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La défense sol-air dans un conflit de haute intensité. L’exemple de la guerre Iran-Irak [1980-1988]

Durant la guerre Iran-Irak (1980-1988), grandes unités blindées, vagues humaines fanatisées, guerre de tranchées, armes chimiques, guerre économique, tactiques novatrices et armement de haute technologie se sont côtoyés dans un conflit qui semble être le condensé des guerres du XXe siècle. Acteur à part entière de la guerre dans la 3e dimension, la Défense Sol-Air (DSA) a démontré sa redoutable efficacité. Alors que les armées occidentales ont pris l’habitude d’agir dans le cadre d’une suprématie aérienne acquise d’avance, il est intéressant d’étudier le rôle de la DSA dans un conflit de haute intensité et le poids décisif auquel elle peut prétendre.

Les capacités en présence durant la guerre Iran-Irak 

L’Iran

Bien qu’il ait sous-estimé la résilience de la jeune République islamique, Saddam Hussein a vu juste en jugeant l’armée iranienne, notamment ses forces aériennes, profondément désorganisée. Équipée de matériel moderne sous l’impulsion du chah d’Iran (chasseurs F‑4 Phantom et F‑14 Tomcat, missiles de haute technologie d’origine américaine), dotée d’une autonomie stratégique grâce à ses Boeing ravitailleurs, entraînée par les Américains, l’armée de l’air est suspecte aux yeux des mollahs. Plusieurs mois après le renversement du pouvoir impérial, une grande partie des cadres est en prison ou s’est exilée. La désorganisation de l’État iranien touche notamment la maintenance des aéronefs et de leur armement : le système de gestion des pièces détachées devient inaccessible tandis que les techniciens étrangers ont quitté le pays. Alors que l’Irak commence son assaut par une attaque aérienne, les 730 hélicoptères et 420 avions de combat de l’aviation iranienne, en grande partie clouée au sol, peuvent difficilement s’opposer aux actions ennemies. Grâce à la libération des pilotes et à l’émergence de chefs talentueux, l’Iran pourra ultérieurement contester la maîtrise des airs.

Durant les premières années du conflit, la modernité du matériel et l’entraînement des pilotes pèsent dans les combats aériens (plusieurs pilotes de chasse accèdent au titre d’as) ou dans la planification de raids audacieux dans la profondeur. Plus tard, les difficultés de l’Iran à s’approvisionner en matériel neuf et en pièces détachées cloueront au sol une grande partie de l’aéronautique iranienne. À la fin de la guerre, une centaine d’appareils seulement sont en état de voler. De plus, la méfiance subsistante du pouvoir islamique, appuyé fermement sur le corps des Gardiens de la révolution (les Pasdaran), envers les pilotes (plusieurs déserteront avec leurs appareils durant les huit années de guerre) marginalise l’armée de l’air au sein de la conception et l’exécution des opérations.

Quant à la DSA, ses 16 bataillons s’appuient principalement sur des batteries de missiles sol-air Hawk fournis par les Américains et sur des Rapier britanniques. Moyen sol-air de moyenne portée, le Hawk sera notamment déployé en défense des principaux objectifs stratégiques (centres urbains, bases aériennes, terminaux pétroliers). Sa principale limite consiste en la pénurie de missiles, faute de filière d’approvisionnement. Le même problème se pose pour les Rapier et les Tigercat. La vente d’armes à l’Iran par les États-Unis et Israël redonne ponctuellement de la vigueur à la DSA, mais l’éclatement de l’Irangate tarit cette source. L’URSS, la Chine et des pays du bloc de l’Est fournissent également des missiles, dont des MANPADS SA‑7. L’Iran aligne également des MANPADS RBS‑70 suédois. La pénurie reste cependant chronique. Il est également fait un large emploi de canons antiaériens (environ 600). L’Iran profite d’un réseau de radars modernes d’origines américaine et britannique centré sur les principales villes et bases aériennes, mais le départ des techniciens occidentaux a pour conséquence une chute des performances de ce réseau.

L’Irak

L’aviation irakienne en 1980 se répartit entre 300 avions de combat (MiG‑21, MiG‑23, Tu‑16, Tu‑22, etc.) et 300 hélicoptères (Alouette, Gazelle, Super Frelon, Mi‑8, 18 Mi‑24). Elle accuse un retard technologique par rapport à son homologue iranienne, mais la désorganisation de cette dernière lui offre une fenêtre très favorable. Elle manque également de l’équipement et de l’entraînement nécessaires au vol de nuit. Malgré l’offensive aérienne surprise qui marque le début de la guerre, l’armée de l’air irakienne échoue à conquérir la maîtrise des airs. La livraison d’aéronefs modernes (Mirage F1 et Super-­Étendard français, Su‑25 et MiG‑29 soviétiques) et de missiles air-air dernier cri fera d’elle l’une des premières forces aériennes de la région, mais jamais les pilotes irakiens n’atteindront le niveau de leurs adversaires (244 victoires en faveur des Iraniens contre 70 victoires irakiennes). La flotte d’hélicoptères se modernise également durant la guerre grâce aux Gazelle et Puma français, aux Mi‑24 et Mi‑25 soviétiques, ainsi qu’aux BO‑105 allemands. Une grande partie de la flotte d’entraînement est également fournie par les pays étrangers. L’aviation irakienne n’aura cependant jamais l’autonomie stratégique détenue par les Iraniens malgré la mise en place d’un système de ravitaillement en vol entre chasseurs.

La DSA irakienne est articulée en neuf brigades déployées au-­dessus des sites sensibles (cinq brigades autour de grandes villes telles que Bagdad, Bassora, etc.) et de grandes unités blindées (quatre brigades mobiles). Équipée d’environ 260 lanceurs (SA‑2/3/6/9) et de canons antiaériens (2 000 canons d’un calibre compris entre 23 et 100 mm), elle est cependant moins moderne que son homologue iranienne. Ses liens très forts avec l’industrie française de l’armement aboutiront ultérieurement à ce qu’une part de la DSA irakienne soit équipée par la France. Ainsi, durant la décennie 1980, environ 3 000 missiles sol-air de courte portée Roland seront livrés à l’Irak. Au total, 60 systèmes Roland et 20 systèmes Crotale équipent sa défense antiaérienne. Alimentée par un flot continu, cette dernière ne subira pas la pénurie de stocks de missiles dont pâtit l’Iran. Le réseau de radars est d’origine française (Thomson-­CSF) et dote l’Irak d’un maillage de détection aérienne.

Étude de cas 

Premières confrontations

Lorsqu’ils s’envolent vers l’Iran en octobre 1980, les pilotes irakiens sont contraints d’attaquer de jour, faute d’équipement de vol de nuit et de l’entraînement adéquat. Les raids causent peu de dégâts et sont perturbés par les tirs antiaériens des Iraniens (un bombardier biréacteur Tu‑16 s’écrase sur le flanc d’une montagne au cours de manœuvres d’évasion). Quelques semaines plus tard, les batteries de missiles Hawk abattent plusieurs bombardiers irakiens qui cessent leurs raids. La riposte iranienne sur les villes et les bases irakiennes se heurtent à son tour à la DSA. En raison de la désorganisation de leur aviation et de la pénurie de pilotes qualifiés, pour la plupart jetés en prison après la prise du pouvoir par les mollahs, les Iraniens ne peuvent mener de missions SEAD (Suppression of Enemy Air Defense). Plusieurs chasseurs iraniens sont abattus par la DSA irakienne durant ces raids de riposte. La densité des salves de missiles est toutefois telle que plusieurs retombent au sol et font des victimes civiles. Plusieurs tirs fratricides sont à noter également. La déconfliction est largement perfectible : les Irakiens travaillent au sein de weapons free zones où tout aéronef, y compris ami, est une cible. L’absence de la DSA (ou son absence de réaction) ouvre la voie aux aéronefs adverses tandis que le feu de ses missiles perturbe efficacement les raids aériens.

Les bombardements aériens contre les villes adverses se poursuivront sans être décisifs. Soucieux de préserver la population de la guerre afin de sauvegarder son pouvoir, Saddam Hussein couvre sa capitale d’un redoutable parapluie antiaérien (Crotale et Roland français, SA‑9). L’armée de terre emploie des canons (ZSU‑23/4 ou 57 mm) et les MANPADS SA‑7. Quant aux sites stratégiques, ils sont défendus par des SA‑6. Dans les années qui suivent, les bombardements contre les villes par l’Iran évitent Bagdad et Bassora, défendues par d’importants moyens sol-air. La défense antiaérienne joue ici un rôle dissuasif.

Dès le début de la guerre, la DSA participe aux opérations. Alors que l’armée de Saddam Hussein pénètre dans le Khouzistan iranien, les hélicoptères Cobra, en vol tactique, ravagent les colonnes mécanisées irakiennes engagées dans des vallées encaissées. Soixante chars et une centaine d’autres véhicules sont mis hors de combat. En décembre 1980, l’avantage qualitatif de l’armée de l’air iranienne lui donne la supériorité au-dessus du front (60 aéronefs irakiens abattus contre 15 iraniens). La DSA irakienne en tire les conséquences quelques mois plus tard en se réorganisant, mettant en avant ses ZSU‑23/4 pour la protection de ses unités blindées et mécanisées. Leur feu contre efficacement les raids de l’aviation légère iranienne.

L’ère du missile sol-air et ses problématiques

La portée et la fulgurance des missiles sol-air, nécessaires pour contrer les capacités supersoniques et stand off des chasseurs modernes, naissent de la conception d’armements de haute technologie, coûteux et longs à produire. L’Irak et l’Iran ne possèdent pas d’industries d’armement nationales et dépendent de pays étrangers pour maintenir leur défense sol-air opérationnelle. Sans un flot continu de missiles ou de pièces détachées, la DSA perd nettement de son efficacité. L’exemple du Hawk iranien est à cet égard très éclairant. En 1985, Saddam Hussein déclenche la « guerre des villes » avec des bombardements aériens et des tirs de missiles balistiques Scud. La pénurie de missiles Hawk empêche la DSA iranienne de riposter efficacement. À l’inverse, lorsque Israël et les États-Unis assurent les livraisons (300 missiles en 15 mois), les batteries sol-air retrouvent leur efficacité. L’Irangate en 1986 coupe cet approvisionnement et entraîne une nouvelle chute de rendement de la DSA, l’Iran préservant ses derniers missiles. Profitant du flot continu de matériel militaire étranger, l’Irak ne connaît pas ce problème. La comparaison entre les situations de l’Irak et de l’Iran met en relief un problème que peut rencontrer toute DSA basée sur le missile : la pénurie. Ce risque guette toute artillerie sol-air engagée dans un conflit de haute intensité : pourra-t‑elle tenir dans la durée ?

La profondeur stratégique : une protection illusoire

En avril 1981, profitant de l’autonomie stratégique procurée par ses avions ravitailleurs, l’Iran lance un raid en profondeur contre la base aérienne H‑3, vers la frontière jordano-­irakienne. S’infiltrant à très basse altitude, profitant de raids de diversion destinés à détourner l’attention de la défense aérienne irakienne, les Phantom iraniens frappent la base. Surprise, la défense sol-air de H‑3 n’abat aucun chasseur iranien tandis qu’une quarantaine d’aéronefs irakiens sont détruits ou endommagés. Il s’avère que les servants des moyens antiaériens n’étaient pas à poste. De plus, la tactique de saturation des défenses antiaériennes par une attaque multidirectionnelle a payé. Malgré la présence de radars de détection aérienne modernes et performants au niveau national, la planification et l’exécution d’un raid dans la profondeur sont une option tout à fait valable, comme l’a démontré l’attaque de la base H‑3. L’Irak a perdu dans cette affaire d’importants moyens aériens en même temps qu’une bataille de propagande. Face à un ennemi aérien rusé, la DSA a failli à sa mission par manque de vigilance. Si la profondeur stratégique est une barrière efficace, comme le montre la diminution des raids aériens contre les villes lointaines en Iran, elle n’est pas une cloison étanche et infaillible.

Audace et sidération 

En juin 1981, Israël planifie à son tour un raid dans la profondeur. Grâce à l’assistance d’ingénieurs français, les Irakiens sont sur le point de mettre en service la centrale nucléaire civile d’Osirak, au sud de Bagdad. Craignant que l’ouverture de la centrale soit le prélude d’un programme militaire nucléaire irakien, Israël décide de neutraliser Osirak. À l’inverse de H‑3, le site est lourdement défendu par des missiles SA‑6, des canons antiaériens et des chasseurs irakiens. Les F‑16 israéliens s’infiltrent à très basse altitude. Surgissant le soleil dans le dos afin d’aveugler les servants irakiens, les pilotes larguent leurs bombes en une seule passe et évacuent immédiatement la zone. Osirak est rasée en deux minutes.

La DSA irakienne s’est retrouvée sidérée par la fulgurance du raid. Stoppant net la perspective d’un programme militaire nucléaire irakien, la destruction d’Osirak est une défaite majeure pour Saddam Hussein. Bien avant la généralisation d’avions furtifs et de missiles guidés, un raid est parvenu à violer un dispositif sol-air extrêmement dense. L’opération « Opera » démontre la puissance de l’effet de surprise dont peut bénéficier un raid aérien, mais également le très court préavis donné à la DSA pour réagir. À l’heure actuelle, les liaisons de données tactiques sont le moyen d’allonger ce préavis par le partage et la transmission en temps réel de la situation et des ordres. Le succès ou l’échec d’un raid aérien se joue en un instant très court, comme le montrent les deux minutes qui ont suffi aux pilotes israéliens. Afin de déjouer une attaque aérienne, il est donc nécessaire de systématiser une capacité d’anticipation et de réaction en temps réel comme les liaisons de données tactiques.

L’absence de complémentarité des feux : un danger mortel

L’aviation irakienne fut également capable de s’attaquer à des objectifs stratégiques défendus par des moyens sol-air. En mars 1984, profitant de la livraison de chasseurs français Super-Étendard et des redoutables missiles Exocet, l’Irak planifie un raid contre la centrale nucléaire iranienne de Bouchehr, alors en travaux. Le site est défendu par une batterie sol-air Hawk et des canons antiaériens. Contrairement aux raids iranien et israélien, il s’agit d’une attaque en stand off. Les Super-­Étendard tirent leurs missiles à 30 km de l’objectif, lui infligeant seulement des dommages légers. L’Irak remporte cependant une victoire psychologique. La capacité stand off dont se dote l’armée de l’air irakienne ouvre une brèche inquiétante dans la couverture sol-air iranienne, donnant aux pilotes irakiens la possibilité de frapper hors de portée de la plupart des moyens sol-air iraniens.

Les vecteurs aériens multiples, leurs capacités de vol ou leurs armements ne permettent pas l’existence d’un unique système d’armes sol-air omnipotent et infaillible. En 1986, sur le front, face aux canons antiaériens et MANPADS SA‑7 iraniens, efficaces à courte portée ou à basse/moyenne altitude, les Irakiens font preuve d’ingéniosité afin de passer au-dessus de la bulle antiaérienne iranienne. Des quadriréacteurs de transport Il‑76 sont employés comme bombardiers de fortune et larguent des bidons de napalm sur les lignes ennemies.

Volant à 6 000 m d’altitude, ils peuvent remplir leur mission hors d’atteinte de la DSA iranienne. La complémentarité des moyens est indissociable de l’emploi de la DSA. Malgré sa portée de plusieurs dizaines de kilomètres, une batterie de missiles de moyenne portée ne peut constituer une couverture totale et infaillible. De même, un canon antiaérien ou un missile SATCP ne peut lutter contre un aéronef équipé d’un armement de bord en stand off. Durant la guerre Iran-Irak, la pénurie de missiles Hawk empêcha la DSA iranienne de frapper au-delà de la très courte portée, ouvrant un boulevard aux Irakiens.

Bien que le missile soit en cours de généralisation durant cette période, il est également intéressant de constater que les concentrations de canons antiaériens restent capables de prélever un lourd tribut parmi les aéronefs, notamment les hélicoptères. À l’instar de la guerre du Kippour en 1973, les ZSU‑23/4 sont un redoutable rempart contre les actions de Close Air Support (CAS) des hélicoptères de combat. La combinaison canons à tir rapide/radar intégré élève un mur de feu et d’acier face aux hélicoptères et cause de lourdes pertes à ces derniers.

L’épée et le bouclier

À l’inverse d’une unité de mêlée qui manœuvre sur le champ de bataille, une batterie sol-air ne possède jamais l’initiative. Elle manœuvre pour se déployer et empêcher l’ennemi aérien de s’en prendre à un objectif. Arme défensive par essence, elle détruit l’ennemi qui vient à lui et ne décide ni de l’heure ni du lieu d’un raid aérien. Les raids sur Osirak et sur H‑3 montrent une DSA prise au dépourvu par les pilotes iraniens ou israéliens. En août 1985, durant un été caniculaire, l’Irak lance un raid sur les vastes infrastructures pétrolières iraniennes situées sur l’île de Kharg. Afin de maximiser leurs chances de succès, les Irakiens prévoient de déclencher leur raid à 15 h, heure à laquelle les servants antiaériens font la sieste. Malgré un résultat décevant, les pilotes irakiens ont surpris les défenses de l’île.

L’exploitation judicieuse des conditions météorologiques a réduit l’efficacité de la DSA et octroyé à l’assaillant une plus grande liberté d’action. Une force aérienne est un ennemi qui manœuvre dans la troisième dimension. Face à lui, la DSA a pour mission de briser son action. Déployée pour assurer des missions d’une durée indéfinie, elle ne peut exploiter activement les aléas climatiques, éventuellement en profiter (un plafond bas peut favoriser les tirs sol-air en empêchant les aéronefs adverses de se mettre à l’abri à haute altitude). L’attente et la routine générées par l’absence d’initiative constituent un danger pour toute unité sol-air. Vigilance et préparation des servants, allongement du préavis d’alerte de raid aérien par le partage en temps réel des détections, chaîne d’engagement claire et réactive caractérisent une DSA efficace. Ces exemples tirés de la guerre Iran-Irak démontrent bien les conséquences d’une couverture défaillante.

Le raid irakien sur l’île de Kharg constitue une déclinaison supplémentaire de l’éternelle lutte entre l’épée et le bouclier, cette fois entre l’artillerie sol-air et l’aviation. Contrairement à l’offensive aérienne de septembre 1980 dont la planification a été limitée par le manque d’entraînement des pilotes irakiens et un équipement déficient, la préparation de l’attaque contre Kharg est facilitée par la mise en service de chasseurs plus modernes (Mirage F1) et de matériel de contre-­mesures. À l’inverse, la livraison de missiles sol-air dernier cri aux deux belligérants accroît également l’efficacité des moyens antiaériens.

Le drone, nouveau venu

Pénalisée par la faible disponibilité de ses appareils et la méfiance chronique du pouvoir envers les pilotes, l’aviation iranienne innove en introduisant dans la troisième dimension des drones. Les premiers Mohajer survolent le champ de bataille en 1987. Certains auraient été équipés de roquettes RPG‑7. Un nouvel adversaire apparaît ainsi dans l’horizon de la DSA irakienne. Plus petit, moins coûteux, destiné à l’ISR ou capable de délivrer des feux, conçu pour un usage militaire ou détourné de son usage civil, le drone constitue une menace que toute DSA doit impérativement prendre en compte. Sa signature radar plus faible lui octroie une furtivité plus élevée qu’un aéronef classique tandis que son faible coût le rend sacrifiable. À l’heure actuelle, la miniaturisation poussée des drones rend plus délicate leur détection, leur acquisition et leur destruction par des moyens sol-air centrés sur le missile et la neutralisation d’avions ou d’hélicoptères. La lutte anti-drones, spécificité de la DSA, n’a pas émergé avec la généralisation des minidrones. Au contraire, cela fait plus de 30 ans qu’elle s’est imposée et trouve toute sa place dans un conflit de haute intensité.

Conclusion

Ni l’Iran ni l’Irak ne détenaient la suprématie aérienne. Tout au long de la guerre, leurs pilotes ont agi au-dessus d’une menace sol-air permanente. Parmi les conflits contemporains, la guerre Iran-Irak regorge d’enseignements intéressants pour se figurer quelle pourrait être la place des moyens sol-air dans un conflit symétrique de haute intensité où la notion de suprématie aérienne serait absente. Ainsi, 60 % (250 sur 430) des aéronefs iraniens perdus au combat ont été détruits par la DSA irakienne. À l’inverse, l’absence de DSA, ses lacunes ou son mauvais emploi ont eu des effets dévastateurs. Aujourd’hui, la robotisation croissante des forces aériennes élargit le spectre de menaces venues du ciel tandis que le monopole occidental de la puissance aérienne n’est plus systématique. Face à cela, nos moyens sol-air doivent être multicouches, capables d’agir de manière fulgurante tout en étant complètement intégrés dans un cadre interarmées, voire interallié. Que ce soit en défense du combattant en première ligne ou en défense d’un site à haute valeur ajoutée, l’artillerie sol-air tient dans sa main l’une des clés de la liberté d’action du chef, et donc de la victoire.

Article paru dans la revue DSI n°142, « La guerre des perceptions : tromper l’ennemi pour vaincre », juillet-août 2019.
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