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Les ambassadeurs et leur travail en Occident au Moyen Âge

La diplomatie ne naît pas au XVe siècle avec les ambassades résidentes. Au Moyen Âge déjà, l’on recourt très souvent aux ambassadeurs pour des missions temporaires. Leur rôle est capital pour des puissances séparées par la distance. Certains d’entre eux deviennent de véritables spécialistes, en particulier des experts de la négociation.

En 802, d’après les Annales du royaume des Francs, un ambassadeur de Charlemagne, « Isaac, revint avec un éléphant et d’autres cadeaux envoyés par le roi des Perses [le calife abbasside Harun al-Rashid], et il remit le tout à l’empereur à Aix-la Chapelle. Le nom de l’éléphant était Abul Abaz » (1). Quatre siècles plus tard, un ambassadeur de saint Louis apporta au roi d’Angleterre Henri III un autre éléphant, ramené de Terre Sainte. Le pachyderme attira la foule à Londres lorsqu’il se baigna dans la Tamise. À côté de ces véritables événements, qui ont marqué les esprits et les chroniqueurs, il y eut au Moyen Âge beaucoup d’autres missions diplomatiques, souvent bien plus modestes. Le duc de Bourgogne Philippe le Bon dépêcha par exemple au moins 1412 ambassades hors de ses territoires entre 1419 et 1467 !

Les sources témoignant de ces échanges fréquents sont riches et variées. Les chroniques et les enluminures livrent des renseignements précieux sur les réalités et sur l’imaginaire de la diplomatie. Les archives préservent de nombreux documents de la pratique, des traités et des lettres de souverains pour la période la plus haute, puis, à partir du XIVe siècle, également des correspondances d’ambassadeurs, des pièces comptables et des journaux de mission.

En puisant dans ces fonds, de multiples études d’histoire politique, sociale et culturelle ont depuis une vingtaine d’années profondément modifié nos connaissances sur les ambassades et plus généralement sur la diplomatie médiévale. Une vue d’ensemble sur les ambassadeurs des puissances d’Occident est devenue possible. Auparavant négligés par les historiens, ils sont désormais considérés comme des acteurs essentiels, au sein de la Chrétienté et dans ses relations avec l’extérieur.

Les mots et les qualités de l’ambassadeur
Les hommes du Moyen Âge envisageaient les ambassades et pratiquaient la diplomatie différemment d’aujourd’hui. En ce domaine comme dans bien d’autres, les transformations furent néanmoins importantes durant le millénaire médiéval.

Le vocabulaire de l’époque en donne une première mesure. Le mot même de diplomatie n’existait pas encore — il apparaîtra au XVIIIe siècle —, et les chargés de missions diplomatiques portaient des titres très divers. Du VIIIe siècle au XIIe siècle, les documents, tous en latin, mentionnaient en Occident des « envoyés », des « émissaires » ou des « légats » (nuntii, missi, legati). Au-delà de quelques nuances, ces termes étaient souvent interchangeables. Les choses se modifièrent sensiblement entre le XIIe et le XVe siècle. Certains documents diplomatiques et récits d’ambassades étaient dorénavant rédigés dans des langues vernaculaires, et le lexique évolua de façon remarquable.

Un mot ancien, « procureur », resurgit avec force pour désigner les émissaires munis de procurations. C’est là un effet de la redécouverte du droit romain en Italie au XIIe siècle. On commençait aussi à évoquer des « ambassadeurs », d’abord à Gênes et Venise, puis ailleurs en Occident. Les individus concernés avaient un rang social élevé et leurs missions étaient importantes. Les puissances italiennes du Quattrocento qualifiaient par ailleurs souvent leurs émissaires d’« orateurs ». Grâce à ce vocabulaire renouvelé, on distinguait désormais plus nettement les messagers des ambassadeurs, et les ambassadeurs entre eux.

Ces changements de mots et de sens reflètent-ils une transformation plus profonde dans la manière d’envisager les envoyés diplomatiques ? La fidélité, l’obéissance, la sagesse, la prudence et le discernement demeuraient pour eux une forme d’impératif. Ils devaient aussi, dans l’idéal, posséder les qualités de ceux qu’ils représentaient. Ce point est maintes fois souligné dans le droit canon, dans les gloses de droit romain et dans les miroirs des princes. Au XIIIe siècle, Roger Bacon considérait ainsi que « le messager ou l’envoyé [était] l’œil [du prince] pour ce qu’il ne [pouvait] voir, son oreille pour ce qu’il ne [pouvait] entendre, et sa langue en son absence » (2). Il devait « démontrer la sagesse de celui qui l’envoyait », « éviter ou fuir toute turpitude ou faute », repousser l’argent et l’alcool, au risque sinon de livrer des secrets.

À la fin du Moyen Âge, d’autres compétences, plus spécifiques à la diplomatie, furent mises en avant, et les recommandations sur l’attitude à adopter dans les cours étrangères ou durant les négociations devinrent plus explicites. En 1436, Bernard de Rosier rédigea le premier opuscule exclusivement consacré aux ambassadeurs, l’Ambaxiatorum Brevilogus. Pour mener à bien des ambassades, expliquait-il, il fallait non seulement réunir des qualités morales éminentes, être d’un rang correspondant au destinataire et à l’importance de la mission, se comporter dignement et prudemment, mais aussi agir avec mesure. De Rosier innovait par ses conseils techniques et pragmatiques. Il recommandait de toujours suivre une voie douce et médiane, de laisser l’interlocuteur révéler en premier ses intentions afin d’entrer en négociation en position de force. Quelques décennies plus tard, l’italien Diomedo Carafa voulait des ambassadeurs ayant « de la cervelle ». L’on s’accordait progressivement pour comprendre leur activité comme un travail, avec un savoir-faire propre, qui n’excluait pas l’usage de la dissimulation.

Les hommes choisis

Ces ambassadeurs aux compétences peu à peu mieux définies servaient de très nombreuses autorités. Au Moyen Âge, les papes et les rois, les princes et les cités-États, des ordres militaires, religieux et mendiants, des villes et même des condottières envoyèrent des ambassades. Choisissaient-ils alors tous des hommes aux profils et aux parcours identiques ?

La nomination des ambassadeurs revenait à des instances différentes. Dans les monarchies et les principautés, c’était une prérogative du prince. Dans les Républiques et les villes, le choix était en revanche une procédure plus formalisée. Il fallait respecter les équilibres internes de pouvoir, souvent recourir à l’élection et même parfois, en Italie, rendre obligatoire l’acceptation de la mission. Malheur aux récalcitrants !

À Vérone, ils risquaient la prison, d’être battus publiquement, marqués au front et déchus de leur citoyenneté en cas de refus répété de partir.
La composition des ambassades ainsi choisies se caractérisait par une grande diversité. Les délégations carolingiennes réunissaient ordinairement un ou deux émissaires. Certaines associations furent par la suite fréquentes : un laïc avec un clerc, ou bien un noble avec un prélat et un juriste. Mais il n’y avait pas de modèle figé. La qualité des ambassadeurs et leur nombre dépendaient des capacités financières, de l’importance de la mission et du message que l’on voulait transmettre. En 1435, le duc de Bourgogne Philippe le Beau démontra sa richesse et son amour de la paix en envoyant pas moins de vingt-quatre représentants au congrès d’Arras.

Dans ce cadre somme toute assez souple, les pouvoirs choisissaient pour ambassadeurs des individus qui se rejoignaient sur des points essentiels. Ils étaient dans leur immense majorité des hommes, en général d’âge mur (entre trente et soixante ans selon les critères de l’époque). Ils avaient la confiance de leur mandant, ce qui explique la place essentielle des membres des conseils royaux et des autres proches des princes. Ils furent enfin pendant longtemps presque exclusivement choisis parmi les clercs, les religieux et les nobles.

La physionomie des ambassades connut cependant plusieurs transformations majeures entre le VIIIe siècle et le XVe siècle. Tout d’abord, les mutations de l’Église, des ordres religieux et de leurs rapports respectifs avec les pouvoirs séculiers ne restèrent pas sans effet. Les évêques et les abbés avaient joué un rôle primordial dans la diplomatie carolingienne et postcarolingienne. À partir du XIIe siècle, des membres des ordres religieux et militaires récemment créés accomplirent des missions de paix entre chrétiens, se rendirent au Maghreb et dans les États d’Orient qu’ils connaissaient bien. Les franciscains et les dominicains, dont les ordres avaient été fondés au XIIIe siècle, furent fréquemment sollicités, par exemple pour des missions périlleuses auprès des khans mongols. Les habits des religieux changeaient donc, mais ils continuaient à rendre visible la foi de leur mandant. Ils bénéficiaient d’une immunité supplémentaire, et nombreux étaient ceux qui maîtrisaient au moins des rudiments de latin. De tels atouts n’étaient pas négligeables.

Les grands nobles, qui connaissaient bien les codes des cours, demeuraient indispensables dans les ambassades les plus solennelles. Peu à peu néanmoins, d’autres laïcs se frayèrent une place. Des juifs maîtrisant l’arabe furent fréquemment envoyés par les rois de Sicile ou d’Aragon auprès de souverains musulmans en Méditerranée. À partir du XIIe siècle, les notaires et les juristes devinrent de plus en plus nécessaires dans des échanges diplomatiques où il fallait savoir manier le droit. En Italie, certains marchands étaient des ambassadeurs renommés. Ailleurs, les rois leur confiaient seulement des missions secondaires, leur statut paraissait encore insuffisant à une représentation digne. En dépit de ces hésitations, la place des laïcs parmi les ambassadeurs s’accrut assurément en fin de période.

Enfin, les missions à l’étranger furent plus fréquemment confiées à de véritables spécialistes. Au XIIe siècle, Godefroy de Viterbe, un chapelain de l’empereur Frédéric Barberousse, prétendait dans sa Mémoire des siècles s’être rendu deux fois en Sicile, trois fois en Provence, une fois en Espagne, souvent en France, et quarante fois à Rome. C’était alors une exception, l’affirmation suspecte d’un homme soucieux de faire valoir son dévouement à toute épreuve. À partir du XIVe siècle en revanche, les pouvoirs princiers et royaux utilisèrent régulièrement pour leur diplomatie des experts pris parmi les conseillers, les familiers, les nobles et les prélats. Il y avait des spécialistes par pays, parfois d’origine étrangère et liés à plusieurs cours, des hommes rompus aux négociations de paix ou aux longues tractations matrimoniales, et de véritables experts polyvalents. Consacrant une part essentielle de leur activité et de leur vie à la diplomatie, ils maîtrisaient les dossiers et assuraient une forme de continuité dans le traitement des affaires. Qu’on ne s’y trompe pas cependant : même au XVe siècle, les non-spécialistes restaient nombreux ; en Italie, on craignait que les experts n’agissent au détriment du bien commun, et il n’y avait nulle part des ambassadeurs professionnels.

Les ambassades, des voyages

Dans un monde dépourvu de représentations diplomatiques permanentes, le mot d’ambassade ne désignait jamais un bâtiment, il signifiait une charge temporaire, impliquait un voyage. Tous les ambassadeurs faisaient l’expérience de la route. Les préparatifs, assez bien connus en fin de période, révèlent un travail logistique complexe. Souvent dans l’urgence, il fallait réunir de l’argent, des hommes et leurs serviteurs, des montures et du fourrage, des vêtements et de la nourriture, du vin et des chandelles… Les ambassadeurs se mettaient à jour de l’affaire, lisaient le cas échéant les pièces d’archives utiles à leur mission, prenaient conseil. Les chancelleries s’affairaient pour rédiger de nombreuses accréditations, des lettres, des procurations, des sauf-conduits et rassembler les pièces utiles (traités, privilèges, enquêtes…).

Instruits de leur mandat, pourvus d’un pécule rarement suffisant et munis de leurs dossiers, les ambassadeurs entraient alors dans un état d’exception. Ils ne pouvaient pas en cours de mission être attaqués en justice. En l’absence d’un code international, le droit des gens (ius gentium), les lois barbares, le droit canonique et les injonctions religieuses s’accordaient sur l’inviolabilité de leur personne. Enfreindre ce principe conduisait celui qui s’y risquait à mettre en danger sa réputation, voire à être accusé de crime de lèse-majesté.

Ainsi protégées, de véritables micro-sociétés se mettaient en mouvement pour de singuliers voyages. Certains partaient seuls, d’autres avec un compagnon ou quelques hommes, mais les suites pouvaient atteindre plusieurs centaines de personnes. De nombreux accompagnateurs étaient en effet nécessaires pour tenir son rang, garantir la sécurité et pouvoir communiquer en chemin.

Sur mer, préférence était donnée au cabotage, tandis que sur terre, les grands axes étaient privilégiés. La vitesse dépendait de l’urgence, de l’importance de la suite, du relief, des aléas climatiques, des maladies des hommes et des blessures des bêtes, des attaques, qui n’étaient pas rares. Le rythme des voyages devint plus prévisible au XVe siècle et dans certaines régions seulement. Grâce à la proximité entre les villes italiennes et à la systématisation des étapes, le duc Francesco Sforza pouvait en 1454 fixer à 84 heures et demie la durée d’un Milan-Rome.

Même si chaque voyage demeurait une épreuve, les ambassadeurs bénéficiaient donc dans l’ensemble de conditions assez privilégiées. Des escortes les accueillaient fréquemment à la frontière des empires et des royaumes. Protégés, guidés et surveillés, ils se distinguaient aussi par de multiples actes de représentation en route. Ils faisaient des pèlerinages, donnaient des aumônes. Leurs voyages rendaient visible le pouvoir de ceux dont ils portaient les messages.

Rencontres, négociations, échanges

L’arrivée d’une ambassade dans une cour étrangère ouvrait un temps de rencontres et d’échanges. Les ambassadeurs bénéficiaient ordinairement d’un traitement de faveur. Ils étaient accueillis officiellement, l’hospitalité leur était due. La distance parcourue pour venir à leur rencontre, la qualité de leurs logements et de l’assistance variaient toutefois considérablement d’une délégation à l’autre, en fonction du statut des émissaires et de celui de leur mandant, de la magnificence voulue par l’hôte et des relations entre les puissances concernées. Le séjour même des ambassadeurs durait parfois quelques jours, mais souvent plusieurs mois à la curie, où les affaires à traiter étaient complexes, et l’accès au pape difficile. Ailleurs, la résidence prolongée releva de l’exception jusqu’au XVe siècle.

Les échanges se déroulaient ordinairement en plusieurs étapes successives. Les ambassadeurs étaient d’abord annoncés, puis introduits auprès du prince pour une audience solennelle lors de laquelle ils transmettaient le salut de leur maître et remettaient leurs lettres de créance. Ils présentaient ensuite la proposition contenant l’objet de leur mission. La puissance réceptrice usait du moment pour exprimer avec force son autorité. À Constantinople, les ambassadeurs devaient effectuer alors une proskynèse, autrement dit se prosterner front contre terre. En se relevant, ils apercevaient le trône où siégeait l’empereur, le basileus, s’élever au-dessus du sol, des lions mécaniques se mettre en mouvement, et ils entendaient résonner les orgues, instrument impérial par excellence. Ces premières audiences étaient aussi en Occident le moment des harangues, de beaux exercices rhétoriques, parfois fort longs… et auxquels on ne répondait pas immédiatement. D’autres rencontres moins formelles étaient ensuite consacrées aux négociations. Les ambassadeurs cherchaient à s’entretenir avec le prince en privé, par exemple, à Naples, dans le jardin de la maîtresse du roi Alphonse le Magnanime (1416-1458). Ils se contentaient toutefois en général de discussions avec des conférents ou des « traiteurs » spécialement désignés par des souverains. Ces derniers refusaient en effet de reconnaître ouvertement leur implication dans des négociations, car cela aurait pu paraître une faiblesse et être interprété comme le signe qu’ils étaient prêts à transiger sur leurs droits.

Loin d’une exposition publique dangereuse, les négociateurs se réunissaient discrètement, dans des auberges ou des résidences particulières. Leur travail supposait à la fin du Moyen Âge une grande expertise dans le maniement de l’écrit. Des instructions précisaient notamment les propos à tenir et imaginaient parfois au préalable le déroulement des entretiens, en indiquant les concessions possibles et les lignes rouges à ne franchir sous aucun prétexte. Les ambassadeurs devaient aussi vérifier des pouvoirs, élaborer des accords intermédiaires, rédiger des lettres ou, en Italie, des dispacci (le mot à l’origine des « dépêches »), des rapports ou « relations » (relazioni à Venise). Ils y précisaient, non sans tamisage critique, les informations qu’ils avaient pu réunir. Ces textes révèlent la formation progressive d’un savoir sur l’étranger et d’un langage technique de la négociation, avant même le développement des ambassades résidentes.

Dans le même temps, les ambassades permettaient de nouer ou de poursuivre le dialogue entre puissants à travers des rituels et des cérémonies. L’échange de cadeaux, une forme d’obligation tacite, jouait à cet égard un rôle essentiel. Pièces de tissus, manuscrits, armes, bijoux, vaisselle…, les présents choisis s’avèrent extrêmement variés. Ils différaient selon les régions, le message recherché et la puissance des protagonistes. On n’offrait pas un éléphant à un prince de second rang ! Les cadeaux rappelaient la richesse des donateurs, ils ravivaient, infléchissaient parfois le lien entre les parties. Une telle pratique pouvait aussi faciliter la circulation des objets et des savoirs, satisfaire des aspirations religieuses. Des clepsydres, le Digeste — un recueil de citations de juristes romains composé sous l’empereur Justinien (527-563) — et l’Histoire d’Alexandre le Grand parvinrent d’Orient en Occident par cette voie, de nombreuses reliques également. Sans avoir d’effets aussi durables, les autres cérémonies auxquelles participaient les ambassadeurs mêlaient également rites d’hospitalité, signes d’amitié et démonstrations de puissance. Le déroulement des audiences solennelles ou des banquets reflétait les intentions de chacun, le degré réel de l’entente. En 968, lorsque l’émissaire de l’empereur Otton Ier, Liutprand de Crémone, fut à Constantinople relégué à la quinzième place de la table du basileus, nul doute sur l’offense commise n’était permis.

Ce que le Moyen Âge a changé (ou pas) à la diplomatie

Dans l’histoire générale de la diplomatie et plus particulièrement des ambassades, le Moyen Âge s’avère finalement une période très contrastée. Les conditions dans lesquelles les ambassadeurs effectuaient leurs missions demeurèrent pour partie inchangées. De longs voyages, une immunité de fait, de brefs séjours dans les cours étrangères : tel était le lot commun pour la plupart. On continuait à prétendre qu’ils œuvraient au rapprochement entre chrétiens, notamment pour lutter contre les infidèles, alors que, de façon moins angélique, la défense de l’honneur et du profit de leurs maîtres était leur objectif principal. Les ambassades pouvaient de la sorte susciter ou aviver des conflits, et leur issue était imprévisible. Ces risques n’étaient pas nouveaux, mais l’on en avait une conscience accrue à la fin du Moyen Âge.
Les principales transformations concernent les hommes et leur travail. La figure de l’ambassadeur devint beaucoup plus distincte au cours de la période, et l’intérêt que lui portaient les chroniqueurs, les juristes et les auteurs de réflexions politiques s’accrut considérablement. À partir du XIIIe siècle, l’action diplomatique, sans cesser d’être une affaire de représentation, fut de plus en plus aussi un enjeu d’information et d’écriture. Il s’avéra dès lors indispensable de recourir plus souvent à des spécialistes. Ceux-ci développèrent un véritable savoir-faire, en particulier pour mener à bien les difficiles travaux de négociation.

De ce long Moyen Âge diplomatique, les traces sont encore présentes. Le sens actuel du mot « ambassadeur » vient de là. Il en va de même de certains documents essentiels, tels les instructions et les lettres de créance. Les ambassades temporaires, enfin, ne disparurent pas avec le développement des ambassades résidentes à partir de la deuxième moitié du XVe siècle en Italie. Certains furent même très rétifs à ce nouvel usage. Louis XI l’expliquait au printemps 1464 à Alberico Malletta, un orateur du duc de Milan, résident à sa cour depuis plus d’une année : « La coutume de France n’est pas semblable à celle d’Italie. Chez nous, avoir continûment un ambassadeur paraît le fait du soupçon et non pas du plein amour, et chez vous, c’est le contraire » (3). À la fin du Moyen Âge déjà, il n’y avait pas unanimité sur la bonne façon de faire de la diplomatie.

Notes
(1) Monumenta Germaniæ Historica, Annales regni Francorum inde ab a. 741 usque ad a. 829, qui dicuntur Annales Laurissenses maiores et Einhardi, éd. Friedrich Kurze, 1895, p. 117.
(2) Roger Bacon, Secretum Secretorum cum glossis et notulis, tractatus brevis et utilis ad declarandum quedam obscure dicta fratris Rogeri, Oxford, éd. R. Steele, 1920 (Opera hactenus inedita Rogeri Baconi, V), p. 147-148.
(3) Bernard de Mandrot, Dépêches des ambassadeurs milanais en France sous Louis XI et Francesco Sforza, 1919, t. II (1464), doc. X, p. 126 (traduit de l’italien).

Légende de l’image en première page : Le Départ des ambassadeurs de Vittore Carpaccio, peintre italien du XVe siècle, fait partie du cycle de la « Légende de sainte Ursule » (Galleria Accademia, Venise). Le tableau représente le roi de Bretagne communiquant la réponse de sa fille Ursule à l’ambassadeur anglais venu demander sa main pour le fils du roi d’Angleterre. Au Moyen Âge, une vaste palette de tâches incombait à l’ambassadeur, parmi lesquelles la négociation des alliances entre royaumes, réalisées par les mariages royaux. 

Article paru dans la revue Diplomatie n°99, « État islamique : Nouveaux fronts, nouvelles menaces », juillet-août 2019.

Jean-Marie Moeglin (dir.), Stéphane Péquignot, Diplomatie et « relations internationales » au Moyen Âge (IXe-XVe siècle), Paris, PUF, 2017, 1105 p.

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