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États-Unis : on meurt de plus en plus jeune

L’augmentation de l’espérance de vie est le sens de l’histoire, une évolution observée à travers le globe. Pourtant, elle diminue dans un pays riche, les États-Unis, un renversement inédit parmi les membres de l’OCDE, et il ne s’agit pas d’un accident, mais d’une tendance, confirmée pour la deuxième année consécutive : elle était de 78,6 ans en 2017, contre 78,7 ans en 2016 et 78,8 ans en 2015, selon les données officielles publiées en novembre 2018.

Depuis les années 1980, dans un contexte économique où elles ne sont pas compensées par un État-providence fort, les inégalités, ainsi que la mauvaise alimentation et l’accès coûteux à la santé, ont creusé l’écart entre l’espérance de vie dans la première puissance économique mondiale et dans la moyenne des pays de l’OCDE (80,1 ans en 2016). Mais ces éléments ne suffisent pas à expliquer le renversement de la courbe. Cette hausse de la mortalité s’observe dans une tranche spécifique de la population : les hommes blancs âgés de 15 à 44 ans, et encore plus en milieu rural, alors que celle de chaque tranche d’âge des autres origines ethniques a chuté. Sur la même période, la mortalité en zone rurale a augmenté de 6 %, alors qu’elle a baissé de 2 à 20 % dans les régions urbaines. L’augmentation de ces décès prématurés s’explique par une surconsommation de drogues (+ 137 % d’overdoses mortelles de 2000 à 2014) et d’alcool, et le suicide (+ 33 % entre 1999 et 2017. En Californie, les hommes de 25 à 34 ans meurent quatre fois plus des suites d’une intoxication alcoolique en 2015 qu’en 2000, et leurs aînés (40-64 ans) 12 fois plus.

Les minorités ethniques continuent de faire face à des situations socio-économiques en moyenne plus défavorables, mais c’est le plus grand nombre de morts prématurées des Blancs qui tire l’espérance de vie vers le bas. Pourquoi ? Les experts estiment que la réponse est complexe et qu’elle réside dans un désenchantement envers le rêve américain. Les « working class » blanches sont soumises à un stress socio-économique que n’ont pas connu leurs parents ou grands-parents, encourageant les conduites de compensation à risque, d’autant plus dans des régions moins connectées aux opportunités économiques et aux réseaux de soutien médico-social. Autrement dit, le système a créé de nouvelles poches d’exclusion chez les ruraux et les Blancs.

Alors que les médias sont concentrés sur la consommation d’opiacés, ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les experts notent que des politiques de compensation spécifiques (aide à l’arrêt de stimulants) ne seront efficaces que si elles s’accompagnent de mesures pour empêcher, sinon stopper, le renforcement des exclusions : investir dans l’éducation, l’emploi, les salaires et l’accès aux soins de ces communautés de plus en plus marginalisées. L’administration Trump (depuis 2017) entendra-t-elle le désespoir de ceux qui constituèrent largement son terreau électif ? 

Cartographie de Dario Ingiusto

Article paru dans la revue Carto n°51, « Union européenne : du projet à la crise », novembre-décembre 2018.
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