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Quelques perspectives sur le missile sol-sol

Arme de choix de la bataille dans la profondeur durant la guerre froide, le missile balistique à courte portée (SRBM – Short Range Ballistic Missile) n’a pas disparu des arsenaux. Non seulement plusieurs nouveaux systèmes sont apparus, mais l’arrivée des « roquettes guidées » change également la donne, laissant augurer une multiplication du nombre de types, mais aussi des utilisateurs.

En réalité, cette résilience du SRBM n’est paradoxale qu’en apparence. La contraction des systèmes de forces et la réduction des effectifs font que, pour une unité donnée, la zone à couvrir est plus importante. À l’échelle d’un dispositif déployé, cette « lacunarisation » se double par ailleurs de la nécessité de continuer à générer des effets. C’est d’autant plus le cas que, depuis les années 1980, l’art opératif est revenu en grâce dans la pensée de nombre d’États. Si l’on peut critiquer à juste titre le fait que ce retour à l’opératif soit parfois mal conçu et compris, il n’en demeure pas moins que la nécessité de frapper dans la profondeur adverse, contre un adversaire de plus en plus entendu comme un système et non plus simplement comme une liste de capacités, s’est accrue (1). Dès lors, l’artillerie doit pouvoir opérer plus en profondeur que par le passé. Cela demande des portées qui ne sont offertes que par des engins balistiques, missiles ou roquettes, en dépit de l’augmentation des portées observée dans l’artillerie à tube classique.

Il est d’ailleurs assez intéressant de voir que ce qui est qualifié aujourd’hui de « SRBM » recoupe partiellement les définitions données durant la guerre froide : il était alors question d’engins ayant une portée inférieure ou égale à 200 km, les missiles à moyenne portée (MRBM) atteignant 200 à 2 500 km, et les engins de portée intermédiaire (2 500-5 500). De nos jours, la distinction entre SRBM et MRBM s’efface, les premiers étant généralement compris comme des engins de moins de 1 000 km de portée. Du point de vue de l’artillerie, la contraction des structures de forces a également eu des conséquences sur les types de munitions utilisées. Le volume de feu pouvant être engagé simultanément s’est ainsi réduit, imposant dès lors un « trade-off » : afin d’obtenir des effets similaires, il a fallu compenser la perte de masse par un accroissement de la précision. Le processus de « missilisation des roquettes » traduit bien cette évolution. Par définition, une roquette est non guidée : la doter d’un guidage revient à en faire un missile. Or, dès lors qu’il n’est plus possible de tirer d’importantes salves ou encore d’utiliser un tapis de sous-munitions pour atteindre une cible (2), celle-ci doit être atteinte avec moins de munitions. En conséquence, le guidage devient nécessaire. Il devient ainsi le leitmotiv de la réduction des volumes de forces et sa conséquence induite.

Les puissances historiques

À tout seigneur, tout honneur : le missile balistique de courte portée connaît encore des développements intéressants. C’est le cas aux États-Unis, qui continuent de travailler à l’amélioration de l’ATACMS (Army Tactical Missile System), tiré depuis des paniers compatibles avec le M‑270 MLRS et le M‑142 HIMARS. Actuellement, le missile en est au Block IVA (MGM‑168), de 300 km. Il embarque une charge unique de 230 kg, là où les autres versions produites embarquaient des sous-munitions M‑74. Le missile connaît par ailleurs une extension de durée de vie s’accompagnant d’une modernisation consistant en l’installation d’un système de guidage terminal, en plus de son système GPS/inertiel. Le nouveau capteur lui permettra de frapper des cibles en mouvement. Jusqu’ici, le missile a été vendu à Bahreïn, à la Corée du Sud, aux Émirats arabes unis, à la Finlande, à la Grèce et à la Turquie, en plus des États-Unis. De plus, l’US Army travaille sur le programme Long Range Precision Fires (LRPF), entre-temps devenu DeepStrike, sur lequel se sont positionnés Lockheed, Boeing et Raytheon. L’adoption d’une nouvelle propulsion lui ferait atteindre 500 km – lui permettant ainsi de respecter le Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (3).

Quatre missiles seraient embarqués par M‑270 et deux par M‑142. Les premiers essais de démonstrateurs devraient intervenir dès 2019.

En Russie, l’Iskander a pris la succession du SS‑21 Scarab, mais, surtout, des SS‑1 Scud et des SS‑22 Scareboard et SS‑23 Spider, ces deux derniers ayant été détruits dans le cadre du Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (4). Il s’agit donc d’un engin remplaçant ce qui relevait initialement des catégories « SRBM » et « MRBM ». À l’origine, l’Iskander avait une longueur de 7,3 m, un diamètre de 0,92 m et une masse au lancement de 3 800 à 4 020 kg selon la charge militaire. La propulsion est assurée par un moteur au propergol solide Soyouz NPO, le missile ayant un seul étage. L’Iskander peut voler selon une trajectoire dépressive et est capable de manœuvres évasives jusqu’à 30 G dans la phase terminale. Il dispose de plusieurs options de charge militaire, de 480 à 700 kg selon le type. Elles comporteraient des têtes à sous-munitions antipersonnel et antimatériel à effet de souffle ou de fragmentation, des sous-munitions d’interdiction de zone, des charges unitaires hautement explosives, des têtes FAE (Fuel-Air Explosive), une tête pénétrante hautement explosive pour la destruction de bunkers, et une tête antiradar à effet de souffle/fragmentation. L’Iskander peut être doté d’une tête nucléaire, quoique cela ne soit pas officiellement indiqué. La charge utile peut aussi comprendre des leurres tactiques.

Le système de guidage consiste en une centrale inertielle et un guidage terminal avec autodirecteur de corrélation électro-optique de données digitales de la zone visée. Le missile a été signalé comme ayant une précision terminale de 10 ou 20 m. Certaines versions sont dotées d’un système de guidage capable de recevoir des mises à jour des systèmes de navigation satellite GPS/GLONASS en cours de trajet et de liaisons permettant de nouvelles désignations d’objectif en vol. Il a surtout connu une diversification. Deux versions de base sont d’abord apparues (désignation OTAN SS‑26 Stone) et voyant le positionnement de deux missiles par Tracteur-Erecteur-Lanceur (TEL) :
• le 9K723 (Iskander‑M) avec le missile balistique 9M723 d’une portée entre 415 et 500 km. Il est destiné aux forces russes. Les premiers engins ont été livrés en 2007 ;
• le 9K720 d’exportation (Iskander‑E) utilise un missile ayant une charge utile réduite à 480 kg et une portée maximale de 280 km, respectant les limites imposées par le Missile Technology Control Regime (MCTR). Il a été vendu à l’Algérie et à l’Arménie.

Plus récemment sont apparues les premières photos de l’Iskander‑K. Le TEL est identique, mais embarque deux missiles de croisière subsoniques, dont la nature exacte n’est pas encore déterminée : il est question du 9M728 (en fait, le SSC‑7, version sol-sol de l’AS‑15/SS‑N‑21) ou du 9M729 (le SSC‑8, possiblement un Kalibr), des engins qui violeraient le traité INF (5) s’ils étaient déployés dans la zone couverte par celui-ci. De ce point de vue, ils n’ont pas la fonction tactique/opérative des Iskander‑M. Au-delà, les prédécesseurs de l’Iskander, qu’il s’agisse du SS‑21 ou du SS‑1 Scud, restent en service dans de nombreuses armées. Dans le cas du Scud, il faut y ajouter des versions modifiées, à l’instar de celles produites en Iran ou en Corée du Nord. Cependant, comme pour l’Iskander‑K, la rationalité n’est plus tant du ressort tactique ou opératif mais relève d’une vision plus stratégique.

En Chine, les développements balistiques ont été importants et, s’ils ont essentiellement concerné les engins à moyenne portée (famille des DF‑15, DF‑16) récemment, l’usage de SRBM est toujours considéré comme essentiel dans la doctrine. Concrètement, nombre de DF‑11 (M‑11 à l’exportation) restent en service depuis les années 1980. Selon les versions, leur portée va de 300 à plus de 700 km. Ces engins à carburant solide n’ont qu’un seul étage et leur précision terminale est de l’ordre de 200-300 m. Le missile a été exporté au Pakistan. Concrètement, les années 2010 ont vu l’arrivée du DF‑12 (ex-M‑20), un engin de 4 t au lancement ayant une charge utile conventionnelle de 480 kg (charge unitaire ou à sous-munitions). Sa portée serait comprise entre 100 et 480 km et son système de guidage, couplant un récepteur Beidou et une centrale inertielle, permettrait de réduire à l’erreur circulaire probable à 30 m. Deux missiles sont transportés sur un TEL 8 × 8.

La Chine a également conçu des missiles destinés à l’exportation. C’est le cas du B‑611, d’une portée de 150 à 280 km et acheté par la Turquie (où il est désigné J‑600T), dont la mise au point a commencé au milieu des années 1990 et qui est entré en service au milieu des années 2000. Deux engins sont placés sur des TEL 6 × 6. Ankara semble poursuivre le développement de versions à plus longue portée. Le BP‑12A en serait une version améliorée. Le missile équipe le SY‑400 (qui comporte deux missiles ou huit roquettes lourdes PH‑03) présenté fin 2017 par le Qatar. En l’occurrence, sa portée serait de 400 km, le guidage de l’engin étant assuré par un système inertiel/GPS. Dans les deux pays, les missiles ne sont dotés que d’un seul étage et ont une propulsion solide et on note que leur fonction militaire est variable : s’il est clairement question d’une fonctionnalité tactique/opérative dans le cas turc, l’armement qatarien renvoie également à une logique de dissuasion.

Programmes périphériques

L’Inde a également développé une capacité balistique de courte portée, avec ses Prithvi et Prahaar. Mais ces engins, destinés à la frappe nucléaire tactique, ont ainsi un statut spécifique. D’autres États se sont historiquement positionnés sur le développement de SRBM – dont la France avec le Pluton (6) –, mais peu ont poursuivi leurs travaux. C’est surtout le cas de l’Iran, avec en particulier le Fateh‑110, d’une portée estimée à 300 km, qui a été décliné en plusieurs sous-versions, dont un engin destiné à l’attaque de bâtiments de surface en mer (7). Téhéran semble avoir travaillé par génération, en accroissant peu à peu la portée et la précision, tout en diversifiant les charges militaires. L’engin, à carburant solide, a été exporté en Syrie, en Corée du Nord (qui semble également en développer ses propres versions) et auprès du Hezbollah. Pyongyang s’est essentiellement concentré sur l’optimisation de designs étrangers (SS‑21, Fateh‑110, Scud).

Israël a produit l’IAI LORA (Long Range Attack) d’une portée de 400 km, pour une charge explosive (unitaire ou à fragmentation) de 510 kg, et utilisant un guidage GPS/inertiel pour le vol, avec une possibilité de guidage terminal TV. Initialement conçu pour être lancé depuis un camion, il peut également l’être depuis un conteneur positionné sur un navire. Cette version, testée en décembre 2017, semble intéresser le Chili. Récemment, IMI a présenté le Predator Hawk, d’une portée de 300 km pour une charge de 140 kg, qui bénéficie lui aussi d’un guidage terminal. Dans le cas israélien, l’attention se porte particulièrement sur l’usage de missiles balistiques dans la lutte contre les batteries de missiles antiaériens à longue portée (8). De son côté, l’Ukraine a présenté début janvier 2018 son propre missile, le Grom‑2. L’engin est donné pour avoir une portée de 50 à 280 km et une charge explosive de 500 kg et aurait bénéficié d’un financement saoudien. Proposé à l’exportation, il semble surtout destiné en priorité aux forces ukrainiennes.

Par ailleurs, la Corée du Sud fait montre d’un dynamisme certain : si elle avait, historiquement, reconfiguré des Nike sol-air en missiles sol-sol (Hyunmoo‑1), elle a, depuis lors, développé plusieurs types d’engins à charge conventionnelle dont la fonction renvoie autant à la dissuasion qu’à la conduite d’opérations à l’échelle du théâtre, en complément des capacités aériennes, mais aussi navales (9). Le Hyunmoo‑2A, entré en service en 2006, a une portée de 300 km et une charge explosive de 1 t pour une masse totale de 5,4 t. Son erreur circulaire probable serait de 30 m. Le Hyunmoo‑2B, d’une portée de 500 km, est opérationnel depuis 2009, emportant également une charge de 1 t. Avec une charge réduite à 500 kg, sa portée dépasserait 800 km. Il est suivi du Hyunmoo‑2C, présenté pour la première fois en 2017, d’une portée de 800 km et qui bénéficierait d’un guidage terminal.

La nouvelle génération

Si le SRBM classique oscille, selon le pays détenteur, entre une fonction tactique/opérative et une fonction plus stratégique et qu’il focalise l’attention des commentateurs politiques et militaires – notamment en raison de la charge normative du MTCR –, un développement militairement intéressant a sans doute été mésestimé. Les « roquettes missilisées » connaissent non seulement un processus de diffusion passant sous le seuil d’examen du MTCR, mais, surtout, tendent à permettre un retour à la fonction originelle du SRBM. Leur portée plus courte (généralement comprise entre 50 et 100 km) et une charge explosive moindre en font des armes facilement utilisables dans la profondeur adverse en réduisant le risque de pertes comparativement à une frappe aérienne. Leur coût politique – le risque d’escalade – est également plus faible, tout comme leur prix (environ 110 000 dollars par engin acheté par le Royaume-Uni en 2014). En la matière, la vraie rupture a été la disposition de récepteurs GPS abordables et compacts, capables d’encaisser les accélérations au moment du tir, la vitesse d’impulsion des « roquettes » étant généralement plus importante que celles des missiles « classiques ».

L’exemple type de ces missiles de nouvelle génération est le GMLRS, qui reprend la structure des roquettes M‑26/M‑27 et permet donc de conserver le calibre de 227 mm, de même que les conteneurs à six munitions classiquement utilisés. La logique de standardisation a donc été respectée. La missilisation se produit par l’installation d’un guidage GPS/inertiel, d’une électronique embarquée et de surfaces de contrôle. Les changements opérés au niveau de la propulsion permettent par ailleurs un accroissement de la portée du missile, soit 84 km en moyenne contre environ 45 km pour les roquettes M‑26. Elle est ainsi comparable en partie au SRBM MGM‑52 Lance de la guerre froide, qui avait une portée de 74 à 120 km en fonction de la charge embarquée. Deux variantes ont été développées : M‑30 avec 404 sous-munitions antipersonnel/antimatériel M‑85 (10) ; ou M‑31 avec une charge explosive unitaire d’environ 100 kg. Une charge alternative, commune à 90 % avec celle de la M‑31, est opérationnelle depuis septembre 2016.

Le missile a été commandé par le Japon, l’Italie, l’Allemagne, la Finlande, la France, le Royaume-Uni, Singapour, la Jordanie, Bahreïn et les Émirats arabes unis. Israël a développé ses propres versions, guidées ou à correction de trajectoire. La Pologne pourrait également s’en doter pour l’équipement de ses systèmes Homar. On note que l’adoption du GMLRS a permis à nombre d’États de disposer, pour la première fois, d’un missile balistique de courte portée. Si la charge explosive est moindre que celle d’un Lance (450 kg maximum pour une charge conventionnelle), l’engin est aussi plus précis, pour autant que la qualité du signal GPS ne soit pas dégradée, auquel cas seule la centrale inertielle pourrait compenser. La précision terminale est ainsi de 5 à 15 m en fonction des conditions. L’efficacité d’un tel missile pourrait donc, en fonction des circonstances, être supérieure à celle d’un Lance conventionnel.

La logique retenue pour le GMLRS connaît par ailleurs un début de diffusion. Historiquement, la Chine s’est positionnée rapidement sur le créneau, et en particulier China Long-March, en utilisant d’abord un guidage inertiel. Les WS‑1A/B (302 mm), WS‑2 (400 mm), WS‑3 (400 mm), WS‑22 (122 mm) en relèvent. Le KN‑09 nord-coréen, révélé en 2016, serait une adaptation du WS‑1B. Avec un guidage inertiel, le WS‑3 aurait une erreur circulaire probable d’environ 50 m selon l’industriel. L’arme peut lancer 200 kg d’explosif à une distance comprise entre 70 et 200 km. Les WS‑33 (200 mm, entre 20 et 60 km de portée), disposent de liaisons de données, de même que d’un imageur pour l’attaque terminale. Le guidage par système de géonavigation spatial est également utilisé sur les WS‑32 (300 mm, 150 km de portée maximale et 155 kg de charge explosive) et WS‑3A. La WS‑63 peut faire appel à un guidage terminal radar, réduisant l’erreur circulaire probable à 10 m. La WS‑64, de 400 mm, peut lancer une charge de 200 kg à 280 km et utilise les différents types de systèmes précités. Les A‑100/200/300 sont plus ou moins dérivés des ces engins. En tout état de cause, le dynamisme chinois s’appuie sur deux systèmes de navigation spatial : le Beidou, mais aussi le GLONASS russe ; le premier n’ayant pour l’heure qu’une couverture limitée.

En Russie, les roquettes lourdes de 300 mm utilisées sur les BM‑30 Smerch (12 armes) et 9A53 Tornado‑S (6 armes) ne sont traditionnellement pas guidées. En revanche, on évoque depuis 2017 une 9M542 dont le guidage est assuré par le système GLONASS. D’une masse de 820 kg, dont 240 pour une charge explosive HE, elle a une portée comprise entre 40 et 120 km. En Inde, la Pinaka Mk2 est dotée d’un récepteur GPS et est en cours de test depuis 2017. Cette arme de 214 mm a une portée qui peut atteindre 75 km et est 25 cm plus longue que la roquette originale. Sa charge militaire reste de 100 kg. En Ukraine, le Vilkha de 300 mm, d’une portée comprise entre 50 et 300 km, est en cours de test depuis fin 2017. Au Brésil, l’ASTROS 2020, modernisation d’un système ayant connu un réel succès commercial, devrait permettre de tirer la SS‑AV‑40, de 180 mm et d’une portée de 40 km, guidée par GPS. La SS‑150, de 450 mm et d’une portée maximale de 150 km, pourrait également recevoir ce système. La Turquie semble aussi travailler sur une roquette de 122 mm guidée, la TRG‑122. Dans ces cinq cas, les armements sont susceptibles d’être proposés à l’exportation.

Par ailleurs, il faut ajouter que les nouvelles générations de munitions peuvent être « à guidage terminal sans guidage nominal ». Les roquettes de gros calibre, non guidées, permettent en effet le largage de sous-munitions assurant leur guidage terminal, principalement pour le combat antichar. Compatibles avec le droit international en matière de sous-munitions, ces systèmes permettent de réduire les coûts, de sorte que la Tanzanie, qui dispose de l’A‑100 chinois, pourrait avoir reçu des roquettes chargées de sous-munitions guidées. Le problème, pour les armées occidentales, est alors celui de la transparence : si la traçabilité des exportations de matériels occidentaux est bien établie, ce n’est pas nécessairement le cas pour les exportations russes ou chinoises, avec à la clé le risque de se retrouver face à des arsenaux dont les capacités ont été sous-estimées. Le fait même qu’un type de roquette donné puisse recevoir différents types de charge militaire complique évidemment le travail de renseignement.

La signification militaire d’une évolution en sous-sol

La multiplication des designs de missiles utilisant des roquettes comme base fonctionnelle n’est pas sans incidences sur la capacité des forces occidentales à combattre efficacement. La logique de la roquette étant conservée, la puissance de feu précis par batterie de lance-roquettes/missiles est démultipliée, créant une masse à bon compte. De même, un grand nombre de types de systèmes lourds non guidés sont disponibles, permettant d’y appliquer les progrès réalisés en matière de savoir-faire liés à la missilisation. Il existe donc un « potentiel de missilisation » important. Cela pose incidemment un problème pour nos forces, dont les capacités antiaériennes et contre-RAM (Roquettes, Artillerie, Mortiers) ont connu un réel déclin ces dernières années… si tant est que des solutions antimissiles appropriées soient disponibles – ce qu’il reste des Crotale pourrait être trop léger et le SAMP trop lourd –, et ce, en quantité suffisante. Un certain nombre d’infrastructures dont sont dépendantes les opérations expéditionnaires – ports, bases aériennes, points d’appui logistiques, centres de commandement, etc. – deviennent ainsi plus vulnérables, y compris dans la profondeur.

Reste que ces nouveaux missiles ne sont pas non plus une panacée pour leurs détenteurs. Leur utilisation présuppose de disposer d’une solide capacité de renseignement, elle aussi établie dans la profondeur, alliée à une infrastructure de commandement/contrôle adéquate. L’enjeu pour ces forces n’est donc pas uniquement technologique – achat des roquettes, de drones ou de capacités satellitaires –, il est également organique et opérationnel : savoir frapper dans la profondeur ne consiste pas seulement à lancer des missiles. De même, la qualité des signaux provenant des satellites de navigation doit pouvoir être maintenue, quelles que soient les conditions, en sachant que les États-Unis ou la Commission européenne sont susceptibles de dégrader tant le GPS que Galileo. Mais force est aussi de constater que des systèmes alternatifs existent et connaissent un déploiement effectif : GLONASS et Beidou en sont un exemple, mais l’Inde développe également un système dont la couverture sera limitée à la région.

Notes

(1) Sur l’évolution de l’art opératif et la manière dont les armées occidentales, et notamment américaines, se le sont réapproprié, voir les articles de Benoist Bihan dans nos différentes éditions.

(2) En fonction du traité sur l’interdiction des armes à sous-munitions. Si la France l’a signé, ce n’est pas le cas de nombre de puissances majeures, qui n’y sont donc pas soumises : États-Unis, Russie, Chine, Inde, Corées, Égypte, Algérie ou encore Arabie saoudite. Le traité ne porte pas sur les sous-munitions guidées.

(3) Qui, en dépit de son nom, porte sur tous les engins balistiques de plus de 500 km de portée, quelle que soit leur charge militaire.

(4) Voir Mikhail Barabanov, « Iskander le Grand », Défense & Sécurité Internationale-Technologies, no 15, janvier-février 2009.

(5) L’affaire est d’autant plus problématique qu’il est difficile par un simple examen visuel extérieur de savoir si le TEL est doté de missiles balistiques ou de missiles de croisière.

(6) Mais aussi le Brésil, l’Argentine ou encore l’Égypte. Tous ont abandonné leurs programmes.

(7) Et testé sur une maquette à taille réelle d’un porte-avions de classe Nimitz… toutefois immobile. Voir Alexandre Sheldon-Duplaix, « Manœuvres “Grand Prophète 9” : les capacités “anti-accès” de l’Iran et les missions de ses deux marines », Défense & Sécurité Internationale, no 114, mai 2015.

(8) On note que dans les années 1980, Israël avait cherché à se doter de missiles Pershing-2, dotés de charges conventionnelles, afin de faire face aux batteries S-200/SA-5 reçues par la Syrie. Washington, au vu du contexte stratégique de l’époque, s’était opposé à la vente.

(9) Rémy Hémez, « Les missiles, au cœur de la stratégie de défense de la Corée du Sud », Défense & Sécurité Internationale, no 132, novembre-décembre 2017.

(10) Contre 644 M-77 sur les roquettes M-26 et 518 M-77 ou M-84 sur les roquettes M-26A1 et A2.

Légende de la photo ci-dessus : Impression d’artiste du tir d’un DeepStrike. L’engin remplacera les ATACMS américains dans les années 2020. (© Raytheon)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°60, « Opérations terrestres : La convergence des menaces », juin-juillet 2018.
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