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La guerre dans l’espace : quelles possibilités dans un futur proche ?

La Revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017 réaffirme, à l’instar de la majorité des documents stratégiques publiés à travers le monde, l’importance du secteur spatial, tant pour les activités militaires que pour les activités civiles. Elle constate l’accès facilité à cet espace commun pour une plus grande variété d’acteurs, ce qui amène celui-ci à être saturé et contesté, donc à devenir potentiellement un espace de confrontation majeure. Le présent article a pour objet de faire un point sur l’évolution, tant technique que politique et juridique, dans ce domaine et de présenter des axes de réflexion s’agissant de l’aspect que pourraient prendre des opérations militaires conduites dans, depuis et vers l’espace.

La réalité technique

Les applications spatiales sont nées du conflit. L’Allemagne, avec les missiles A4/V2 de von Braun, a développé le premier missile balistique opérationnel. Son altitude de croisière (environ 88 km), sans être encore clairement dans le domaine spatial, s’élevait déjà bien au-delà du plus performant des avions. C’est bien cette technologie qui a ouvert, quelques années plus tard, la porte vers l’espace. L’URSS a mis en orbite le premier satellite artificiel de la Terre, Spoutnik, en 1957, grâce à une fusée dérivée du premier missile intercontinental R‑7. Ce fut, pour le monde occidental, la démonstration publique qu’il était à portée des têtes nucléaires de l’URSS.

La course à l’espace commença alors pour ne cesser qu’à la fin de la guerre froide. Elle stimula dès lors de nombreux programmes militaires qui furent, la plupart du temps, des préludes aux applications spatiales civiles. L’URSS mit en orbite dans les années 1970 des stations spatiales habitées (stations Saliout) puis des versions armées de canons (stations Almaz). Le module Zaria de la station spatiale internationale hérite directement de ce programme militaire.

L’incident de l’U2 abattu au-­dessus de l’URSS a constitué un accélérateur sans précédent du développement de l’observation par satellite du côté de l’Alliance atlantique. Dès les années 1950, les deux camps ont tenté de développer des capacités antisatellites : missiles tirés depuis le sol ou depuis un aéronef (Bold Orion), têtes nucléaires (Program 437), charges conventionnelles, rendez-­vous en orbite (Istrebitel Spoutnik), énergie dirigée (Terra‑3), etc.

Les moyens américains de surveillance de l’espace furent, comme les soviétiques, déployés pour détecter les missiles, puis surveiller les satellites d’observation adverses, avant de servir à la gestion des risques de collision entre satellites. Les premiers systèmes de radionavigation par satellite, aujourd’hui d’un usage public incontournable (un standard de nos téléphones mobiles) – GPS et GLONASS – sont des programmes militaires.

Ce sont quelques-­unes des illustrations les plus significatives. Il reste notable que toutes les puissances spatiales qui ont émergé depuis (France, Japon, Chine, Inde, Iran, Corée du Nord) ont suivi peu ou prou le même cheminement. Elles développent des missiles, jusqu’à mettre un satellite en orbite, démontrant ainsi leur capacité de menacer/dissuader leurs adversaires, tout en renforçant leur prestige et leur influence. Une puissance spatiale, qui se caractérise par sa capacité de construire, mettre en orbite et contrôler un satellite en toute autonomie, s’accompagne invariablement d’une volonté de puissance, au moins régionale. Certaines des puissances spatiales les plus matures développent également des moyens de surveillance des objets en orbite et, pour les plus soucieuses de leur défense, des moyens qui s’apparentent à des armes antisatellites.

Avec la fin de la guerre froide, bon nombre d’efforts étatiques dans ce domaine diminuèrent. Les applications spatiales commerciales n’ont pas attendu la fin de la guerre froide pour se développer : les télécommunications commerciales par satellite existent depuis les années 1960. C’est en effet une activité particulièrement rentable, notamment une fois l’accès à l’espace acquis par les États. Enjeux financiers à l’appui, le domaine géostationnaire s’est remarquablement bien autorégulé au sein de l’Union internationale des télécommunications. Production de satellites en série, prépositionnement en orbite pour garantir les services : c’est la seule application spatiale qui fonctionne aujourd’hui comme un véritable marché. Mis à part des fonctionnalités très spécifiques comme le durcissement ou la résilience, les capacités strictement militaires de télécommunications par satellite sont, en volume, bien inférieures à l’offre commerciale.

L’observation depuis l’espace s’est également banalisée jusqu’à voir apparaître les premiers opérateurs commerciaux dans les années 1980. À présent ancrée dans le quotidien du grand public (météorologie, visualisation gratuite en ligne), elle reste une capacité particulièrement sensible d’un point de vue stratégique. Malgré la concurrence féroce entre les opérateurs commerciaux de différents pays, les États régulent toujours les capacités des satellites commerciaux, et conservent donc les meilleures performances pour leurs satellites de défense, même si l’écart ne cesse de diminuer.

La surveillance de l’espace s’est ouverte plus récemment, à la fin des années 2000, au domaine commercial. Ce changement était motivé par le besoin de services complémentaires à l’exploitation de satellites, en particulier pour les opérateurs de satellites de télécommunications (maintien à poste, récupération de satellite, gestion des risques de collision, etc.), depuis la Space Data Association (2009), jusqu’aux services plus récents fournis par ArianeGroup. La tendance est renforcée par les incitations du gouvernement américain à privatiser au maximum les activités spatiales.

Seuls les lancements semblaient rester l’apanage des organisations étatiques. Les succès récents (depuis 2008) de la société SpaceX ont remis en cause ce statu quo, suivant le même souhait des autorités américaines. Explorant des choix techniques, comme la récupération de tout ou partie du lanceur, associés à des modèles économiques différents et à une tarification agressive, le lanceur Falcon 9 est parvenu à concurrencer Ariane 5 malgré son rapport coût/fiabilité sans égal.

L’industrie affiche à présent des ambitions et une volonté supérieures à celle des puissances spatiales, et c’est peut-être là le changement le plus significatif. Après la banalisation de l’usage, voici celle de l’accès à l’espace. D’autres avancées technologiques viennent renforcer cette tendance, comme la propulsion spatiale électrique ou les nanosatellites. Ces technologies permettent, entre autres, d’exploiter des orbites plus basses et des satellites plus légers, deux facteurs majeurs de réduction des coûts de lancement. En plus des nouvelles modalités d’affrontement offertes par les avancées technologiques, cette banalisation de l’accès, cette profusion d’acteurs, et donc d’intérêts, est-elle à la source d’une conflictualité grandissante en orbite (1) ?

À l’instar des milieux terrestre, maritime et aérien, le milieu spatial constitue également une ressource. Son exploitation actuelle en montre les limites avec des orbites basses dangereusement encombrées de débris et des orbites géostationnaires saturées à certains méridiens, ce qui présente toujours le risque de renforcer la compétition. Enfin, une capacité placée ou transitant en orbite devient par construction stratégique : elle transcende par nature les frontières, et ce, de surcroît, en toute légalité. Le placement d’un satellite en orbite n’est par conséquent jamais un acte anodin du point de vue de la défense, et mérite donc toujours un minimum d’attention dans l’appréciation de la situation spatiale. Pour autant, à ce stade, le domaine spatial semble rester plus un enjeu révélateur d’un état de tension qu’une cause de conflit, ainsi que l’illustre l’éclairage historique.

Les aspects juridiques

Pour réguler autant que faire se peut ce milieu stratégique, on a institué le droit spatial. Cependant, qui peut se vanter aujourd’hui d’avoir été le témoin d’un règlement de contentieux entre deux utilisateurs de l’espace ? Les cas sont rares. D’une part, cela est lié à la nature hautement politique des questions spatiales. La voie diplomatique est privilégiée lorsqu’il y a litige. D’autre part, il faut que les parties concernées aient la capacité de constater un événement et de l’attribuer à un tiers. Le club des États disposant d’une surveillance de l’espace est restreint : États-Unis, Russie, Royaume-­Uni, France, Chine très probablement et Iran (2).

Le droit spatial est né lorsque les États en étaient les seuls utilisateurs. Qui plus est, deux puissances dominaient ce milieu stratégique : les États-Unis et l’URSS. De 1957 à nos jours, le paysage spatial a profondément changé. La démocratisation de l’accès à l’espace a permis à une soixantaine d’États de bénéficier des bienfaits du « point haut » sans pour autant devoir investir massivement « pour en être ». De plus, les acteurs privés ont fait, à la fin des années 1990 (3) et surtout en 2010 (4), une entrée remarquée dans le domaine, bousculant les équilibres d’alors. Fort de ces éléments, certains spécialistes évoquent un changement de paradigme. Toutes ces évolutions appelleraient logiquement à une mise à jour du droit spatial. Cependant, cette éventualité sans cesse évoquée est régulièrement remise à plus tard.

Les deux Grands considéraient que la confrontation dans l’espace ne devait pas dépasser un certain seuil qui l’aurait rendu inutilisable. Ce milieu est un terrain idéal pour exercer leur compétition et une attitude destructrice aurait été contre-­productive. La contrainte était donc d’ordre plus stratégique que juridique. Ils ont néanmoins souhaité inscrire leurs démarches dans le droit. De ce corpus, il ressort certains grands principes : des principes fondamentaux (principe de non-­appropriation et d’utilisation pacifique de l’espace : Traité de l’espace en 1967), ceux permettant de responsabiliser les États (l’État doit réparation à un tiers en cas de dommages : Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux en 1972), et ceux permettant d’assurer un minimum de régulation (principe de la responsabilité directe des États pour toutes ses activités nationales dans l’espace : Convention sur l’immatriculation des objets spatiaux en 1975). Le droit spatial est sciemment lacunaire, ce qui permet aux États de ne pas s’interdire certaines actions dans l’espace. L’« usage pacifique » de l’espace n’est par exemple pas défini. Ainsi, seul le placement d’armes de destruction massive (ADM) dans l’espace est interdit ; le déploiement d’armes conventionnelles ou le passage d’ADM dans l’exoatmosphère ne l’est pas.

Les lacunes du droit spatial ont poussé certains États à proposer dès les années 1990 des mesures de soft law permettant de contraindre sans interdire. Leur appellation est prometteuse : il s’agit de construire de la confiance entre les États (TCBM (5)). Appliquées au milieu spatial, elles renvoient à un objectif de transparence entre les États spatiaux, dont les échanges d’informations sont le fondement. Elles ont été utilisées par le passé pendant la guerre froide afin d’éviter un conflit lié à la prolifération balistique. Il est difficile d’évaluer leurs effets ou leur efficacité quant à la course aux armements dans l’espace. Elles ont été et sont encore aujourd’hui des alternatives à l’incapacité des dirigeants à se mettre d’accord sur un texte renouvelé encadrant un tant soit peu les activités spatiales.

Néanmoins, le processus normatif n’a jamais cessé. Les débats se sont déroulés essentiellement au sein de la Conférence du Désarmement (CD) et du Comité des Utilisations Pacifiques de l’Espace Extra-­Atmosphérique (CUPEEA), tous deux entités des Nations unies. Mais depuis une dizaine d’années, deux propositions majeures se font face. D’un côté, la proposition européenne de code de conduite (dont le premier projet officiel fut déposé en décembre 2008), soutenue par les États-Unis à partir de janvier 2012, et gérée par le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) ; et, de l’autre, la proposition sino-­russe de traité PPWT (6) (un premier projet déposé à la CD en juin 2002 et un autre en février 2008). Le code de conduite prône la durabilité des activités dans l’espace en mettant l’accent sur la réduction de la production des débris. Le PPWT exige littéralement l’interdiction des armes dans l’espace, mais sans les définir. Le clivage juridique, texte non contraignant contre texte contraignant, évolue chronologiquement vers le clivage politique, opposant schématiquement le « bloc occidental » ou les « amis du code » (États européens, États-Unis, Japon, etc.) au groupe des 77 des Nations unies. Depuis l’été 2015, sur fond de tensions croissantes entre les États-Unis et la Russie, le projet de code est au point mort. Le PPWT, quant à lui, participe du blocage de la CD. À ce jour, les initiatives se poursuivent, mais sous d’autres formes, soit dans l’enceinte des Nations unies au travers de l’initiative LTSSA (7), soit de manière bilatérale (8).

Devant l’incapacité des États à se mettre d’accord, les acteurs commerciaux s’organisent. C’est notamment le cas au travers de la Space Data Association. Créée en 2009, elle rassemble des opérateurs privés de satellites, principalement américains et exerçant dans les télécommunications spatiales. Sur une base volontaire, les membres échangent les données orbitales de leurs satellites. Cette association a pris une dimension particulière lorsque, en 2014, elle a conclu un accord de coopération avec le Département de la Défense américain, permettant aux États-Unis de renforcer leur surveillance de l’espace. Cette dernière devrait d’ailleurs être substantiellement améliorée par la mise en place de la Space Fence d’ici à 2019. Ce nouveau système de surveillance de l’espace doit permettre de suivre un nombre d’objets plus important, qui plus est de petite taille. La France dispose quant à elle de son propre système lui donnant une autonomie d’appréciation de la situation spatiale : le Grand Réseau Adapté à la Veille Spatiale (GRAVES), capable de suivre les objets spatiaux d’une taille d’un mètre carré évoluant jusqu’à 1 000 km d’altitude. Il s’agit d’un outil politique et diplomatique qui vient en soutien du droit spatial comme moyen de vérification nécessaire à son respect par les États signataires.

Guerre aérienne et potentielle guerre dans l’espace : une probable parenté

L’élément fondamental de l’élévation du niveau de conflictualité dans l’espace est la volonté par un acteur de remettre en cause l’équilibre actuel, ce qui conduirait à une escalade dans les modes d’action et moyens employés. Or nous savons à quel point nos outils de défense sont dépendants de l’espace et ne pas souhaiter remettre en question les règles appliquées jusqu’ici n’implique pas qu’il ne faille pas réfléchir à ce scénario. Car, s’il y a bien une constante dans l’histoire des guerres, c’est que celui qui n’anticipe pas ou peu ne s’adapte pas à de nouvelles règles, donc menaces, surtout lorsqu’elle sont imposées de l’extérieur, et s’expose à une douloureuse défaite, voire pire.

L’exemple de l’émergence du fait aérien militaire pendant la Première Guerre mondiale peut nous fournir à ce titre des indications. Les orbites sont utilisées militairement aujourd’hui au titre de trois missions principales : le recueil du renseignement (ISR) sur la base de senseurs de plusieurs types (image, radar, écoute…) ; la transmission de données en tant que relais (satellites de télécommunications) ; les aides à la navigation et à la précision des frappes. Chacune de ces missions s’avère primordiale dans la préparation, la planification et la conduite des opérations. Sans avoir un effet cinétique direct sur l’adversaire, ces moyens donnent un avantage technique fondamental à celui qui sait les mettre au point, les placer à l’endroit voulu et les utiliser en lien étroit avec ses systèmes d’armes. Dès lors, la première tentation pour s’en prémunir est au moins de gêner l’action des satellites ou constellations concernés, voire de les rendre inopérants quelle que soit l’orbite. C’est ce qui est arrivé au début de la bataille de Verdun. Que ce soit d’un point de vue opératif (b) ou tactique (10), la toute jeune aéronautique militaire a démontré ses capacités dès 1914. En conséquence, l’état-major allemand décida en février 1916 d’engager en masse des appareils destinés à empêcher l’aéronautique française de remplir son rôle. Il obtint la supériorité aérienne, au moins locale, et empêcha toute réaction efficace de l’état-­major et de l’artillerie français dans les premières phases de la bataille. Ce n’est qu’en opposant à son tour une concentration d’appareils de chasse (11) que l’armée française réussit à rétablir l’équilibre puis à conquérir une supériorité qui joua un grand rôle dans l’échec de l’offensive allemande. L’utilisation des moyens spatiaux répondant à la même finalité qui vise à la conquête du point haut, dans des conditions autrement plus complexes, ne peut qu’amener le même type de réponse pour celui qui voudrait en dénier les avantages à un adversaire. Or nous avons bien vu que l’action contre des satellites est techniquement possible – (désorbitation, aveuglement, destruction de tout ou partie des seuls circuits ou sources d’énergie…). Dans tous les cas, les questions qui se posent sont du même ordre que celles qui se sont imposées aux jeunes armes aériennes en 1916 : construire le moyen antiaérien (anti-spatial) le plus adapté, obtenir ou reconquérir la supériorité en luttant contre les moyens adverses en étant supérieur en masse et en qualité. Cela ne peut être obtenu qu’en organisant les moyens, les unités, modes d’action et systèmes de commandement en fonction de ces objectifs. La constatation à ce jour est que bien peu de pays, voire aucun, disposent de réserves de lanceurs et de satellites capables de répondre dans les délais les plus courts à une attrition imprévue (défaut de résilience). Mais le fait que peu de puissances spatiales développent – fort heureusement – des capacités offensives dans l’espace n’implique pas que les moyens et techniques n’existent pas d’ores et déjà. D’ailleurs, une étude du système dans son ensemble montre aussi qu’un moyen efficace d’atteindre les capacités spatiales d’un adversaire peut consister soit en une attaque cyber, soit en une attaque contre les infrastructures au sol plutôt que dans le déploiement de moyens spatiaux. Par ailleurs, un des principaux facteurs de choix du mode d’action, en dehors des seules difficultés d’ordre technique, peut être celui de la signature et de la discrétion de l’attaque. Celui qui dispose du plus large spectre de modes d’action peut choisir tandis que d’autres acteurs sont limités.

La lutte pour l’utilisation ou le déni d’utilisation de l’espace peut conduire, là aussi à l’exemple de l’évolution de la guerre aérienne, à une lutte pour la supériorité ou même la suprématie spatiale. La supériorité est limitée dans le temps et l’espace selon les moyens mis en œuvre et les effets à obtenir, tandis que la suprématie, ou le déni total, peut amener une destruction de tous les moyens adverses. S’y ajoute une possibilité moins envisageable pour la guerre aérienne : celle de dénier l’espace en détruisant le maximum de moyens en orbite basse, par exemple en multipliant les débris, rendant ainsi l’orbite ciblée impropre à l’utilisation pour tous les belligérants. Celui qui ferait ce choix, en limitant volontairement sa dépendance à l’espace, peut gagner un avantage au moins momentané dans les opérations sur un adversaire dépendant. Un belligérant capable de « jongler » entre utilisation et indépendance des moyens spatiaux multiplierait d’autant ses possibilités en matière de modes d’action, donc aussi en capacité à provoquer la surprise.

Le bombardement est aussi une possibilité assez naturelle dont il peut être tiré parti à l’égal de l’exemple de la guerre aérienne. En effet, par nature, les besoins sont assez semblables : le point haut permet de s’affranchir des lignes de front et des défenses et ainsi de frapper l’adversaire dans la profondeur. Le développement des systèmes de défense (type A2/AD) peut à cet égard conduire à une remise en question des capacités de pénétration dans la profondeur, voire d’entrée en premier des moyens aériens classiques. Le point haut ne ferait alors que se déplacer à un niveau plus élevé (12).

Cela peut à nouveau provoquer une évolution majeure en donnant un rôle particulier à un satellite naturel comme la Lune, qui est par définition indestructible, tout comme une île est un porte-­avions naturel en termes de guerre aéronavale. Dès lors, ce sont les questions de transport, de protection des lignes de communication, de protection et d’installation des infrastructures (13) qui devront être résolues dans un espace encore moins naturel à l’homme que l’espace atmosphérique, mais selon des principes qui prendront beaucoup aux théories et à l’histoire des guerres navale et aérienne.

Dans tous les cas, la question n’est plus simplement d’agir dans l’espace à partir de la Terre, mais bien d’opérer dans l’espace, depuis l’espace et vers l’espace. Une nouvelle dimension de la conflictualité qui tirera beaucoup de l’expérience et des théories préexistantes, car la guerre conservera sa nature fondamentale. Mais il restera aussi beaucoup à inventer compte tenu des spécificités de ce domaine somme toute très nouveau pour l’homme, dans un cadre conceptuel très proche de ce qu’il fut dans les premiers temps de l’aéronautique militaire tant la parenté est apparente par-delà la différence de nature des milieux. Cependant, même si les priorités actuelles se concentrent sur la garantie de notre capacité à accéder à l’espace et à l’utiliser, les investissements humains, matériels et financiers à consentir sont significatifs. En conséquence, si la loi de programmation militaire 2019-2025 prévoit de consolider nos capacités spatiales nationales, c’est bien dans l’optique d’une coopération internationale, notamment européenne, qui seule garantira notre place parmi les puissances spatiales. 

Notes

(1) Les suspicions d’éblouissement laser de satellites depuis le sol en 2006, les démonstrations d’armes antisatellite chinoises en 2007 et américaines en 2008, les satellites butineurs MITEX (2006) à l’ouest puis Loutch/Olimp (2014) à l’est qui visitent les orbites géostationnaires, semblent autant de signes d’une crispation.

(2) Les autorités iraniennes ont affirmé dans un communiqué de presse avoir inauguré un centre de surveillance de l’espace en juin 2013, in Florence Gaillard-Sborowsky, Isabelle Facon, Xavier Pasco, Isabelle Sourbès-Verger, Philippe Achilleas, « Sécuriser l’espace extra-atmosphérique. Éléments pour une diplomatie spatiale », Rapport no 152/FRS/SEEA du 28 février 2016, p. 130.

(3) En 1994, le président américain Bill Clinton décidait d’autoriser les sociétés privées à commercialiser les technologies, produits et données issus des systèmes satellitaires de télédétection.

(4) Le 18 décembre 2010, le National Aerodynamics and Space Act affirmait que « le bien-être général des États-Unis d’Amérique requiert que l’Administration recherche et encourage, le plus possible, l’exploitation de l’espace sur des bases commerciales ». Cette orientation politique s’accompagnait d’un fort soutien financier. C’est cet élan qui a favorisé la création exponentielle de sociétés privées en concurrence afin de vendre leurs services au gouvernement américain. Ce furent les débuts de ce qui a été qualifié de New Space.

(5) Transparency and Confidence Building Measures.

(6) Treaty on the Prevention of Placements of Weapons in Outer Space, the Threat or Use of Force against Outer Space Objects.

(7) Long-term Sustainability of Outer Space Activities.

(8) Tentative américaine de coopérer bilatéralement avec les Chinois.

(9) Première bataille de la Marne, bataille de Tannenberg, notamment en matière de reconnaissance et découverte.

(10) Bataille de Montceau-les-Provins (6 septembre 1914) puis d’autres en matière de reconnaissance et de réglage – déjà la précision – des tirs de l’artillerie.

(11) Mission accomplie par le chef d’escadron Tricornot de Rose qui concentra les moyens et fit évoluer la doctrine d’emploi d’un combat très individuel et dispersé à des combats en formation dans le cadre d’un objectif commun : obtenir la supériorité aérienne.

(12) Cela a déjà été pensé par les Soviétiques, par exemple, avec un canon orbital sous la station spatiale Almaz Saliout dans les années 1970.

(13) Il est à noter que « sont interdits sur les corps célestes l’aménagement de bases et installations militaires et fortifications, les essais d’armes de tous types et l’exécution de manœuvres militaires. N’est pas interdite l’utilisation de personnel militaire à des fins de recherche scientifique ou à toute autre fin pacifique. N’est pas interdite non plus l’utilisation de tout équipement ou installation nécessaire à l’exploration pacifique de la Lune et des autres corps célestes », selon le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, article IV, § 2.

Légende de la photo en première page : Une réplique de Spoutnik 1 au-dessus de divers types de fusées et de missiles. (© US Air Force)

Article paru dans la revue DSI n°135, « Face à la Chine : Les défis de la marine indienne », mai-juin 2018.

À propos de l'auteur

Patrick  Bouhet

Adjoint à la division stratégie du bureau développement capacitaire de l’EMAAE.

À propos de l'auteur

Damien Gardien

Colonel (air), officier de synthèse « espace et systèmes d’information opérationnels », EMAA.

À propos de l'auteur

Béatrice  Hainaut

Capitaine, division stratégie du B-Plans de l’état-major de l’armée de l’Air.

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