Si nous avons mis en évidence, depuis maintenant plusieurs années, les indices d’un retour aux opérations classiques et de haute intensité, ces dernières prennent place dans un double contexte de « dérive des continents ». C’est le cas, d’une part et assez classiquement, au vu des évolutions de la politique stratégique américaine. Après avoir hésité quant à ses engagements en Afrique, elle s’oriente vers une réduction importante des ressources de commandement lui permettant de mener ses opérations en Europe ou en Afrique en réduisant le volume des forces en Allemagne. D’autre part, la Turquie continue de glisser vers les marges de l’OTAN, au risque de sortir de son périmètre. Fin mai, les illuminations du Courbet par des frégates turques, après que le Forbin eut été empêché de mener une mission d’inspection d’un cargo demandée par le commandement maritime de l’OTAN, montraient l’état de la dégradation des relations entre la Turquie et ses alliés.
Inédit par l’hostilité symbolique qu’il recouvre de la part d’un allié, cet évènement est le reflet de l’attention accordée par Ankara au théâtre libyen et de sa détermination à assurer les flux logistiques afin de l’approvisionner. Trois conclusions sont sans doute à en tirer. D’abord, pragmatiquement, le fait que la Libye, à notre périphérie stratégique immédiate, est bien le théâtre d’un jeu de puissances incluant certes la Turquie et les États du Golfe, mais aussi la Russie – qui y a déployé des appareils de combat et des mercenaires. La guerre civile libyenne est, nous l’avons montré dans nos pages dès 2016, bien plus que cela, et cela doit nous préoccuper. Ensuite, stratégiquement, il y a là une nouvelle illustration que l’Alliance atlantique traverse une crise et que, plus que jamais, il y a un impératif européen à concrétiser… vaille que vaille. Enfin, conceptuellement, il faut certainement reconnaître que pour les États, l’intérêt continue à se définir en termes de puissance et que les expressions militaires de celle-ci auront rarement été aussi diversifiées. Et qu’à bien des égards, Morgenthau, Clausewitz, Gray ou encore Coutau-Bégarie n’auront sans doute jamais été aussi pertinents.
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