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Devenir invisible ? Les technologies C3D2, nouveau champ d’innovation

La conjonction du retour aux États-puissances et la montée en puissance des techno-guérillas ont des implications directes sur la manière d’envisager les technologies et techniques C3D2 (Cover, Concealment, Camouflage, Denial, Deception). La discrétion redevient un impératif pour des troupes au sol de plus en plus surveillées par des capteurs toujours plus nombreux et dont la qualité ne fait que s’améliorer. Mais est-il possible de devenir invisible ?

La furtivité totale n’est qu’une vue de l’esprit : tout système, même optimisé pour réduire ses signatures, laisse des traces. Si l’on peut réduire sa réflectivité radar et chercher à minimiser sa signature infrarouge, il laisse également une empreinte visuelle. Last but not least, la tendance actuelle à la numérisation implique nécessairement d’accroître les signatures électromagnétiques, allant à l’encontre de tout impératif tactique… Pour autant, les technologies de discrétion progressent également. En la matière, la Suède s’est rapidement distinguée. D’abord avec le système Adaptiv : des tuiles thermoréactives réagissant aux ordres d’un ordinateur couplé à des capteurs analysant en permanence l’environnement d’un blindé, d’un navire ou d’un hélicoptère. Le système permet ainsi de « fondre » un blindé dans son environnement, et même de lui faire produire la signature thermique d’une voiture, par exemple (1). Reste que le système ne fonctionne que face à des capteurs infrarouges. Il semble par ailleurs moins efficace lorsqu’un adversaire utilise des capteurs SWIR (Short Wave Infra-Red). À décharge, ceux-ci sont encore peu répandus sur les postes de tirs et les missiles antichars, face auxquels l’Adaptiv a été conçu.

On peut également tenter d’étendre la rationalité de l’invisibilisation. Là aussi, Saab s’est positionné sur une logique particulière, avec la mise au point d’un camouflage multispectral adapté à chaque véhicule, le Barracuda MCS (Mobile Camouflage System). Des panneaux de quelques millimètres d’épaisseur sont ainsi apposés sur l’ensemble des engins – à l’exception des trains de roulement, même si des jupes sont disponibles. La protection offerte joue dans les domaines radar (basse fréquence et à ouverture synthétique), infrarouge (quoique, là aussi, elle soit moins efficace avec le SWIR) et visuel, avec une coloration des plaques en fonction des environnements où seront utilisés les véhicules. L’industriel continue de travailler sur une adaptation de son système aux capteurs hyperspectraux et polarimétriques, tout comme sur l’usage de la biologie de synthèse pour faire évoluer la coloration du camouflage. Une version adaptée existe pour les membres des forces spéciales, en particulier les snipers (2). Reste que l’industriel est aussi prudent quant aux effets de son système : si celui-ci accroît la discrétion, il ne rend pas invisible. En revanche, cette plus grande discrétion permet de gagner les quelques secondes permettant de tirer en premier… et donc de survivre.

Si le Barracuda réduit la signature visuelle, est-il possible de l’éliminer ? La firme canadienne Hyperstealth s’est spécialisée dans le camouflage optique, qu’il s’agisse de tenues de combat, de camouflages d’aviation – c’est elle qui détient le brevet du camouflage pixellisé des MiG‑29 slovaques – ou encore de leur application à des antennes-relais GSM. L’entreprise est cependant allée plus loin avec la démonstration d’un système baptisé Quantum Stealth, qui a fait l’objet de quatre demandes de brevets, dont la première porte sur un matériau léger qui se plie et qui permet de cacher une cible dans le spectre visible, dans l’ultraviolet, dans l’infrarouge et dans l’infrarouge à ondes courtes tout en bloquant le spectre thermique. Si la nature du matériau n’a pas été révélée, il « courberait la lumière » autour de l’objet camouflé, tout en laissant passer l’image de l’arrière-­plan. Le concepteur, qui indique que le matériau n’a pas besoin d’approvisionnement en électricité, fait ainsi la démonstration de l’efficacité du système en tant que bouclier tactique, mais estime qu’une douzaine d’autres applications sont envisageables, comme la protection de blindés, de bâtiments ou de navires.

Le matériau aurait d’autres applications, qui ont également fait l’objet de dépôts de brevets. Il pourrait ainsi être utilisé comme :
• amplificateur pour des panneaux solaires, accroissant leur rendement ;
• système de représentation holographique. En l’occurrence, l’innovation peut être utile en matière de postes de commandement, mais aussi afin de générer des leurres visuels ;
• diffuseur pour un rayonnement laser, en particulier LIDAR (radar laser) selon le concepteur. Cela permettrait des gains d’efficacité dans la détection, que ce soit au profit de systèmes d’armes ou encore de capteurs utilisés dans des véhicules autonomes.

L’innovation est-elle trop belle pour être vraie ? Le Quantum Stealth semble reposer sur les principes de polarimétrie et de changement de direction d’un faisceau lumineux lorsqu’il traverse certains milieux. En matière de R&T, la conception d’un tel matériau facilement utilisable, qui plus est annoncé comme peu coûteux, est une remarquable percée. Reste cependant à voir comment opérationnaliser la chose, à quelles conditions et, surtout, si c’est faisable. 

Notes
(1) Philippe Langloit, « Adaptiv : la révolution de la protection passive ? », Défense & Sécurité Internationale, no 76, décembre 2011.
(2) Philippe Langloit, « Protection multispectrale et déception. L’exemple du Barracuda MCS », Défense & Sécurité Internationale, no 142, juillet-août 2019.

Légende de la photo : Le CV90120 utilisé durant les essais et montrant, sur les côtés, les pixels du système Adaptiv et les adaptations du canon. Notez l’emploi de chenilles en caoutchouc, permettant de réduire la masse du véhicule et sa signature sonore. (© BAE Systems Hägglunds)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°69, « Technologies et Armements : 2020, l’année de rupture », décembre 2019-janvier 2020.
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