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La politique étrangère de Donald Trump : beaucoup de bruit pour rien ?

Plus encore que pour ses prédécesseurs, la politique étrangère du quarante-cinquième président des États-Unis reste, à mi-mandat, en cours d’élaboration. Mais derrière les messages simplistes tweetés par Donald Trump pourraient – ou non – se faire jour certains changements de paradigme réels, avec des enjeux qu’on aurait tort de ne pas voir.

Établir un bilan de la politique étrangère d’un président des États-Unis deux ans après sa prise de fonctions est par principe un exercice périlleux, quelles que soient les circonstances de son élection, la personnalité et l’expérience de l’occupant du bureau Ovale, ou encore le contexte international. Les raisons sont multiples : depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis se trouvent à l’épicentre d’un ordre libéral international qui s’est construit par la signature de traités et d’accords, la construction d’alliances et de réseaux et un investissement raisonné et déterminé dans les organisations internationales, qu’il s’agisse des Nations Unies, de l’OTAN ou des instances de régulation du commerce mondial. Quand bien même cet ordre libéral largement orchestré par les États-Unis se révéla fort utile pour la promotion de leurs intérêts stratégiques et commerciaux, il représentait aussi un cadre contraignant dont les présidents pouvaient difficilement s’affranchir, a fortiori en début de mandat. Et si les États-Unis sont parvenus à articuler dans un difficile exercice d’équilibrisme une certaine forme d’exceptionnalisme avec leur statut de centre vital de l’ordre libéral, cela se fit par petits ajustements successifs, permis par un rapport de force toujours à l’avantage de « l’hyperpuissance » ou « la nation indispensable » pour reprendre les deux expressions célèbres d’Hubert Védrine et de Bill Clinton. 

Les dernières grandes ruptures de la diplomatie américaine

Même dans les alternances partisanes les plus brutales à la Maison-Blanche (Carter/Reagan en 1981 ; Clinton/Bush en 2001 ; Bush/Obama en 2009), la politique étrangère des États-Unis ne subit généralement que des inflexions mineures dans les deux premières années du mandat. Pour reprendre la belle comparaison de Pierre Hassner, la diplomatie américaine ressemble à un de ces superpétroliers qui sont si longs et lourds qu’il leur faut des heures, voire des jours, pour changer de cap, atteindre leur vitesse de croisière ou préparer l’appontement. Ainsi, deux ans après sa prise de fonctions, les spécialistes de relations internationales décrivaient souvent la politique étrangère de Barack Obama de ce vocable peu aimable de « Bush 3 », malgré le discours du Caire ou les appels répétés au multilatéralisme. Certains par ailleurs attribuent cette inertie à la cohésion et à l’influence d’une « communauté d’experts de politique étrangère » (foreign policy community) qui forgeraient le consensus d’une manière pérenne face à des présidents de passage à la Maison-Blanche pour quatre ou huit ans et dont le mandat électoral (les questions internationales ne figurant que très exceptionnellement dans les élections présidentielles), l’expertise ou la hiérarchie des préoccupations ne les mènent que rarement vers la politique étrangère. 

De fait, les grandes inflexions de la politique étrangère des États-Unis se font soit en raison d’événements extérieurs qui bouleversent les fondamentaux géopolitiques, soit dans la deuxième partie d’un mandat présidentiel, lorsque le chef de l’exécutif, qui est aussi chef de l’État et chef des armées, a mis en place une administration fonctionnelle, une coordination efficace entre les acteurs principaux du champ (président, conseiller à la sécurité nationale, secrétaire d’État, secrétaire à la Défense et éventuellement vice-président, Commission des affaires étrangères du Sénat et représentant permanent aux Nations Unies) et posé les principes opératoires de ce que l’on pourra décrire rétrospectivement comme une « doctrine ». Les deux changements de paradigme les plus récents de la diplomatie américaine sont dus pour le premier à la fin de la guerre froide, qui a forcé l’administration Clinton à redéfinir les termes de l’engagement des États-Unis sur la scène internationale, pour le second aux attentats du 11 septembre 2001, dont les conséquences vont structurer l’action extérieure de l’administration de George W. Bush mais aussi de Barack Obama. De même, si l’on peut parler de « doctrine Obama », c’est uniquement à partir d’un triptyque entièrement situé dans le deuxième mandat du 44e président des États-Unis : le refus en 2013 de bombarder la Syrie après une attaque chimique sur les populations civiles par le régime de Bachar el-Assad, l’initialisation de la normalisation des rapports avec Cuba à la fin de l’année 2014 et la signature à Vienne de l’Accord sur le nucléaire iranien en juillet 2015. 

Les grilles de lecture brouillées par le style trumpien

Cela posé, on identifiera quatre points de rupture, d’imprévisibilité ou d’instabilité apparents qui rendent difficilement lisible et compréhensible la diplomatie trumpienne. D’abord, il y a cette volonté affichée de passer d’une diplomatie d’influence qui, en s’appuyant sur les réseaux, les alliances et les organisations internationales, préserve sur la longue durée les équilibres géopolitiques et donc les intérêts stratégiques et économiques des États-Unis, à une diplomatie transactionnelle et interpersonnelle (de chef d’État à chef d’État) fondée sur l’idée que les États-Unis auraient été les grands perdants d’un ordre libéral qu’ils avaient construit mais dont ils supporteraient les coûts bien au-delà des bénéfices qu’ils en retireraient. On pourrait aussi parler d’une « monétarisation » de la puissance militaire américaine. Ce discours s’accompagne d’une dénonciation de l’incurie et de la naïveté des prédécesseurs de Donald Trump dans la fonction présidentielle qui, mauvais négociateurs, se seraient tous laissés abuser par les ennemis ou les concurrents des États-Unis sur la scène mondiale. C’est en ce sens que l’éditorialiste du New York Times Thomas Friedman ironisait sur ce qui pourrait être la « doctrine Trump » : « Obama built it, I broke it, you fix it. [Obama l’a construit, je l’ai cassé, tu le répares.] » (1)

Le caractère profondément transactionnel de la diplomatie trumpienne explique aussi l’écart important qui peut exister entre les contenus de deux déclarations sur une même question : Corée du Nord, Vénézuéla, fermeture de la frontière entre le Mexique et les États-Unis, attachement à l’OTAN et à l’article V de la Charte… On ne compte plus les questions de politique étrangère sur lesquelles le président Trump a tenu des propos radicalement contradictoires à quelques jours ou semaines de distance et qui relèvent souvent de la dramatisation – voire de l’hystérisation – d’une situation préalable à une résolution, dans laquelle le Président est présenté comme celui qui a sauvé les États-Unis au bord du gouffre en appliquant une pression ou une menace que lui seul pouvait exercer. Le même écart se retrouve aussi entre les déclarations du Président et celles de son entourage ou de son cabinet : Jim Mattis, lorsqu’il était secrétaire d’État à la Défense, Jim Kelly, l’ancien secrétaire général de la Maison-Blanche, le vice-président Mike Pence, furent très souvent appelés pour corriger, atténuer, rectifier, infléchir ou compléter le discours du chef d’État. Cela contribue à une forme de désacralisation institutionnelle de la parole présidentielle, mais aussi à la profonde instabilité de cette politique ramenée, comme le rappelait récemment Donald Trump lui-même au sujet de l’immigration, à sa seule volonté ou autorité. 

Il y a par ailleurs un triple refus : des codes et normes traditionnels de la diplomatie ; de l’expertise et de la complexité qui lui est inhérente ; des principes fondateurs et des valeurs de l’ordre libéral post-Deuxième Guerre mondiale. Cela explique la dénonciation permanente de « l’État profond » ou de ce que les épigones de Donald Trump appellent d’un terme beaucoup plus péjoratif, « le blob », pour faire référence à la communauté des experts en relations internationales dont beaucoup s’étaient déclarés par avance des « Never Trumpers » et qui sont accusés de bloquer ou de retarder par la voie bureaucratique l’action réformatrice de l’Administration. De ce fait, le président Trump ne se sent nullement contraint par les traditions ou les précédents. Il ne faut pas pour autant négliger la réelle résistance, non seulement de cette communauté d’experts, mais aussi de membres de l’entourage direct du Président qui, de manière plus ou moins publique, font obstacle à l’implémentation de politiques avec lesquelles ils sont en profond désaccord. On pense ici évidemment à la tribune non signée publiée le 5 septembre 2018 dans le New York Times et intitulée « I Am Part of the Resistance Inside the Trump Administration [Je fais partie de la résistance au sein de l’Administration Trump] » ; mais on peut également évoquer la politique vis-à-vis de la Russie dans laquelle les professions de foi sur le respect et l’admiration que porte le président à Vladimir Poutine, sa volonté affichée de réintégrer la Russie dans un G7 redevenu G8, ou encore ses dénégations répétées sur l’interférence russe dans l’élection de 2016 sont à l’opposé d’une politique de sanctions économiques et d’isolement de la Russie que la plupart des experts trouvent plus efficace et dure que celle de son prédécesseur. 

Il faut enfin mentionner un changement dans le prisme de la prise de décision : en matière de politique étrangère, aucun acte majeur de l’administration Trump ne peut véritablement être compris sans que l’on en analyse les conséquences en matière électorale. Quand bien même les préoccupations électorales ont pu, à certains moments précis de l’histoire de la diplomatie américaine, figurer parmi les critères de décision, il est difficile de trouver une présidence qui utilisa aussi systématiquement ce facteur. On pense évidemment ici à la politique vis-à-vis de l’État d’Israël, à la fois dans le calendrier et le contenu des annonces présidentielles. Il en va de même de la relation avec le Mexique, qu’il s’agisse de l’immigration ou de la renégociation de l’ALENA, un sujet qui a d’importantes ramifications électorales domestiques. 

Des changements radicaux annoncés et attendus…

D’une certaine manière, ces éléments correspondent parfaitement aux souhaits du candidat Donald Trump de mener une politique étrangère d’abord « imprévisible » – dans laquelle les alliés des États-Unis ne tiendraient pas pour acquis les avantages et la protection de la « nation indispensable » et leurs ennemis seraient incapables de prévoir ou d’anticiper l’action du géant américain – et ensuite libérée des contraintes conventionnelles, notamment dans le recours à la force, y compris nucléaire. Au-delà, plusieurs éléments importants sont à prendre en compte dans l’évaluation de l’action extérieure des États-Unis depuis janvier 2017.

D’abord, comme le rappelait pendant la campagne électorale Daniel Drezner, qui est professeur à Tufts, Donald Trump a soulevé en 2016 et continue depuis à soulever un certain nombre de questions qui méritent l’attention des Américains ainsi que de la communauté internationale. Certes, il n’est pas le messager idéal au vu de son manque total d’expérience en matière internationale lorsqu’il entre dans le bureau Ovale, mais cela ne rend pas pour autant caduque, déplacée ou non pertinente l’exigence d’une réévaluation des missions de l’OTAN au moment où l’Organisation célèbre ses 70 ans, la demande de renégociation de l’ALENA, un traité de libre-échange lancé dans un contexte de globalisation économique qui ressemblait peu à celui d’aujourd’hui, ou encore le fonctionnement des organisations internationales telles l’ONU. De même, la critique grossière, diffamatoire ou tout simplement vengeresse de l’action de Barack Obama ne doit pas occulter la nécessité de tirer un bilan réaliste de la politique extérieure du 44e président des États-Unis, sur la Russie ou le Moyen-Orient en particulier.

Par-delà l’écume des tweets et la vulgarité assumée, il faut savoir prendre Donald Trump au sérieux.

D’autre part, une politique extérieure, tout comme une politique intérieure, se juge par rapport à des attentes qui ont été créées par le candidat lors de la campagne ou par la presse dans sa couverture. Or, là encore, en raison de la personnalité et du parcours de Donald Trump avant son accession à la Maison-Blanche, mais aussi de ses déclarations péremptoires sur la volonté de rupture, ces attentes étaient soit catastrophistes, soit brutalement simplistes. Cela explique deux types de discours dans l’évaluation de la réalité de la politique étrangère des États-Unis depuis janvier 2017 : une forme de soulagement (c’est « moins pire » que ce l’on pouvait craindre) qui repose sur le fait que les États-Unis n’aient pas provoqué de conflit majeur ou ne se soient pas engagés de manière irrémédiable ou irréparable dans des politiques d’alliance ou de résolution des conflits qui bouleversent en profondeur les paradigmes géopolitiques ; mais aussi la découverte presque étonnée de nombre de facteurs de continuité, comme si la rupture n’était pas aussi forte qu’anticipé ou redouté.

… à la confrontation au réel

Cela mène à un autre discours analytique intéressant sur le décalage entre le potentiel et le réel. En effet une fois admis ou reconnu que certaines des intuitions ou ambitions de Donald Trump en matière extérieure étaient légitimes et potentiellement transformatrices, les observateurs soulignent le décalage important entre les intentions et la réalisation. Stephen Walt par exemple, dans un article au titre noir, « La tragédie de la politique étrangère de Donald Trump » (2), reconnaît comme légitimes la dénonciation par le candidat républicain des politiques de « nation building » en Afghanistan ou en Irak, la critique d’une globalisation économique qui ne profite pas aux classes moyennes et moyennes inférieures américaines, le recentrage stratégique sur la menace chinoise, ou encore le caractère contre-productif de la diabolisation de la Russie qui ne servirait qu’à rapprocher Moscou de Pékin. Sur la Chine, il s’accorde pleinement avec John Hannah qui affirme : « Le succès de l’Administration à faire éclater le consensus de “l’acteur responsable” (responsible stakeholder) qui a dominé la politique américaine sur la Chine pendant des décennies pour le remplacer par le nouveau paradigme de “concurrence stratégique” est un glissement conceptuel extraordinairement important dans la pensée stratégique américaine qui aura très probablement de profondes ramifications politiques, économiques et sécuritaires pour les États-Unis et le monde. » (3) Mais, comme de nombreux autres observateurs, il souligne l’écart important entre les principes et l’exécution/implémentation de cette politique.

Il est vrai qu’au bout de deux ans de mandat, Donald Trump a déjà « consommé » – « consumé » serait peut-être aussi exact – trois conseillers à la Sécurité nationale, deux secrétaires d’État, deux secrétaires d’État à la Défense et deux représentants permanents aux Nations Unies (4). Par ailleurs, et c’est particulièrement visible au département d’État, l’administration Trump a éprouvé d’énormes difficultés à pourvoir un certain nombre de postes importants ; dans un éditorial du 30 octobre 2018, le site Bloomberg rappelait qu’au 30 octobre 2018, soit 21 mois après la prise de fonctions de Donald Trump, les États-Unis n’avaient pas d’ambassadeur dans des pays tels que la Turquie, l’Arabie saoudite, la Jordanie, le Mexique, la Thaïlande, Singapour, l’Australie ou l’Afrique du Sud ; que sur 702 postes qui exigent « l’avis et consentement » du Sénat, 380 seulement étaient pourvus et 135 n’avaient fait l’objet d’aucune nomination ; et que seuls 18 des 28 postes de secrétaire d’État adjoint (Assistant Secretary) étaient pourvus, dont aucun par des diplomates de carrière, alors qu’ils représentaient 40 % de ces postes dans les administrations précédentes (5). En tout état de cause, il est difficile, en l’absence des éléments traditionnels de bon fonctionnement d’une administration telle que le département d’État (équipes en place, expertise disponible, coordination entre la Maison-Blanche et le département d’État ou celui de la Défense) d’exécuter, surtout lorsque les critères de recrutement privilégient la loyauté à la personne du Président par rapport à la compétence dans le domaine. 

Enfin l’administration Trump a eu « la chance », lors de ses deux premières années de fonctionnement, de ne devoir faire face à aucune crise internationale majeure qui aurait pu effectivement tester ses capacités à agir rapidement, mais aussi à faire fonctionner ses réseaux d’alliance. Donald Trump n’a pas eu de crise des missiles de Cuba, de choc pétrolier, de prise en otage des personnels de l’ambassade des États-Unis à Téhéran, de guerre des Balkans ou bien sûr de 11-Septembre à affronter. Sa politique étrangère doit donc être lue et interprétée comme celle d’un président qui peut anticiper car il maîtrise les termes du débat et contrôle le calendrier. Elle reste à évaluer lorsqu’il s’agira de réagir plutôt que d’agir et d’improviser plutôt que de planifier. Pour autant, on dispose de certains éléments indicatifs : malgré une rhétorique souvent guerrière ou martiale, le président Trump n’a jusqu’alors jamais eu recours à la force militaire, mise à part une intervention d’envergure très limitée en Syrie en avril 2018. Quand bien même il a rompu un certain nombre de traités ou s’est départi de positions traditionnelles des États-Unis, notamment sur Israël avec le transfert de l’ambassade mais aussi la reconnaissance de la souveraineté de l’État hébreu sur le Golan, aucune décision dans les derniers 25 mois ne représente une rupture de paradigme. 

Une certaine continuité des paradigmes… la constance en moins

Au total donc, les éléments de continuité l’emportent sur la rupture promise dans le bruit et la fureur des tweets présidentiels. En avril 2019, le dossier coréen est au point mort, Kim Jong-un ayant annoncé qu’il attendait, après l’échec du sommet de février 2019, un « changement fondamental » dans la position américaine d’ici la fin de l’année. Entre-temps, il peut poursuivre le renforcement de son arsenal nucléaire ; Pyongyang s’est même livré le 17 avril à un nouvel essai de missile guidé qui, s’il ne viole pas directement le moratorium, reste une forme très directe de provocation vis-à-vis des États-Unis. 

Sur le Vénézuéla, bien qu’une intervention militaire ait été évoquée mais vite rejetée, la situation est surtout marquée par la difficulté des États-Unis à travailler en accord avec les autres États de la région, Brésil mis à part, et donc à jouer un rôle d’arbitre et non de fomenteur d’un coup d’État contre Nicolas Maduro. La position des États-Unis est d’autant plus complexe qu’il est difficile de justifier une défense intransigeante des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans ce pays alors qu’il ne s’agit pas d’une priorité dans d’autres parties du monde, en Arabie saoudite par exemple. 

Enfin, au Moyen-Orient, l’arrimage indéfectible de la politique des États-Unis à celles de l’Arabie saoudite et d’Israël prive Donald Trump de la capacité de jouer un rôle de médiateur dans la région, a fortiori alors que le fameux plan Kushner sur la question palestinienne tarde à se matérialiser, mais aussi au moment où le Congrès montre d’importants signes de nervosité et de doute sur la poursuite de la guerre au Yémen comme sur l’affaire Kashoggi. S’en trouve renforcée l’image d’un président isolé, y compris des représentants de son propre parti au Congrès.

De la même manière, le retrait unilatéral de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, en dehors du fait qu’il pose un problème de cohérence avec les négociations en cours sur le dossier coréen, empêche un renforcement des exigences vis-à-vis de la République islamique en coopération avec les Européens. Il creuse simplement le fossé avec l’Europe, en ouvrant accessoirement un autre front de conflit sur la question de l’extraterritorialité des sanctions économiques des États-Unis en tant qu’elles s’appliquent aux entreprises européennes.

C’est donc finalement sur la Russie et la Chine que la politique étrangère des États-Unis est la plus consistante et la mieux définie avec cependant deux points d’interrogation majeurs : dans une politique étrangère bipolaire, laquelle des deux personnalités du président Trump prendra le dessus ? L’homme d’affaires qui se contentera d’un accord commercial ou l’homme d’État ? Au-delà, le constat que fait Elliot Cohen s’impose : « De manière frappante, l’administration Trump a profondément érodé la constance des États-Unis qui a été indispensable à l’ordre libéral de l’après-guerre. » (6) C’est bien d’un retrait, d’une perte d’influence qu’il faut parler, non d’une révolution. Donald Trump sera-t-il le grand architecte d’une nation redevenue ordinaire dans l’ordre mondial ?

Notes

(1) Thomas Friedman, « The Trump Doctrine », The New York Times, 17 octobre 2017.

(2) Stephen M. Walt, « The Tragedy of Trump’s Foreign Policy », Foreign Policy, 5 mars 2019.

(3) John Hannah, « Trump’s Foreign Policy is a Work in Progress », Foreign Policy, 14 février 2019.

(4) Depuis le 1er janvier 2019, à la suite des démissions de Jim Mattis et de Niki Halley, les États-Unis n’ont plus de secrétaire d’État à la Défense ou de représentant permanent aux Nations Unies confirmé par le Sénat. 

(5) Editorial, « An Unmanned State Department Can’t Solve Crises », Bloomberg​.com, 30 octobre 2018.

(6) Eliot A. Cohen, « America’s Long Goodbye », Foreign Affairs, 11 décembre 2018.

Légende de la photo en première page : Donald Trump, assis à son bureau, rencontre le vice-Premier ministre chinois Liu He (au premier plan à gauche), le 4 avril 2019, dans le bureau Ovale de la Maison-Blanche, au sujet des négociations commerciales Chine-États-Unis. Après être sorti unilatéralement des négociations du Partenariat Trans-Pacifique en 2017 et s’être lancé dans une guerre des tarifs douaniers avec la Chine, Washington peine à finaliser l’accord bilatéral qui permettrait d’imposer les changements qu’il souhaite pour rééquilibrer la relation commerciale entre les deux puissances, et ce malgré les tweets du président américain annonçant que le prochain accord pourrait être « le plus gros jamais conclu ». (© Shealah Craighead/White House)

Article paru dans la revue Diplomatie n°98, « Monarchies d’Europe : Forces ou faiblesses des démocraties ? », mai-juin 2019.

Vincent Michelot (dir.), « Trump, la gouvernance du chaos ? », Politique américaine, no 31, L’Harmattan, 2018.

« Géopolitique des États-Unis, renouveau ou fin de l’hégémonie ? », Les Grands Dossiers de Diplomatie, n° 50, avril-mai 2019.

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