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Les géants énergétiques du Golfe : stratégies et perspectives

Puissances énergétiques jouant depuis un siècle un rôle majeur dans la géopolitique mondiale, les pays du Golfe ont des intérêts convergents. Mais, dans un contexte régional d’instabilité chronique, ils sont aussi en concurrence pour le leadership régional et dans la recherche de diversification de leurs économies, très fortement dépendantes de leurs ressources en hydrocarbures.

C’est en Iran qu’on a trouvé pour la première fois du pétrole au Moyen-Orient : il jaillit le 26 mai 1908 à Masjid-e-Soleiman, après 35 ans de recherches infructueuses. Le gisement de Kirkuk, en Irak, fut quant à lui mis au jour en 1927. La découverte du premier gisement en Arabie saoudite (Dammam Dome) date, elle, de 1938, avant celle du gisement géant de Gawar réalisée en 1948. Depuis lors, l’accès aux ressources considérables de cette région a été l’objet d’enjeux diplomatiques constants.

Une histoire riche et mouvementée

Parmi les événements phares qui ont jalonné l’histoire diplomatico-énergétique de la région, rappelons tout d’abord l’accord du Quincy entre le roi saoudien Ibn Saoud et le président américain Franklin Roosevelt de retour de Yalta, en février 1945. Cet accord affirme l’intérêt stratégique des États-Unis pour cette zone et sécurise leurs approvisionnements pétroliers via l’Arabie saoudite.

En 1951, la nationalisation de l’Anglo Iranian Oil Company par Mossadegh, Premier ministre du Chah, s’est traduite par une crise politique internationale majeure qui a fortement inquiété le secteur pétrolier.

L’Arabie saoudite, l’Irak, l’Iran et le Koweït ont par ailleurs été les membres fondateurs, avec le Vénézuéla, de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en 1960. Et c’est à Téhéran que s’est tenue en 1973 la réunion de l’OPEP qui marqua le retournement des rapports de force entre les pays producteurs et les principales compagnies internationales qui dominaient le marché depuis près de 50 ans (les « Sept Sœurs » (1)).

La révolution iranienne de 1979 a ensuite déclenché le second choc pétrolier, après quoi l’influence de l’Iran sur la scène pétrolière a décliné, en raison de son isolement diplomatique.

Plus récemment, la guerre du Golfe en 1990 et l’intervention américaine en Irak en 2003 ont profondément affecté l’équilibre géopolitique de la région. En 2011, ce sont les révolutions arabes qui sont venues déstabiliser durablement la région. Avec la levée de l’embargo sur l’Iran en 2015-2016, une nouvelle donne énergétique se dessine par ailleurs.

Les fondamentaux énergétiques et économiques 

L’équilibre politique et économique de la région repose à l’heure actuelle sur les relations entre les trois puissances majeures que sont l’Arabie saoudite, l’Irak et l’Iran – bien qu’il dépende aussi de facteurs externes tels que le conflit israélo-palestinien et la concurrence entre les États-Unis et la Russie. Les autres pays de la région sont amenés à se positionner en fonction de ce triptyque dont les rapports de force sont fondés notamment sur leurs populations, leurs richesses, leurs réserves et leur production en hydrocarbures respectives.

L’Iran a une population élevée – 80,6 millions d’habitants en 2017 – et en croissance significative, devant atteindre 93 millions en 2050 selon les estimations de l’Institut national d’études démographiques (Ined) (2). Les populations de l’Arabie saoudite et de l’Irak sont, elles, à peu près équivalentes : respectivement 32,6 et 39,2 millions d’habitants. Il faut rappeler qu’une partie de la population en Arabie saoudite est constituée d’étrangers. La population irakienne devrait croître significativement pour atteindre 77 millions en 2050, contre seulement 45 millions pour l’Arabie saoudite. Toujours selon l’Ined, le revenu par habitant en 2016 de l’Arabie saoudite atteint 55 760 dollars, loin devant l’Iran (17 370 dollars) et l’Irak (17 240 dollars).

L’Arabie saoudite a accumulé depuis dix ans des réserves financières considérables (732 milliards de dollars de réserves en 2014 (3)) qui lui permettront pour un temps de faire face à l’effondrement des prix du pétrole. Cependant, elles diminuent rapidement : le pays les a entamées d’environ 150 milliards de dollars en 2015. L’Iran dispose de réserves financières plus faibles, estimées à 180 milliards de dollars en 2014. L’Irak n’a quant à lui pas pu constituer de réserves financières compte tenu de sa situation politique. En 2014, les réserves financières saoudiennes couvraient ainsi environ 40 mois d’importation, contre 20 mois pour l’Iran et moins de 10 mois pour l’Irak (4). La situation économique irakienne est la plus préoccupante, en raison du niveau d’endettement élevé du pays. Selon les chiffres de la Coface, le ratio dette sur PIB y atteint 61,4 % en 2015 contre 42,4 % pour l’Iran et 5 % pour l’Arabie saoudite (5). La plupart des pays producteurs ont cependant pris des mesures visant à réduire leurs dépenses, en particulier la baisse des subventions à la consommation de produits énergétiques. La résilience des trois pays à l’effondrement du prix du pétrole est donc très différente et reste un enjeu majeur de la partie de bras de fer engagée.

À l’instar des autres pays producteurs, ces trois pays restent malgré tout très dépendants de leurs recettes pétrolières pour financer leur économie. Les finances publiques ne sont à l’équilibre qu’avec un prix du pétrole d’environ 96 dollars le baril en 2016 en Arabie saoudite, contre 76 dollars en Irak et 70 dollars en Iran (6). À titre de comparaison, le Koweït et la Russie équilibrent leurs budgets avec un prix de respectivement 52 et 85 dollars par baril.

Les réserves d’hydrocarbures représentent un aspect majeur dans la concurrence entre les trois pays. L’Arabie saoudite détient les réserves pétrolières prouvées les plus importantes (267 milliards de barils), devant l’Iran (158) et l’Irak (153) (7). Il faut néanmoins rappeler que les réserves irakiennes pourraient être bien plus importantes, car une large partie du territoire irakien n’a pas encore été explorée. En ce qui concerne le gaz, l’Iran détient les réserves prouvées les plus importantes au monde (1183 tcf pour trillion cubic feet ou billions de pieds cubes), juste devant la Russie (1140 tcf). Les réserves de l’Arabie saoudite et de l’Irak sont plus modestes (respectivement 298 et 130 tcf) (8).

Les autres pays rentiers du Golfe ont une population faible : 9,4 millions d’habitants en 2017 pour les Émirats arabes unis, 4,1 millions pour le Koweït et 2,7 millions pour le Qatar. Le revenu par habitant en 2016 y est comparable, quoique légèrement supérieur, à celui de l’Arabie saoudite sauf au Qatar qui, du fait de sa faible population, a un revenu par habitant plus de deux fois plus élevé. Les réserves pétrolières du Koweït et des Émirats arabes unis sont d’environ 100 milliards de barils. Celles du Qatar sont quatre fois plus faibles. Par contre, ce pays dispose des troisièmes réserves de gaz au monde (858 tcf, soit 13 % des réserves mondiales). Les Émirats et, surtout, le Koweït, sont quant à eux pauvres en gaz, dont ils sont importateurs nets.

Quel potentiel de production pour chaque acteur ?

Le niveau de production d’hydrocarbures et son potentiel de développement est différent pour chacun des acteurs pétroliers du Golfe.

Il convient d’abord de souligner les handicaps spécifiques de l’Iran par rapport aux autres pays du golfe Arabo-Persique. Les experts considèrent que l’Arabie saoudite et l’Irak sont des pays bénis pour les compagnies pétrolières, car il suffit de forer pour que le pétrole jaillisse. L’Iran est en revanche le pays béni pour les sociétés de services, car la complexité des gisements nécessite la mobilisation de technologies. Ainsi, faute d’investissements suffisants, le taux de déclin naturel des gisements iraniens est supérieur à la moyenne mondiale, estimée à 5 %. Pour maintenir le niveau de production, il est donc indispensable d’y mobiliser en permanence des investissements importants. Par ailleurs, depuis la révolution iranienne en 1979, le pays n’a eu qu’un accès limité aux technologies modernes.

Les couts de production des pays du Golfe sont quant à eux les plus bas au monde, même s’il y a peu de transparence sur ces données. Ils varient beaucoup d’un gisement à un autre et sont notamment liés à la nature du gisement (existant ou nouveau). Le graphique ci-dessus présente une estimation des couts en capital (CAPEX) et des couts d’exploitation (OPEX) dans les principaux pays producteurs. L’évolution des couts techniques de l’Irak dépendra du succès de l’exploration future du pays. Les couts en Arabie saoudite pourraient augmenter, le pays étant amené en effet à investir dans des technologies d’amélioration de la production. Pour sa part, l’Iran devra augmenter significativement ses investissements et faire appel à des technologies modernes. Ces caractéristiques ont marqué depuis des décennies la géopolitique régionale et seront déterminantes pour les évolutions futures.

Soulignons aussi que les rapports de force entre les trois pays n’ont cessé d’évoluer depuis la création de l’OPEP en 1960 en fonction de la variation de leur production. Cette dernière doit être examinée dans le contexte de la croissance de la demande pétrolière mondiale : 31,8 millions de barils par jour (Mbj) en 1965, 58,4 Mbj en 1973 et 96,6 Mbj aujourd’hui. La part de marché des pays de l’OPEP a fluctué, atteignant à ces mêmes dates 43,8 %, 51,5 % et 42 %.

En 1965, les productions des trois pays faisaient quasiment jeu égal de 1,5 à 2 Mbj, loin derrière les États-Unis (9 Mbj), l’URSS (5 Mbj), et même le Vénézuéla (3,5 Mbj). La production de l’Arabie saoudite a ensuite explosé compte tenu de conditions particulièrement favorables dans le pays, pour atteindre 7 Mbj en 1973 et plafonner à 10 Mbj en 1980-1981. Ultérieurement, le pays a réduit sa production pour défendre le prix du pétrole. En 1985, le pays décide de réaugmenter sa production pour défendre sa part de marché, provoquant le contre-choc pétrolier. Depuis 1992, sa production a augmenté, fluctuant en général entre 8,8 et 10 Mbj, pour atteindre 12,3 Mbj en 2016.

Le profil de production de l’Iran est plus heurté. Celle-ci augmente jusqu’à 6 Mbj entre 1973 et 1979, puis décline très fortement en 1980 à cause de la révolution iranienne et de la guerre Irak/Iran. Depuis, la production s’est redressée pour revenir à 4,6 Mbj en 2016.

De même, le profil de production de l’Irak a été marqué par les conflits géopolitiques qui ont affecté ce pays : guerre Irak/Iran, guerre du Golfe en 1990, sanctions internationales, intervention américaine en 2003. Depuis la levée des sanctions mises en place lors de la guerre du Golfe, la production s’est redressée pour atteindre 4,5 Mbj en 2016, retrouvant ainsi les niveaux des années 1970.

Quelles perspectives de production ?

• L’Arabie saoudite présente des conditions techniques et économiques favorables pour augmenter sa production. Dès les années 1990, le pays envisageait les conditions permettant de produire 15 Mbj. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’en 2030, sa production devrait atteindre 12,7 Mbj (WEO-2017). Ceci nécessite de nouveaux développements, notamment sur les champs de Manifa, Khurais et Shaybah. Mais en parallèle, la consommation intérieure devrait augmenter dans les secteurs « transport » et « électrique ». Ainsi, la part de la consommation intérieure dans la production est passée de 15 % en 1990 à 29 % en 2016.

• L’Irak a affiché en 2012 ses ambitions de croissance pour sa production. À l’évidence, son potentiel est considérable, le pays ayant été sous-exploré dans le contexte politique déjà mentionné. Les contrats signés avec des entreprises multinationales impliquaient une multiplication par cinq de sa capacité de production par rapport à son niveau de production de 3 Mbj. Dans ses projections de 2017, l’AIE revoit à la baisse ses prévisions en 2030 à 5,6 Mbj. Le développement du potentiel du pays restera lié à l’évolution du contexte économique, social et politique dans les années à venir.

• L’Iran a affiché sa volonté de retrouver sa part de marché que l’embargo lui avait fait perdre. Pour ce faire, le pays a décidé d’augmenter la capacité des gisements en production et envisage le développement de nouveaux champs. L’augmentation de la production des gisements existants, à l’instar d’Ahwaz, permettrait d’augmenter la production d’environ 500 Kbj. Mais cela implique la mobilisation d’investissements importants faisant appel à des technologies occidentales. Enfin, le gouvernement iranien a affiché sa volonté d’ouvrir le pays aux investisseurs étrangers. Cette annonce a soulevé un grand intérêt dans les compagnies pétrolières internationales. Cependant, le processus risque d’être long, compte tenu des incertitudes concernant la levée effective de l’embargo américain : d’ici à 2020, il est peu probable d’observer une augmentation de production significative.

• Les productions des autres pays du Golfe sont plus faibles. Celle du Koweït a crû de 2 Mbj en 2000 pour atteindre 3,2 Mbj en 2016 et se stabiliser à ce niveau d’ici 2030. La production des Émirats arabes unis est passée de 2,6 Mbj en 2000 à 3,9 Mbj en 2016 et devrait monter à 4 Mbj en 2030. La production du Qatar a doublé depuis 2000 pour atteindre, en 2016, 2 Mbj, niveau qui devrait rester stable d’ici 2030.

En d’autres termes, l’Arabie saoudite devrait conserver une position centrale sur le marché pétrolier : elle devrait conserver sa prééminence parmi les pays de l’OPEP et rester en 2025 l’un des trois grands producteurs de pétrole avec les États-Unis et la Russie. L’Irak et l’Iran retrouveront cependant un rôle majeur sur le marché pétrolier. Les exportations d’hydrocarbures des pays du Golfe restent soumises à une contrainte majeure. En effet, l’essentiel de la production de pétrole et de gaz transite par le détroit d’Ormuz. L’oléoduc Kirkouk/Ceyhan, qui débouche en Méditerranée, est de capacité limitée et son utilisation est par ailleurs entravée par le conflit syrien. Seule une faible partie de la production saoudienne peut donc être exportée via la mer Rouge. La totalité des exportations de GNL du Qatar et des Émirats arabes unis transite par le détroit d’Ormuz.

Le conflit interne au sein de l’OPEP

À l’origine, le conflit avec les compagnies internationales (les Sept Sœurs) s’était traduit par une solidarité forte entre les pays membres de l’organisation. Mais très tôt, l’OPEP a constitué un lieu de confrontation entre les pays producteurs, en particulier l’Arabie saoudite et l’Iran. Il est symptomatique que le poste stratégique de secrétaire général de l’organisation n’ait été tenu par aucun iranien ou saoudien depuis 1968. Les premiers différends sont apparus dans les années 1970. Ils étaient fondés sur une divergence d’intérêt entre les « faucons » et les « colombes ». Les premiers disposaient de ressources limitées avec une population importante (Iran, Algérie…), alors que les seconds avaient des ressources importantes et une population faible (Arabie saoudite, Koweït, Émirats arabes unis). Les premiers plaidaient pour des prix élevés afin de satisfaire leurs besoins à court terme, alors que les seconds misaient sur des prix raisonnables permettant d’assurer leur développement à long terme. Les relations diplomatiques avec les États-Unis ont joué aussi un rôle clivant dans ces affrontements.

La bataille des quotas après le contre-choc pétrolier de 1986 a été une autre période de tensions entre les pays de l’OPEP. À cette époque, les quotas de production étaient calculés en fonction des réserves de chaque pays. Cela a conduit en 1987 à des réévaluations de leurs réserves, sans aucune raison technique ou économique. La question des quotas a été aussi un enjeu majeur dans le règlement du conflit entre l’Irak et l’Iran : l’accord de cessez-le-feu entre l’Irak et l’Iran prévoit en effet une parité des quotas entre les deux pays. Certes, la notion de quotas a disparu en pratique depuis 1999. Il n’en reste pas moins que le niveau de production est toujours un enjeu majeur entre les pays de l’OPEP.

L’émergence des pétroles de schiste aux États-Unis depuis 2010 a par ailleurs pesé sur les parts de marché des pays de l’OPEP. Lors de la réunion de l’Organisation en novembre 2014, l’Arabie saoudite, soutenue par les monarchies du Golfe, a imposé une politique de maintien de part de marché au détriment d’une défense des prix qui aurait été obtenue par une baisse de production. Confrontée à l’effondrement des prix du pétrole début 2016, l’Arabie saoudite, avec ses alliés du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) (9), a engagé des discussions avec les producteurs non OPEP, et en particulier la Russie. Ces discussions se sont heurtées à l’intransigeance de l’Iran qui exigeait d’augmenter sa production.

Dans le contexte de la déstabilisation majeure du Moyen-Orient, le conflit pétrolier se double d’un conflit diplomatique avec la rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran. L’intervention militaire de l’Arabie saoudite à Bahreïn en 2011 et, plus récemment, au Yémen, est symptomatique d’un retournement stratégique de ce pays : l’Arabie saoudite a mobilisé les pays arabes sunnites du Maroc au Pakistan. De son côté, l’Iran tente de créer un « arc chiite » avec l’Irak, le pouvoir alaouite en Syrie et le Hamas au Liban. La solidarité politico-religieuse prime à l’évidence sur la solidarité entre pays de l’OPEP. La rupture récente des relations diplomatiques entre les pays du CCG et le Qatar complexifie encore plus la situation politique de la région.

En novembre 2016, à Vienne, l’OPEP a décidé une réduction de production de 4,8 % à compter de 2017 : la Russie a accepté de se joindre à cet accord. Un traitement particulier est accordé à l’Iran l’autorisant de facto à maintenir son niveau de production.

Après cet accord, renouvelé lors de la réunion de l’OPEP de novembre 2017, les prix se sont redressés sans pour autant revenir aux niveaux antérieurs. Le marché reste très attentif au respect par les pays producteurs de leurs engagements. À ce jour, on n’a pas constaté de dérapages, mais l’équilibre reste fragile. Cependant, l’OPEP a perdu une partie de son levier d’influence sur les marchés : toute limitation de la production qui entrainerait des prix trop élevés provoquerait très rapidement une relance de la production américaine venant les rééquilibrer à la baisse.

L’enjeu gazier

Comme nous l’avons vu, l’Iran dispose de ressources gazières majeures au niveau mondial. La levée des sanctions devrait permettre de mobiliser le potentiel du pays. C’est en particulier le cas du gisement géant de South Pars/North Dome, découvert en 1990 à cheval entre l’Iran et le Qatar. Le potentiel de production est considérable : 30 milliards de pieds cubes par jour (bcf/j) de gaz et 1,2 Mbj de condensats (AIE, juin 2015). À l’heure actuelle, la majorité du gaz produit en Iran sert à couvrir la consommation intérieure, une part significative est utilisée pour maintenir la pression dans les gisements pétroliers, le reste est encore brûlé sur champs. L’exportation est anecdotique et principalement dirigée vers la Turquie. La croissance de la production de gaz se heurtera aux mêmes contraintes que pour le pétrole : importance des investissements et mobilisation de technologies. Elle devra satisfaire en premier lieu les besoins intérieurs. Le surplus pourra être exporté par gazoduc ou sous forme de GNL. Dès lors que ses besoins internes auront été satisfaits, l’Iran pourrait devenir un fournisseur important de gaz de la région dans un premier temps et sur le marché mondial ultérieurement.

Le Qatar a pour sa part très tôt développé son énorme potentiel gazier. Il est devenu le premier exportateur mondial de GNL. Il exporte aussi du gaz vers les Émirats arabes unis. Après avoir gelé ses projets d’expansion, le pays vient de décider une nouvelle augmentation de 30 % de sa capacité dans un contexte de réchauffement de ses relations diplomatiques avec l’Iran.

Les autres pays du Golfe sont déficitaires en gaz. En Arabie saoudite, au Koweït ou aux Émirats arabes unis, la production de gaz associée à la production pétrolière est insuffisante pour satisfaire les besoins croissants dans le domaine de la production d’électricité et du dessalement de l’eau de mer. Le projet le plus mûr d’approvisionnement est le gazoduc avec l’Irak. Des négociations ont été engagées avec Oman et les Émirats arabes unis, de même qu’avec le Pakistan et l’Inde, mais leur concrétisation prendra du temps. Il faut que des investissements considérables soient mobilisés des deux côtés, qu’un accord soit obtenu sur les prix et qu’il n’y ait pas de perturbations de nature géopolitique. Ils se trouvent aussi en concurrence avec des projets d’exportation par gazoduc vers l’Europe ou sous forme de GNL sur le marché mondial.

Il y a donc une évidente complémentarité entre le Qatar et l’Iran, riches en gaz, et les monarchies du Golfe déficitaires. Mais cette synergie, qui devrait s’imposer dans un monde rationnel, mettra à l’évidence du temps pour émerger dans une zone déstabilisée depuis des décennies par des conflits politico-religieux qui se sont renforcés dans le contexte du conflit syrien.

Diversification des économies rentières

Les pays rentiers du Golfe sont confrontés à des défis liés à leur dépendance vis-à-vis de leurs ressources en hydrocarbures, mais qui varient selon les pays.

L’Iran a une économie relativement diversifiée, même si le pétrole représente 50 % des recettes de l’État. Les exportations non pétrolières ont dépassé les importations pour l’année fiscale 2016/2017. Le pays a pris des mesures afin de redresser ses comptes mis à mal par l’embargo : plan de privatisation, relance des investissements étrangers.

Le Gouvernement doit aussi prendre en compte l’augmentation de la consommation intérieure compte tenu de la croissance de la population et du parc automobile. Cela réduirait d’autant la part de production exportée. Des décisions ont été prises pour réduire les subventions aux produits énergétiques afin de limiter la croissance de la consommation.

Les autres pays du Golfe sont beaucoup plus dépendants vis-à-vis de leurs exportations d’hydrocarbures. Ainsi, ces derniers représentent 90 % des revenus de l’Arabie saoudite. La diversification de l’économie du pays est depuis plusieurs années une priorité du gouvernement. Ali al-Naïmi, ministre du Pétrole du roi Abdallah, avait coutume de dire qu’il fallait profiter de l’argent du pétrole pour préparer l’après-pétrole. De même, Khalid al-Falih, ancien directeur général de l’Aramco et actuel ministre du Pétrole, confiait que si l’on ne renversait pas les tendances de la consommation d’énergie dans le pays, d’ici deux décennies, le pays deviendrait importateur de pétrole. Le nouvel homme fort de l’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, a donné une nouvelle impulsion à cette politique dans le cadre du projet « Vision 2030 ». Elle passe par une politique énergétique vigoureuse basée sur une réduction des subventions énergétiques afin de limiter la croissance de la consommation. Le gouvernement a lancé un programme ambitieux de développement de l’énergie photovoltaïque et éventuellement de l’énergie nucléaire. Enfin, le projet prévoit l’ouverture de 5 % du capital de Saudi Aramco qui permettrait de créer un fonds souverain. Il est toutefois trop tôt pour mesurer l’impact de ces décisions majeures.

Les Émirats arabes unis, confrontés à un plafonnement de leur production d’hydrocarbures, ont lancé en 2008 le projet « Masdar », qui vise à faire progresser le développement, la commercialisation et le déploiement des énergies renouvelables et des technologies propres : cette éco-cité devrait accueillir, une fois finie, jusqu’à 50 000 habitants et 1500 entreprises. Ils ont par ailleurs décidé la construction de centrales nucléaires.

Ainsi, les pays rentiers du Golfe se sont tous engagés dans une politique visant à diversifier leur économie et à réduire leur dépendance vis-à-vis du secteur des hydrocarbures. Il est cependant trop tôt pour se prononcer sur le succès de ces politiques.

Réserves d’hydrocarbures dans le Golfe en 2016 
Coût de production du baril de pétrole

Notes

(1) Entre 1928 et 1971, les principales majors anglo-saxonnes constituent un cartel, surnommé le cartel des « Sept Sœurs », qui leur permet de régner sur le pétrole mondial durant cette période : Standard Oil of New Jersey (Esso, devenue Exxon puis ExxonMobil), Anglo-Persian Oil Company (devenue BP), Royal Dutch Shell, Standard Oil of California (devenue Chevron), Texaco (fusionnée avec Chevron), Standard Oil of New York (devenue Mobil puis ExxonMobil), Gulf Oil (absorbée par Chevron).

(2) Gilles Pison, « Tous les pays du monde », Population et Société, no 547, Ined, septembre 2017.

(3) Selon les données du Sovereign Wealth Fund Institute.

(4) Ibid.

(5) http://​www​.coface​.com/​f​r​/​E​t​u​d​e​s​-​e​c​o​n​o​m​i​q​u​e​s​-​e​t​-​r​i​s​q​u​e​-​p​ays

(6) Source IMF et Deutsche Bank.

(7) BP Statistical Review of World Energy, juin 2017, p. 12.

(8) Ibid., p. 26.

(9) Le CCG regroupe l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, Oman, le Qatar et le Koweït.

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°43, « Géopolitique de l’énergie », juin-juillet 2018.

Légende de la photo ci-dessus :
Le 11 janvier 2016, le président iranien, Hassan Rohani, visite les installations du gisement gazier géant de South Pars. Alors que l’Iran possède des ressources énergétiques encore largement sous-exploitées, le pays, qui est redevenu un membre influent de l’OPEP, a profité de la levée des sanctions internationales pesant sur lui depuis 2012 pour augmenter son niveau d’exportation. Les menaces récurrentes de remise en cause de l’accord de Vienne par les États-Unis fragilisent cependant la reprise iranienne. (© President​.ir)

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