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Pourquoi et comment les entreprises chinoises investissent en Europe

Depuis la crise des subprimes, les investissements directs chinois (IDC) en Europe, privés ou publics, ont fortement augmenté. Souvent situés dans des activités à forte valeur ajoutée et comportant des emplois intensifs en connaissances, ils témoignent notamment de la volonté de la part des investisseurs chinois d’obtenir un transfert de technologie vers leur pays. Dans cette internationalisation des firmes, l’État chinois joue un rôle fondamental.

Les investissements directs chinois (IDC) en Europe, même s’ils demeurent difficiles à mesurer (voir encadré 1), ont fortement augmenté. En 2016, pas moins de 234 milliards de dollars ont été investis à l’étranger par des entreprises chinoises pour des acquisitions ou des prises de participation, un montant record, dix fois supérieur à celui enregistré en 2007 (voir graphique). À partir de 2011, les IDC industriels sont devenus plus importants de la Chine vers l’Europe que de l’Europe vers la Chine. Ce phénomène s’explique à la fois par les importantes réserves accumulées par les entreprises chinoises, par la faiblesse de l’euro et des taux d’intérêt et aussi par l’existence de sociétés européennes en grande difficulté financière, dans l’industrie et les services.

L’augmentation des IDC en Europe

Dès 2013, les mesures protectionnistes prises par les autorités américaines ont incité les entreprises chinoises à se tourner vers l’Europe. Entre 2012 et 2013, les deux équipementiers Huawei et ZTE ont été publiquement accusés de mettre en danger la sécurité américaine (1). La dernière étude « Bird’s-Eye View 2017 » publiée par le cabinet d’affaires international Baker McKenzie indique que l’Europe avait attiré, en 2014, 16 milliards d’euros d’investissements et 24,1 Md en 2015. Ce montant a presque doublé en 2016, pour avoisiner les 45,8 Md d’euros. En Amérique du Nord, les investissements chinois ont presque triplé pour atteindre 48,4 Md de dollars, contre 16,7 Md en 2015, devançant ainsi l’Europe pour la première fois depuis 2013. L’Allemagne et le Royaume-Uni ont accueilli près de la moitié (46 %) des IDC européens en 2016. L’Allemagne a connu une importante hausse, les IDC passant de 1,2 Md d’euros à 11,4 Md. Le Royaume-Uni a attiré 8,6 Md d’euros d’IDC, la plupart des investissements ayant été annoncés avant le Brexit. La France, qui en 2015 était la deuxième terre d’accueil des IDC avec 3,6 Md d’euros investis dans l’Hexagone, a régressé à la sixième place avec 2,3 Md d’euros, derrière la Finlande (qui a connu la plus grosse opération de rachat en Europe) (2) , la Suisse et l’Irlande en 2016. Au-delà des classements, il faut retenir qu’en 2016, ce sont les secteurs technologiques (13,7 Md de dollars), les transports et infrastructures (12,2 Md de dollars) et les équipements industriels (6,2 Md de dollars) qui ont été les plus ciblés par les investisseurs chinois en Europe.

Ces dernières années, en Allemagne, au Royaume-Uni, en France et en Italie, le secteur des équipements industriels a concentré de nombreux rachats. Au Portugal, c’est le secteur bancaire qui fait l’objet de prises de participation importantes. Des stratégies sectorielles se précisent alors, suscitant de nombreuses interrogations de la part des pouvoirs publics européens. En France, la Direction générale de la Compétitivité, de l’Industrie et des Services (DGCIS) avait demandé une étude en 2013 dont le titre – « Face aux nouvelles stratégies déployées par les investisseurs chinois en Europe et en France : quelle(s) réponse(s) adopter ? » (3) –, reflète bien les interrogations des décideurs politiques. Doivent-ils favoriser ou au contraire freiner les IDC entrants en Europe ?

Derrière les stratégies d’investissement des firmes chinoises

Comme le souligne Philippe Le Corre, chercheur à la Brookings Institution, cette offensive chinoise en Europe s’inscrit dans le programme « Ambition 2025 », qui vise à recentrer les IDC sur la technologie, l’industrie de pointe et les services afin de faire de la Chine un pays d’innovation. En mars 2015, les autorités chinoises ont ainsi identifié dix secteurs prioritaires, allant des technologies de l’information à la robotique, en passant notamment par la biomédecine, l’agriculture, l’agroalimentaire et les cleantech [ou éco-technologies, regroupant les techniques et services industriels cherchant à utiliser les ressources naturelles et l’énergie avec parcimonie et efficacité, en limitant l’impact environnemental, NdlR].

Pour bien comprendre ces mouvements (forte croissance de l’IDC jusqu’en 2016, puis sensible ralentissement début 2017), il nous apparait nécessaire d’identifier les différentes stratégies poursuivies par les entreprises chinoises qui investissent en Europe et qui diffèrent selon les secteurs.

IDC dans le secteur des biens d’équipement industriel : obtenir un savoir-faire, une marque
Cas n°1 : l’entreprise française Moteurs Baudoin, rachetée par Weichai Holding en janvier 2009 (4)

La société Moteurs Baudouin, à Cassis (Bouches-du-Rhône), a été reprise en janvier 2009 pour près de cinq millions d’euros par le chinois Weichai Holding Group à la suite d’un redressement judiciaire. Cette filiale du groupe Shandong Heavy Industry, coté à la bourse de Hong Kong, est détenue à hauteur de 14 % par le gouvernement chinois. Le président de l’entreprise, Tan Xuguang, a investi 100 millions d’euros sur le site de Cassis dans les cinq ans qui ont suivi l’acquisition et a conservé l’ensemble des emplois. En s’internationalisant, la firme vise une montée en gamme de ses produits. N’étant pas connue sur le marché européen, l’entreprise chinoise bénéficie par son rachat de l’utilisation de la marque Moteurs Baudouin, de son savoir-faire et de sa réputation. Weichai Power exporte désormais 90 % de sa production contre deux tiers en 2009. En janvier 2012, le groupe chinois a étendu ses investissements à l’Italie avec la prise de participation de 75 % du constructeur de yachts de luxe Ferretti pour un montant de 374 millions d’euros, puis, fin 2012, à l’Allemagne, avec 738 millions injectés, dont 467 millions d’euros pour détenir 25 % du groupe allemand Kion, leader mondial de la technologie hydraulique et de la construction de chariots élévateurs.

Cas n°2 : l’entreprise allemande Putzmeister rachetée par le groupe Sany en 2012

Le groupe chinois Sany, fondé en 1989, dispose de fonds ; en 2011, il avait un chiffre d’affaires de 50,78 milliards de yuans (6,2 Md d’euros), un effectif de 50 000 personnes, avec des activités localisées dans 150 pays. Sany rachète, pour 300 millions d’euros, la marque Putzmeister à l’entreprise allemande, spécialisée dans les pompes à béton. « Putzmeister devient le sous-traitant de Sany, cela signifie que le chinois va devoir s’adapter aux standards de qualité du groupe allemand », explique Norbert Scheuch, PDG de Putzmeister depuis 2009, et qui siège maintenant au conseil d’administration du groupe en Chine. Sany a acquis 90 % de Putzmeister, qui de son côté voit s’ouvrir l’accès au marché chinois. Les importants bénéfices du groupe chinois permettent à l’entreprise de se développer par croissance externe. Par le biais de Putzmeister, Sany a acquis, pour 8,1 millions d’euros, Intermix, spécialiste allemand des camions-toupie de transport de béton frais. Le but de ces deux acquisitions est d’acquérir des connaissances technologiques, en offrant en échange à la filiale allemande de la capacité de financement. « Bien que nous ayons acquis 90 % de Putzmeister, nous n’essayons pas de contrôler… Nous n’avons qu’un employé de liaison installé dans l’entreprise en Allemagne », dit M. Yuan, vice-président du numéro un chinois de matériel de BTP. Grâce aux débouchés et aux réserves financières de l’entreprise chinoise, la firme allemande envisage son avenir sereinement et le groupe chinois peut se projeter en avant sur la scène internationale.

IDC dans l’agriculture et l’agroalimentaire : réexporter le produit en Chine 
Cas n°3 : l’achat du Château Lucas (côtes de Castillon) en octobre 2012 (5)

Début août 2012, le château Lucas (12,5 hectares) a été vendu à l’architecte chinois Wencheng Li. Situé sur la commune de Castillon, ce domaine appartenait à la famille Deshors. L’agence Millésime Immobilier (réseau Vinéa Transactions) qui a réalisé la transaction annonce que cette « opération est d’autant plus positive que la totalité de la production sera prochainement exportée en Chine ». Cette démarche d’investisseurs chinois cherchant à approvisionner le marché asiatique est typique. Dans ce cas présent, comme le soulignent Henri Duval et Marine Dargery (agence Ampelio, spécialisée dans les biens viticoles), « le souci des acheteurs chinois est avant tout la rentabilité, le prestige importe peu. Ils cherchent un outil de travail organisé et bien équipé ».

Cas n°4 : L’acquisition du château Bellefont-Belcier, en septembre 2012

Le château Bellefont-Belcier a été acheté par un industriel chinois du fer. C’est la première acquisition de prestige dans le Bordelais, marquant une nouvelle étape dans l’implantation d’investisseurs chinois dans le secteur du vin français, trois mois après Gevrey-Chambertin en Bourgogne. Composé de 20 hectares (dont 13 de vignes), d’un parc à la française et d’un château (situé à Saint-Laurent des Combes), le château Bellefont-Belcier a été confirmé grand cru classé par le classement 2012 de Saint-Émilion. Cet achat haut de gamme suit davantage une logique de prestige que de rentabilité.

Cas n°5 : Coopération entre Synutra et Sodiaal en France en septembre 2012

Le producteur chinois de lait infantile Synutra investit 170 millions d’euros avec le groupement français de producteurs laitiers Sodiaal pour créer en Bretagne une usine de séchage de lait et de lactosérum pour la Chine. « Afin de répondre aux besoins toujours plus importants du marché chinois, Synutra, troisième fabricant de produits infantiles en Chine, a voulu sécuriser ses sources d’approvisionnement en matières premières », explique dans un communiqué Sodiaal, premier groupe laitier coopératif de France. Le projet a été inauguré en 2016, à Carhaix (Finistère), et a permis la construction de deux tours de séchage. L’investissement est porté à 90 % par le groupe chinois et à 10 % par Sodiaal, via sa filiale spécialisée Eurosérum. « Pour son premier investissement hors de Chine, Synutra a porté son choix sur la Bretagne où Sodiaal a pu lui garantir des volumes importants de lait et de lactosérum déminéralisé de qualité », se félicite le groupe français. Sodiaal, qui a notamment racheté Entremont en 2011, se présente comme le troisième groupe laitier coopératif en Europe avec 4,7 milliards de litres collectés par an auprès de 13 000 producteurs. Sa filiale Eurosérum revendique le rang de leader mondial du lactosérum déminéralisé pour la fabrication de lait infantile. La logique est ici de construire une image de qualité autour du produit qui sera réimporté en Chine.

IDC dans les infrastructures de transport : faciliter les flux de marchandises 
Cas n°6 : COSCO investit en Grèce

En 2009, la compagnie chinoise de transport maritime China Ocean Shipping Company (COSCO) a investi dans les infrastructures portuaires, avec pour objectif de faire du port du Pirée le principal centre de transit des marchandises vers le marché européen. Aujourd’hui, celui-ci est largement dominé par la présence de COSCO, qui y contrôle tous les terminaux.

Services bancaires : accompagner les entreprises chinoises en France et se faire connaitre des entreprises étrangères pour les aider en Chine

Cas n°7 : IDC dans les banques portugaises

En novembre 2016, Fosun est entré au capital de Millennium BCP, la plus grande banque portugaise cotée, à hauteur de 16,7 %. C’est un apport d’argent frais pour cette banque plombée par de mauvaises créances et qui doit rembourser, d’ici fin 2017, 750 millions d’euros d’aide d’État. China Minsheng Financial a racheté Novo Banco, autre banque portugaise issue de Banco Espirito Santo qui a fait faillite en 2014. Le Portugal est pour les investisseurs une tête-de-pont vers le monde lusophone en Afrique et au Brésil.

Cas n°8 : Ouverture d’une filiale à Paris de Bank of Communications, dépendant de la filiale luxembourgeoise

Créée en 1908 à Shanghaï, la Bank of Communications a financé la construction de la première ligne de chemin de fer en Chine (d’où son nom, moyen de communications). Aujourd’hui, c’est la cinquième banque commerciale en Chine, cotée à Hong-Kong et à Shanghaï. Elle possède 14 filiales en Asie, aux États-Unis et en Europe (Luxembourg, Londres, Francfort…). En 2015, elle a obtenu le « passeport européen » qui lui permet de réaliser des opérations en Europe. Ainsi, peut-elle accompagner les entreprises chinoises qui investissent en Europe et proposer des services aux entreprises européennes qui souhaitent développer une activité en Chine.

À partir de ces huit cas, il est possible d’identifier les raisons qui sous-tendent les différentes stratégies d’investissement des firmes chinoises en Europe.

Premièrement, s’implanter pour vendre : les entreprises chinoises à stratégie commerciale relèvent deux types de défis, l’un de nature logistique et l’autre de nature marketing, lié à la distribution. Les firmes chinoises investissent dans les secteurs qui leur permettent de développer leurs exportations, à savoir le transport (aérien, maritime, portuaire, ferroviaire), les infrastructures et toute la logistique qui s’ensuit, comme la construction d’espaces de stockage de marchandises. Le choix de l’Europe, en particulier de l’Europe de l’Est ou du Sud, permet à ces entreprises de bénéficier de coûts salariaux relativement moins élevés que dans l’Europe de l’Ouest et d’un accès facilité au marché européen. On retrouve alors à la fois la combinaison d’une stratégie productive et d’une stratégie commerciale. Cela se manifeste également dans l’industrie agro-alimentaire.

Deuxièmement, s’implanter pour acquérir des actifs stratégiques comme des « technologies clés » ou un savoir-faire en matière d’organisation, principalement dans l’industrie et les services : les IDC avec ces objectifs prennent la forme de prises de participation dans les activités de R&D ou de rachat. Ainsi, la technologie acquise peut être rapatriée en Chine. Grâce au transfert de technologie, de know-how, de compétences ainsi permis, l’entreprise à capitaux chinois peut monter en gamme, ce qui lui ouvre la porte vers de nouveaux marchés. C’est le cas des investissements suédois de Geely ou des investissements français de China Chemical qui a racheté Rhodia Silicone et Adisseo pour former Bluestar Silicone. Soulignons que la conjugaison de l’existence d’un savoir-faire et de celle d’un marché européen en croissance motive là encore l’IDC.

De même, en rachetant des banques en Europe, les firmes chinoises obtiennent le passeport européen qui leur permet de réaliser des opérations sur le continent (Bank of Communications a pu ainsi ouvrir une succursale à Paris, via sa filiale au Luxembourg). Mais aussi, les groupes chinois, comme Alibaba ou Fosun, qui ont investi dans le secteur financier, en achetant des banques ou des assureurs européens, acquièrent un know-how transférable qui va leur permettre de développer leurs activités dans le domaine de la finance et de l’épargne en Chine.

Troisièmement, s’implanter pour construire une image de qualité autour du produit, tant sur le marché chinois que sur les marchés étrangers : l’amélioration de la notoriété de la marque en Chine, et non plus en Europe uniquement, peut être réalisée au travers d’IDC dans un secteur où la qualité des produits est incontestée. Ainsi, après des scandales de contamination à la mélanine du lait maternisé, les producteurs chinois investissent en Europe. En témoigne l’exemple de Synutra.

Quatrièmement, investir pour sécuriser et/ou diversifier ses investissements : les investissements dans le vin ou dans l’immobilier sont des exemples types de cette stratégie. Depuis le début des années 2000, les acquisitions de vignes et bâtisses viticoles par des investisseurs asiatiques se sont développées. Les IDC dans le vin répondent à deux logiques différentes : l’une de rentabilité (achat du château Lucas par Wencheng Li), l’autre de prestige (acquisition du château Bellefont-Belcier ou de Gevrey-Chambertin).

Cinquièmement, les IDC groupés consistent en des implantations en grappe pour se développer sur de nouveaux marchés : les projets complexes. Il existe deux types de projets complexes. Ceux du premier type sont lancés par de grands groupes. Dans le cadre de ce type d’investissements, les grands groupes chinois incitent leurs fournisseurs à les accompagner. On assiste alors à un phénomène d’agglomération : les implantations des grands groupes chinois s’accompagnent de celles de PME chinoises ; c’était le cas d’Ere Solar Valley à Châteaudun. Les projets du second type ne regroupent que des PME, voire TPE chinoises, et correspondent aux investissements groupés que l’on peut trouver en Chine. Ainsi, un porteur de projet chinois contacte les autorités locales chinoises pour leur proposer un projet d’investissement concernant de nombreuses entreprises. Comme le projet concerne la création ou le développement d’une zone d’activité, les autorités lui vendent à un prix faible des hectares de terrains qui doivent accueillir ces entreprises. Si les entreprises sont intéressées et s’implantent, le projet voit le jour. Sinon, le porteur du projet peut toujours revendre les terrains et réalise alors une plus-value sur le foncier. Sur ce modèle, on assiste en Europe à la naissance de projets complexes qui ont pour but l’implantation de nombreuses entreprises chinoises dans des zones d’activités franco-chinoises (à Châteauroux dans l’Indre ou à Illange en Moselle avec le projet Terra Lorraine à ce jour bloqué) ou sino-italienne (dans la région de Prato pour l’industrie textile).

À quelle évolution s’attendre ?

L’analyse de ces différents investissements révèle que, d’une part, c’est bien la qualité de la main-d’œuvre, le développement de l’innovation (dans les laboratoires de recherche) ou la proximité des clients qui motivent les investisseurs chinois. Le rachat d’entreprises en difficulté, mais ayant un bon potentiel d’innovation, explique les fusions et acquisitions. La quête de nouveaux apprentissages et la recherche de nouvelles technologies transférables en Chine sont donc des critères de choix stratégiques de ces investisseurs. À cela, il faut ajouter les conditions locales du marché chinois telles que l’intensité de la concurrence domestique, l’excès de capacités de production et la politique macro-économique de l’État qui constituent autant d’éléments favorables à l’IDC.

Toutefois, en janvier 2017, on observe un recul de près de 40 % des IDC à l’étranger par rapport à 2016. Seuls 8,4 Md dollars ont été investis, principalement dans les secteurs de la distribution et de la consommation grand public. En revanche, dans l’immobilier, les IDC se sont effondrés (de près de 85 % pour le mois de janvier). La tendance se poursuit en février.

Deux raisons peuvent être évoquées. Tout d’abord, la Chine a renforcé son contrôle sur les IDC en fin d’année 2016 afin d’éviter une sortie massive de capitaux hors du pays. La Banque centrale chinoise aurait limité à 10 milliards de dollars le montant de tout placement réalisé à l’étranger, jusqu’en septembre 2017 (6). Toutefois, ce contrôle ne remet pas en cause la stratégie globale du pays en matière d’IDE. Ce sont les IDC dans l’immobilier ou les loisirs, comme le rachat de clubs de foot, qui risquent de faire l’objet de contrôles plus stricts, voire de refus d’autorisation (voir encadré 2). En effet, selon le ministère du Commerce extérieur, « certaines entreprises multiplient les emplettes à l’étranger de façon désordonnée », avec « le besoin de briller ou d’imiter » (7). Dès lors, des interdictions concerneraient également les IDC de plus d’un milliard de dollars dans un secteur qui n’est pas le corps de métier de l’entreprise. En revanche, l’acquisition de technologies et de savoir-faire destinés aux secteurs que Pékin juge stratégiques en Chine devrait se poursuivre. Il est probable que l’on assiste à une évolution des IDC dans l’immobilier, moins ciblés sur les immeubles d’habitation et les bureaux, mais davantage sur les sites industriels et les plates-formes logistiques. Le plan stratégique des Nouvelles routes de la Soie devrait être favorable aux investissements qui permettront de développer un réseau d’infrastructures de la Chine vers l’Europe et l’Afrique, en passant par l’Asie centrale.

La réaction des États européens

Par ailleurs, en Europe, comme en Amérique du Nord, plusieurs opérations ont été la cible de critiques émises par les autorités gouvernementales et, en 2016, 30 transactions n’ont pas abouti (10 en Amérique du Nord et 20 en Europe) pour un montant cumulé de 74 milliards de dollars – dont près de 60 milliards pour l’Amérique du Nord (8). Berlin, Paris et Rome ont adressé en 2017 une lettre commune à la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, dans laquelle les ministres de l’Économie des trois pays font part de leur inquiétude concernant « l’absence d’instruments efficaces » pour prévenir le risque de « bradage de l’expertise économique européenne ». Et ceux-ci d’écrire : « Ces dernières années, des investisseurs non européens ont pris le contrôle d’un nombre croissant d’entreprises européennes détenant des technologies clés pour des raisons stratégiques. […] Dans le même temps, les investisseurs européens ne bénéficient pas des mêmes droits dans les pays d’origine respectifs de ces investisseurs non européens. » Les inquiétudes européennes pourraient donc déboucher sur des mesures visant à « imposer » une réciprocité pour les investissements européens en Chine. Tant que cette mise en place effective de la réciprocité n’est pas obtenue, les IDC pourraient être freinés. De plus, les ministres européens estiment qu’une intervention serait justifiée lorsque les IDE relèveraient d’une politique d’État ou lorsqu’ils seraient facilités par des aides publiques (9).

Enfin, en matière de marchés publics, les trois ministres écrivent : « les entreprises européennes éprouvent toujours de grandes difficultés à bénéficier d’un accès équitable dans un certain nombre de pays alors que le marché européen est ouvert à la concurrence ». La réciprocité, que ce soit dans les échanges de biens et services ou d’investissement, est donc clairement revendiquée. Cela va-t-il constituer un nouveau frein aux IDC en Europe ? L’attitude prudente du Comité américain pour l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS) ces dernières années ainsi que le discours protectionniste de Donald Trump semblent bien avoir délié la plume des autorités européennes…

Opérations de fusions et acquisitions chinoises à l'étranger
1. La difficile comptabilisation des IDC
Les chiffres diffèrent si l’on regarde les données du ministère chinois du Commerce (MOFCOM) ou les données européennes (Eurostat). Le MOFCOM publie des données fondées sur le relevé d’opérations d’investissement enregistrées. Il n’enregistre que le pays de première destination des IDC. Dès lors, Hong Kong reste, et de loin, la première destination des IDC. Les paradis fiscaux (îles Vierges et îles Caïmans) sont d’autres destinations importantes. Les statistiques européennes viennent, quant à elles, des balances des paiements communiquées par les pays membres. Or, ces données ne sont pas exemptes de critiques. Les projets décidés en 2016 ne donnent pas lieu à des déboursements immédiats et sont souvent assortis de prêts bancaires à long terme qui gonflent les montants annoncés. Avec les statistiques françaises, les faibles montants d’IDE (< 50 000 euros) ne sont plus repérés par la Banque de France.
Il est donc nécessaire de croiser les informations avec d’autres sources. A Capital* fournit le montant global des IDC dans le monde. Le Rhodium Group, à New York, l’Institut Merics à Berlin, ou encore E&Y, Baker McKenzie, donnent des estimations du nombre de projets réalisés par les investisseurs chinois ou des montants investis par pays. Business France propose un chiffrage en nombre d’emplois créés et en nombre de projets réalisés.
C. M.-S.
*Société euro-asiatique de private equity basée à Hong Kong.
2. Procédure d’approbation réglementaire des investissements sortants de la Chine
Le processus d’approbation des investissements chinois à l’étranger diffère s’il s’agit d’une entreprise privée ou publique. Il existe quatre organismes gouvernementaux impliqués dans le processus : 
• SASAC (pour les entreprises publiques), 
• NDRC (Commission des réformes et du développement national), 
• MOFCOM (Ministère du Commerce),
• SAFE (Administration d’État pour les échanges extérieurs).
Pour une entreprise publique, l’approbation du SASAC est demandée en tant que première étape. L’agrément national NDRC est nécessaire pour les investissements de plus de 300 millions de dollars dans le secteur primaire ou de plus de 100 millions de dollars dans les autres secteurs. Pour les investissements inférieurs à ces niveaux, l’approbation de la NDRC au niveau provincial est suffisante. Lorsque la NDRC reçoit une demande, il faut cinq jours ouvrables pour étudier la demande. Si elle est acceptée, l’investisseur devra ensuite obtenir l’approbation du MOFCOM si l’IDC est : 1°) de 100 millions de dollars ou plus ; 2°) dans un pays qui n’a pas établi de relations diplomatiques avec la Chine, ou dans des zones de conflits ou soumises à embargo ; 3°) réparti sur plusieurs pays impliquant la création d’une société ad hoc à l’étranger. Après l’obtention des accréditations, une candidature est soumise à la SAFE pour le transfert des devises étrangères à l’international, dernière étape du processus d’autorisation.
Source : Chambre de Commerce de l’Union européenne en Chine (2013, p. 26).

Notes

(1) Fin 2012, le Congrès américain conseillait de refuser les investissements de ces deux sociétés aux États-Unis.

(2) Rachat par Tencent pour 7,5 Md d’euros de la société Supercell, créatrice du jeu vidéo Clash of Clans.

(3) L. Guilhot, C. Mercier-Suissa et J. Ruffier, rapport pour la DGCIS, août 2013, Paris, 143 p.

(4) Ces études de cas sont extraites du rapport pour la DGCIS auquel a contribué l’auteure en 2013, et actualisées. (Voir « Pour aller plus loin ».)

(5) Source : http://​www​.vitisphere​.com/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​-​6​0​4​5​4​-​C​o​t​e​s​-​d​e​-​C​a​s​t​i​l​l​o​n​-​l​e​-​c​h​a​t​e​a​u​-​L​u​c​a​s​-​r​a​c​h​e​t​e​-​p​a​r​-​u​n​-​a​r​c​h​i​t​e​c​t​e​-​c​h​i​n​o​i​s​.​htm.

(6) Selon un document interne de la Banque centrale de Chine, consulté par le South China Morning Post.

(7) Le Figaro, mercredi 30 novembre 2016, p. 25.

(8) Rapport « Bird’s Eye View 2017 » publié par Baker McKenzie.

(9) C. Chatignoux, « Paris, Rome et Berlin veulent se protéger des investisseurs chinois », Les Échos.fr, 15 février 2017.

Article paru dans la revue Diplomatie n°86, « Poutine : cap vers l’Asie ?  », mai-juin 2017.

L. Guilhot, C. Mercier-Suissa et J. Ruffier, « Face aux nouvelles stratégies déployées par les investisseurs chinois en Europe et en France : quelle(s) réponse(s) adopter ?  », rapport pour la DGCIS, août 2013, Paris, 143 p.

P. Le Corre et A. Sepulchre, L’offensive chinoise en Europe, Paris, Fayard, 2015. Édition réactualisée en 2016 en anglais : China’s Offensive in Europe, Brookings.

Légende de la photo ci-dessus :
La chancelière allemande, Angela Merkel, en visite en Chine en 2015. Alors que plusieurs entreprises emblématiques du « Made in Germany » ont été rachetées par des entreprises chinoises (Kuka, Putzmeister, Krauss-Maffei, EEW…), le gouvernement allemand a invalidé en octobre 2016 le projet de rachat de l’équipementier en semi-conducteurs Aixtron par la société chinoise Fujian Grand Chip Investment (FCG) pour 670 millions d’euros. (© Bundeskanzlerin​.de)

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