Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Sécurité maritime : un enjeu stratégique croissant pour les États

Quelles sont en 2020 les principales sources de menaces pour la sécurité maritime ?

M. Péron-Doise : Le phénomène d’entrave à la liberté des mers constitue de très loin la source d’insécurité la plus problématique pour les États. J’ajouterais que les risques et menaces en mer les plus couramment cités comme la piraterie et le brigandage maritime, la pêche illégale non reportée et non régulée (INN), le terrorisme maritime et autres activités de nature criminelles ne sont que les sous-produits de cette question fondamentale qui est pour les États de pouvoir contrôler leur domaine maritime mais aussi de veiller à la libre navigation sur les mers.

Il faut comprendre que les flux et les échanges maritimes se trouvent au cœur de la mondialisation. Or, le transport maritime et les ports représentent 90 % des biens échangés, et nous devrions assister à une intensification des échanges sur mer avec les conséquences que cela implique dans le domaine sécuritaire. Cette maritimisation des échanges et le poids qu’y occupe l’Indo-Pacifique ont donné une importance nouvelle à la géopolitique des mers et des océans, avec l’émergence de nouveaux acteurs maritimes comme la Chine, le Japon, l’Inde à côté de puissances traditionnelles comme les États-Unis, le Royaume-Uni, la France ou la Russie. La protection du domaine maritime des États comme le contrôle de la navigation dans les espaces stratégiques sont devenus des priorités pour un grand nombre de pays, entraînant de nouvelles sources de tensions et d’insécurité maritime et la recherche de nouveaux outils facilitant une meilleure connaissance du domaine maritime (maritime domain awareness) et des coopérations régionales améliorant l’échange d’informations maritimes. Ainsi s’explique depuis 2010, le développement du Programme des routes maritimes critiques par l’Union européenne, dont celui dédié à l’océan Indien, « CRIMARIO », a été orienté vers l’Asie du Sud-Est en 2020 et la création de nouveaux centres de fusion régionaux accueillant des officiers de liaison internationaux, comme à Madagascar dans le cadre du programme « MASE » mis en œuvre par la Commission de l’océan Indien et en Inde.

On constate que les contentieux liés à la contestation sur les frontières maritimes se développent et mettent aux prises des puissances dont les capacités de projection navales sont susceptibles de porter atteintes à la libre circulation, mais aussi que l’importance de la défense des droits économiques des États fait que les marines de guerre et les garde-côtes ont de plus en plus des rôles et des missions analogues [voir l’entretien avec É. Lavault p. 60]. Cette mise en avant et ce nouveau rôle dévolu aux garde-côtes, mais aussi cette interpénétration politique et opérationnelle des coques grises et des coques blanches est souvent qualifiée de « Coast-guard diplomacy » [voir l’analyse de M. Soller p. 37].

Les évolutions du changement climatique peuvent-elles constituer une menace — ou un vecteur de menace — pour la sécurité maritime ?

Oui, le changement climatique a un impact direct sur la sécurité maritime en raison par exemple de ses répercussions sur la santé des océans ou sur l’économie bleue, c’est-à-dire l’ensemble des activités économiques liées aux océans. On le sait, l’accès aux ressources marines est au cœur de rivalités étatiques accrues [voir l’analyse de S. Abis p. 48], notamment les ressources halieutiques, de plus en plus affectées par le réchauffement et l’acidification des eaux. Les stocks de pêche, qui souffrent déjà de la surpêche — notamment le thon dans le Pacifique —, sont ainsi doublement menacés [voir l’analyse de C. de Marignan p. 8].

Sur cette question, on notera avec intérêt l’apparent effort d’autocritique de la Chine qui, abondamment montrée du doigt en matière de pêche illégale, vient de réviser ses lois sur la pêche. Aujourd’hui, la flotte de pêche chinoise compte environ 2600 unités largement déployées sur les mers du globe et pêche près de deux millions de tonnes de poissons par an. La flotte de pêche chinoise en haute mer est l’une des plus importante en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mauritanie), où ses pratiques de chalutage par le fond fragilisent les stocks de poissons. Cette flotte apparaît difficile à surveiller pour les autorités chinoises, conscientes des infractions qui lui sont imputées et sur lesquelles elle est accusée de fermer les yeux.

Le lien entre changement climatique et sécurité maritime a redonné de la visibilité politique aux petits États insulaires sur la scène internationale et a quelque peu modifié les règles du clientélisme diplomatique existant jusqu’ici entre les micro-États, perçus comme petits et vulnérables, et leurs « protecteurs » traditionnels ou nouveaux, que ce soit dans l’océan Indien ou le Pacifique. Les États insulaires se retrouvent dans une posture de lanceurs d’alerte, et s’organisent collectivement pour lutter plus efficacement contre les effets du réchauffement des océans, les atteintes à la biodiversité marine, la fréquence des typhons qui les menacent. Ils n’en sont pas moins l’objet de convoitises et d’une compétition accrue entre grandes puissances qui les perçoivent à travers les ressources potentielles de leur vaste domaine maritime et leur fonction de plateforme stratégique pouvant offrir des facilités logistiques et portuaires à leurs flottes militaires et marchandes.

Alors que le monde maritime se numérise et s’automatise de plus en plus, dans quelle mesure ses acteurs — qu’ils soient civils ou militaires — sont-ils vulnérables à la cybercriminalité ? Est-ce une menace réelle et quels sont les risques ?

Le monde maritime, les navires et les ports ont été, eux aussi, touchés par la révolution numérique. La réduction des équipages avec l’automatisation en est un des aspects les plus connus [voir l’entretien avec F. Lambert p. 92]. En matière de surveillance, la digitalisation a permis le renforcement de dispositifs sécuritaires, notamment en matière de contrôle et de sécurité des biens et des personnes dans l’environnement du transport de marchandises ou celui très particulier des croisières. Les activités portuaires ont également connu des transformations notables dans le domaine de la logistique, avec l’amélioration de la traçabilité des porte-conteneurs et des conteneurs et une identification détaillée à l’arrivée au port. Le port de Marseille s’est transformé en « smart port », en port connecté et intelligent, grâce au développement d’outils informatiques tels que des systèmes de gestion numérique pour organiser la gestion des marchandises, la sécurité, les échanges de données.

En parallèle à cette digitalisation, des efforts ont été faits dans le secteur du risque informatique, avec une attention particulière à la protection des réseaux. Les pirates se révèlent très innovants pour contrer les mesures dissuasives et les politiques de prévention et de protection prises par les opérateurs. Dans le golfe de Guinée, on s’est rendu compte que certains outils de reporting pouvaient être détournés par des pirates avec l’aide de complices à terre. En interceptant des données informatiques concernant la position des navires, leurs cargaisons et jusqu’à leur dispositif de protection, des pirates ont pu cibler les bâtiments à attaquer. En matière de cybercriminalité, le scénario le plus redouté reste la prise de contrôle des navires, avec le détournement des outils de géolocalisation et de communication par les pirates.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que pour circuler, les données numériques empruntent pour l’essentiel des câbles optiques sous-marins qui reposent sur le fond des océans. Ceux-ci, au nombre de 450, sont très vulnérables, ce sont des infrastructures critiques [voir l’entretien avec C. Morel p. 53]. Leur tracé suit plus ou moins celui des grandes routes maritimes. Le détroit de Malacca est par exemple un passage stratégique essentiel pour les flux d’informations par câbles sous-marins. Leur sectionnement intentionnel pourrait porter une forte atteinte à la réception d’Internet par de nombreux pays et y entraîner une grave paralysie économique et politique. La surveillance de ces câbles contre des dommages naturels ou accidentels (intempéries, filets de pêche), un sabotage ou des opérations d’ingérence et de renseignement, ainsi que la protection des navires câbliers qui travaillent dans leurs eaux constituent un enjeu sécuritaire notable pour les États.

Si les actes de piraterie maritime ont fortement diminué ces dernières années, un bateau dans le monde serait néanmoins chaque jour victime d’un acte de piraterie ou de brigandage. Quel est l’état réel de cette menace dans le monde en 2020, et quelles sont les zones les plus sensibles ?

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le développement de la piraterie perturbe les routes maritimes internationales, coûte des milliards de dollars à l’économie mondiale et empêche les États littoraux de développer leur économie bleue et de tirer le bénéfice attendu de leur ressources maritimes. De façon générale, La piraterie maritime moderne prend indifféremment pour cibles des bâtiments marchands, de pêche ou de plaisance, que leur lenteur rend particulièrement vulnérables. Le mode opératoire des pirates est généralement violent, car ils n’hésitent pas à se servir de fusils d’assaut, de lance-roquettes ou le cas échéant d’armes blanches. Les attaques se déroulent aussi bien dans les ports, au mouillage, qu’en pleine mer, le long des routes commerciales les plus fréquentées. L’objectif des pirates est, depuis l’Antiquité, de s’emparer d’un « butin », c’est-à-dire du navire attaqué pour s’approprier tout ou partie des cargaisons et surtout négocier une rançon pour le navire et son équipage. Cette question de la rançon suppose d’ailleurs une organisation structurée avec des réseaux financiers pour recycler l’argent obtenu.

La menace pirate se concentre sur l’Afrique (la Corne de l’Afrique avec la Somalie et le golfe de Guinée) et l’Asie du Sud-Est (Indonésie et Thaïlande). Mais elle sévit également au Moyen-Orient (Yémen) et en Amérique du Sud (Colombie, Vénézuéla). Elle correspond pour l’essentiel aux grandes routes du commerce mondial et surtout aux canaux et détroits qui constituent des lieux de passage stratégiques [voir l’analyse d’A. Louchet p. 42].

Aujourd’hui, on peut estimer que l’action coordonnée de flottes internationales — dont l’opération de l’Union européenne « Atalanta » déclenchée en 2008 est toujours active —, et de marines nationales agissant indépendamment à l’image de la Chine ou de la Russie, ont été efficaces dans l’océan Indien. Sans être éradiquée, la piraterie somalienne est estimée sous contrôle.

En Asie du Sud-Est, l’établissement de coopérations entre États littoraux comme les patrouilles coordonnées entre Singapour, l’Indonésie et la Malaisie dans le détroit de Malacca, les Malacca Straits Patrols, dans les années 2000 s’est révélé efficace pour lutter contre la piraterie. Les pays riverains ont clairement privilégié des réponses et des moyens locaux en refusant toute ingérence étrangère dans la gestion de la sécurité maritime régionale. Ils se sont d’ailleurs rapidement organisés avec le soutien du Japon en créant en 2006 un Centre de partage de l’information maritime intergouvernemental, l’Information Sharing Center découlant de l’accord RECAAP, accord de coopération régional sur la lutte contre la piraterie et le vol armé contre les navires en Asie. En 2009, Singapour, dont la prospérité dépend étroitement de la sûreté du trafic marchand sud-est-asiatique, a mis en place l’Information Fusion Center de Changi. National à l’origine, ce centre de suivi et d’analyse de l’information maritime s’est internationalisé, avec l’accueil de 24 officiers de liaison étrangers.

On notera également que des États ont accepté la présence de gardes armés à bord des navires de leur pavillon ou des missions d’escortes de convois par des compagnies de sécurité privées. Cette pratique s’est assez largement répandue pour les transits dans l’océan Indien et le golfe d’Aden. Toutefois, ce recours à des acteurs de sécurité privés ne fait pas consensus dans le golfe de Guinée et l’Asie du Sud-Est.

Comment expliquer que le golfe de Guinée concentre près d’un tiers des actes de piraterie mondiaux ? Une solution du type de ce qui a été fait au large de la Somalie est- elle envisageable ?

Les chiffres se rapportant aux actes de piraterie et de brigandage maritimes dans le golfe de Guinée, qui abrite les deux plus grands pays producteurs de pétrole d’Afrique, le Nigéria et l’Angola, restent préoccupants en dépit de la coopération régionale qui s’est mise en place dans cette zone après l’adoption du code de Yaoundé, en 2013. Il faut comprendre que le transport maritime et le pétrole constituent des sources de revenus très importantes pour les pays de la région et suscitent bien des convoitises. Pour 2019, les chiffres du Bureau maritime international font état de 165 attaques dans le monde — contre 201 pour 2018 —, dont 35 ont pris place dans le golfe de Guinée. Sur ces 35 attaques, 16 sont imputables au Nigéria et sont localisées au mouillage devant le port de Lagos.

De nombreux efforts ont été faits pour lutter contre cette piraterie, qui s’exerce avec une particulière violence contre les équipages. L’accent a été mis sur le partage de l’information maritime avec la création du Centre interrégional de Coordination (CIC) du Cameroun et à travers de nombreux programmes d’aide au renforcement des capacités maritimes et judiciaires des États côtiers. Les dix-sept pays de la région ont renforcé leurs moyens d’intervention et leur collaboration avec le soutien de la France, des États-Unis et de l’Union européenne. Les procédures de sécurité, aussi bien en termes de techniques de navigation, de communication, de reporting ou de gestion de crise ont été améliorées. On mentionnera à cet effet la publication de documents de référence par les grandes organisations du shipping international, afin de standardiser les bonnes pratiques permettant de limiter à la fois le nombre d’attaques réussies et les conséquences négatives de celles-ci. 
Il y a eu des velléités de reproduire le modèle de coopération internationale développée avec succès dans les eaux somaliennes et autour de la Corne de l’Afrique avec le déploiement de flottes internationales. Cette idée s’est heurtée à la vive résistance des États côtiers, très attachés au respect de leur souveraineté dans leurs eaux territoriales et leurs zones économiques exclusives.

Il faut aussi dire que d’autres activités illicites pèsent lourdement sur la sécurité maritime des États de la région, comme le bunkering (vol de combustible et revente sur place ou transfert vers des tankers en haute mer), les trafics d’armes et la migration illégale. On retiendra également que la région est confrontée à un modèle d’activité criminelle, un « business model », reposant sur le vol de cargaison, notamment d’hydrocarbures, mais également l’enlèvement des équipages contre rançon. Ces activités sont en partie le fait de certains groupes localisés dans le delta du Niger et liés à des mouvances armées insurgées où des gangs se sont spécialisés. Ces interactions entre groupes criminels et oppositions politiques armées restent par ailleurs très opaques.

Quid des risques de terrorisme maritime ? Cette menace est-elle marginale ?

La prise de conscience intervenue à la suite des attentats terroristes du 11 septembre 2001 a rendu le risque terroriste sur terre comme sur mer de plus en plus important. L’impact politique, humain et économique d’une attaque sur un port majeur, d’un bâtiment de croisière ou par exemple le minage du canal de Suez est pris très au sérieux par les États, les organisations de sécurité internationales et le transport maritime (shipping). La perspective d’une alliance criminelle entre pirates et terroriste est un scénario redouté. Il pourrait se révéler particulièrement néfaste et coûteux pour le transport maritime et la navigation internationale, civile ou militaire.

Des soupçons de collusion financière ou logistique entre organisations terroristes et groupes criminels pratiquant la piraterie maritime ont été souvent émis à l’encontre de pirates somaliens soupçonnés de soutenir et financer les groupes Al-Shabaab et Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA), ou de pirates opérant dans le delta du Niger accusés de liens avec Boko Haram. En Asie du Sud-Est, le groupe Abu Sayyaf, qui sévit aux Philippines, a utilisé la piraterie comme source de financement de manière régulière.

Au cours de l’été 2019, plusieurs navires étrangers ont été arraisonnés par l’Iran dans le détroit d’Ormuz. Alors que les tensions entre Washington et Téhéran sont aujourd’hui plus fortes que jamais, quelles peuvent être les conséquences, en termes de sécurité maritime, d’un conflit ou d’un blocage dans ce détroit qui voit passer le tiers du pétrole mondial ?

Le harcèlement du transport maritime et les nombreux incidents observables depuis quelques mois dans le Golfe et le détroit d’Ormuz génèrent une insécurité croissante et font peser une menace non négligeable sur la liberté de navigation et la sécurité des navires et de leurs équipages (que l’on aurait tort d’oublier) dans la zone. Le fait est que le détroit d’Ormuz constitue un couloir stratégique vital pour les échanges internationaux et le trafic maritime pétrolier mondial et, on le sait, un point de passage étroit et très vulnérable. Si le détroit est partagé entre la République islamique d’Iran et le sultanat d’Oman, c’est un couloir international, et en principe tous les navires, quel que soit leur pavillon, bénéficient du droit de passage en transit, conformément à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. 
On comprend donc que la perspective de toute action qui porterait atteinte à la libre circulation ou à la sécurité des navires en transit susciterait une réaction de la communauté internationale à commencer par les États-Unis, qui disposent dans la région d’une forte présence militaire, avec la Ve Flotte basée à Bahreïn et une grande base aérienne au Qatar. De son côté, la France dispose d’une base militaire à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis.

Malgré le déséquilibre des forces en présence, l’Iran a menacé à plusieurs reprises ces dernières années de bloquer le détroit en cas d’action militaire américaine dans la zone. On se souvient d’ailleurs des déclarations d’un amiral iranien expliquant que fermer le détroit était « très facile » pour l’Iran. La composante navale du corps des Gardiens de la Révolution se montre très agressive. L’Iran a renforcé ses bases militaires, dont le complexe portuaire de Bandar-Abbas, mais aussi ses postes d’observation sur les îles Tomb et Abu-Moussa, et effectue régulièrement de grandes manœuvres navales dans le Golfe pour montrer sa détermination, mais aussi qu’il n’est pas seul. En décembre, sa marine et des unités des Gardiens de la Révolution ont effectué des manœuvres navales conjointes avec des bâtiments russes et chinois dans le golfe d’Oman. Par ailleurs, l’Iran peut utiliser ses capacités de nuisance et ses relais en Irak, en Syrie et au Yémen, où les rebelles houthis peuvent contribuer à entretenir un foyer d’insécurité maritime en mer Rouge.

En Asie, les ambitions territoriales chinoises suscitent tensions et inquiétudes notamment en mer de Chine méridionale mais aussi en mer de Chine orientale. Quid de la sécurité maritime dans ces zones qui sont parmi les mers les plus fréquentées au monde ?

L’Asie est à bien des égards un laboratoire pour la sécurité maritime et la liberté des mers, et ce qui s’y joue a une répercussion qui va au-delà de la région, fût-elle aussi vaste que le concept Indo-Pacifique tend à nous l’enseigner. Il y a clairement une remise en cause du droit et des normes internationales, avec du côté chinois une politique dite du « fait accompli ». On assiste ainsi à un net accroissement des tensions interétatiques mêlant indistinctement, à l’initiative chinoise, marines de guerre, garde-côtes et flottes de pêche constituées en milices maritimes et adoptant une posture très agressive.

En mer de Chine du Sud, l’expansion maritime chinoise et le phénomène de poldérisation massive entrepris par Pékin dans les Paracels et les Spratleys illustrent une tendance globale à la territorialisation des mers, avec la remise en cause, ou du moins une relecture particulière, de la Convention de Montego Bay, communément perçue comme la « Constitution de la mer » signée en 1982. Constatant que la possession de zone économique exclusive (ZEE) est un gage de puissance politico-militaire et économique pour un État [voir l’analyse de D. Robin p. 32], la Chine, mettant en avant des droits historiques, construit des îles artificielles dans l’espace ainsi revendiqué et entend s’octroyer les 200 milles nautiques de ZEE attenante. Par ailleurs, elle conteste le droit de passage inoffensif des bâtiments de guerre dans ces ZEE. Cette attitude, qui aboutit à limiter la liberté de navigation maritime et de survol aérien, se traduit également par des restrictions sur les droits de pêche ou d’exploitation des ressources énergétiques des pays riverains, dont les Philippines ou le Vietnam font régulièrement les frais.

En mer de Chine de l’Est, le Japon dénonce régulièrement des « situations de zone grise » (grey zone situations) et des menaces hybrides, c’est-à-dire des tensions, ne relevant ni du temps de paix, ni du temps de guerre, et qui ont trait à la souveraineté et aux intérêts économiques maritimes. Tokyo fait ainsi référence aux incursions maritimes chinoises dans les eaux contiguës et territoriales des îles Senkaku, revendiquées par Pékin sous le nom d’îles Diaoyu.

L’attitude chinoise a conduit plusieurs puissances maritimes, dont le Japon, les États-Unis, l’Inde, l’Australie et la France, à faire de l’objectif de la liberté de navigation et de l’accès libre et ouvert aux lignes de communication maritimes un enjeu prioritaire de leur stratégie de défense et à mettre en avant une vision indo-pacifique des relations stratégiques internationales (1). Il reste à promouvoir un usage inclusif et coopératif de cette vision, afin de la faire partager par l’ensemble des acteurs de la région préoccupés par la montée de l’insécurité maritime, quelle qu’en soit la cause.

En partenariat avec l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire.

Propos recueillis par Thomas Delage le 28/01/2020

Note

(1) Pour aller plus loin sur ce sujet, lire Les Grands Dossiers de Diplomatie no 53, « Indo-Pacifique, géopolitique d’un nouveau théâtre d’influence ? », octobre-novembre 2019.

Légende de la photo en première page : le 8 novembre 2019, dans le golfe d’Oman, un soldat américain affecté aux forces de patrouille des gardes-côtes américains, donne une formation sur les mouvements tactiques d’équipe aux marins de la Royal Navy d’Oman, dans le cadre d’un exercice d’embarquement, fouille et saisie à bord pendant l’exercice maritime international « IMX19 ». Ce dernier, qui rassemblait plusieurs nations, a été conçu pour faciliter le partage de connaissances et d’expériences face à tout l’éventail des menaces maritimes, mais aussi afin de démontrer la détermination mondiale à maintenir la sécurité, la liberté de navigation et la libre circulation du commerce, du canal de Suez au détroit d’Ormuz. (© US Navy/Michael H. Lehman)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°55, « Géopolitique des mers et des océans », Février-Mars 2020.

À propos de l'auteur

Marianne Peron-Doise

Chercheure associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), où elle dirige l’Observatoire géopolitique de l’Indopacifique, et chargée de cours à Sciences Po Paris.

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