Depuis l’élection de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil le 28 octobre 2018, les yeux se braquent sur l’Amazonie, qui risque d’être victime des vastes projets d’exploitation par l’agro-industrie de terres jusque-là protégées. Alors que la déforestation massive tend à faire passer l’Amazonie de rempart contre le réchauffement climatique à contributeur net de carbone, le « poumon vert » de la planète affronte le risque de l’étouffement.
Les 6,7 millions de kilomètres carrés de la forêt amazonienne en font la plus grande zone de forêt ancienne tropicale de la planète, mais aussi l’un des sanctuaires de la biodiversité mondiale (cf. carte 1 et document 2 p. 60). Plus de la moitié des espèces animales et végétales terrestres y sont concentrées. Alors que la forêt joue un rôle essentiel dans la stabilisation du climat mondial, l’Amazone (6 437 kilomètres)est le fleuve le plus important du monde en débit. Il ravitaille un cinquième de la planète en eau douce (1).
Vers une possible asphyxie du « poumon de la planète » ?
Bastion de la biodiversité, gigantesque réservoir d’eau douce, l’Amazonie est aussi l’un des « poumons verts » de la planète. Durant le phénomène de photosynthèse, les plantes libèrent de l’oxygène dans l’atmosphère et fixent le dioxyde de carbone (CO2) pour assurer leur croissance. Bien que les océans, avec leur phytoplancton photosynthétique, soient les premiers producteurs d’oxygène et les premiers puits biologiques à dioxyde de carbone atmosphérique, l’aspect de fixation du CO2 par les forêts est devenu un enjeu majeur au regard de l’accélération des émissions anthropiques. Or la réduction massive des surfaces forestières entraînerait une transformation du bilan carbone de l’Amazonie (2).
Au-delà de la diminution de la biomasse, ce phénomène s’explique par le fait que les arbres qui absorbent une importante quantité de CO2 relâchent ce carbone lorsqu’ils pourrissent ou qu’ils sont brûlés. Alors que la biomasse de la forêt amazonienne contient autour de 100 milliards de tonnes de carbone, soit plus de dix ans d’émissions mondiales de combustibles fossiles, le relâchement d’une partie de ce stock du fait de la déforestation et du dérèglement climatique aurait un effet dévastateur. Dans les zones où la déforestation est répandue, la durée des sécheresses s’allonge et le rythme des inondations s’accélère, posant d’ores et déjà le problème des émissions de carbone.
C’est le cas au Brésil, autour du bassin Araguaia-Tocantins, qui couvre 9,5 % de la surface du pays. Les épisodes d’extrême sécheresse et d’inondations s’y multiplient et s’allongent, alors que la région du Cerrado subit une importante déforestation pour la culture du soja et l’élevage bovin. En 2017, l’espace forestier y a diminué de 7 408 kilomètres carrés (soit la déforestation d’un territoire de la taille de Paris tous les cinq jours) ; au total, plus de 50 % de la superficie d’origine du Cerrado a disparu.
Or, pétrole, gaz : déforestation et pollution des eaux
La forêt amazonienne est une manne économique pour les neuf États qu’elle couvre (Brésil, Pérou, Colombie, Bolivie, Venezuela, Guyana, Suriname, Équateur, France avec la Guyane). Riche en gisements d’or, de fer, de cuivre et de manganèse, c’est aussi un territoire privilégié pour l’exploitation du pétrole et du gaz naturel (cf. carte 3). Au Pérou, une partie de l’Amazonie a été concédée à des compagnies pétrolières avec des conséquences écologiques parfois désastreuses. En 2016, une série de fuites de pétrole sur l’oléoduc Norperuano a conduit au déversement d’au moins 3 000 barils de brut, polluant gravement deux rivières dont l’eau est utilisée quotidiennement par huit communautés autochtones.
L’Amérique du Sud figure parmi les plus gros bassins d’extractions d’or, avec 20 % de la production mondiale environ, principalement concentrée dans les Andes (Pérou, Équateur, Bolivie), dans le sud-est du bassin amazonien (dans l’est et dans le nord du Brésil) et sur le plateau des Guyanes (3). L’extraction aurifère prend place au cœur même des écosystèmes. Alors que les grandes industries exploitent généralement les structures géologiques favorables au minerai, c’est dans le cours des rivières que les orpailleurs illégaux tentent de récupérer les pépites érodées par l’eau provenant des couches géologiques. Cette extraction informelle ou illégale est majoritaire dans le bassin amazonien, et c’est au moyen de dynamitages et à l’aide de mercure et d’arsenic que les orpailleurs parviennent à séparer l’or du minerai (en moyenne, 1,3 kilogramme de mercure est nécessaire pour récupérer 1 kilogramme d’or). Alors que la demande s’est accélérée depuis la crise économique de 2008, où le métal jaune a retrouvé une partie de son rôle de valeur refuge, la Guyane subit cette nouvelle ruée. Entre janvier et décembre 2017, le nombre de sites aurifères illicites en activité y est passé de 302 à 609. Sur ces derniers, on en dénombre 542 alluvionnaires (où le mercure est utilisé pour former un amalgame avec l’or) pour 87 sites primaires (où la roche mère est attaquée directement). La situation est encore plus critique dans les pays voisins du Guyana et du Suriname. Dans le massif forestier du plateau des Guyanes, l’orpaillage incontrôlé est devenu le premier facteur de dégradation environnementale.
Si l’orpaillage illégal est nocif pour l’écosystème amazonien, c’est aussi le cas des techniques industrielles. En 2017, le gouvernement français s’est dit favorable à l’exploitation à ciel ouvert à partir de 2022 d’une mine aurifère d’une superficie de 8 kilomètres carrés au sud de Saint-Laurent-du-Maroni avec un procédé de récupération de l’or par cyanuration en circuit fermé. Financé par les multinationales Nordgold (Russie) et Columbus Gold (Canada), ce projet nécessite de creuser une fosse de 2,5 kilomètres de long, pour 400 mètres de largeur et 200 à 400 mètres de profondeur (4). En plus de poursuivre la déforestation au cœur de l’Amazonie française, une telle exploitation implique au quotidien l’utilisation de 10 tonnes de cyanure et de 20 tonnes d’explosifs afin d’extraire environ 20 kilogrammes d’or tout en rejetant 80 000 tonnes de déchets miniers. Si la Compagnie Montagne d’Or a indiqué, en novembre 2018, vouloir réduire au maximum les impacts sur l’environnement et maximiser les retombées économiques et sociales pour le territoire, le cyanure et les métaux lourds (mercure, plomb, cadmium, arsenic) rejetés lors de l’extraction de l’or risquent, malgré les éventuelles précautions, de polluer les cours d’eau et les nappes phréatiques.
Vers une agro-industrie toute-puissante ?
L’essentiel de la déforestation dans le monde, en Amazonie en particulier, est le fait de l’expansion de l’agriculture et de l’élevage. Au Brésil, de vastes cultures de soja ont remplacé l’écosystème amazonien. En 2006, elles s’y étendaient sur plus de 220 000 kilomètres carrés et monopolisaient 47 % des surfaces cultivées. Bien que la campagne des organisations environnementales et de l’État du Pará (dans le nord) ait abouti en juillet 2006 à un moratoire sur la production intensive de soja, le pays reste le principal producteur de soja en Amérique latine et le premier exportateur vers l’Europe, qui l’utilise en grande partie pour nourrir ses animaux (3,5 millions de tonnes arrivent en France chaque année). Le soja cultivé y est génétiquement modifié pour survivre à des épandages massifs de pesticides comme le glyphosate.
L’emploi systématique de ces produits phytosanitaires provoque une contamination des sols et des eaux et engendre d’importants problèmes sanitaires pour les populations locales et autochtones. En outre, l’arrivée du soja a justifié la construction de routes et leur goudronnage afin de transporter le produit vers les ports, ouvrant ainsi de nouveaux territoires à d’autres activités comme le commerce du bois, l’élevage de bétail ou la spéculation des terres. En 2008, 20 % des zones forestières initiales d’Amérique centrale et 38 % de l’Amazonie avaient déjà été abattues pour l’élevage des bovins (5). Cette même année, un tiers du bœuf commercialisé sur le marché international provenait du Brésil et la valeur totale du commerce de produits issus du bétail s’élevait à 6,9 milliards de dollars. Depuis 2012, le pays est le plus grand exportateur de viande bovine au monde devant les États-Unis. En 2017, l’Amazonie brésilienne est devenue l’une des principales régions d’élevage bovin sur la scène internationale, avec plus de 80 millions de têtes (sur 210 millions de bêtes dans l’ensemble du pays) (6).
Plus grande réserve de terres agricoles au monde, l’Amazonie est à la fois un grenier alimentaire à l’échelle planétaire et un sanctuaire de la biodiversité. Mais entre le développement économique et l’urgence écologique, les choix politiques dessinent parfois des orientations contre-intuitives pour le bien-être planétaire : Jair Bolsonaro a ainsi réaffirmé la mise sous tutelle de l’Environnement par le ministère de l’Agriculture.
Cartographie de Laura Margueritte
Notes
(1) Greenpeace, « Amazonie : un inestimable patrimoine écologique en danger », 2016.
(2) Dave McGlinchey, « New study evaluates impact of land use activity in the Amazon basin », Woods Hole Research Center, janvier 2012, à consulter sur : http://whrc.org/new-study-evaluates-impact-of-land-use-activity-in-the-amazon-basin/
(3) WWF, « Orpaillage illégal : Forêts dévastées, rivières détruites, populations menacées et contaminées, l’orpaillage illégal est le principal fléau social, sanitaire et environnemental menaçant la Guyane », 2017.
(4) « “Montagne d’or” en Guyane : “Un projet minier destructeur qui ne rapportera quasiment rien” », in Le Monde, 5 octobre 2018.
(5) Agnès Stienne, « Le coût de la viande bon marché », in Le Monde diplomatique, avril 2013.
(6) Sophie Sylvie Plassin, René Poccard-Chapuis, François Laurent, Marie-Gabrielle Piketty, Gustavo Pientel Martinez et Jean-François Tourrand, « Paysage et intensification de l’élevage en Amazonie brésilienne : De nouvelles dynamiques spatio-temporelles à l’échelle des exploitations agricoles », in Confins, no 33, 2017.