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Liban : une longue lutte d’influence entre Riyad et Téhéran

Le 4 novembre 2017, le président du Conseil libanais, Saad Hariri, qui se trouve depuis la veille en Arabie saoudite, annonce sa démission, justifiant sa décision en dénonçant la mainmise de l’Iran sur le Liban par l’intermédiaire du Hezbollah. Rien ne laissait présager une telle déclaration. Les Libanais s’interrogent alors sur la liberté du Premier ministre. De retour dans son pays, Saad Hariri revient, un mois plus tard, sur sa démission, mais cet épisode, qui risquait de déstabiliser le « Pays des Cèdres », soulève la question de la nature des relations entre Riyad et Beyrouth. Il s’agit en réalité d’un énième épisode, certes brutal, de la lutte d’influence entre l’Arabie saoudite et l’Iran qui, au Liban, dure depuis plus de trente ans.

Grande puissance pétrolière majoritairement sunnite, l’Arabie saoudite n’a pas une tradition d’influence ostensible au Liban et entretient avec lui d’excellentes relations depuis son indépendance en 1943. Jusqu’à la guerre qui éclate en 1975, le Liban est surtout un lieu de villégiature apprécié par les dirigeants saoudiens pendant l’été.

Un pays aux multiples atouts frustré par la guerre civile

La prospérité du Liban, le libéralisme de son économie et sa politique pro-occidentale constituent un attrait pour le royaume. Le pays est un centre d’attraction pour les capitaux saoudiens qui y trouvent un système bancaire accueillant, réputé et fiable. Le climat, l’environnement et la qualité des services associés à une liberté des mœurs et à un modernisme alors sans équivalent dans la région séduisent les riches touristes saoudiens. Tout cela fait que le Liban pouvait être considéré comme un allié utile. La communauté sunnite, dont le rôle était essentiel dans la vie politique libanaise, bénéficiait naturellement en premier lieu des liens avec l’Arabie saoudite et défendait les intérêts du royaume dans le pays. Avec ses moyens financiers, Riyad s’employait à renforcer la bourgeoisie sunnite, critique à l’égard des mouvements de gauche. La guerre de 1975 prive le Liban de ces atouts en raison de l’indisponibilité des infrastructures en partie détruites, de la paralysie des services, notamment bancaires, et de l’insécurité qui règne dans tout le pays. Les riches États du Golfe se dotent alors progressivement de leurs propres infrastructures portuaires, aériennes ou bancaires qui mettent fin au rôle régional de la place de Beyrouth. Il n’y aura pas de retour en arrière.

C’est dans le domaine politique que Riyad va peu à peu jouer un nouveau rôle à la fin des années 1970 au Liban, avec pour ligne directrice le soutien des modérés contre les radicaux. L’Arabie saoudite, où Khaled bin Abdulaziz (1912-1982) succède sur le trône à Fayçal (v. 1904-1975), assassiné en 1975, voit avec inquiétude les mouvements révolutionnaires et les partis de gauche se multiplier dans le monde arabe en entretenant souvent des liens avec l’Union soviétique. Elle soutient les revendications palestiniennes, mais s’inquiète du développement des groupes de fedayin radicaux, dont certains se réclament du marxisme. Aussi, le renforcement de la gauche libanaise alliée aux Palestiniens est-il suivi de près par Riyad, qui craint que les libertés politiques et la diversité des opinions pratiquées au Liban facilitent l’effondrement des institutions. L’intérêt saoudien est toutefois plus motivé par la sécurité régionale, qui pourrait être menacée par la diffusion des idéologies radicales, que par la situation intérieure du Liban. C’est pourquoi Riyad apporte un soutien discret mais constant aux chrétiens du ­Liban, considérés comme une force stabilisatrice et conservatrice, donc rassurante. En outre, si les communautés chrétiennes minoritaires se sentaient menacées, elles seraient tentées de rechercher un soutien du côté d’Israël. Pour les Saoudiens, il est donc souhaitable de maintenir un statu quo territorial et, dans une large mesure, politique au Liban, ce qui va à l’encontre de l’objectif des forces de gauche en action dans le pays.

Une médiation saoudienne est menée avec succès en octobre 1976 lors d’une première tentative pour mettre fin à la guerre au moment où l’armée syrienne lance une offensive contre les Palestiniens et les forces de gauche dans la montagne libanaise. Le roi Khaled et le prince héritier Fahd (v. 1920-2005) parviennent à réunir à Riyad un sommet arabe restreint qui est un double succès : la Syrie et l’Égypte sont réconciliées après les divergences profondes qui ont suivi la guerre d’octobre 1973, et le président libanais, Elias Sarkis (1924-1985), en fonction de 1976 à 1982, reçoit l’aide nécessaire pour gouverner. Une Force arabe de dissuasion (FAD), en majorité syrienne, mais comprenant notamment un contingent saoudien, est créée au Liban pour imposer un cessez-le-feu. L’accord de Riyad ne met pas fin à la guerre, mais il témoigne d’un intérêt nouveau de l’Arabie saoudite pour le Liban ; même si elle manifeste ensuite une certaine lassitude au printemps 1979, lorsque, comme d’autres pays arabes, elle retire son contingent de la FAD, qui devient alors exclusivement syrienne. Le royaume continue cependant à financer cette force, pour un montant mensuel de 80 millions de dollars.

L’accord de Riyad témoigne de la stratégie suivie par l’Arabie saoudite au Liban, où elle n’est pas impliquée militairement, contrairement à ce qui se produira par la suite avec l’Iran. Elle joue un rôle de médiateur entre les pays arabes, surtout entre le Liban et la Syrie. Il s’agit d’un exercice délicat, car si l’Arabie saoudite manifeste de la compréhension pour l’action de la Syrie au Liban dans la mesure où Damas affirme assurer sa propre protection face à Israël, elle ne veut pas que l’aile modérée de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dirigée par Yasser Arafat (1929-2004), soit écrasée par les Syriens, car elle doit constituer l’interlocuteur d’Israël au cas où des négociations seraient engagées.

Les effets de la révolution islamique de 1979 en Iran

Cette stratégie saoudienne au Liban est bouleversée, en 1979, avec l’instauration de la République islamique iranienne, qui proclame sa volonté d’exporter la révolution dans les pays arabes, essentiellement sunnites. Le renversement de la dynastie Al-Saoud est l’un des premiers objectifs. L’occupation de la grande mosquée de La Mecque en novembre 1979 par un commando de sunnites exaltés, puis des manifestations de la population chiite saoudienne dans la Province orientale (Ach-Charqiya), où se trouve la richesse pétrolière, alarment les dirigeants de Riyad. Les relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran commencent alors à être conflictuelles, puis hostiles avec la guerre Irak-Iran (1980-1988), le royaume se tenant aux côtés de Bagdad.

L’influence de l’Iran ne cesse alors de grandir, bien qu’il s’agisse d’une région majoritairement arabe et sunnite. Au Liban, traditionnel allié de l’Arabie saoudite, elle s’affirme puis se renforce par l’intermédiaire de la milice chiite Amal, fondée en 1975 par l’imam Moussa al-Sadr (1928-1978), puis surtout de la milice du Hezbollah, née de l’invasion israélienne du Liban en 1982 et qui deviendra le bras armé de l’Iran au Moyen-Orient, avec l’aide de la Syrie. C’est un élément nouveau au Liban, où les chiites formaient de longue date la population déshéritée du pays et la moins influente politiquement : la révolution iranienne, l’alliance de Damas avec Téhéran qui se met en place dès 1979-1980 et l’invasion israélienne du Liban en 1982 font ainsi apparaître une puissante force chiite libanaise armée par l’Iran, qui ne tarde pas à jouer un rôle régional et à inquiéter les régimes sunnites (d’abord l’Arabie saoudite), ainsi qu’Israël.

C’est à cette époque qu’entre en scène Rafic Hariri (1944-2005), homme d’affaires sunnite libanais qui a fait fortune dans les travaux publics en Arabie saoudite, entretient des liens étroits avec la famille royale saoudienne et deviendra Premier ministre (1992-1998 et 2000-2004). Il va agir en qualité de médiateur saoudien dans les affaires libanaises, en particulier lors de diverses conférences et réunions en Europe et en Arabie saoudite destinées à réconcilier les Libanais et les Syriens.

Né en 1944 à Saïda, dans le sud du Liban, au sein d’une famille modeste, Rafic Hariri bénéficie de la confiance du roi Fahd (1982-2005), qui lui accorde la nationalité saoudienne. Le souverain veut apporter son appui aux sunnites libanais afin d’empêcher les milices chiites, soutenues par l’Iran et la Syrie, d’occuper une position dominante dans la vie politique. Le Liban, déjà aux prises avec une guerre civile, voit ainsi se superposer un conflit régional par procuration, entre sunnites et chiites, qui s’installe dans la durée et est mené par l’Arabie saoudite, l’Iran et la Syrie.

L’influence saoudienne dans les affaires du Liban est remarquée en octobre 1989 lorsque les députés libanais sont convoqués à Taëf, ville proche de La Mecque, où ils adoptent un accord d’entente nationale qui met fin à quinze années de guerre et réforme les institutions du pays dans un sens plus favorable aux musulmans. Rafic Hariri joue un rôle actif de conciliateur lors de cette conférence, agissant en tant que représentant de la famille royale saoudienne. L’accord de Taëf rééquilibre, sans le bouleverser, le système politique libanais, mais, du point de vue saoudien, il prévoit surtout la dissolution de toutes les milices, notamment du Hezbollah. Au grand mécontentement de Riyad, ce dernier point ne sera jamais appliqué. L’arrivée de Rafic Hariri à la tête du gouvernement libanais en 1992 ne provoque pas de changement dans ce domaine en dépit de son hostilité à l’armement du « Parti de Dieu ». Au contraire, en 2000, ce dernier tire tout le bénéfice du retrait israélien du sud du Liban en affirmant que ce sont ses actions de résistance qui ont permis de mettre fin à vingt-deux années d’occupation.

Rafic Hariri, l’homme de Riyad

La situation de Rafic Hariri au Liban va se dégrader au début des années 2000 pour diverses raisons, notamment sa volonté d’obtenir un retrait des forces syriennes, et son opposition à la prolongation du mandat du président Émile Lahoud (1998-2007), qui est contraire à la Constitution, mais que Damas impose. Washington et Paris, en désaccord lors du déclenchement de la guerre en Irak en 2003, se rapprochent pour obtenir, en septembre 2004, une résolution du Conseil de sécurité qui exige le retrait des forces étrangères du Liban. Les deux pays ont le soutien de Riyad et de Rafic Hariri, qui doit toutefois démissionner de son poste de président du Conseil sous la pression syrienne.

L’Arabie saoudite est désemparée face au déroulement des grands événements régionaux qui semblent tous évoluer en faveur de l’Iran. La guerre déclenchée en Irak par les États-Unis et le Royaume-Uni en 2003 a en effet pour conséquence de faire disparaître le régime sunnite de Saddam Hussein (1979-2003) au profit d’un pouvoir chiite, pour la première fois depuis cinq siècles. L’influence iranienne peut donc désormais s’exercer de Téhéran à la Méditerranée en passant par l’Irak, la Syrie, alliée de l’Iran, et le Liban, où s’impose le Hezbollah, ce à quoi les stratèges américains n’avaient pas pensé et ce qui alarme les Saoudiens.

Lorsque Rafic Hariri est assassiné à Beyrouth, en février 2005, une lutte ouverte est engagée pour la fin de la domination syrienne au Liban. Le président syrien, Bachar al-Assad (depuis 2000), est convoqué à Riyad par le prince héritier Abdallah (v. 1921-2015), qui lui demande de se retirer du Liban. Riyad, Washington et Paris rompent avec Damas et obtiennent, en avril 2005, le retrait de l’armée syrienne après vingt-neuf ans de présence. Le Hezbollah reste cependant en place et armé. Sans surprise, l’Arabie saoudite, où le roi Abdallah accède au trône (2005-2015), approuve la création d’un Tribunal international pour le Liban chargé de déterminer et juger les responsables de l’assassinat de Rafic Hariri et d’autres attentats mortels commis contre des personnalités libanaises antisyriennes.

L’année 2006 commence par une surprise : le général Michel Aoun, qui s’est distingué par son opposition armée à la Syrie à la fin des années 1980, passe avec le Hezbollah, allié de Damas, un accord politique qui reconnaît que le port des armes est un « moyen noble et sacré » lorsque le territoire est occupé, allusion au maintien de l’occupation israélienne dans une petite zone mal délimitée du sud du Liban.
La question du Hezbollah resurgit dramatiquement en juillet 2006 lorsque la milice chiite attaque une patrouille israélienne dans la zone frontalière, mais en territoire israélien. La riposte de l’État hébreu, qui dure plus d’un mois, est dévastatrice et meurtrière. De nombreuses infrastructures essentielles – ponts, centrales électriques, casernes de l’armée – et des quartiers civils de Beyrouth sont réduits à l’état de décombres. L’offensive israélienne ne parvient cependant pas à éliminer le Hezbollah, dont la force paramilitaire apparaît désormais redoutable. L’Arabie saoudite condamne le Hezbollah, considérant que cette guerre désastreuse est le résultat de l’attitude aventurière et irréfléchie de la milice qui s’est lancée dans une action aventureuse sans penser aux conséquences. La riposte saoudienne intervient avec efficacité lors des élections législatives libanaises de 2009 qui sont remportées par la coalition pro-occidentale menée par Saad Hariri, fils du dirigeant assassiné, avec d’ailleurs une aide financière saoudienne pendant la campagne.

La tension devient particulièrement vive en 2010 entre sunnites et chiites libanais parce que le Tribunal international pour le Liban s’apprête à conclure que ce sont des membres du Hezbollah qui ont perpétré l’assassinat de Rafic Hariri. Le mouvement chiite se lance alors dans une campagne contre le parti sunnite de Saad Hariri, le Courant du futur. L’alliance entre Damas et Téhéran ne faiblit pas, et la question du Hezbollah est plus que jamais un motif de profond désaccord entre Beyrouth et Riyad. La crise devient ouverte lorsque la milice libanaise s’engage en 2012 dans le conflit syrien, aux côtés de l’Iran, pour sauver le régime de Bachar al-Assad, alors que Riyad apporte son soutien aux rebelles.

L’offensive saoudienne du roi Salman et de son fils

L’accession au trône du roi Salman (né en 1936) en janvier 2015 s’accompagne d’une radicalisation de la diplomatie saoudienne et marque une rupture avec l’époque des précédents souverains. Le nouveau monarque et son fils, Mohamed bin Salman (né en 1985), veulent donner un coup d’arrêt à la progression de l’influence iranienne dans la région, par des décisions brutales au besoin. Ainsi, dès le printemps 2015, l’Arabie saoudite entre en guerre au Yémen à la tête d’une coalition pour tenter de mettre fin à une rébellion que Riyad estime soutenue par l’Iran.

Par ailleurs, à la suite de l’exécution, le 2 janvier 2016, de l’opposant chiite saoudien Nimr Baqr al-Nimr, des représentations diplomatiques saoudiennes en Iran sont attaquées. Or, lorsque la Ligue arabe adopte en janvier 2016 une résolution condamnant ces attaques, le Liban n’apporte pas son vote. La réaction saoudienne ne se fait pas attendre : en février, Riyad met fin à un important contrat d’armement, signé en 2014, essentiel pour l’armée libanaise. Le principe de ce dernier était que l’Arabie saoudite finance à hauteur de 3 milliards de dollars toute une gamme de matériel militaire français. Pour Riyad, il s’agit de répondre aux positions libanaises hostiles résultant de la mainmise du Hezbollah sur l’État.

Le style offensif de la nouvelle diplomatie saoudienne se manifeste même à l’égard des États voisins réunis au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG : Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar), créé en 1981 précisément pour faire face à toute menace qui viendrait de l’Iran révolutionnaire. Ainsi, pendant l’été 2017, Riyad – suivi par Abou Dhabi, Manama et Le Caire – rompt ses relations diplomatiques avec le Qatar et met en place un embargo contre ce pays parce qu’il est considéré comme trop proche de Téhéran.

Ces manifestations de la mauvaise humeur et de l’inquiétude de l’Arabie saoudite prennent place dans un contexte qui continue à être défavorable aux yeux de Riyad. En juillet 2015, les dirigeants saoudiens sont traumatisés par l’accord sur le nucléaire iranien signé à Vienne, ce qui illustre la dégradation du climat de confiance avec Washington sous l’ère Barack Obama (2009-2017). Pour les Saoudiens, cet accord donne toute liberté à l’Iran pour continuer sa politique d’hégémonie régionale. Autre sujet de préoccupation, la guerre au Yémen, où l’Arabie saoudite s’enlise. Enfin, la guerre en Syrie est perdue pour le camp saoudien et c’est le camp chiite de l’Iran et du Hezbollah qui l’emporte, avec l’aide militaire de la Russie. D’où le soulagement ressenti avec l’élection de Donald Trump en novembre 2017, qui désapprouve l’accord sur le nucléaire iranien et s’en retirera effectivement en mai 2018.

C’est dans ce climat et dans la logique de la nouvelle politique régionale musclée du roi Salman et de son fils que prend place, en novembre 2017, l’épisode, invraisemblable mais révélateur, de Saad Hariri, chef de gouvernement d’un État souverain convoqué à Riyad d’où il doit annoncer, le 4 novembre, en direct à la télévision saoudienne, sa démission sans même que ses collaborateurs aient été avertis. Dans son annonce, le dirigeant libanais accuse l’Iran et le Hezbollah de mainmise sur le Liban. Il apparaît rapidement que Saad Hariri agit sous la contrainte, d’autant plus que des déclarations saoudiennes viennent au même moment qualifier le gouvernement libanais d’ennemi. Il revient sur sa démission un mois plus tard, ayant regagné son pays après que Riyad s’est rendu compte que les autorités libanaises ne se laissaient pas impressionner et que l’image extérieure du royaume ne ressortait pas grandie de l’affaire, mais aussi, sans doute, que la communauté sunnite libanaise restait soudée derrière le chef du gouvernement.

Le Hezbollah, un acteur clé

Au milieu de ses déboires, l’Arabie saoudite s’en est pris au Liban d’une façon qui laisse perplexe. En effet, Riyad n’a pas élevé d’objection majeure à la présence du Hezbollah au sein du gouvernement formé en décembre 2016 par Saad Hariri. Le nouveau président libanais Michel Aoun (depuis 2016) a même été reçu à Riyad dès janvier 2017 pour sa première visite à l’étranger. Les Saoudiens en seraient donc venus, au bout d’un an, à désespérer que Saad Hariri parvienne à réduire l’influence du Hezbollah et de l’Iran au Liban, et donc à retirer leur confiance au chef du gouvernement libanais. Ils savent cependant que depuis plus de dix ans, le contexte régional rend l’élimination du Hezbollah du gouvernement libanais impossible, à moins de créer un conflit interne majeur.

L’alerte a toutefois été chaude, surtout sur le plan économique, car l’Arabie saoudite détient l’un des leviers de l’économie libanaise : quelque 300 000 Libanais vivent dans le Golfe, dont au moins 160 000 en Arabie saoudite. Ces expatriés, qui dépendent des visas de travail délivrés par les pays d’accueil, ont réalisé, en 2016, 60 % des transferts financiers vers le Liban, soit 14 % du PIB. En outre, 20 % des exportations libanaises partent vers les pays du Golfe, qui, par ailleurs, fournissent le Liban en carburant. Le retrait des permis de travail, voire l’expulsion de ces ressortissants, aurait un effet économique catastrophique. L’« affaire Hariri » semble réglée pour la forme, mais elle ne l’est pas sur le fond, d’autant plus que le dirigeant sunnite est sorti affaibli des élections législatives du 6 mai 2018 et que le Hezbollah et son allié chiite Amal confortent leurs positions en disposant du tiers de blocage au sein de la nouvelle législature.

Légende ne la photo ci-dessus : Le 4 novembre 2017, Saad Hariri annonce depuis l’Arabie saoudite qu’il démissionne de son poste de Premier ministre du Liban. Deux semaines plus tard, il revient sur sa décision.  ©AP Bilal Hussein.

Article paru dans la revue Moyen-Orient n°39, « Bilan géostratégique 2018 : Le temps des « monstres » », juillet-septembre 2018.
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