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Évolutions de la polygamie sur le continent africain

Sur la trentaine de pays autorisant la polygamie dans le monde, 25 se trouvent en Afrique. Alors que le Kenya n’a légalisé la pratique qu’en 2014, au Sénégal, elle se dote de nouveaux atours dans un État où les femmes les plus instruites sont plus nombreuses à s’engager dans des unions polygames qu’auparavant. Au Congo au contraire, des mouvements féministes appellent à l’abrogation de cette pratique.

La polygamie est un terme générique pour désigner deux pratiques distinctes : la polygynie, d’une part, c’est-à-dire l’union d’un homme avec plusieurs femmes, et la polyandrie, d’autre part, à savoir l’union d’une femme avec plusieurs hommes. Si le terme de « polygamie » s’est imposé dans le langage courant pour désigner une pratique de vie commune entre un homme et plusieurs femmes, c’est parce que la polyandrie a presque totalement disparu et n’est légale dans aucun pays du monde.

Une pratique presque disparue

On la retrouve encore chez les peuples Bahima d’Afrique orientale, notamment en Ouganda, et chez les Bashilélé du Kasaï, en République démocratique du Congo (RDC). Dans cette société matrilinéaire, la polyandrie passe par le phénomène de la femme collective : une est désignée ou se porte volontaire pour être l’épouse d’une classe d’âge (Kumbu), pouvant compter dix à quinze individus. Elle choisit parmi l’ensemble du Kumbu quelques maris permanents à qui elle voue fidélité. Ces épouses collectives jouent un rôle social essentiel puisqu’elles sont médiatrices dans les conflits à l’intérieur de la société et entre les villages.

La polygynie reste, quant à elle, un phénomène important en Afrique (cf. carte 2), quoiqu’il soit en recul. En 2010, au Burkina Faso, 42,4 % des personnes mariées vivaient en union polygame contre 54,7 % en 1998. En Guinée, ce taux s’élevait à 47,9 % en 2012 contre 53,1 % en 2005, et, au Sénégal, 35,2 % des individus mariés vivaient en union polygame en 2013 contre 38,1 % en 2002 (cf. document 1). Dans ce dernier pays, les polygames représentent 23,1 % du nombre d’hommes mariés et la proportion des femmes s’élève à 44 %. Alors que la polygynie est relativement plus répandue en milieu rural (39,8 %) qu’urbain (29,1 %), elle diminue avec le niveau d’instruction, variant de 39,7 % chez les non instruits à 17,1 % chez ceux qui ont atteint le niveau supérieur. Pourtant, dans une société où le mariage est valorisé, de plus en plus de femmes intellectuelles s’engagent dans un ménage polygame : de 13,9 % chez les hommes de niveau supérieur, la proportion se situe à 24,1 % chez les femmes de même niveau. Alors que la modernisation, la transition démographique et la convergence vers le modèle de la famille nucléaire pouvaient laisser penser à une disparition progressive de cette pratique, sa durabilité révèle le poids des traditions et des codes sociaux : dans un pays où le divorce est vu comme une catastrophe sociale, la polygamie représente, pour certains, une porte de salut.

À côté des pressions sociales, la pratique de la polygynie est aussi valorisée : avoir plusieurs épouses est perçu comme un signe de prospérité. En 2017, Muhammad Sanusi II, deuxième dignitaire musulman du Nigeria et émir de l’État du Kano (nord du pays), a proposé d’interdire la polygamie aux hommes n’ayant pas les moyens d’assurer financièrement leurs divers mariages. Au Sénégal, plusieurs ministres d’État, des hauts gradés de l’armée et des intellectuels affichent leur polygamie. Cette mise en avant au sein des hautes sphères s’explique en partie par la forte influence qu’y exercent les cercles confrériques islamiques. Pour autant, il serait réducteur de n’associer la polygamie qu’à l’islam. Si la quasi-totalité des pays musulmans, à l’exception de la Turquie (interdiction en 1926) et de la Tunisie (en 1957), autorise la polygamie, plusieurs pays d’Afrique majoritairement chrétiens et animistes ont légalisé cette pratique, comme la RDC, la Centrafrique ou le Gabon. En 2018, le roi du eSwatini (anciennement Swaziland), Mswati III (depuis 1986), compte 13 épouses dans un pays où 88 % de la population est chrétienne.

L’évolution du droit

Si la polygamie est autorisée dans la plupart des législations africaines, on assiste néanmoins à une transformation du droit. Tous les préambules à la production des Codes de la famille soulignent la richesse des coutumes, mais stigmatisent leur inadéquation au monde moderne. C’est le cas pour la polygamie : interdite dans le Code de la famille ivoirien, elle est limitée en Guinée, au Mali ou au Sénégal, où les futurs époux doivent se prononcer sur le modèle de mariage auquel ils souscrivent : monogame, polygamique classique (jusqu’à quatre épouses) et polygamique limité à deux ou trois épouses. Enfin, plusieurs voix se font entendre sur le continent pour en finir avec cette pratique : en octobre 2018, la députée congolaise Stella ­Mensah Sassou N’Guesso publiait une tribune pour l’abroger dans son pays en mettant en avant le fait qu’elle constituait l’un des marqueurs majeurs de l’inégalité femme/homme. Ainsi, l’article 135 du Code de la famille congolais stipule que seul l’homme peut avoir plusieurs conjoints (jusqu’à quatre), édictant de fait une inégalité de genre. 

Cartographie de Dario Ingiusto

<strong>Quel modèle de mariage en Afrique ?</strong>
Article paru dans la revue Carto n°51, « Union européenne : du projet à la crise », novembre-décembre 2018.
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