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Le 1er BCP : creuset du combat interarmes

La remontée en puissance de l’armée de Terre, décidée par le président de la République en 2015, a profondément modifié l’organisation des forces armées françaises qui gèrent aujourd’hui en parallèle une augmentation de leurs effectifs et une modernisation radicale de leurs équipements et de leurs doctrines. Fer de lance de l’entraînement générique au combat de haute intensité, et fortement impliqué dans la mise en œuvre de SCORPION, le CENTAC (Centre d’Entraînement au Combat)-1er Bataillon de Chasseurs à Pied (BCP) nous a ouvert ses portes et nous permet de découvrir le rôle essentiel de cette unité dans le maintien et le renforcement du niveau opérationnel de l’armée de Terre.

En juillet de l’année dernière, le général Bosser, Chef d’État-Major de l’Armée de Terre (CEMAT), décrivait sa vision du combattant numérique de demain. « Pour dominer nos adversaires, il ne nous suffit pas d’être en nombre suffisant, bien entraînés et bien commandés. Il ne nous suffit pas non plus d’être dotés des équipements les plus modernes », déclarait-il. « Pour gagner, il nous faut un supplément d’âme, ce que j’appelle l’esprit guerrier. (1) » Situé entre l’Aube et la Marne, sur plus de 12 600 hectares de bois et de terrain découvert, le camp de Mailly héberge à la fois le CENTAC et le 5e Régiment de Dragons (RD). Ces deux unités, intimement liées, symbolisent à la perfection cette vision de l’armée de Terre du futur, formée au combat interarmes, située à la pointe de la technologie, mettant en avant la grande qualité de sa chaîne de commandement, mais possédant aussi l’intelligence de situation et la pugnacité indispensables pour garantir la victoire sur le théâtre des opérations. Elles sont également représentatives des défis du nouveau format « Au Contact » de l’armée de Terre, le 5e RD venant à peine d’atteindre son plein effectif, tandis que le CENTAC achève sa plus importante réorganisation.

Origine et histoire du CENTAC

Avec les retours d’expériences de la guerre du Golfe, les forces françaises identifient un besoin en matière d’entraînement opérationnel réaliste. Un Centre d’Expérimentation (CENTEX) est donc créé à Mailly-le-Camp en 1993 afin d’étudier la possibilité de mettre en place une structure d’entraînement destinée aux sous-­groupements des unités d’infanterie et de blindés. En 1996, le Centre devient opérationnel et prend la désignation de CENTAC, dont la mission reste focalisée sur l’entraînement réaliste des Sous-Groupements Tactiques Interarmes (SGTIA) et de leurs capitaines. Jusqu’en 2004, à chaque rotation d’entraînement, le CENTAC est ainsi en mesure de prendre en charge trois SGTIA, unités invitées et forces d’opposition confondues. Aujourd’hui, la modernisation des moyens de simulation et de restitution permet d’accueillir cinq SGTIA en parallèle, dont trois en entraînement et deux unités d’opposition.

Avant 2016, le CENTAC était le garant des traditions du 5e RD et maintenait ses propres unités de Forces Adverses, ou FORAD. Deux SGTIA du CENTAC étaient ainsi intégralement affectés à la force d’opposition. Depuis lors, la réorganisation « Au Contact » a permis la recréation d’un véritable régiment interarmes à Mailly-le-Camp, le 5e RD. Celui-ci prend alors son indépendance du CENTAC, qui lui cède ses deux FORAD et récupère alors les traditions du 1er BCP, une unité historique de la région. Sur une période d’environ deux ans, au fil des rotations, la totalité des régiments de mêlée de l’armée de Terre, infanterie et cavalerie, avec leurs éléments de soutien, passe donc entre les mains des experts du CENTAC‑1er RCP.

Entraîner les commandants de SGTIA aux réalités du combat symétrique

Depuis son origine, le CENTAC a pour mission principale l’entraînement des SGTIA et de leurs capitaines. Il intervient donc au cœur du cycle d’entraînement de l’armée de Terre, en amont des entraînements spécifiques avant déploiements extérieurs, qui sont réalisés à Canjuers. Le but du CENTAC n’est donc pas de créer un environnement de simulation adapté à une menace ou à une OPEX précise. Il s’agit au contraire de fournir des exercices génériques dans un cadre interarmes, face à une force d’opposition moderne et combative. Si les planificateurs du CENTAC peuvent adapter les scénarios d’exercices aux besoins de chaque régiment, les rotations à Mailly reposent toujours sur un combat symétrique de très haute intensité. Pour chaque militaire déployé sur le terrain, l’entraînement réaliste est à la fois rude et formateur.

Mais ce sont surtout les capitaines commandant les SGTIA qui sont au centre du dispositif du CENTAC.

Une vingtaine de rotations ont donc lieu chaque année au CENTAC, chacune se déroulant sur deux semaines et pouvant inclure jusqu’à trois SGTIA. Dans un premier temps, les troupes invitées à Mailly préparent leur prochaine mission et s’équipent de leur matériel d’entraînement. Les commandants d’unité, accompagnés de leurs chefs de section et d’unités d’appui, intègrent alors une phase de simulation sur le système OPOSIA (2) de Thales, mis en œuvre au CENTAC depuis 2013. Trois salles OPOSIA permettent de mettre en réseau jusqu’à trois capitaines et leurs subordonnés. Face à des logiciels de simulation tactique qui reproduisent fidèlement la zone d’entraînement, les commandants d’unité, de section et de peloton, qui se rencontrent parfois pour la première fois dans ce cadre interarmes, apprennent à se connaître et à travailler de concert, en mettant notamment en place la discipline du réseau radio.

Une fois cette phase de simulation virtuelle terminée, les capitaines rejoignent leurs compagnies et escadrons respectifs en deuxième semaine. Du dimanche soir au jeudi en fin de journée, ils occupent alors la zone d’exercice pour quatre jours d’exercices de combat continus seulement entrecoupés, pour les commandants des SGTIA, par de courts mais exigeants débriefings le lundi et mardi soir. Ces 3A (Analyse Après Action) représentent une étape cruciale pour les capitaines qui voient leurs actions et leurs décisions de la journée écoulée décortiquées à la fois par les arbitres du CENTAC, mais également par la FORAD qu’ils affrontent sur le terrain. De tels retours d’informations, toujours constructifs et pédagogiques, permettent aux commandants des SGTIA d’améliorer progressivement leurs performances, mais aussi de prendre conscience de leurs propres limites au fur et à mesure de l’avancée de l’exercice. Tout autant que les aptitudes tactiques des capitaines, c’est leur capacité à gérer les impondérables, à affronter la friction du champ de bataille, à déléguer leur autorité, à supporter le stress du combat et à gérer leur sommeil qui sont surveillées et analysées en permanence. Si le CENTAC a pour rôle d’évaluer les unités et leurs officiers, il doit aussi accompagner, guider et conseiller les SGTIA afin de leur permettre de progresser tout au long de leur rotation.

CENTAURE et OAC : une simulation sur mesure au plus près des troupes

Pour mener à bien cette mission principale, le CENTAC dispose de moyens matériels et humains spécifiquement développés pour renforcer le réalisme et reproduire l’intensité des combats symétriques. Le système de simulation et de restitution en direct des exercices, le CENTAURE (Centre d’entraînement au combat et de restitution des engagements) de Thales, permet un suivi détaillé des principaux déplacements, des différents engagements et même de chaque tir qui se produit sur les 120 km2 de la zone d’entraînement, nuit et jour. En temps réel, CENTAURE permet aussi de suivre la position GPS de 475 acteurs déployés sur le terrain, dont 192 véhicules. Un déploiement de trois SGTIA, plus la FORAD, pouvant entraîner la présence de 1 000 à 1 200 acteurs sur la zone, ce sont en priorité les chefs de section, de groupe et de patrouille qui sont équipés des systèmes de localisation.

En revanche, chaque élément individuel déployé sur le terrain, y compris au sein de la FORAD, est doté d’équipements STC (Simulateur de Tir de Combat), composés d’émetteurs lasers sur les armes et de récepteurs répartis sur les tenues des combattants et sur la cellule des véhicules. La trajectoire des munitions, leurs effets cinétiques et explosifs ainsi que la gestion de leur réapprovisionnement sont pris en compte pour chaque calibre, du FAMAS au canon de 120 mm du Leclerc en passant par la mitrailleuse lourde ou le canon de 25 mm du VBCI. Le système de simulation est alors assez précis pour distinguer un tir mortel d’une simple blessure, ou pour prendre en compte les zones de vulnérabilité des véhicules qui peuvent être endommagés, mis hors de combat ou détruits en fonction du feu adverse. Enfin, le Système de Neutralisation des Fantassins (SNF) installé sur les blindés prend en compte les pertes à l’intérieur et à proximité d’un véhicule détruit par le feu ennemi ou l’explosion de mines, également simulées durant l’exercice. Pour plus de réalisme, les armes légères tirent à blanc, ce qui permet de prendre en compte l’effet du bruit, du recul, mais aussi d’un éventuel mauvais entretien de l’arme au combat.

Les tirs d’artillerie, s’ils sont uniquement simulés par le Centre des Opérations (CO), sont tout de même représentés par les systèmes pyrotechniques des trois véhicules Restituteurs d’Effets de Tirs d’Artillerie (RETA) du CENTAC, de jour comme de nuit. À noter qu’à chaque rotation au moins un tir d’artillerie adverse simule une attaque chimique ou biologique, imposant de revêtir rapidement les tenues NRBC qui gênent incontestablement les déplacements, les communications par radio et la poursuite du tempo opérationnel. Et pour encore plus de réalisme, chaque rotation intègre également des éléments de l’ALAT déployés pour l’occasion à Mailly. Les hélicoptères de manœuvre ou de combat réalisent alors des missions de renseignement et d’appui-­feu, mais aussi des posers de déception destinés à détourner l’attention de l’adversaire. Depuis un an, le CENTAC met aussi en œuvre de petits drones commerciaux, qui représentent fidèlement une menace bien réelle rencontrée sur l’ensemble des théâtres d’opérations actuels. Même si leur utilisation reste soumise aux règles de la DGAC pour faciliter la déconfliction de l’espace aérien, ils peuvent parfaitement simuler une attaque au drone piégé, renseigner sur les déplacements adverses, mais aussi enregistrer des images utiles pour les OAC, les Observateurs Arbitres Conseillers.

Ces OAC représentent l’essentiel des moyens humains déployés pour suivre, évaluer et encadrer les SGTIA venus s’exercer au CENTAC. Une cinquantaine d’OAC, généralement d’anciens chefs de section expérimentés, peuvent ainsi être répartis entre les SGTIA et la FORAD. Leur mission, comme leur nom l’indique, est de conseiller en matière de doctrine aussi bien les chefs de section, leurs adjoints et les chefs de groupe que les militaires du rang, et ce afin qu’ils améliorent progressivement leurs techniques durant les quatre jours de déploiements. En tant qu’arbitres, ils jouent également un rôle essentiel de maîtres du jeu, afin de maintenir pendant 96 heures les meilleures conditions pédagogiques pour les sous-groupements en entraînement. Les OAC bleus et les OAC FORAD restent ainsi en contact constant afin de réorienter les paramètres de la force d’opposition, de réactiver des unités mises hors de combat, et globalement de contrôler les effets mis en place sur les personnels en entraînement. Ils sont également présents pour appliquer certaines sanctions qui ne sont pas intégrées à CENTAURE, notamment les tirs depuis et vers les hélicoptères, ces derniers ne pouvant matériellement pas recevoir les capteurs et émetteurs STC.

Enfin, les observations menées tout au long de la rotation servent à l’analyse permanente de la manœuvre inter-armes, mais aussi de supports pédagogiques lors des 3A quotidiennes et de la phase d’exploitation qui suit l’exercice. La capacité d’observation de la manœuvre est essentielle pour procéder à l’analyse complète de l’entraînement et à la restitution de l’évaluation auprès des brigades et régiments invités. Ainsi, les OAC ne sont pas les seuls observateurs déployés durant les rotations. Des équipes professionnelles de l’audiovisuel, dotées des mêmes tablettes Getac que les OAC, anticipent les mouvements des deux forces en présence et se tiennent prêtes à documenter les engagements au plus près de l’action. Enfin, chaque commandant de SGTIA à l’entraînement est suivi en permanence par un capitaine OAC, deux autres se relayant au CO pour suivre à distance tous ses déplacements et ses communications.

L’avenir du CENTAC : préparer l’armée de Terre aux défis de demain

En interne, le futur du CENTAC est intimement lié à une modernisation en profondeur de ses systèmes d’entraînement et de restitution. Pour la phase de préparation amont des rotations, OPOSIA devrait être remplacé par le système SPARTE (Simulation Partagée et des Applications Réutilisables pour la Tactique et l’Entraînement) de Diginext, qui fera la part belle aux intelligences artificielles pour augmenter le réalisme des simulations virtuelles. CENTAURE, bien qu’assez récent, va également être remplacé à partir de l’année prochaine par le système CERBERE (Centres d’Entraînement Représentatifs des Espaces de Bataille et de Restitution des Engagements) de Thales et RUAG. En cours d’installation au CENZUB (3), qui ne possédait pas de CENTAURE, CERBERE reprend le même concept, mais est doté d’une architecture plus évolutive et d’une meilleure intégration entre la simulation informatique et la simulation instrumentée. CERBERE prend notamment en compte les fonctions avancées des nouveaux postes radio CONTACT et du système d’information SICS, la capacité de travail en réseau des véhicules SCORPION ou encore la gestion du tir de missiles MMP depuis des véhicules. Mais CERBERE va aussi et surtout faciliter le travail des OAC en offrant une simulation plus réaliste, complète et réactive ainsi qu’une géolocalisation de l’ensemble des acteurs. De quoi réduire la charge de travail consacrée à l’arbitrage et optimiser la mission de conseil.

En externe, c’est donc fort logiquement la transition du 5e RD vers les équipements SCORPION qui permettra au CENTAC de fournir une FORAD parfaitement adaptée aux nouveaux enjeux de formation, non seulement pour l’armée de Terre, mais également pour la Composante Terre belge qui a choisi SCORPION pour sa modernisation à l’horizon 2025. Le 5e RD a déjà reçu le nouveau fusil d’assaut HK416F et devrait rapidement percevoir ses premiers véhicules Griffon. Néanmoins, les défis du CENTAC ne portent pas que sur les rotations des SGTIA, le camp de Mailly lui offrant de nombreuses missions secondaires. Il y a quelques mois, le CENTAC a ainsi accueilli une première rotation de GTIA, permettant de valider la possibilité d’entraîner et de contrôler l’échelon du colonel. Depuis 2017, le Centre met également en place des rotations réservées aux capitaines de l’ALAT, assimilée arme de mêlée dans le cadre de la préparation opérationnelle interarmes. Il sert aussi à l’entraînement des JTAC et des avions d’arme de l’armée de l’Air et de la Marine, le plus souvent en dehors des rotations régulières. L’amélioration de l’intégration des composants 3D fait d’ailleurs partie des objectifs à court et moyen termes du CENTAC, qui doit faire face à des contraintes physiques non modifiables, notamment en termes de volume de l’espace aérien.

Et à l’heure où SCORPION promet des capacités de coordination à longue distance et une réactivité dans les combats totalement inédites, il sera intéressant de voir comment le CENTAC, et notamment ses OAC, va s’adapter à cette augmentation de tempo et à l’élongation des engagements sur une zone d’entraînement de 10 km sur 12, aux limites physiques difficilement extensibles.

Notes

(1) Terre Information Magazine, no 296, juillet-août 2018.

(2) OPOSIA : Outil de Préparation Opérationnelle des Sous-groupements InterArmes.

(3) Centre d’entraînement aux actions en zones urbaines (CENZUB-14e RI) dans le camp de Sissonne, dans l’Aisne.

Entretien avec le lieutenant-colonel Pierre-Alain, chef de corps du CENTAC

Dans le cadre de la remontée en puissance de l’armée de Terre, le CENTAC a connu ces dernières années une réorganisation majeure. Quel est l’impact de cette restructuration sur la préparation opérationnelle des forces ? A‑t‑elle modifié votre efficacité, votre organisation et vos méthodes de travail ?
La restructuration du CENTAC en 2016 a eu pour conséquence, ici à Mailly-le-Camp, la recréation du 5e Régiment de Dragons (RD), dont les traditions étaient jusqu’alors gardées par le CENTAC. Pour servir de base à ce nouveau régiment, il a donc fallu prélever sur le CENTAC les traditions du 5e RD, mais aussi et surtout ses deux compagnies FORAD (Forces Adverses) autour desquelles la nouvelle unité s’est formée. Le CENTAC perdait alors sa force d’opposition organique.

Pour conserver le système de force d’opposition, qui est une richesse majeure du Centre, la mission a été confiée au nouveau 5e RD qui a la particularité d’être un régiment interarmes, une configuration rencontrée en OPEX, mais unique sur le territoire métropolitain. Ce régiment a donc aujourd’hui trois missions principales. D’une part, en tant qu’élément de la 7e brigade blindée, il contribue comme tous les autres régiments de l’armée de Terre aux OPEX et à l’opération « Sentinelle ». D’autre part, il accomplit une tâche essentielle au profit du CENTAC : il lui fournit systématiquement une force adverse, mise sous le commandement du CENTAC-1er BCP pour la durée de l’exercice. Il y joue alors une force d’opposition générique aux moyens modernes permettant d’offrir un entraînement au combat symétrique de haute intensité. Enfin, il participe à toute l’expertise du système SCORPION, en collaboration avec le CENTAC qui fournit un terrain d’expérimentation adéquat durant des phases d’expérimentation destinées à la montée en puissance de ce programme majeur.

Au sein du CENTAC, nous sommes donc passés en peu de temps d’une FORAD professionnelle et organique, uniquement affectée à cette tâche, à une force d’opposition issue d’une unité voisine polyvalente. Heureusement, si cela a bien nécessité quelques adaptations au nouvel état d’esprit de cette FORAD, l’efficacité de notre entraînement est restée intacte. Notre collaboration avec le 5e RD permet en revanche à ce dernier de maintenir à tout moment un niveau de préparation opérationnelle tout simplement exceptionnel et particulièrement apprécié en déploiement.

En tant que chef de corps, quelles ont été les principales difficultés rencontrées ici, au CENTAC ? Et quelles sont les réussites dont vous êtes le plus fier ?

Quand j’ai pris mon commandement en 2017, cela ne faisait qu’un an que le 1er BCP avait son format actuel, et il restait donc encore beaucoup de choses à faire en matière d’effectifs afin de retrouver une bonne configuration opérationnelle. La plupart des difficultés récentes du CENTAC ne diffèrent pas vraiment des défis rencontrés par les autres chefs de corps de l’armée de Terre ces dernières années. Il s’agit surtout de gérer les ressources humaines dans une armée en pleine remontée en puissance, tout en remplissant nos obligations vis-à‑vis de « Sentinelle ». Et si le recrutement est essentiel, il ne faut pas non plus négliger la formation, l’entraînement, l’équipement et la fidélisation du personnel, notamment à travers des opportunités de carrière enrichissantes.

Toutefois, nous avons désormais retrouvé une séquence d’entraînement normale. Depuis 2017, nous avons repris notre rythme de croisière et l’ensemble des brigades de l’armée de Terre sont ainsi passées en rotation au CENTAC selon le calendrier prévu. Nous avons d’ailleurs récemment accueilli la 6e Brigade Légère Blindée (BLB) qui avait été la première à revenir à Mailly en 2017 après notre restructuration.

Au CENTAC, notre principal succès repose finalement sur notre capacité d’adaptation constante au combat symétrique contemporain. Loin des vieux schémas de la guerre froide, nous faisons évoluer nos scénarios pour prendre en compte les nouveaux modes d’action observés dans les conflits modernes, que ce soit en Ukraine, au Levant ou dans la péninsule Arabique. Nous avons ainsi été la première unité d’entraînement équipée de drones légers représentatifs de ce qui se rencontre désormais sur les théâtres d’opérations.

Enfin, nous sommes particulièrement fiers de contribuer directement à élever le niveau de préparation de nos forces. Notre mission au CENTAC consiste à accueillir des SGTIA et donc, essentiellement, à entraîner des capitaines. Mais nous évoluons progressivement afin de proposer un entraînement au niveau supérieur, celui du régiment. Un premier exercice au niveau régimentaire a ainsi été réalisé au mois de mars de cette année avec la 6e BLB. Si elles n’ont pas vocation à se généraliser, des rotations de ce type pourraient avoir lieu ponctuellement. Elles permettraient alors un entraînement réaliste à l’échelon du GTIA, dont les colonels se contentent habituellement de simulations qui ne permettent pas de retranscrire la friction du champ de bataille aussi bien qu’un déploiement au CENTAC.

À Mailly-le-Camp, le 5e RD est à l’avant-garde des programmes de rééquipement de l’armée de Terre, et le CENTAC se prépare aux prochains défis de la numérisation du champ de bataille. Comment voyez-vous l’évolution du CENTAC à l’avenir ?

En interne, nous allons très bientôt basculer vers un nouveau système de simulation et de suivi d’exercices CERBERE, qui devrait remplacer le CENTAURE actuel entre 2020 et 2022. Il s’agit d’une évolution majeure pour nous, qui va moderniser en profondeur nos équipements de gestion et de restitution des entraînements, tout en ouvrant la voie à une intégration complète de SCORPION. Il sera notamment possible d’en exploiter pleinement les nouvelles capacités de communication, d’intégrer des éléments de simulation virtuelle au sein d’exercices réels pour offrir toujours plus de réalisme, mais aussi de prendre en compte les tirs de missiles depuis les véhicules et de mieux intégrer les aéronefs.

En externe, le CENTAC est également concerné par le programme SCORPION, notre expertise permettant de fournir un terrain d’expérimentation idéal pour la mise en place des procédures et tactiques d’emploi, et pour la définition de la nouvelle doctrine. Par la suite, nous devrions accompagner la réception, les essais et la validation des nouveaux équipements et véhicules au fur et à mesure de leur intégration dans les unités combattantes, notamment le 5e RD. Dès l’année prochaine, les nouveautés de SCORPION devront être intégrées dans les exercices du CENTAC pour que nos invités tirent réellement profit de ce saut qualitatif inédit. Ce qui nous impose, bien évidemment, de connaître et de maîtriser en interne l’ensemble de SCORPION.

Dans les années à venir, le programme CaMo belge, calqué sur SCORPION, laisse entrevoir une intégration plus poussée entre l’armée de Terre et la Composante Terre belge. Dans un tel cadre, est-ce que les rôles et missions du CENTAC sont amenés à s’internationaliser, notamment vers la Belgique et nos alliés les plus proches, en Europe et ailleurs ?

Aujourd’hui, le CENTAC revêt déjà une dimension internationale, la brigade franco-allemande étant intégrée à nos rotations notamment. Occasionnellement, d’autres troupes étrangères viennent à Mailly, la présence d’observateurs alliés étant par exemple assez courante. Des troupes amies peuvent également être déployées dans le cadre d’exercices conjoints, leurs sections combattantes étant généralement intégrées au sein d’un SGTIA français. Nous avons ainsi accueilli une section indienne du 8th Gurkha Rifles qui a opéré conjointement au 2e RIMa lors d’une rotation pendant l’exercice « Shakti 2018 ».

Le cas de la Belgique est un peu particulier. Des unités de la Composante Terre sont ainsi déjà venues en rotation au CENTAC, et leur présence à l’avenir devrait logiquement s’intensifier avec le programme CaMo. Pour l’instant, nous n’avons pas connaissance de la forme exacte de cette coopération binationale, même si le CENTAC en fera sans aucun doute partie puisque le volet entraînement est clairement spécifié dans le programme de coopération franco-­belge. Accueillerons-nous en permanence un officier de liaison ? Les unités belges s’entraîneront-elles régulièrement avec des SGTIA français, ou disposeront-elles de leurs propres rotations ? Les possibilités sont encore nombreuses, et les réflexions sont en cours au plus haut niveau.

Ces dernières années, les conflits terrestres ont démontré un retour en force de deux menaces inédites depuis la fin de la guerre froide : le risque chimique et l’utilisation intensive des capacités de brouillage tactique. Dans le cadre de la préparation opérationnelle, comment le risque chimique est-il simulé au CENTAC ?

Alors que la simulation du risque NRBC est parfois tombée en désuétude dans les forces occidentales, le CENTAC n’a toutefois jamais abandonné cet aspect du combat symétrique que nous intégrons à nos scénarios depuis la création du centre. La question de la représentation du risque chimique est cependant typique des défis liés au format de nos simulations. Les rotations durant deux semaines, avec en point d’orgue un exercice continu de quatre jours, il ne nous est pas possible de simuler certaines menaces chimiques ou biologiques qui peuvent évoluer lentement sur une longue durée. De plus, nous devons veiller, sur ces quatre jours, à traiter l’ensemble des questions que le régiment ou la brigade testés souhaitent aborder. Nous ne pouvons ainsi pas prendre en compte les aspects de gestion de la population ou de risques industriels qui ne correspondent ni au timing de nos rotations, ni à notre vocation d’entraînement au combat symétrique.

Toutefois, nous avons conscience que la menace chimique est une réalité du combat tactique moderne, et nos exercices comprennent systématiquement au moins une séquence d’attaque chimique, typiquement des tirs d’artillerie, pouvant s’étaler sur quelques heures. Cela permet aux capitaines sur le terrain de se confronter à la friction et aux responsabilités supplémentaires liées au travail en ambiance chimique, avec tenues ANP et pressurisation des véhicules, sans que la question NRBC monopolise l’intégralité de l’exercice.

Même question concernant le risque de brouillage et la menace cyber sur le champ de bataille. Comment ces menaces sont-elles simulées au CENTAC ? Le retour à « l’esprit guerrier » appelé de ses vœux par le CEMAT implique-t‑il des entraînements en milieu numérique contesté et un certain retour au combat terrestre « low tech » ?

Le tempo de nos exercices et l’ambition première de nos rotations, à savoir l’entraînement des capitaines, impliquent une prise en compte de la menace cyber adaptée à l’échelon des SGTIA. Ainsi, la dimension stratégique des menaces cyber ne nous concerne pas à notre niveau de simulation. Pour nous, le risque cyber est essentiellement une continuation de la guerre électronique et des brouillages traditionnels, mais capable de s’attaquer plus globalement aux nouveaux équipements numériques du champ de bataille. Durant un exercice, nous pouvons simuler une capacité de brouillage générique en coupant concrètement l’ensemble des communications des SGTIA sur le terrain. Cela inclut bien évidemment les éléments de la NEB (Numérisation de l’Espace de Bataille), notamment les transferts de données, les systèmes d’infovalorisation, voire les moyens de positionnement. Pour quelques heures, les unités sur le terrain sont contraintes de retrouver des réflexes de communication directe, de traitement manuel des données, de guidage par gestes et tous ces savoir-­faire traditionnels que nous devons entretenir.

Concernant la notion d’esprit guerrier, il s’agit d’un point sur lequel nous insistons particulièrement au CENTAC. Ici, les unités s’entraînent directement sur le terrain, avec 96 heures continues de combats interarmes. Elles sont exposées à des conditions météorologiques parfois difficiles, au manque de sommeil, au stress et à tous les impondérables des vraies opérations militaires. En tant que contrôleurs, nous avons pour rôle d’évaluer l’endurance, l’allant, le dynamisme et la volonté d’action qui forment véritablement l’esprit combatif des unités que nous accueillons.

Propos recueillis par Yannick Smaldore, le 2 avril 2019.

Légende de la photo en première page : Un Observateur Arbitre Conseiller (OAC) surveille un exercice. La clé de toute simulation réside certes dans le réalisme, mais également dans l’évaluation continue des forces invitées. (© 1er BCP)

Article paru dans la revue DSI n°141, « Syrie-Irak : l’après-État islamique », mars-avril 2019.
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