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L’OMC : une organisation sur le déclin ?

Cela fait des années qu’on annonce la mort de l’OMC. Tous les deux ans, à l’issue de chaque conférence ministérielle, sa raison d’être est remise en cause. Autrefois essentiellement à caractère journalistique, ce point de vue gagne de plus en plus les initiés. S’il est vrai que les Membres de l’OMC n’ont pas été en mesure de répondre aux attentes que la création de l’Organisation avait suscitées, il apparaît néanmoins fortement exagéré de conclure que l’OMC décline.

L’OMC a été créée en 1995, à la suite de décennies de libéralisation du commerce orchestrées sous l’égide d’un accord temporaire adopté en 1947, le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade – Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). Après cinquante ans de négociations cycliques au cours desquelles le commerce s’était tranquillement ouvert, au gré des besoins et des intérêts de chacun, les États ont réussi l’impossible : créer une Organisation couvrant la quasi-totalité des échanges commerciaux mondiaux, adopter vingt-sept traités opposables à tous les Membres [164 à ce jour], créer un organe de règlement des différends obligatoire et mettre sur pied un mécanisme de suivi des politiques commerciales de chaque Membre.

Forts de cette réussite, les Membres ont par la suite, entre 1995 et 2001, tenté de s’entendre sur un agenda de négociation afin de faire avancer encore plus la libéralisation. La conférence ministérielle de Doha a permis d’aboutir à une entente en novembre 2001. En moins de trois ans, les Membres avaient l’ambition d’arriver à un résultat sur une vingtaine de points, dans le cadre d’un engagement unique, et parmi eux, on comptait des questions hautement complexes et historiquement insolubles. Sans surprise, les Membres ont échoué et n’ont pu aboutir à une solution dans les temps. À dater de cet échec, plusieurs ont considéré l’OMC inutile, voire déclinante. Les Membres n’arrivant pas à ouvrir encore davantage le commerce, plusieurs ont annoncé sa mort. 

Une Organisation qui remplit ses fonctions

Pourtant, l’OMC « livre la marchandise ». Du moins, elle le fait dans la majorité des cinq fonctions qui lui ont été attribuées. Parmi celles-ci, l’OMC administre les accords en donnant entre autres un sérieux coup de pouce aux pays en développement, que ce soit à travers ses missions de coopération technique, les cours qu’elle offre, à Genève, à l’intention des fonctionnaires de divers pays, ses chaires ou encore l’aide au commerce visant à permettre aux pays en développement de développer les infrastructures en matière de libre-échange. 

En outre, l’OMC affiche un résultat plus qu’exceptionnel dans le domaine du règlement des différends commerciaux. En effet, avec plus de 550 affaires soumises depuis 1995, près de 400 décisions rendues à l’intérieur d’un délai moyen de 10 mois, 90 % des décisions respectées par les Membres et moins de 4 % d’affaires ayant nécessité l’imposition de sanctions commerciales de la part du Membre plaignant, on est forcé de considérer que le « tribunal » de l’OMC fonctionne bien et probablement mieux que tout autre tribunal international existant. 

L’OMC permet aussi le partage d’information via son mécanisme de suivi des politiques commerciales qui impose aux Membres la notification des mesures nationales ayant un impact sur le commerce international. En plus de permettre aux États d’être avisés de l’adoption de mesures au potentiel néfaste sur le libre-échange, il permet le dialogue entre 164 pays du monde sur des questions techniques.

Un bilan contextualisé des négociations

Certes, malgré une performance enviable en ce qui concerne une majorité de ses fonctions, l’OMC piétine dans le domaine des négociations. Du moins, c’est l’image qu’elle renvoie depuis sa création. Faut-il rappeler que les Membres ont eu besoin de six années pour s’entendre sur un agenda de négociation ? L’OMC était alors frappée de plein fouet par le mouvement antimondialisation et prenait difficilement conscience que l’entrée en scène de nouveaux joueurs par rapport aux années du GATT compliquait l’atteinte du consensus.

Dans ces circonstances, les objectifs de Doha ne pouvaient être atteints en trois ans, entre novembre 2001 et janvier 2005. Du moins, il était impensable d’obtenir un résultat en si peu de temps, sur l’ensemble des questions, et qui rallierait chacun des Membres. 

Car on l’oublie souvent, mais l’OMC se différencie considérablement des autres organisations internationales lorsque vient le temps de prendre des décisions. Tous les Membres ont une voix. Qui plus est, la majorité des décisions doivent être prises par consensus, ce qui signifie que chaque Membre de l’OMC peut s’opposer à l’adoption d’une décision. En outre, les négociations étant conduites en paquet et suivant la maxime « rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu », les Membres de l’OMC cherchent l’atteinte d’un résultat unique. Autrement dit, ils visent à conclure les négociations sur un ensemble de sujets à la fois, et sans entente sur l’ensemble des négociations, on considère que ces dernières ont échoué. 

Dans ces conditions, on peut se demander si d’autres organisations internationales arriveraient à mieux faire. Par exemple, l’Assemblée générale des Nations Unies arriverait-elle à adopter autant de résolutions si chaque pays avait le pouvoir de s’opposer à leur adoption et si l’ensemble des sujets abordés lors d’une séance devait être réglé dans le cadre d’un vote unique ? 

Ces considérations permettent de mieux comprendre le blocage que connaît l’OMC dans sa fonction de négociation. D’ailleurs, les Membres en ont pris acte et ont dès 2008 tenté de négocier des paquets de sujets plus réduits afin d’arriver à conclure certaines parties de l’agenda de Doha. Un premier résultat considérable a été atteint en 2013 lors de la ministérielle de Bali. Dix décisions ministérielles, aujourd’hui appelées le paquet de Bali, ont été adoptées sur diverses questions relevant du cycle de Doha, représentant environ 10 % de l’agenda de négociation de Doha. Surtout, l’Accord sur la facilitation des échanges a été adopté, devenant le premier traité multilatéral à être adopté par les Membres depuis 1994. La conférence de Nairobi de 2015 a aussi donné de bons résultats. Le paquet de Nairobi représente six décisions ministérielles et l’élargissement d’un accord plurilatéral sur les technologies de l’information promettant de libéraliser jusqu’à 1300 milliards de dollars. 

Buenos Aires : un nouveau blocage ?

Forts de ces résultats, les Membres de l’OMC se sont réunis à Buenos Aires pour la conférence ministérielle de décembre 2017. Les espoirs ont vite été déçus. La présence d’une puissance américaine remettant en cause depuis l’élection du président Trump les principes de base du libre-échange peut expliquer en partie l’échec de Buenos Aires. 

Pourtant, le malaise remonte à Nairobi en 2015. En effet, considérant les résultats obtenus à Bali et Nairobi, certains Membres – surtout développés – ont commencé à induire l’idée de la nécessité d’un nouveau cycle de négociation et de l’urgence d’inclure de nouveaux sujets. Pour eux, le monde avait changé depuis 2001, de nouveaux thèmes – comme celui du commerce électronique – devaient être discutés, et surtout, certaines questions trop sensibles demeureraient irrésolues. À quoi bon continuer à discuter si aucun consensus n’était possible ?

D’autres ont plutôt été d’avis que les négociations devaient se poursuivre dans le cadre de l’agenda adopté en 2001. La Déclaration ministérielle de Nairobi témoignait d’ailleurs de cette divergence de points de vue. 

C’est dans ce contexte indéterminé que la Conférence de Buenos Aires s’est ouverte. Les Membres de l’OMC, dont chacun possède en quelque sorte un droit de veto sur les décisions à prendre, incluant sur l’agenda de négociation à adopter, n’ont pas été en mesure de s’entendre sur le contenu des négociations. La Conférence s’est clôturée sans déclaration commune et surtout sans qu’on ne sache ce sur quoi les Membres négocieront d’ici la prochaine ministérielle. D’ailleurs, il n’est pas anodin de noter que les Membres ont décidé de retarder la prochaine ministérielle de six mois afin de se donner le temps de mieux se préparer. Cette dernière aura donc lieu en juin 2020 plutôt qu’en décembre 2019, au Kazakhstan.

Les zones de libre-échange : preuve du déclin ?

D’autres pourraient aussi arguer que les zones de libre-échange se multiplient, rendant le droit de l’OMC marginal. Pourtant, l’OMC demeure l’organisation qui autorise l’existence de ces zones. Évidemment, la multiplication des accords commerciaux rend le principe de non-discrimination de plus en plus théorique (dans la mesure où ces zones permettent précisément d’octroyer des préférences à seulement certains partenaires commerciaux), mais il n’en demeure pas moins que l’entrave se fait dans des conditions déterminées et susceptibles de contrôle par le « juge » de l’OMC.

Cependant leur multiplication récente, mais surtout leur renforcement dans le cadre des nouveaux méga-accords commerciaux comme le AECG (Accord économique et commercial global), le PTPGP (Partenariat transpacifique global et progressiste) ou la ZLEC (Zone de libre-échange continentale, accord signé par 44 pays africains en mars dernier) (1) pourraient apparaître directement liés à l’impossibilité pour les États de faire avancer la libéralisation dans le cadre multilatéral de l’OMC.

Lorsque l’on prend le temps d’examiner le travail de l’OMC et surtout lorsque l’on s’attarde aux négociations des dernières années ou encore à son mode de fonctionnement très particulier, il semble inexact de considérer l’OMC comme une organisation déclinante. Elle remplit ses fonctions, avec les difficultés attendues et inhérentes à toutes les organisations internationales, et compte tenu des règles de procédure dont elle s’est dotée. En définitive, on peut se demander si l’on n’attend pas peut-être trop de l’OMC.

En partenariat avec le Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation.

<strong>Différends commerciaux des USA à l’OMC</strong>
<strong>Différends commerciaux de la Chine à l’OMC</strong>
<strong>Différends commerciaux de l’Union européenne à l’OMC</strong>

Note

(1) Respectivement connus en anglais sous les acronymes suivants : CETA, CPTPP et CFTA (voir lexique p. 30).

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°47, « Vers une guerre commerciale mondiale ? », octobre-novembre 2018.
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