Les élections qui ont eu lieu le 30 septembre 2018 semblent sortir le gouvernement régional du Kurdistan irakien de l’ornière dans laquelle il était tombé, après le référendum d’indépendance de septembre 2017, au moment où les équilibres, en Irak et plus généralement au Moyen-Orient, sont en train d’évoluer.
Dans l’un des derniers numéros de Foreign Affairs (mars-avril 2019), Henry Barkey consacre une étude à ce qu’il appelle le « réveil kurde » (The Kurdish Awakening) (1). Selon lui, la plupart des éléments nécessaires à la constitution d’un État kurde unifié au Moyen-Orient se seraient imposés, rendant une telle hypothèse de moins en moins utopique. Il est vrai qu’au cours des dernières décennies, on a assisté à une montée en force des Kurdes sur la scène internationale, notamment dans trois de leurs principaux pays de peuplement : l’Irak, la Turquie et la Syrie. Dans le Nord de l’Irak, à l’issue de la guerre du Golfe, puis de l’intervention américaine de 2003, les Kurdes sont parvenus à disposer d’un gouvernement régional (GRK), entité fédérée du nouvel État fédéral irakien établi par la Constitution de 2005. En Turquie, alors que la guérilla du PKK n’a jamais vraiment cessé, une formation politique kurde (HDP) a empêché, en 2015, l’AKP, le parti au pouvoir, de conserver sa majorité absolue, en devenant la troisième formation représentée au Parlement. Enfin, en Syrie, les milices kurdes syriennes (YPG) sont devenues le bras armé de la coalition internationale contre Daech, prenant le contrôle d’une zone immense dans le Nord-Est du pays.
Pourtant, en dépit de ces acquis, la cause kurde traverse plutôt actuellement une période d’incertitudes, qui a hypothéqué durablement un réveil qui avait pu paraître irrésistible à certains. En Syrie, les Kurdes ont été confrontés à deux interventions de l’armée turque, alors même que le soutien de leurs alliés occidentaux est devenu incertain. En Turquie, particulièrement depuis le coup d’État manqué de 2016, qui a vu entre autres l’AKP s’allier aux ultra-nationalistes du MHP, le HDP fait l’objet d’une répression importante qui a affaibli ses positions politiques dans le système. Enfin et surtout, dans le Nord de l’Irak, la position des Kurdes, qui paraissait particulièrement bien établie, a été ébranlée à la suite de leur décision d’organiser un référendum d’autodétermination, à l’automne 2017. Les conséquences néfastes de cette décision ont porté un coup sérieux non seulement aux Kurdes irakiens, mais à l’ensemble de la géopolitique kurde prometteuse que nous évoquions, et ce d’autant plus que le référendum contesté a été suivi d’un long purgatoire, dont les élections législatives du 30 septembre 2018 semblent toutefois marquer la fin.
Les conséquences du référendum d’indépendance
Bien qu’il se soit soldé par un résultat massivement favorable (2), le référendum du 26 septembre 2017 sur l’indépendance du Kurdistan irakien a débouché sur un fiasco, parce qu’il a eu d’emblée une série d’effets néfastes et qu’il a paru ruiner, en quelques jours, la position avantageuse acquise patiemment par le GRK au cours de la décennie précédente. En premier lieu, la tenue de ce référendum a provoqué l’isolement régional et international de l’entité kurde autonome. Turcs et Iraniens se sont sentis d’autant plus floués qu’ils avaient le sentiment d’avoir fait beaucoup pour asseoir la crédibilité et assurer la sécurité de leur allié kurde. En février 2017, lors de la venue du président du GRK, Massoud Barzani, à Istanbul, Recep Tayyip Erdogan s’était attiré les foudres des nationalistes turcs du MHP en faisant pavoiser les bâtiments officiels avec le drapeau du GRK, comme on le fait habituellement pour l’accueil des chefs d’État étrangers. L’Iran, rappelant son appui crucial aux Kurdes irakiens lors de l’offensive de Daech, pendant l’été 2014, dénonçait pour sa part une initiative qui risquait d’affaiblir la lutte commune contre l’organisation djihadiste, tout en faisant le jeu de l’Arabie saoudite. En des termes plus mesurés, les soutiens internationaux traditionnels d’Erbil avaient manifesté une réprobation tout aussi déterminée, Washington évoquant « des résultats et un vote manquant de légitimité », Paris dénonçant une « initiative inopportune ». Si bien qu’Israël était le seul État à avoir clairement exprimé son soutien à l’initiative de Massoud Barzani ; pour le meilleur et pour le pire, d’ailleurs, car les adversaires du référendum avaient eu beau jeu de dénoncer l’avènement éventuel d’un Kurdistan irakien indépendant, comme le risque de voir naître un « deuxième Israël » au Moyen-Orient.
En second lieu, l’entêtement du GRK à tenir cette consultation a eu des suites locales encore plus redoutables, en aboutissant à une confrontation ouverte avec Bagdad, qui s’est traduite par la fermeture des aéroports internationaux d’Erbil et de Sulaymaniya, avant de voir l’armée irakienne et ses milices chiites lancer une offensive terrestre pour reprendre le contrôle de la ville de Kirkouk, de ses champs pétrolifères et des zones irakiennes, dont les Peshmergas avaient pris le contrôle durant la guerre contre Daech — ce qu’on appelle désormais les « territoires disputés » (3).
En dernier lieu, ce désastre politique et économique avait été aussi marqué par une réactivation des querelles intestines entre Kurdes irakiens, notamment entre le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), le premier reprochant au second sa tiédeur à l’égard de la consultation et le second estimant que celle-ci intervenait à un moment inopportun.
Les raisons d’un référendum manqué
Il y a pourtant des raisons qui expliquent que ce référendum ait eu lieu. Il faut les cerner pour comprendre les développements qui ont suivi, et essayer d’entrevoir l’avenir du Kurdistan irakien. Au cœur du processus référendaire, on trouve effectivement Massoud Barzani, et plus généralement sa famille, incarnation de la cause kurde en Irak, dont l’objectif ultime est l’indépendance. Mais depuis que l’intervention américaine de 2003 et la Constitution de 2005 ont consacré un Kurdistan irakien autonome, la cause kurde s’est paradoxalement enlisée. En effet, avec le GRK, un système complexe a été durablement installé. Fondé sur un régime politique qui se veut libéral et représentatif, il consiste surtout en un partage effectif du pouvoir et des territoires entre le PDK et l’UPK ; le tout fonctionnant selon une logique patrimoniale qui voit les familles Barzani et Talabani se répartir la plupart des postes de responsabilité. Ce système dépend en outre d’une économie inconstante, issue pour l’essentiel de la rente pétrolière, et repose sur une administration pléthorique et coûteuse, produite par une gestion népotique. En 2009 et en 2013, les élections, qui ont sans surprise maintenu le PDK et Massoud Barzani au pouvoir, ont néanmoins montré que ce système était contesté de l’intérieur, en consacrant notamment l’avènement du Goran, un mouvement séculier réclamant le changement et dénonçant la corruption. Cette contestation s’est également illustrée au printemps 2011, lors de manifestations inspirées par les printemps arabes, mais probablement instrumentalisées également par l’UPK, dans la mesure où elles se sont principalement tenues à Sulaymaniya. À ce paysage sociopolitique brouillé s’ajoute, à partir de 2013, le problème institutionnel de la présidence, Massoud Barzani ayant atteint le terme de son second mandat et arguant de l’instabilité de la situation régionale et par la suite de la menace djihadiste, pour obtenir la prolongation indéfinie de ses fonctions (4).
C’est dans ce contexte qu’on assiste à une relance de l’idée d’indépendance, ce qu’Adel Bakawan appelle « le mythe de l’indépendance du Kurdistan irakien » (5). Ce phénomène est donc issu de la crise intérieure que traverse le Kurdistan irakien. En se faisant le chantre de l’autodétermination, après deux mandats présidentiels à la tête d’une entité autonome ambiguë dans sa finalité, Massoud Barzani entend d’abord renouer avec son destin historique. Ce faisant, cela lui permet aussi de reprendre l’initiative pour imposer son agenda politique à l’ensemble des acteurs du système (UPK, Goran et autres forces politiques). Ainsi, plus qu’un projet politique mûri destiné à aboutir, la relance de l’idée d’indépendance est au départ surtout un artifice politique visant à replacer la famille Barzani au centre de l’avenir du Kurdistan irakien, alors même que le système du GRK, établi en 2005, paraît à bout de souffle. Loin de remettre en cause cette relance de l’indépendance, la défaite de Daech et le retour de la souveraineté irakienne sur le Nord de l’Irak, avec la reprise de Mossoul, la rendent encore plus urgente. Car en 2017, Massoud Barzani estime que le contexte lui est favorable pour plusieurs raisons. Avec le récent décès des leaders historiques de l’UPK et du Goran (Jalal Talabani et Nawshirwan Mustafa), il pense d’abord n’avoir plus de rivaux véritables. L’État irakien sort ensuite affaibli de la guerre avec Daech, et son autorité est battue en brèche par la relation économique et stratégique privilégiée que le GRK a nouée avec l’Iran et la Turquie. Enfin, le leader kurde croit pouvoir compter, tant sur le soutien des pays arabes conservateurs (Arabie saoudite…) que sur celui d’Israël, et il espère que la nouvelle présidence américaine, connue pour sa témérité et son imprévisibilité, souscrira à son audace.
Le succès du PDK aux dernières élections législatives
Alors même que ses adversaires dénonçaient un échec et invitaient Massoud Barzani à s’en excuser publiquement, au moment de son retrait de la présidence, en novembre 2017, force est de constater que « la fuite en avant » (6) du leader du PDK s’est avérée payante et qu’il a fini par retirer les fruits de son entêtement. Car, après un an d’une situation confuse, les élections législatives kurdes irakiennes du 30 septembre 2018 ont vu une victoire écrasante du PDK effacer le souvenir des scrutins incertains de 2009 et 2013. Malgré les contestations et les fraudes (7) qui ont entraîné un recomptage des voix pendant trois semaines, le PDK a en effet remporté 45 sièges (contre 38 en 2013) sur les 111 que compte le parlement kurde irakien, laissant loin derrière ses principaux rivaux : l’UPK, qui avec 21 sièges progresse à peine, et surtout le Goran, principale victime du scrutin, qui perd la moitié de sa représentation parlementaire (12 sièges contre 24 en 2013). Certes, le « mouvement de la nouvelle génération », formation inédite créée avant cette consultation, réalise une percée sensible, en obtenant 8 sièges, mais les islamistes sont les autres victimes du scrutin, la plus puissante de leurs formations, le Yekgrtu (lié aux Frères musulmans et à l’AKP turc) perdant elle aussi la moitié de ses sièges (5 contre 10 en 2013). La seule ombre au tableau pour le parti vainqueur est la faible participation (51,4 % contre 74 % en 2013) qui montre, malgré tout, la persistance d’une défiance tenace à l’égard des forces et des acteurs traditionnellement au pouvoir dans la région autonome.
Le vote du 30 septembre 2018 a donc permis au PDK d’engranger les dividendes de la montée en force du sentiment national qu’il avait fait renaître au cours des dernières années et plus particulièrement avec l’organisation du référendum. Mais ce scrutin marque aussi le retour au premier plan des deux partis historiques peshmergas du Kurdistan irakien, le PDK et l’UPK, qui tiennent en réalité les principaux leviers de pouvoir politiques, économiques et militaires, sur les formations dissidentes réformistes ou islamistes qui étaient apparues pour contester le système avec succès, au cours de la dernière décennie. En ce sens, ces élections consacrent la victoire d’un establishment sur une société civile émergente.
À l’issue de ce résultat, les deux formations historiques ont d’ailleurs réussi à mettre sur pied un accord de gouvernement, le 5 février 2019, avant la première session du parlement kurde irakien, qui s’est tenue le 18 février suivant. Mais ce processus, confirmé au début du mois de mai 2019, peine à être finalisé, du fait de désaccords sur le partage des responsabilités gouvernementales entre PDK et UPK, sur la place que conservera malgré tout le Goran au sein de l’Exécutif, et surtout sur l’attribution de certains postes comme le gouvernorat de Kirkouk. Les négociations sont en outre rendues difficiles par les divisions internes qui minent l’UPK. Parallèlement, une redistribution des rôles a été réalisée, au sein de la famille Barzani. Alors même que Massoud Barzani fait figure de statue du commandeur et que, significativement, les hôtes étrangers de passage à Erbil lui rendent toujours visite, Masrour Barzani, son fils, président du Conseil de sécurité de la région du Kurdistan (une instance majeure qui contrôle la police et les services de renseignement) est devenu Premier ministre, le 11 juin 2019. Quant à Nechirvan Barzani, le neveu de Massoud et Premier ministre depuis 2012, il a été élu par le Parlement, le 28 mai 2019, à la présidence du Kurdistan irakien (vacante depuis la démission de son oncle, en novembre 2017). Le partage des fonctions exécutives entre les deux cousins, Nechirvan, plus ouvert car conciliant notamment à l’égard de l’UPK, et Masrour, plus nationaliste car marqué par la nature sécuritaire des tâches qu’il a assumées jusqu’à présent, doit s’accompagner d’un réaménagement du dispositif institutionnel (8). Mais plus que jamais, au Kurdistan irakien, l’exercice effectif du pouvoir est une affaire de famille (9) dont Massoud Barzani continue à être un acteur majeur.
De nouvelles relations entre le PDK et Bagdad
Le plus gros changement dans la configuration du pouvoir tient en fait à la nouvelle implication des partis kurdes dans l’exercice du pouvoir fédéral à Bagdad, puisque pour la première fois a été rompu l’accord tacite initial qui voyait le PDK laisser la présidence de l’Irak à un membre de l’UPK. De 2006 à 2014, cette présidence avait ainsi échu à Jalal Talabani, puis de 2014 à 2018 à Fouad Massum. Or, la dernière élection présidentielle irakienne, qui s’est tenue le 2 octobre 2018, à Bagdad, au sein du parlement irakien élu en mai 2018, a vu le PDK tenter de faire élire un candidat kurde d’union, qui était en réalité très proche de Massoud Barzani. C’est pourtant un ténor de l’UPK, Barham Salih, au demeurant ancien Premier ministre du GRK (de 2006 à 2009) et ancien vice-Premier ministre du gouvernement irakien fédéral, qui s’est finalement imposé. L’élection, qui a vu les députés chiites irakiens ignorer les consignes de vote de leur propre gouvernement, a reflété la défiance qui persiste à Bagdad à l’égard de la famille Barzani et du PDK, en dépit des bonnes relations qui peuvent exister entre le nouveau Premier ministre irakien, Adel Abdel Mehdi, et le GRK.
Il faut ajouter que, depuis les dernières élections législatives irakiennes de mai 2018, le PDK dispose aussi au sein du parlement irakien d’une représentation parlementaire conséquente (25 députés sur 329), ce qui n’était pas le cas auparavant. Cette représentation est même supérieure à celle de l’UPK (18 députés), qui était déjà présente antérieurement. Cela a permis à Erbil de participer à la formation du nouveau gouvernement irakien et d’accélérer la sortie de la crise post-référendaire, notamment en obtenant le déblocage de son espace aérien et de ses aéroports. Les positions du PDK se sont donc renforcées au niveau périphérique et au niveau central, ce qui veut dire que cette formation, qui a pour l’heure mis sous le boisseau son rêve d’indépendance, est désormais en mesure d’interférer sur les choix politiques irakiens et de devenir un acteur beaucoup plus influent du fédéralisme irakien. Washington et Paris soutiennent d’ailleurs l’idée d’un GRK fort à l’intérieur d’un Irak uni (10). Ceci est d’autant plus important que la nouvelle ère qui est en train de s’ouvrir en Irak, après la défaite de Daech, passe nécessairement par une redéfinition des rapports entre Erbil et Bagdad.
Les enjeux économiques et internationaux
Dans ce cadre, l’avenir du Kurdistan irakien dépendra aussi de l’évolution de sa situation économique. La guerre contre l’État islamique a certes gelé les investissements dans une région en laquelle certains voyaient, il y a quelques années, un nouveau Dubaï. Mais l’économie de rente, assise sur une manne pétrolière, qui représente 2 % des réserves mondiales et 96 % des ressources du GRK (11), est également trop soumise à l’aléa des variations des cours du brut. La région doit donc générer un vrai développement dans les prochaines années, en diversifiant ses sources de revenus. Mais, à l’heure où la crise ouverte par les conflits des dernières années et par le référendum s’achève, avec le rétablissement de relations avec Bagdad, le déblocage du budget fédéral et le paiement des salaires des fonctionnaires, l’avenir du Kurdistan irakien dépendra beaucoup également des nouveaux équilibres qu’il saura établir avec ses voisins et avec les puissances qui comptent sur le plan régional.
Erbil, où se construit l’un des plus gros consulats américains au monde, pense pouvoir tirer parti du retrait américain esquissé en Syrie. Il reste que la tendance actuelle du déclin de l’influence américaine dans la région constitue malgré tout pour le GRK une donnée difficile à négocier, notamment parce que cela place Bagdad dans une dépendance plus forte de l’Iran, au demeurant allié traditionnel de l’UPK.
Cette situation rend urgente la nécessité pour le PDK de renouer avec son « allié » turc. On observe, à cet égard, que le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavusoglu, qui s’est rendu en Irak le 29 avril 2019, a fait une halte remarquée à Erbil, et qu’il a été l’un des premiers responsables officiels à féliciter Nechirvan Barzani après son élection. La normalisation des relations économiques avec Ankara est essentielle pour le GRK, tant la Turquie peut aider au développement de la région kurde. Et le moment de cette relance est opportun, car depuis la reprise des sanctions contre l’Iran, la Turquie est à la recherche de pétrole. Toutefois, l’appui politique d’Ankara aura un prix, celui de la lutte contre le PKK et les YPG. Ayant ses bases arrière dans les montagnes de Qandil, au nord de l’Irak, l’organisation qui mène la guérilla en Turquie dispose aussi, depuis sa contre-offensive contre Daech, de positions importantes sur la frontière turque dans les monts Sinjar. Le 27 mai 2019, à la veille de la visite en Turquie du président kurde irakien, Barham Salih, Ankara a lancé une incursion militaire d’envergure, l’opération « Griffe » (Pençe operasyonu), contre les positions du PKK dans le Nord de l’Irak, avec l’aval tacite du GRK. En Syrie, par ailleurs, avant même la relance de ses relations avec Ankara, le GRK a insisté, auprès de ses « frères » kurdes, pour qu’ils acceptent une solution politique à l’intérieur d’un État rétabli dans sa souveraineté, et qu’ils engagent à cet effet des négociations avec le régime de Bachar el-Assad (12). Plus généralement, dans un contexte où la fin de la crise syrienne est actuellement négociée dans le cadre du processus d’Astana, où la Russie joue un rôle majeur, l’établissement de bonnes relations avec Moscou est aussi l’une des données importantes à venir de la nouvelle géopolitique du Kurdistan irakien. Et ce d’autant plus que la Russie y est économiquement de plus en plus présente. Le retrait de Washington et l’avènement d’un Moyen-Orient soumis au jeu d’acteurs régionaux influents et parfois rivaux (Russie, Iran, Turquie, Arabie saoudite) risque d’être le principal défi à relever pour des Kurdes irakiens, qui étaient le plus souvent perçus, jusqu’à présent, comme liés de façon privilégiée aux Occidentaux.
Notes
(1) Henry J. Barkey, « The Kurdish Awakening : Unity, Betrayal and Future of the Middle East », Foreign Affairs, Mars/Avril 2019, volume 98, no 2, p. 107-118.
(2) Le « oui » l’a emporté avec 92,73 %, la participation ayant été de 72,16 %.
(3) Sur le sujet, cf. Adel Bakawan, « Les Kurdes d’Irak, une difficile formule politique », Confluences Méditerranée, 2018/2 (no 105), p. 113-130.
(4) Ce mandat avait été d’abord prolongé pour deux ans par le Parlement puis s’était poursuivi dans les faits après l’offensive de Daech en Irak.
(5) Adel Bakawan, « Le mythe du Kurdistan irakien », Confluences Méditerranée, 2014/4, p. 165-179.
(6) Allan Kaval, « La fuite en avant de Barzani après le référendum d’indépendance », Le Monde, 4 octobre 2017.
(7) Dana Taib Menmy, « Iraqi Kurds vote to elect new parliament », Al-Monitor, 1er octobre 2018 ; « Iraqi Kurdistan opposition parties reject election », Al-Monitor, 24 octobre 2018.
(8) Se posent à cet égard, non seulement des questions politiques (accord gouvernemental entre les partis), mais aussi institutionnelles (après le retrait de Massoud Barzani, le Parlement a redistribué des pouvoirs du président…).
(9) Dana Taib Menmy, « Iraqi Kurdistan still working out kinks in new parliament », Al-Monitor, 22 février 2019.
(10) Cf. Adel Bakawan, L’impossible État irakien, Paris, l’Harmattan, 2018.
(11) Cf. Adel Bakawan, op. cit.
(12) Amberin Zaman, « Iraqi Kurds urge their Syrian cousins to make peace with Damascus », Al-Monitor, 14 mars 2019.
Légende de la photo : le 25 septembre 2017, la région autonome du Kurdistan irakien ainsi que les autres territoires du Nord de l’Irak contrôlés militairement par les Kurdes se prononcent à une écrasante majorité (92,7 %) en faveur de l’indépendance. Mais en réponse à ce référendum d’autodétermination non reconnu par le gouvernement central d’Irak, les forces irakiennes reprennent, fin octobre 2017, la quasi-totalité des territoires que les Kurdes avaient conquis dans leur lutte contre l’État islamique, ramenant le Kurdistan à peu de choses près à ses frontières de 2014. (© Shutterstock/thomas koch)