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Le Guyana, entre crise politique et rente pétrolière

Petit État d’Amérique du Sud, le Guyana est à un moment clé de son développement socio-économique. Dans un contexte de tensions après les élections législatives du 2 mars 2020, sur fond de corruption et de bipolarisation de la vie politique nationale, le pays pourrait rapidement devenir, grâce au pétrole et à sa rente, l’un des plus riches du continent. Reste à savoir bien gérer cette soudaine manne.

Anglophone et membre du Commonwealth, le Guyana s’inscrit dans la sphère culturelle caribéenne (Georgetown, la capitale, est le siège de la Communauté caribéenne ou CARICOM) et sur un continent sud-américain majoritairement hispano-lusophone. Petit État (214 969 kilomètres carrés) frontalier du Suriname, mais surtout entouré de deux puissants voisins à l’échelle régionale, le Venezuela et le Brésil, la « République ­coopérative du Guyana » dispose d’un des plus modestes PIB de la planète (4,1 milliards de dollars en 2019). Cette ancienne colonie britannique (1814-1966) est aussi un territoire sous-peuplé, où la population (783 000 habitants en 2019) se concentre essentiellement sur l’étroite bande littorale, notamment à Georgetown (quelque 250 000 âmes). L’intérieur du pays est recouvert de forêts denses traversées par de nombreux cours d’eau (Guyana signifie « Pays des eaux » en langue arawak).

Un pays politiquement fragmenté et polarisé

Après son indépendance en 1966, le Guyana a toujours été un pays politiquement fragile, connu pour ses fraudes électorales et la corruption de ses élites. Depuis un demi-siècle, deux forces politiques s’affrontent et se succèdent dans l’exercice du pouvoir. D’un côté, le Parti progressiste du peuple (PPP), marxiste, s’appuie sur la paysannerie indo-guyanienne (39,8 % de la population), dont les ancêtres furent transférés d’Inde du Sud par les Britanniques au XIXe siècle. De l’autre, le Congrès national du peuple (PNC), conservateur, possède un électorat constitué des communautés urbaines blanches, métisses et afro-­guyaniennes (29,3 %), ces dernières descendant des anciens esclaves africains.

Cette polarisation politique ethnique, et sociale s’est exacerbée en décembre 2018 avec le dépôt d’une motion de censure de la part du PPP provoquant ainsi la chute du gouvernement du président David Granger (depuis 2015). Ce dernier, ancien militaire né en 1945, figure emblématique du PNC, était alors soupçonné par l’opposition d’avoir bradé les intérêts pétroliers du pays au profit de la firme ExxonMobil. Après une année d’incertitudes institutionnelles et de recours juridiques devant les tribunaux, des élections législatives ont été organisées le 2 mars 2020, opposant les deux forces politiques traditionnelles. La victoire du chef de l’État sortant (le régime guyanien permet au chef du parti remportant le scrutin d’être désigné président de la République), avec 49,85 % des suffrages, lui a permis de conserver une courte majorité à l’Assemblée (33 sièges contre 32 sur 65). Mais cette annonce a déclenché de violentes émeutes dans les rues de Georgetown.

Le pétrole, un atout ou une malédiction pour l’avenir ?

À l’origine de cet imbroglio politique : le pétrole. Les perspectives de croissance du pays, dont l’économie reposait jusqu’à présent sur l’exportation de canne à sucre, d’or, de bauxite, de bois et de riz, se sont singulièrement éclaircies avec la découverte, en 2016, d’importants gisements de pétrole offshore. Estimés à près de 8 milliards de barils, ils devraient commencer à être exploités dans le courant de l’année 2020. À cet égard, le Fonds monétaire international (FMI) prévoit un véritable « boom » de la croissance, calculée à 85,6 % (contre 3,7 % en moyenne entre 2004 et 2017). Une exploitation qui devrait monter en puissance afin de produire entre 750 000 et 1 million de barils par jour d’ici à 2025, ce qui pourrait rapporter à l’État guyanien 173 millions de dollars en 2020 (4,2 % du PIB) et 350 millions de dollars en 2021 (8,5 % du PIB).

Cependant, les retombées financières auraient pu être beaucoup plus importantes si les conditions contractuelles, signées entre le président David Granger et ExxonMobil, société exploratrice et exploitante du pétrole, n’avaient pas été aussi défavorables au Guyana, provoquant ainsi la crise politique traversée depuis. Par ailleurs, beaucoup d’observateurs considèrent que ce petit pays n’est ni politiquement ni économiquement préparé à gérer une telle rente et à devenir le « Koweït de l’Amérique du Sud », compte tenu du caractère kleptocratique du régime en place. Le risque de « maladie de l’or noir » est grand dans un pays où la corruption (le Guyana est au 85e rang mondial sur 180 de l’index 2019 de Transparency International) gangrène la société.

Le Guyana a une occasion unique de passer du modèle de la croissance à celui du développement en redistribuant les fruits de la rente pétrolière dans un État endetté qui souffre encore du chômage (12,2 % en 2019), de la pauvreté (un tiers de la population) et de l’émigration de sa jeunesse vers les États-Unis. Sans compter que cette nouvelle manne a contribué à raviver les tensions frontalières avec le Venezuela, qui, depuis les années 1960, revendique les deux tiers du Guyana et ses eaux territoriales, désormais riches en pétrole.

<strong>Repères - Le Guyana</strong>

NOM OFFICIEL
République coopérative du Guyana
CHEF DE L’ÉTAT
David Granger (président depuis 2015)
SUPERFICIE
214 969 km2 (86e rang mondial)
LANGUE OFFICIELLE
Anglais
CAPITALE
Georgetown
POPULATION EST. 2019
783 000 habitants
DENSITÉ
3 hab./km²
MONNAIE
Dollar du Guyana
HISTOIRE
Le territoire de l’actuel Guyana est peuplé de communautés caribéennes quand les premiers Européens, les Néerlandais, s’y établissent en 1616 avant de céder le territoire aux Britanniques en 1814. En 1953, une nouvelle Constitution pose les bases du pluralisme politique, ouvrant la voie vers l’indépendance, déclarée en 1966
PIB PAR HABITANT EN 2018 (EN PARITÉ DE POUVOIR D’ACHAT)
8 640 dollars internationaux courants
INDICE DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN (2018)
0,670 (123e rang)

<strong>1-Le Guyana dans son environnement régional</strong>
<strong>2-Les empires coloniaux en Amérique du Sud et centrale</strong>
Article paru dans la revue Carto n°59, « L’Égypte d’Al-Sissi », mai-juin 2020.
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