Europe : The EU and the Transformation of Cyprus, Londres, I.B. Tauris, 2011.

• Etienne Copeaux et Claire Mauss-Copeaux, Taksim ! Chypre divisée, Lyon, Ædelsa, 2005.

• Gilles Bertrand, Le Conflit helléno-turc, Paris, Maisonneuve et Larose/Institut français des Études anatoliennes, 2003.

À propos de l'auteur

Gilles Bertrand

Enseignant-chercheur en science politique à Sciences Po Bordeaux (Centre Émile Durkheim), responsable du master « Politique internationale », co-responsable de l’école d’été « Conflits et interventions internationales » (Sciences Po Bordeaux, HEI de l’Université Laval, IRSEM).

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