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Quels progrès pour la marine chinoise ?

Comment évaluez-vous les progrès qualitatifs de la marine chinoise au cours des quinze dernières années ?

S. L. C. Koh : La PLAN (People Liberation Army Navy) est passée d’une force côtière à une autre ayant une capacité hauturière en expansion. Cette capacité va au-­delà de la guerre anti-­surface (ASuW) dans laquelle la marine était traditionnellement forte, pour incorporer la guerre antiaérienne robuste (AAW) et des capacités considérablement améliorées en matière de guerre anti-­sous-­marine (ASM). L’ASuW continue de s’améliorer avec l’entrée en service de missiles plus puissants et pouvant être lancés depuis des plates-­formes aériennes, de surface, sous-­marines et côtières. La capacité AAW est sans doute l’un des changements les plus remarquables – avec des systèmes de défense ponctuelle à courte portée (le QG‑7 basé sur le design du Crotale français). La PLAN a fait des avancées significatives dans une réelle capacité de défense AAW, qui a été considérablement aidée par l’acquisition antérieure de systèmes AAW russes. L’anti-­sous-­marins va au-­delà de l’utilisation de charges propulsées par des fusées datant de l’époque de la guerre froide (basées sur le système soviétique RBU et analogues à celui-ci), qui étaient optimisées principalement pour une utilisation en eaux peu profondes, afin de les intégrer de manière standard aux torpilles ASW de surface.

Il est également possible d’envisager que l’utilisation judicieuse de technologies à double usage associée aux connaissances tirées des systèmes français et russes acquis dans les années 1980-1990 contribue à améliorer les systèmes électroniques de la PLAN, y compris les radars et les sonars. En outre, nous devons également souligner les capacités croissantes des sous-­marins chinois : les nouvelles constructions seraient progressivement plus silencieuses et plus meurtrières. La PLAN a également acquis une capacité d’attaque terrestre crédible, notamment si ses sous-­marins et ses principaux combattants de surface sont dotés du missile YJ‑18, par exemple. Pour couronner le tout, le progrès qualitatif le plus remarquable réalisé par la PLAN au cours des quinze dernières années a été l’acquisition d’une capacité de porte-avions. Toutefois, en ce qui concerne les progrès qualitatifs, l’amélioration globale du capital humain de la marine est une chose qui pourrait être plus spéculative, mais qui reste observable : le régime de formation plus intense que la marine a entrepris au cours de la dernière décennie, en particulier ces dernières années, la participation à des activités de diplomatie de défense régionale ainsi que l’exposition à des déploiements hauturiers de longue durée depuis 2008 dans le cadre des opérations de lutte contre la piraterie au large de la Somalie se traduiraient très probablement par une amélioration générale du bassin de main-d’œuvre de la PLAN.

La fusion de l’administration maritime dans les gardes-côtes (CCG – China Coast Guard) donne à la Chine un puissant « instrument de souveraineté » en mer de Chine méridionale. Comment coopère-t-il avec la PLAN ?

Les gardes-côtes chinois sont désormais sous le contrôle effectif de l’armée depuis les récentes réformes structurelles. Auparavant, la CCG s’était largement intéressée à la réorganisation de la panoplie d’agences de maintien de l’ordre maritime préexistante, afin de devenir l’outil de première ligne de la souveraineté maritime de la Chine et de l’affirmation de ses droits. Cependant, si l’on se penche sur la littérature existante en langue chinoise rédigée par des officiers de la CCG, il est apparu que les gardes-­côtes n’avaient pas nécessairement reçu le niveau de soutien souhaité de la marine. Le problème commun observé dans ces écrits est que la CCG s’est souvent trouvée confrontée, dans les zones de tension maritimes telles que la mer de Chine méridionale, à des rivaux qui emploient des marines pour leurs propres missions de souveraineté maritime et de revendication de droits. Ces mêmes auteurs ont appelé à un meilleur soutien de la marine, qui a jusqu’ici davantage joué un rôle de dissuasion en retrait – faisant souvent profil bas et laissant les gardes-­côtes prendre le fer de lance et porter le fardeau de l’affirmation de la souveraineté et des droits, et n’intervenant que lorsque c’est nécessaire. La récente réforme pourrait avoir pris en compte ce défi et donc, peu de temps après que la CCG a été effectivement placée sous contrôle militaire, elle a effectué sa première patrouille commune avec la marine (ainsi qu’avec des éléments de l’administration maritime locale) dans les îles Paracels, en mai 2018. Cette disposition confère à la marine un rôle plus actif par rapport à la garde‑côte.

De nombreux auteurs font référence à Liu Huaqing lorsqu’ils étudient l’évolution de la stratégie navale chinoise – les trois chaînes d’îles ou la focalisation sur les porte-­avions. Mais l’amiral Huaqing est décédé en 2011. Qui sont les « moteurs intellectuels » de la stratégie navale chinoise contemporaine ? Suivent-ils toujours la pensée de Huaqing ?

La « stratégie navale » de la Chine est moins connue que sa « stratégie maritime ». Nous pensons que la pensée de l’amiral Liu continue d’irriguer la marine aujourd’hui, puisqu’elles sont toujours d’actualité. Le président Xi Jinping continue de diriger la formulation et la mise en œuvre actuelles de la stratégie maritime de la Chine, en mettant l’accent sur la souveraineté et la protection des droits. Mais les principaux intellectuels à la tête de cette stratégie maritime ne semblent pas être uniquement issus de l’APL, mais sont aussi des civils, en particulier du ministère des Ressources naturelles.

La Chine vise clairement la haute mer. Ses ambitions sont-elles strictement macro-régionales (mer de Chine méridionale et détroit de Malacca) et stratégiques (être en mesure de déployer ses sous-­marins lanceurs d’engins en toute sécurité ou la sécurisation de son commerce maritime), ou sont-elles plus larges ?

C’est certainement plus large. La Chine, comme toute puissance maritime majeure, considère la marine comme un outil polyvalent de gouvernement : dissuasion en temps de paix, guerre, diplomatie de défense, fonctions de police, etc. Ce serait une erreur de considérer la croissance de la marine dans une perspective unidimensionnelle.

Le Japon et la Corée du Sud ont tous deux annoncé qu’ils se doteront de « porte-avions » et de F‑35B sur leurs navires de classes Izumo et Dokdo. Le Japon a également annoncé qu’il obtiendrait de nouveaux missiles de croisière antinavires de plus longue portée. Plus largement, Tokyo renforce ses forces. Comment cela affectera-t‑il la stratégie navale chinoise ?

Tandis que les planificateurs de la marine chinoise travailleraient vraisemblablement sur des scénarios de guerre contre ses rivaux voisins, la situation serait plus compliquée que cela. Les Chinois concluraient rapidement qu’en cas de scénario de combat avec la JMSDF japonaise ou la ROKN sud-­coréenne, ou les deux, la PLAN aurait un autre adversaire : il faudrait tenir compte du rôle majeur joué par la marine américaine, en raison des alliances. La montée en puissance navale japonaise fait froncer les sourcils. Le pays ajouterait des capacités apparemment plus offensives qui pourraient contribuer à contrecarrer les opérations de la PLAN dans les eaux voisines de l’Asie du Nord-Est (notamment autour de la mer de Chine orientale), et même dans le sud de la mer de Chine. Pour ce faire, le PLAN devra acquérir des capacités hauturières plus robustes, offrant une portée et une persistance plus longues, tout en imposant des modifications doctrinales. Nous avons effectivement déjà constaté ce phénomène dans les régimes d’entraînement des task forces, qui regroupent un ensemble intégré de systèmes et de sous-­systèmes (la PLA appelle généralement cela « la confrontation de systèmes ») et cela implique plus d’opérations conjointes de la PLAN avec ses branches sœurs, comme la force aérienne ou la Force de missiles stratégiques.

Les États-Unis ont beaucoup travaillé sur les concepts de lutte contre-­A2/AD. Ils évoquent maintenant la possibilité d’installer des IRBM à Guam. Comment cela affectera-t‑il l’équilibre régional des forces ? Pensez-vous que cela pourrait dissuader les ambitions navales chinoises ?
Je ne sais pas trop comment se déroule celle-ci. Le projet du secrétaire américain à la Défense Mark Esper de déployer des systèmes de missiles à portée intermédiaire n’a pas encore été dévoilé.

Propos recueillis par Joseph Henrotin, 10 septembre 2019.

Légende de la photo ci-dessus : Deux destroyers Type-052C en exercice dans la mer de Chine méridionale. (© MoD/Yu Lin)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°68, « Chine : Quelle puissance militaire ?  », octobre-novembre 2019.
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