Voilà un territoire dont on ne parle jamais. Même le cinquantième anniversaire de son indépendance, obtenue en mars 1968, n’a pas vraiment été évoqué dans la presse internationale. Pourtant, la République de Maurice se présente tel un modèle économique et social à quelque 3 300 kilomètres des côtes est-africaines. Quels sont ses secrets et surtout ses limites ?
Voisin de la Réunion, l’archipel de Maurice – constitué de quatre îles : Maurice, Rodrigues, Agaléga et Saint-Brandon – est un petit territoire de 2 040 kilomètres carrés, un peu moins que le Luxembourg, pays dont la comparaison géographique n’est pas anodine. En effet, Maurice peut se vanter d’une économie en excellente santé depuis trois décennies, avec une croissance de 3,9 % et un chômage de 7,1 % en 2017. Certes, dans un État de seulement 1,2 million d’habitants, les enjeux ne sont pas les mêmes que dans une nation plus peuplée, mais Maurice a su réfléchir sur son modèle.
La colonisation européenne (hollandaise, française et britannique) entre 1598 et 1968 a fait de l’île une terre de production sucrière. Encore de nos jours, 90 % des surfaces cultivables sont occupées par des champs de cannes, qui continuent à figurer parmi les principales exportations du pays. Mais ce serait oublier que 65 % des personnes actives travaillent dans le secteur tertiaire et que les services financiers représentent 75 % du PIB. Les autorités de Port-Louis, la capitale, ont su diversifier l’économie en tentant de faire de Maurice un hub pour les investisseurs en offrant une fiscalité avantageuse. Ainsi, en 2017, il y avait 967 fonds d’investissement, 450 structures de capital-risque, 23 banques internationales et environ 20 000 sociétés offshore. Une compagnie étrangère peut devenir résident fiscal à partir de 160 000 euros investis dans l’immobilier à travers une compagnie locale.
Ces conditions favorables sont néanmoins sujettes à caution. ONG et associations dénoncent un paradis fiscal, quand le gouvernement préfère parler de « place attractive ». La frontière est mince. Notamment quand Maurice figure sur la « liste grise » de la Commission européenne en 2017, soit les pays devant faire un effort pour ne pas glisser vers le côté noir de la finance internationale. Des cas récents appellent à la vigilance : en 2017, une enquête pour blanchiment d’argent contre l’homme d’affaires angolais Álvaro Sobrinho ; en mars 2018, la démission de la présidente mauricienne, Ameenah Gurib-Fakim, à la suite d’achats de biens personnels avec une carte bancaire d’une ONG présidée par… Álvaro Sobrinho. Le « modèle » mauricien est indéniable quand on regarde les chiffres : un PIB par habitant passé de 1 428 dollars en 1986 à 9 627 en 2016, un taux d’alphabétisation de plus de 90 %, un accès à la santé et à l’éducation généralisé. Néanmoins, la domination du secteur financier pourrait avoir ses revers, Maurice étant cité dans les « Paradise Papers » révélés fin 2017.
La république espère également tirer profit de son territoire maritime (2,3 millions de kilomètres carrés) en promouvant une « économie océanique » – nom d’un ministère depuis 2014 –, basée sur la mise en valeur de l’aquaculture, la rénovation des ports et la modernisation de la pêche, mais aussi l’exploitation des hydrocarbures. L’objectif est de maintenir la croissance élevée, et de ne plus être considérée comme l’île sucrière de l’océan Indien.
Cartographie de Laura Margueritte