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Franc CFA : aux racines de la controverse

Le 28 novembre 2017, en visite au Burkina Faso, le président français Emmanuel Macron, se déclare « ouvert » sur la question de l’avenir du franc CFA, son périmètre, son nom et son existence même. (© Shutterstock/Guillaume Destombes)

Créé en 1945, le franc CFA, toujours en vigueur dans quinze pays d’Afrique où il a survécu aux indépendances, est au cœur d’une vive polémique. Pour comprendre le débat, il convient de distinguer ce qui relève du débat politique et ce qui est du domaine de la technique économique et financière.

S’il s’est toujours trouvé des voix pour contester la pertinence de la Zone franc, la controverse sur son utilité est particulièrement vive depuis 2016. Elle met en scène les partisans de son maintien en l’état, les « réformistes » (réclamant des changements dans l’une ou l’autre des dispositions jugées problématiques des conventions qui la régissent), et les « abolitionnistes » (prêts à en sortir, l’accusant d’hypothéquer toute possibilité de développement et de progrès social, pour une expérience monétaire enfin « décolonisée »). Derrière ce débat aux allures polémiques se cachent divers enjeux qui ne sont pas tous du registre de la monnaie, mais qui relèvent de la recherche du bouc émissaire expliquant un mal-être né de frustrations, notamment chez une jeunesse qui, d’Abidjan à Brazzaville, ne comprend pas pourquoi « l’émergence économique » tant annoncée par les élites au pouvoir ne lui profite pas.

Comment fonctionne la Zone franc ?

La Zone franc compte 160 millions d’habitants, regroupant quinze États d’Afrique dans trois ensembles distincts, dotés chacun d’une monnaie propre : les huit États membres de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) (1), les six États appartenant à la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) (2) et, individuellement, les Comores avec le franc comorien (voir carte p. 77). Certains États en sont sortis : la Guinée en 1960, Madagascar et la Mauritanie en 1973 ; d’autres y sont entrés, sans pourtant partager de passé avec la France (Guinée-Bissau, Guinée équatoriale). 

La coopération monétaire de la Zone tourne autour de principes énoncés en 1939, puis mis en place en 1945 (création du Franc des Colonies Françaises d’Afrique – CFA). Sa parité, fixée en 1948 à 2 francs français de l’époque, resta inchangée jusqu’à la dévaluation de 1994 de 50 %, où elle fut ramenée à 0,01 nouveau franc. Aujourd’hui, la parité est fixée avec l’euro au taux de 1 franc CFA = 0,00152 euro. Les réserves de change des pays membres sont centralisées à hauteur de 50 % des avoirs des banques centrales dans un compte courant, appelé « compte d’opérations », ouvert auprès du Trésor français. Ces réserves sont rémunérées (à 0,25 % en 2017). La liberté des transferts est assurée, qu’il s’agisse du paiement des transactions commerciales courantes ou de mouvements de capitaux. La convertibilité du franc CFA est en principe illimitée. Cela signifie qu’en cas de choc sur la situation des comptes extérieurs de l’une des unions de la Zone franc qui se traduirait par l’impossibilité, pour un État membre, d’assurer en devises le paiement de ses importations, le Trésor français s’engage à lui apporter les devises nécessaires, à condition toutefois que les réserves de change de la Zone CFA soient suffisantes. Les tirages sur le compte d’opérations sont automatiques et sans limite fixée a priori. Mais dans le cadre de leurs opérations, et comme dans tous les systèmes monétaires contemporains, les banques centrales doivent observer certaines règles conçues pour contrôler l’offre de monnaie : leurs engagements à vue doivent avoir une couverture de devises d’au moins 20 % ; les prêts qu’elles accordent à chaque gouvernement membre sont limités à 20 % du montant des recettes en devises obtenues l’année précédente. Il existe par conséquent une certaine marge de manœuvre interne pour la politique monétaire, puisque les banques centrales n’ayant à couvrir qu’une partie de leurs émissions par des devises, elles ont la possibilité de jouer sur la politique monétaire tant que le taux de couverture reste supérieur à 20 %.

Un bilan nuancé

La Zone franc a-t-elle réussi ? Incontestablement, si l’objectif recherché était la stabilité monétaire et l’absence d’inflation. Celle-ci n’a jamais été supérieure à 3 % alors que, sur le continent, elle a été en moyenne de 13 % entre 2006 et 2016, selon la Banque africaine de développement – avec des chiffres plus élevés en 2016, selon l’agence Ecofin, pour l’Angola (30,4 %), le Malawi (21,8 %), le Mozambique (19,8 %), la Zambie (18,2 %), le Ghana (17,5 %) ou le Nigéria (15,8 %). Mais cela ne suffit pas pour vanter ses mérites. Examinons la question sous trois volets plus fondamentaux : la croissance économique, la diversification des activités et l’intégration régionale. En tendance, la croissance du produit intérieur brut (PIB) de l’ensemble constitué par les pays de la Zone franc a-t-elle été moindre que celle des autres pays africains ? Difficile de refaire l’histoire. Selon le Fonds monétaire international, en 2016, l’UEMOA a enregistré un taux de croissance du PIB réel de 6,3 % en moyenne, supérieur au taux de croissance moyen de l’Afrique subsaharienne (1,4 %) – une différence de trajectoire observable depuis 2012 (3). En revanche, la croissance des pays de la CEMAC s’est effondrée – comme d’ailleurs celle du Nigéria, entré en récession en 2016, pour la première fois depuis 1991 –, tandis que les déficits interne et externe se sont gravement creusés, ce qui s’est traduit par une baisse drastique des réserves de change communautaires de la CEMAC. Il est donc difficile de dresser un bilan homogène des deux unions. Sur le long terme, aucun pays subsaharien n’a suivi une trajectoire de croissance montrant que son système monétaire est sans conteste meilleur que tous les autres. Les performances respectives sont en effet surtout variables selon les conjonctures internationales rencontrées et les politiques intérieures. Même dans la période qui a précédé la dévaluation du FCFA, les pays à taux de change variable ont été durement frappés par la détérioration des termes de l’échange et une baisse du PIB. Selon les périodes de comparaison retenues, les résultats sont d’ailleurs différents et mettent en évidence cette influence prédominante d’autres facteurs. Ainsi, sur les quinze dernières années, le Kenya n’a pris le pas sur la Côte d’Ivoire que pendant une courte période pour le PIB par tête, et l’UEMOA connaît depuis trois ans une progression de son PIB supérieure à celle de la plupart des autres régions d’Afrique subsaharienne, particulièrement en 2016. Dans le même temps, et malgré ce même FCFA, l’Afrique centrale francophone subit pleinement les effets négatifs combinés de la crise pétrolière, de structures économiques peu diversifiées et d’errances politiques, rejoignant ainsi le Nigéria qui est pourtant hors de la Zone franc.

Deuxième volet : la diversification. Il est une réalité difficilement contestable : la Zone franc n’a pas permis de changer substantiellement l’excessive spécialisation dans les exportations primaires (produits agricoles, miniers et pétroliers à faible niveau de transformation) de ses membres. Le mécanisme de la Zone porte une responsabilité sur cette situation. La monnaie CFA, trop forte au regard de la faiblesse des économies concernées, stimule les importations puisque les produits manufacturés étrangers sont relativement peu chers, à tel point que la transformation locale des matières premières et l’investissement ne sont pas encouragés. Mais cette réalité s’impose rudement partout en Afrique. La participation du continent aux chaînes de valeur mondiales reste marginale comparativement à celle des autres continents (4). L’Afrique n’est présente qu’en amont des chaînes de valeur, en qualité de producteur de minerais, d’hydrocarbures, de coton, de cacao et d’autres matières premières agricoles.

Enfin, dernier volet, celui de l’intégration régionale. L’échec est, là aussi, patent. Les échanges à l’intérieur de la Zone CFA sont limités et ne représentent qu’environ 15 % en moyenne du volume total du commerce de ses membres. Ils ont peu de produits et de services à échanger entre eux (5). En Zone franc, les structures demeurent fragmentées, avec des économies sahéliennes à très bas revenu et fortement dépendantes des risques climatiques, avec des économies côtières dont la dynamique est tirée par l’import-export et d’autres encore à forte dominante des activités de service, mais sans base manufacturière suffisamment robuste (Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal). Mais cette situation n’est guère différente dans les pays ayant une « monnaie endogène » : naira nigérian, metical mozambicain, kwanza angolais, cédi ghanéen ou shilling kenyan. Les raisons sont communes en dedans et hors de la Zone. Partout, ou presque, la forte spécialisation dans l’exportation de quelques matières premières entrave la complémentarité des productions nationales et ne permet pas de construire les bases du développement des échanges régionaux.

La situation n’a pas fondamentalement changé. Ce constat est ancien. Déjà en 1985, nous faisions le même bilan d’une zone fragile en raison d’une double faiblesse : externe, faute de diversification des flux d’échange, et interne, en raison de l’absence de processus de transformation économique et sociale (6). Mais, quels que soient ses avantages et ses inconvénients, la Zone franc ne peut être considérée comme seule responsable d’une incapacité endémique de ses membres à atteindre un rythme élevé de développement économique. Force est de constater que sur le long terme, aucun pays africain, de la Zone ou hors de la Zone, n’a suivi une trajectoire de croissance, de diversification et d’intégration, montrant que son propre système monétaire est sans conteste meilleur que tous les autres. 

À qui profite la Zone franc ?

Pour les détracteurs de la Zone (7), son premier défaut est de profiter à un petit nombre au détriment du collectif, et d’abord aux élites locales, surtout celles dont le mode de vie de type extraverti dépend beaucoup des importations et qui, en même temps, tirent parti des facilités de transferts pour organiser les sorties de leurs actifs, bien ou mal acquis, avec une monnaie « aussi bonne » que l’euro.

Le second grand défaut de la Zone est qu’elle profite fortement aux multinationales françaises qui inscrivent leurs relations dans la verticalité Nord-Sud et qui peuvent grâce à elle rapatrier sans risques leurs profits. Elle serait donc une incitation à ne pas investir localement dans les activités productives. On peut noter au passage que l’argument critique vaut aussi pour toutes les entreprises européennes de la Zone euro, allemandes, espagnoles ou italiennes. On peut lui rétorquer que la liberté des changes est loin d’être totale dans les faits. Les transferts d’un pays africain vers la France font l’objet de nombreuses demandes de justificatifs par les autorités monétaires qui ralentissent les transactions – une bureaucratie pénalisante pour les entreprises qui interpelle quant à la vraie réalité de la liberté de change. Si les évasions de capitaux, souvent favorisées par un éventail d’acteurs composés de réseaux criminels, du secteur privé tant domestique qu’international et des responsables publics, constituent un risque non négligeable – d’ailleurs de mieux en mieux analysé (8) –, elles sont nettement moins observées dans la Zone franc que dans des pays africains comme le Nigéria, l’Afrique du Sud et l’Angola. Ajoutons que ce n’est pas parce que l’offre domestique de capital augmenterait en proportion d’une non-fuite des capitaux que l’investissement domestique augmenterait mécaniquement dans les mêmes proportions. La modeste capacité d’absorption du capital de bon nombre d’économies africaines est à prendre en considération. Ce qui explique d’ailleurs que le système bancaire est souvent surliquide faute de projets « bancables » dans un contexte institutionnel (climat des affaires) défaillant et avec des surcoûts associés au déficit des infrastructures. Cette attaque n’est par conséquent pas la plus convaincante.

Il n’est en revanche pas faux d’affirmer que la Zone franc reste dans une logique de pré carré, avec ce qui reste de l’asymétrie héritée de la période coloniale. Mais la France en tire-t-elle un avantage si exorbitant ? Force est de constater que la Zone joue pour elle un rôle économique bien modeste. La masse monétaire de la Zone ne représente que 1,5 % de sa masse monétaire globale (9). Elle ne compte que pour 4 % des échanges et des investissements étrangers de la France, qui préfère ses relations commerciales ailleurs en Afrique, avec le Nigéria, le Kenya ou l’Afrique du Sud. Depuis quinze ans, le commerce du continent avec l’Asie (Chine, Inde, République de Corée, Indonésie, Malaisie, Singapour), et aussi avec la Turquie, croît beaucoup plus vite que son commerce avec la France (et avec l’Europe). En outre, de nouveaux partenaires du continent africain, comme le Maroc et l’Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, le Kenya, Maurice et le Nigéria, constituent une source grandissante d’investissement dans de nouveaux projets en Afrique. En fin de compte, l’atout économique est mince au regard de deux observations : la France ne concentre pas ses investissements en Afrique sur la seule Zone franc et l’existence de celle-ci n’a guère empêché son déclassement relatif dans ses échanges avec l’Afrique prise dans son ensemble. 

cible des critiques, les comptes d’opérations où est déposée la moitié des réserves en devises de la Zone. L’existence de ces dépôts dans le « Trésor de la France » suscite de l’agacement, voire de l’irritation pour sa dimension symbolique. D’après les pourfendeurs du mécanisme, les comptes d’opération recèlent de précieuses ressources financières dont se privent les économies africaines concernées. Ne s’agit-il pas d’une « confiscation » de ressources de l’Afrique qui devraient lui servir à financer ses propres besoins ? Cette critique n’est pas techniquement fondée. Les réserves de change détenues par la BCEAO et la BEAC ont en effet déjà été injectées dans les économies de la Zone en équivalent franc CFA, puisque lorsqu’une société résidant au sein de l’UEMOA ou de la CEMAC dépose des recettes d’exportations vers sa banque, celle-ci cède les devises à la BCEAO ou à la BEAC. Ces dernières les logent dans un compte et créditent ensuite le compte de cette banque tenu en franc FCFA.

Même si l’argument amplement diffusé sur les réseaux sociaux selon lequel la France capte une partie des richesses de la Zone est injustifié, il est tenace et récurrent. Pourquoi alors ne pas l’éteindre en faisant évoluer le dispositif, en le « neutralisant » ? Trouver une autre domiciliation que le Trésor français aux ressources en devises de la Zone pour garantir la convertibilité de la monnaie ne devrait pas être trop ardu. Diverses pistes peuvent être ouvertes. On pourrait tout autant supprimer les postes réservés aux représentants français dans les instances dirigeantes des banques centrales, un anachronisme sans fondement, mais qui cristallise les tensions.

Ne pas se tromper de cible

Les critiques anti-CFA, nous l’avons vu, quittent fréquemment le terrain économique pour rejoindre celui du politique et pour devenir alors plus acerbes. Elles se résument ainsi : en tant que survivance coloniale, la Zone serait l’outil du maintien d’une relation de « servitude volontaire » anachronique et coupable des élites au pouvoir envers l’ancienne puissance coloniale, laquelle continuerait « de tirer les ficelles ». La Zone légitimerait les pratiques déviantes de ces élites (rentes sur les importations, fuite de capitaux), entravant de la sorte toute perspective d’accumulation endogène. 

Emmanuel Macron a tenté de répondre à ces critiques le 28 novembre 2017, à l’Université de Ouagadougou, en se déclarant totalement ouvert sur la question de l’avenir du franc CFA, de son périmètre, de son nom et de son existence même. « N’ayez pas sur ce sujet une approche bêtement postcoloniale ou anti-impérialiste. Ça n’a aucun sens », a-t-il répondu à un étudiant qui l’interpellait sur ce sujet. Quant à l’avenir de la zone, il a déclaré : « J’accompagnerai la solution qui sera portée par l’ensemble des présidents de la Zone franc (…) Et s’ils veulent, s’ils considèrent qu’il faut même supprimer totalement cette stabilité régionale et que c’est mieux pour eux, je considère que c’est eux qui décident et donc je suis favorable. » L’idée qui semble soutenir cette déclaration – la première de la part d’un chef de l’État français –, au demeurant très attendue, est que, quels que soient ses avantages et ses inconvénients, le FCFA ne peut être considéré comme principal responsable d’une incapacité irrémédiable de la Zone franc à atteindre un rythme de développement économique analogue à celui des pays subsahariens qui suivent un autre régime de changes.

À l’évidence, un régime de change ne résume pas une politique économique. Tant s’en faut. La monnaie est un facilitateur de croissance ou un élément de freinage parmi d’autres. Elle appelle une palette large d’instruments qui suppose un certain volontarisme d’État. Sortir de la prime aux importations passe par la restriction de celles qui présentent un caractère d’inutilité relative au regard du développement. Éviter les sorties de capitaux abusives passe certes par des modalités empruntées au contrôle des changes, mais aussi par la stimulation des opportunités d’investissement/réinvestissement dans les pays membres, ce qui relève des considérations relatives au climat des affaires. Augmenter le ratio crédits/PIB, qui n’est que de 25 % dans la Zone franc, relève de la compétence du système financier et bancaire local, qui ne joue pas son rôle de financeur de l’économie et de preneur de risques. 

En prenant du recul, on se rend compte que la question de l’existence ou non de la Zone franc soulève un ensemble de problèmes plus fondamentaux que ceux les plus souvent posés dans la polémique actuelle et qui sont pourtant au centre de l’avenir du développement de ses membres. Derrière le choix, en apparence technique, de la « bonne » politique de change et du « bon » régime d’allocation des devises, se cachent d’autres questions plus cruciales : celle du partage des gains à l’exportation entre l’État, les producteurs et les titulaires de rente ; celle de la sélectivité dans les importations et des priorités en matière d’allocation des devises ; celle, liée aux précédentes, des priorités sectorielles et territoriales en matière de financement des appareils productifs, des services de base, des infrastructures ; celle, enfin, de la capacité locale à mobiliser des ressources financières endogènes. Seules des réformes inscrites dans une programmation solide et réaliste peuvent conduire à un changement vertueux du système en place. Leur réussite sera toujours subordonnée à la mise en œuvre de politiques « réelles » permettant un recentrage vers des schémas de développement greffés sur des systèmes de production utilisant plus intensément les ressources locales, plus résilients aux divers chocs et incluant le plus grand nombre d’acteurs sociaux.

<strong>Zone de circulation du franc CFA dans l’UEMOA et la CEMAC</strong>
<strong>Une monnaie CEDEAO ?</strong>
Depuis 2000, les pays de l’Afrique de l’Ouest ont exprimé leur volonté d’accélérer le processus d’intégration monétaire avec un projet prévoyant la création en deux phases d’une monnaie unique. Premièrement, le lancement, en janvier 2015, d’une monnaie commune par les pays membres de la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest (ZMAO : soit la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Libéria, le Nigéria et la Sierra Leone). Puis, la ZMAO devait fusionner avec l’UMOA pour créer une nouvelle monnaie unique dans l’ensemble des quinze pays membres de la CEDEAO. Après trois reports, en 2003, 2005 et 2009, les responsables ouest-africains ont finalement renoncé, en 2014, à lancer l’eco un an plus tard, invoquant le niveau insuffisant de préparation et de convergence économique entre les États membres de la ZMAO. Le récent débat sur la Zone franc et sa réforme a relancé au début de 2018 ce projet d’une zone monétaire CEDEAO. L’objectif serait d’impulser les échanges intrarégionaux encore trop modestes et de créer une solidarité à quinze. Le développement des activités bancaires transfrontières, des marchés de capitaux et des institutions financières régionales pourrait progressivement, et à l’avantage de tous, conduire à une mutualisation des ressources et à un plus grand partage des risques. Les chefs d’État ont donc décidé, début 2018, de reprogrammer la création de la monnaie unique (la kori) pour 2020. Cette échéance est-elle réaliste ? Avant de tomber dans l’optimisme naïf qui a prévalu jusqu’à présent, il faut mesurer que le défi de l’élargissement est considérable, avec un Nigéria omnipotent, fort de ses 186 millions d’habitants, et de nouveaux candidats à l’adhésion, dont le Maroc. Il faudra moderniser la gestion monétaire afin de faciliter la fusion des différents mécanismes monétaires (réserves, parité notamment) et, plus difficile encore, instaurer les mécanismes conduisant à une convergence économique (par l’harmonisation budgétaire et fiscale notamment). Quoi qu’il en soit, un tel élargissement ne pourrait se faire que par étapes, au fur et à mesure de la maturation des économies concernées, et aussi des conquêtes démocratiques pour construire un ordre social plus ouvert.
P. Jacquemot

Notes

(1) La Communauté financière d’Afrique regroupe les pays composant l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Ils ont en commun la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

(2) La Coopération financière d’Afrique réunit les pays composant la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) : le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. Ils ont en commun la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC).

(3) Fonds monétaire international, Perspectives économiques régionales : Afrique subsaharienne, Washington, octobre 2017.

(4) Voir sur ce point l’analyse de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, Rapport sur le commerce et le développement 2016 : la transformation structurelle au service d’une croissance équitable et soutenue, New York et Genève, Nations Unies, 2016.

(5) Banque africaine de développement, Perspectives économiques en Afrique, 2018.

(6) P. Jacquemot et M. Raffinot, Accumulation et développement, Paris, L’Harmattan, 1985, p. 316. 

(7) On retrouve la plupart des critiques de la Zone franc dans l’ouvrage collectif de K. Nubukpo, M. Ze Belinga, B. Tinel, et D. M. Dembelé, Sortir l’Afrique de la servitude monétaire : à qui profite le franc CFA ?, Paris, La Dispute, 2016.

(8) OCDE, Flux financiers illicites : l’économie du commerce illicite en Afrique de l’Ouest, Paris, Éditions de l’OCDE, 2018.

(9) Banque de France, Rapport annuel de la Zone franc, 2016, Eurosystème.

Article paru dans la revue Diplomatie n°92, « Les marchands d’armes : Commerce, trafics, réseaux, influences », mai-juin 2018.

Pierre Jacquemot, L’Afrique des possibles : les défis de l’émergence, Paris, Khartala, 2016.

À propos de l'auteur

Pierre Jacquemot

Chercheur associé à l’IRIS, président du GRET-Professionnels du développement solidaire (France) et maître de conférences à Sciences Po, ancien ambassadeur de France (Kenya, Ghana, RDC).

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