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Le monde en 2050 : la fin de la géopolitique ?

Dans un monde inexorablement interconnecté et interdépendant, où la réalité stato-nationale, les relations interétatiques, et l’hégémonie sont de plus en plus déstabilisées, où les enjeux sociaux (sécuritaires, alimentaires, environnementaux…) surclassent les enjeux stratégiques, que pourrait être le « multilatéralisme d’après » ?

La science politique n’est certainement pas prédictive : elle peut au mieux dégager des scénarios aidant à penser l’avenir, à considérer des probabilités, à constater des tendances qui se dessinent, voire qui s’affirment. Au titre des premiers, on prétend souvent que l’Apocalypse reste une hypothèse recevable : gageons même que ses traits contemporains n’ont rien d’original si on les compare à ce qu’enseignaient jadis les Écritures. Les quatre cavaliers d’aujourd’hui n’ont rien inventé : le Blanc reste bien celui de la puissance, incarnée par un nombre sans cesse croissant de dictateurs et enrichie de ces tyrans privés qui règnent sur le marché mondial ; le Rouge exprime parfaitement la permanence du sang qui n’est démentie que par une myopie, habillée d’optimisme, proclamant à tout vent que la guerre est en recul alors qu’elle se diversifie dans une polymorphie qui la décentralise hors des champs de bataille classiques ; le Noir demeure à travers la permanence des manques, celle en particulier d’une insécurité alimentaire qui fait 6 à 9 millions de morts par an dans le monde ; le Blême, enfin, qui est celui de la dialectique de la peur et de la haine, s’actualise dans une stigmatisation sans fin de l’autre, le migrant, l’étranger, celui qui n’a ni la même peau, ni la même couleur, ni les mêmes « racines », religieuses ou culturelles…

La peur a souvent fait l’histoire, mais à contresens : on sait qu’elle n’est pas bonne conseillère, mais on constate aussi qu’elle domine l’entrée dans ce nouveau millénaire, jusqu’à devenir un paramètre majeur des relations internationales qui nous conduiront vers 2050. Le phénomène s’explique très bien : l’actuelle génération, parvenue à maturité, a vécu successivement dans deux mondes qui ne se ressemblent pas, le premier de nature internationale et frontalière, le second d’identité globale et interdépendante. Les normes et les valeurs, les pratiques diplomatiques et militaires, les formes de mobilisation ne peuvent pas en sortir inchangées, et souvent même se contredisent avec le temps nouveau. Il n’en faut pas plus pour susciter une forme de panique qui fabrique autant de boucs émissaires et d’appels au repli, aux murs, à l’enfermement et à ces nationalismes qui se nourrissent de « racines »… Cette réactivité qui domine notre moment permet de lire en contrepoint le sens des changements qui nous affectent, de comprendre ce qui ne sera plus en 2050, et d’imaginer les formes nouvelles qui viendront à éclore.

Ce que 2050 ne pourra plus être

Ceux de ma génération sont nés et ont grandi dans un monde westphalien qui n’est plus aujourd’hui, alors qu’il fut inventé dans la double illusion de l’éternité et de l’universalité. Ce modèle consacrait la juxtaposition totale d’unités territoriales souveraines, délimitées et concurrentes. Il était alors la réponse rationnelle à trois défis majeurs, mais conjoncturels : l’ascendant pesant du système impérial romain germanique, une théocratie pontificale envahissante, un désordre féodal qui étouffait les nouveaux circuits marchands. La mondialisation – que nul n’a décrétée et que personne ne peut abolir – a défini, dans les ultimes décennies du siècle dernier, de nouveaux paramètres fort éloignés de ceux de la fin du Moyen Âge européen. Issue d’une révolution scientifique qui a aboli la distance, elle donne naissance à un monde inclusif, interdépendant et mobile.

Pour cette raison, le modèle stato-national, sans bien entendu disparaître, n’aura plus jamais ce vieux monopole de l’international qu’il revendique depuis des siècles. Outre que les États ne cessent de se diversifier dans leur forme, que le Sud invente au gré du temps des formes de gouvernement qui s’éloignent de la grammaire usuelle du droit constitutionnel occidental, les « tyrannies privées » des firmes multinationales et celles, parfois plus anonymes, des entrepreneurs identitaires installent une sorte d’oligarchie informelle, où chacun des partenaires est assez fort pour entraver les autres, mais où aucun ne peut plus régner seul. Il en dérive une difficulté croissante pour réguler et réformer la vie internationale, mais aussi un conflit permanent de légitimités et d’allégeances.

Évidemment, le sacro-saint principe de territorialité s’en ressent fortement. Non seulement la frontière devient techniquement de plus en plus sujette à transgression, mais sa fonction évolue : les impeccables géométries nationales d’hier font place à des découpages incertains qui sont de surcroît interpellés un peu partout, comme en Catalogne, en Écosse ou au Québec, tandis que les lignes de démarcation de jadis deviennent des lignes de coopération, de transaction et même d’espoir pour ceux, migrants, réfugiés, exilés climatiques, auxquels elles apparaissent comme la limite de leurs angoisses ou le début de leurs espérances. Ce nouvel imaginaire de la frontière ne sera plus jamais démantelé et tend à devenir une nouvelle ligne d’horizon pour l’humanité mondialisée.

Le monde ne sera plus jamais monoculturel. Cette fiction structurante qui fit fortune au temps westphalien dépendait d’une technologie encore trop rudimentaire pour banaliser l’échange culturel et l’extension spatiale de chacune des cultures. Elle était inhérente à un temps où l’ordre international valait séparation absolue entre entités. Elle a plus ou moins survécu grâce à un jeu de domination et d’hégémonie qui ne peut plus se reproduire avec la même rigueur : aujourd’hui, elle se conjugue mal avec l’essor d’un jeu de miroir qui consacre la visibilité de tous par (presque) tous. La culture ne sert plus à gérer les séparations, mais à nourrir les rencontres et l’idée globale d’humanité, sauf bien entendu à en faire l’instrument forcé d’un néo-identitarisme : mais, là aussi, l’essor des techniques de communication a tranché, et la culture, même dans sa facture la plus traditionnelle, s’installe, dans la durée, hors du champ de la territorialité fermée.

Enfin, le monde n’est plus celui de la guerre de Clausewitz, de cet affrontement direct entre États puissants dans le but de « terrasser » l’autre, à la manière des gladiateurs de Hobbes. Les nouveaux conflits sont essentiellement d’extraction sociale, plus intraétatiques qu’interétatiques, mobilisant des milices plus que des armées, des seigneurs de guerre davantage que des princes ; ils sont alimentés par des faiblesses sociales et institutionnelles, plus que par un jeu de puissance. Ces conflits nouveaux n’ont pas encore permis de trouver les formules capables de les réduire ou de les éteindre : le monde de 2050 marquera certainement cet effet d’empilement ou de sédimentation conflictuelle, alors que celui dont nous sommes issus se reconstruisait à chaque étape en fonction de la victoire du plus fort – le mot même de victoire est d’ailleurs sorti du nouveau dictionnaire des relations internationales.

Un monde intersocial

Pourra-t-on encore parler, alors, de relations internationales, ou le terme, plus juste, de « relations intersociales » se sera-t-il entre-temps imposé ? Cette perspective constitue probablement l’avenir d’un espace mondial dominé par la pression des enjeux sociaux internationaux, par le rôle de plus en plus déterminant d’acteurs sociaux transnationalisés et par les interactions croissantes entre sociétés que le progrès des communications rend nécessairement de plus en plus ouvertes les unes sur les autres, avec leur rythme et leur imaginaire propres. On pressent les résultats d’une évolution déjà perceptible : les enjeux sociaux ont nettement surclassé les enjeux stratégiques traditionnels. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) avait déjà noté, en 1994, que la sécurité humaine devenait la clef de notre monde. En 2050, la cause sera entendue : la sécurité alimentaire, dont le défaut fait déjà chaque année tant de millions de morts, la sécurité sanitaire et, bien entendu, la sécurité environnementale hypothéqueront l’avenir du monde bien plus que le comptage des missiles nord-coréens ou iraniens. La géopolitique ne sera plus enseignée qu’au titre de l’histoire, et l’enjeu du multilatéralisme sera d’être réellement social.

Parallèlement, on aura probablement admis, après trop de temps perdu, que le marché n’a pas cette vertu autorégulatrice que certains lui prêtent : après la énième crise que le monde aura eu à subir, on conviendra probablement que la science économique n’est pas une science causale, ni même indépendante des autres savoirs sociaux. Sur de telles dépouilles, la régulation devra s’imposer, probablement sur des modes nouveaux : des États trop faibles pour limiter la fonction régulatrice à l’intergouvernemental devront peu à peu s’effacer devant des formes nouvelles et plus inclusives de gouvernance. En même temps, la forme prétendue unimodale du capitalisme ne fera plus illusion, surtout que les avancées chinoises révéleront des variantes de capitalisme qui ne se confondent pas avec l’imaginaire économique occidental : si, à l’Ouest, on cherche à reprendre la main sur des acteurs économiques devenus insaisissables, on s’ingénie, à l’Est, à concéder des espaces de liberté aux opérateurs économiques tout en s’efforçant de garder la maîtrise finale du jeu. Parions que, dans trente ans, le dilemme sera dramatisé.

Dans ces conditions, l’intersocialité apparaît comme une double solution d’avenir : elle est plus à même, par définition, de se saisir des enjeux sociaux mondiaux ; elle permet en outre d’atténuer l’opposition frontale et paralysante entre l’étatique et l’économique. La construction macro-régionale pouvait être un moyen de progresser en ce sens et l’Europe en a été le laboratoire dès le lendemain de la guerre. Qu’elle sorte de l’impasse actuelle serait une excellente nouvelle : il n’est pas sûr pour autant que celle-ci fera l’ordinaire de la presse en 2050, tant l’Union européenne est engluée dans ses vieux marécages westphaliens qui font de l’exacerbation de la concurrence interétatique la réponse normale et multiséculaire aux contre-performances quotidiennes [lire p. 56]. La construction régionale ne fonctionne que lorsque tout va bien, à l’instar du temps des Trente Glorieuses : ce sera à peine un souvenir dans les prochaines décennies.

Parions que le reste du monde sera alors divisé entre ceux, proches du Vieux Continent, qui continueront à solder leurs échecs sur le mode de la réaction souverainiste et ceux, aspirés par leur succès d’émergent, qui redessineront l’espace autour de vastes zones d’échanges dans lesquelles les frontières d’hier auront perdu leurs fonctions originelles.

Le Sud sera-t-il au centre ?

Avec la chute du mur de Berlin, le clivage Est-Ouest, sans totalement disparaître, devient secondaire. Celui qui oppose le Nord au Sud prend au contraire une signification nouvelle et renforcée. Il ne suit pas les canons de la géopolitique et ne correspond nullement à l’opposition de deux hémisphères. Il revêt d’abord un sens historique, distinguant les États qui sont à l’origine de l’actuel système international de ceux qui ont eu à le subir, à vivre dans la domination et l’humiliation, et dont la pente naturelle est de redécouvrir une personnalité propre. Incontestablement, le vent tourne pour placer ces derniers au centre du nouveau monde : ils sont démographiquement majoritaires ; ils sont dépositaires ou propriétaires des principales ressources énergétiques et minérales ; ils sous-tendent les principaux enjeux internationaux qui meublent l’agenda international et, surtout, l’essentiel de la conflictualité s’est déplacé de l’Europe vers les terres du Sud. Tout semble indiquer que ce qui est une tendance aujourd’hui sera la base du jeu international demain.

La tension Nord-Sud qui se dessine connaît de multiples facettes. Elle repose d’abord sur un long contentieux issu d’un passé humiliant que certains acteurs politiques savent parfaitement exploiter pour mobiliser et prolonger leur légitimité. La référence à l’humiliation continue à souder à tous les niveaux : elle est la source principale de rencontre entre gouvernants et gouvernés dans les pays du Sud ; elle crée des liens entre États du Sud ; elle réengage la gouvernance du monde dans des directions jusque-là négligées, tant la vieille coopération, fondamentalement asymétrique, devient inopérante. En outre, la recomposition du multilatéralisme autour d’un « minilatéralisme » limité aux vieilles puissances rejette les nouveaux États dans la marginalité et une diplomatie de la contestation improductive et dangereuse. Il est fort probable que ces différents paramètres n’auront pas disparu d’ici trente ans et donneront au monde une tournure bien complexe à gérer.

D’une part, les formes nouvelles de conflictualité ne peuvent que s’en trouver confortées. Profondément enracinées dans des tensions sociales fortes, servies à l’envi par des fragilités institutionnelles locales et par des défauts graves de légitimité politique, dramatisées par l’absence de méthode diplomatique adaptée, elles se renforcent par l’attitude même des puissances du Nord qui, croyant pouvoir les résoudre par leurs interventions, ne font en réalité que les aggraver. Manière de constater que ces conflits, nés de crises locales, ont toujours une orientation hostile à l’égard des puissances du Nord qui, par un jeu connu de rhizomes, se trouvent souvent être la cible indirecte de ces formes nouvelles de violence.

D’autre part, le traitement des nouveaux conflits, ancrés dans le Sud, dépend d’une nouvelle distribution des rôles, entre le Nord et le Sud, entre les acteurs sociaux et les acteurs politiques, en bref d’un nouveau type de gouvernance mondiale et d’un mode inédit de gestion des formes actuelles de violence. Si le Nord persiste à vouloir tout régir et si le mode d’intervention reste essentiellement politico-militaire, on peut parier que 2050 sera marquée par la transformation du Moyen-Orient [lire p. 68] et d’une bonne partie de l’Afrique (Sahel, Corne de l’Afrique, bassin du Congo [lire p. 66]) en sociétés guerrières, c’est-à-dire en espaces où les principales fonctions (politiques, économiques, sociales) seront accomplies par le jeu de conflits prolongés, étalés sur plusieurs générations et dont les principales parties prenantes ne jugeront pas utile de rétablir la paix. Le vieux monde, partagé entre une paix locale égoïste et la volonté de montrer son rôle de tuteur, s’installera alors dans le rôle de l’impuissance durable.

Un monde posthégémonique

En fait, le nouveau millénaire s’est ouvert sur un chant du cygne, celui de l’hégémonie, jusque-là tenue pour la figure principale et incontournable des relations internationales. Les États-Unis n’ont gagné, depuis 1945, aucune des guerres qu’ils ont menées seuls ou à leur initiative, sans l’aval du multilatéralisme, si du moins on excepte leur victoire face à la junte au pouvoir dans l’île de Grenade et ses 800 soldats, en octobre 1983 (opération « Urgent Fury »). Il n’y a là aucun effet de déclin, comme le montre la vigueur des capacités américaines en matière militaire, scientifique ou éducative : il n’y a qu’inadéquation croissante entre l’idée d’hégémonie et la complexité d’un monde globalisé [lire p. 44].

Il s’agit d’un processus très probablement irréversible qui suppose un autre regard sur le monde que les prochaines décennies auront à concevoir. Si Washington ne parvient plus à régenter le monde, il est peu probable que la Chine lui serve de substitut [lire p. 50] : si le projet chinois d’extension économique est indubitable, si son ambition est bien de modifier à terme des normes internationales tenues actuellement pour étrangères et défavorables, son insistance à distinguer la domination économique de la domination politico-militaire peut être sincère, tant les dirigeants chinois se sont ingéniés à démontrer que la pratique occidentale qui mêlait les deux s’était révélée coûteuse et improductive, donc peu enviable. On peut supposer que le grand chantier et la forte inconnue de l’avenir tiendront à l’invention d’un modèle de domination inédit, optimisant d’une autre manière les dividendes que Pékin entend tirer d’une mondialisation qui lui est favorable. Dans cette perspective, la Chine continue à renforcer son armement, plus dans le but d’acquérir un statut mondial que dans celui d’en faire un usage actif.

De façon générale, on peut penser qu’en 2050, la Chine continuera sa politique de « timidité politico-militaire », notamment en Afrique et au Moyen-Orient. Il lui sera beaucoup plus difficile de le faire en Extrême-Orient, notamment en mer de Chine, tant il est vrai que les puissances régionales ne peuvent échapper au jeu d’auto-affirmation dans leur propre sphère régionale. L’inconnue est de savoir jusqu’où la grande puissance asiatique pourra continuer à miser sur ce découplage partiel du rayonnement économique et de l’affirmation d’une domination politique. D’autant qu’on peut prévoir que la présence active de la Chine tout au long des nouvelles routes de la soie va de plus en plus susciter des réflexes d’hostilité, voire de rejet, là où elle se fait très visible ; elle rend du même coup de plus en plus étroite la voie qui permet à Pékin de se tenir en dehors des conflits du monde.

En fait, la posthégémonie peut, à terme, se révéler aussi utopique que l’étaient les projets hégémoniques d’antan, ce qui prolongerait la nature désordonnée et fragmentée de l’actuel monde apolaire, tiraillé entre les impossibles dominations et la reproduction infinie d’instincts de puissance. Elle peut aussi s’accomplir à travers un redémarrage de la régionalisation du monde qui contiendrait les pulsions centrifuges en entretenant des espaces ordonnés autour de puissances régionales. Elle peut enfin s’ordonner autour d’une réinvention d’un multilatéralisme repensé, en adéquation avec les logiques croissantes d’interdépendance.

Multilatéralisme et biens communs

Tout se joue en fait à cet ultime niveau : au milieu de toutes ces inconnues, une seule certitude s’impose et tient à l’avenir du multilatéralisme, incontournable dans un monde définitivement et irréversiblement interdépendant. L’architecture multilatérale née en 1945 est mixte, combinant, comme dans un indispensable compromis, les principes d’un ordre collectif et ceux liés à une souveraineté qu’on croyait éternelle, rehaussée alors par la vague des indépendances issues de la décolonisation.

La synthèse ne pouvait être qu’instable et l’a démontré, notamment dans le domaine de la sécurité collective où la latitude laissée à la puissance a su entretenir la guerre.

Le résultat est plus convaincant sur le plan social, où les appétits de puissance se font plus discrets et où l’action multilatérale a récolté des fruits appréciables, dans le domaine notamment de la sécurité sanitaire ou alimentaire, ainsi que dans des secteurs techniques, comme la communication ou les transports. Ici aussi, les blocages souverainistes peuvent apparaître, dès lors que certaines lignes rouges de l’égoïsme national sont franchies, comme on le voit avec les questions d’environnement et de réchauffement climatique [lire p. 75]. On peut parier que ce jeu souverainiste se révélera de plus en plus coûteux et donc irrationnel, tandis que l’abandon contrôlé de souveraineté ouvrira sur des avantages nouveaux, selon un calcul hobbesien renversé : plus l’État cède de souveraineté individuelle et plus il gagne en sécurité collective, plus il protège aussi ces biens communs dont dépend la survie de chacun et que nous avons encore du mal à identifier.

L’échec inévitable des formes populistes et néonationalistes prendra un temps dont il est impossible de mesurer la longueur, pas plus qu’on ne peut évaluer les dégâts qu’elles auront causés. L’ordre westphalien a mis près de deux siècles pour s’accomplir, entre la paix de Westphalie (1648) et le congrès de Vienne (1815). Il fallut tout ce temps pour en comprendre les codes, la rationalité, les avantages qu’on pouvait en escompter à l’époque. Peut-être faudra-t-il le même délai pour construire le système post-westphalien, en percevoir les bénéfices et chasser les préjugés venus de l’ancien monde et de l’univers des « carnivores géopolitiques ». Auquel cas, 2050 est trop proche pour ne pas ressembler à l’actuel confusionnisme international et pour éloigner significativement nos quatre cavaliers.

Légende de la photo : Le 29 juillet 2019, Ghassan Salamé, émissaire spécial de l’Onu pour la Libye, dresse devant le Conseil de sécurité un portrait sévère de la situation dans le pays. « Près de quatre mois après le début de la troisième guerre depuis 2011 » (date de l’intervention militaire internationale à l’initiative principalement française qui provoqua la chute du régime de Kadhafi), il évoque « les risques d’un conflit de faible intensité sans fin ou d’une escalade vers une guerre totale sur les rives du sud de la Méditerranée ». La Libye apparaît aujourd’hui comme l’un de ces pays du « Sud » où la paix sera difficile à rétablir dans les années, voire les décennies à venir. (© UN Photo/Eskinder Debebe)

Article paru dans la revue Diplomatie n°100, « Le monde en 2050 », septembre-octobre 2019.

Bertrand Badie, L’hégémonie contestée. Les nouvelles formes de domination internationale, Paris, Odile Jacob (à paraître, octobre 2019)

Bertrand Badie, Quand le Sud réinvente le monde, Paris, La Découverte, octobre 2018, 250 p.

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