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Le drone spatial vecteur opérationnel en orbite ?

On ne sait pas encore jusqu’à quel point, mais l’espace devient un théâtre d’opération militaire en bonne et due forme, 2019 constituant assurément une année charnière. Si la mise en place de la Force de soutien stratégique chinoise remonte à début 2016, les annonces autour de la Space Force américaine et les prises de position françaises montrent que le secteur, s’il est discret, n’en est pas moins dynamique. Incidemment se pose une question : comment agir dans l’espace ?

L’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) reconnaissait en juin travailler sur une arme laser antisatellite et l’on apprenait fin août que le Japon pourrait développer un satellite intercepteur afin de faire face aux systèmes « inspecteurs » chinois et russes. De son côté, Paris ne s’interdit pas de disposer de microsatellites en protection de ses principales plates-­formes. Ce sont là différents moyens d’action, présentés comme défensifs, mais qui n’offrent qu’une liberté de manœuvre limitée. D’autres systèmes sont concevables, et en particulier les drones spatiaux. Le meilleur représentant de cette catégorie est le X‑37B.

Il a été lancé à cinq reprises, en avril 2010 (mission de 224 jours en orbite), mars 2011 (270 jours), décembre 2012 (675 jours), mai 2015 (717 jours), septembre 2017 (780 jours). La prochaine mission devrait avoir lieu en 2020. Le drone a ainsi assuré une présence de 2 666 jours en dix ans, soit plus des deux tiers de la décennie. Il semble que deux appareils aient été construits, l’US Air Force reprenant à son compte en 2006 un programme lancé initialement par la NASA dans les années 1990. La fonction exacte des X‑37B est inconnue : si les communiqués de presse évoquent des « expérimentations », les analystes imaginent des applications variées. Le X‑37B dispose d’une petite baie cargo de 2,1 m sur 1,2 m, mais aussi d’une série de petits moteurs autorisant, dans une certaine mesure, des changements d’orbite en sachant qu’il évolue officiellement sur une orbite basse, à 800 km. Reste cependant que les Atlas 5 dotées d’un étage Centaur lançant les 5 t du X‑37B peuvent placer plus de 25 t en orbite basse. L’altitude communiquée par l’US Air Force peut donc ne constituer qu’un leurre. En fait, les Atlas 5 sont également chargées de lancer les satellites AEHF (Advanced Extremely High Frequency) de 6 t, cette fois en orbite géostationnaire.

La petite taille de la baie ne permet évidemment pas d’utiliser le X‑37B pour la mise en orbite de gros satellites comme pouvait le faire la navette spatiale. Reste qu’elle est suffisante pour lancer des nanosatellites – comme durant la dernière mission –, voire pour réapprovisionner en carburant de gros satellites, dont la consommation pour relever leurs orbites ou en changer selon les besoins du renseignement risque de diminuer leur vie opérationnelle. Dès lors, l’hypothèse du réapprovisionnement en sous-tend une autre. Toute fonction de réapprovisionnement impliquant de disposer d’un système de manipulation des charges, il n’est pas totalement interdit de penser qu’un X‑37B puisse être utilisé pour la réparation de satellites, à distance et éventuellement en s’appuyant sur l’utilisation de satellites de relais de communication. D’où, également, l’hypothèse que l’appareil pourrait être employé comme système antisatellite « discret », son aptitude à utiliser un bras robotisé permettant dans ce cas de ne produire que peu de débris orbitaux, voire aucun – lesquels constituent la « signature » d’une frappe antisatellite cinétique. Il serait également possible de désorbiter un satellite… En tout état de cause, le X‑37B pourrait ne représenter que l’avant-­garde d’un nouveau type de système, plus simple et nettement moins coûteux à mettre en œuvre que la navette spatiale – et politiquement moins embarrassant en cas d’échec.

Le X‑37 constituerait un « couteau suisse » militairement intéressant par la variété des missions pouvant être menées, ce qui conduit à des interrogations autour de la diffusion du concept. Ce programme n’est pas le seul. D’une part, aux États-Unis. Réutilisable, le Dream Chaser est toujours en cours de développement par Sierra Nevada et une version cargo, capable d’embarquer jusqu’à 5,5 t et de ramener sur Terre 1,7 t dans sa soute, va voir le jour. Le système est civil, mais sa sélection par la NASA pour six missions de ravitaillement de la Station spatiale internationale garantit son développement… Dès lors, l’hypothèse d’une militarisation peut être posée. Concrètement, l’assemblage d’un premier exemplaire se poursuit et un premier vol d’essai devrait intervenir en 2021.

D’autre part, ailleurs. La Chine représenterait un candidat presque idéal, depuis la diffusion, en 2007, des images du Shenlong (« Dragon divin »), positionné sous un bombardier H‑6K. L’engin, doté d’une tuyère, semble également équipé de tuiles thermiques sous le ventre et les ailes. Des tests suborbitaux auraient été conduits en 2011. Reste aussi que le statut exact de l’appareil est tout sauf clair : si l’APL participerait à son financement, ce serait également le cas d’universités techniques et du programme civil chinois. D’autres auteurs notent qu’au cours des différentes éditions du salon de l’aéronautique de Zhuhai, la Chine a présenté plusieurs maquettes de véhicules spatiaux réutilisables – dont un système assez semblable au programme européen Hermès.

L’Europe n’est pas totalement désarmée – du moins dans le domaine civil. Dassault avait en son temps présenté le VEHRA (1), destiné, comme le XS‑1 en développement chez Boeing, à mettre rapidement en orbite de petites charges (2). Mais ces deux systèmes ne sont pas des drones spatiaux au sens du X‑37B. En revanche, l’Agence spatiale européenne a présenté en juin 2019 son drone spatial réutilisable Space RIDER (Space Reusable Integrated Demonstrator for Europe Return), dont le développement est placé sous la tutelle italienne, avec pour objectif un premier vol de démonstration en 2022. Un peu plus petit que le X‑37B, l’engin est extérieurement proche du système de démonstration de rentrée IXV. Une fois lancé par une fusée Vega avec son propulseur d’appoint, il opérerait en orbite basse environ deux mois, y compris au moyen d’une soute qui semble plus petite que celle du X-37B et d’un bras articulé – de manière intéressante, les animations montrent qu’une petite charge peut être récupérée. Une fois sa mission terminée, l’engin serait ralenti par son module de propulsion, ensuite largué, avant d’entamer sa rentrée dans l’atmosphère, de déployer une voile et de se poser.

Si le Space RIDER est civil, la maîtrise des technologies qu’il requiert laisse la porte ouverte à de potentiels développements militaires. De facto, ce type de système est idéal pour les missions de réparation en orbite, mais aussi pour celles de renseignement et d’écoute, voire d’intervention sur des satellites adverses. Le système européen ne disposerait que d’une charge utile de 800 kg, mais elle ne semble guère inférieure à celle du X‑37B. Au demeurant, les briques technologiques, une fois acquises, laissent la possibilité de développer des systèmes plus lourds et disposant de plus de capacités. Surtout, la tendance est à la robotisation de l’espace, notamment en matière de collecte de débris, différents types de solutions étant testées, en particulier par l’université du Surrey ou le Japon. Or c’est bien là l’un des défis posés par l’actuelle militarisation de l’espace : elle peut s’appuyer sur des systèmes duaux, parfaitement légitimes…

Notes
(1) « VERHA et MLP : la France a les vecteurs, mais pas les budgets », entretien avec Philippe Coué et Marie-Christine Bernelin, Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 28, février-mars 2013.
(2) « L’IXV, annonciateur de l’avenir spatial européen ? », entretien avec Guilhem Penent, Défense & Sécurité Internationale, no 112, mars 2015.

Légende de la photo en première page : Le X-37B au terme de la mission OTV-2. (© US Air Force)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°69, « Technologies et Armements : 2020, l’année de rupture », décembre 2019-janvier 2020.
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