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L’artillerie russe : le retour du « dieu de la guerre » ?

L’URSS, et à sa suite la Russie, a toujours eu un attrait particulier et très fort pour les questions relatives à l’artillerie, et Staline déclarait en 1944 que cette dernière était le « dieu de la guerre » (il est vrai que tout le monde a encore en tête les images – mises en avant par la propagande soviétique – des « orgues de Staline (1) » écrasant sous leurs feux les troupes allemandes). La guerre froide vit l’URSS se lancer dans des projets de véhicules d’artillerie de plus en plus gigantesques (dans tous les sens du terme), ces derniers culminant avec les 2B1 Oka (420 mm) disposant d’un canon de 20 m pouvant tirer un obus de 750 kg à 45 km ( !) et 2A3 Kondensator (406 mm), qui n’auront finalement aucune utilité opérationnelle à cause de l’apparition des missiles terrestres dans les années 1960.

Les opérations militaires russes en Ukraine en 2014 ont mis en évidence le retour au premier plan de l’artillerie au sein de l’armée russe. L’emploi de frappes coordonnées avec mise en œuvre de systèmes d’éclairage (drones) et de guidage couplés à l’usage d’une grande diversité de lanceurs et de munitions a surpris par son efficacité dévastatrice. Ayant hérité de l’armée soviétique une flotte pléthorique de véhicules d’artillerie, dont une partie a été placée en réserve dans le courant des années 1990, la Russie a décidé d’en conserver un certain nombre. Elle les a également modernisés afin de traiter les principales obsolescences concernant notamment les moyens de ciblage. En outre, la restructuration des forces terrestres russes visant à accroître leur mobilité et leur vitesse de réaction place au premier plan tactique les capacités d’artillerie (présence de trois bataillons de feux indirects au niveau des brigades russes), ces dernières ayant pour mission de dégager la voie pour les véhicules blindés et l’infanterie.

À l’heure où les forces armées occidentales ont vu leur capacité en artillerie se réduire drastiquement, les forces armées russes continuent à investir sérieusement dans les moyens de frappe à distance avec la mise au point de nouveaux systèmes, la modernisation de véhicules existants, mais également l’introduction de nouvelles munitions offrant des portées accrues. L’artillerie russe serait-elle donc toujours le « dieu de la guerre » telle que l’envisageait Staline à l’époque ?

Artillerie autotractée

Véhicule clé de l’artillerie autotractée soviéto-­russe contemporaine, le 2S19 MSTA‑S a été mis au point au milieu des années 1970, le but étant de moderniser l’artillerie autour d’un véhicule polyvalent déployant un nouveau canon de 152 mm. Ce nouveau projet était également une réponse à l’arrivée de nouvelles pièces d’artillerie de 155 mm dans les pays de l’OTAN. Elles offraient des portées de tir s’établissant à 24 km pour des projectiles conventionnels et pouvant grimper jusqu’à 30 km pour des projectiles avec propulsion additionnelle. Les militaires soviétiques comprirent rapidement qu’ils risquaient de se retrouver dans la situation très délicate de ne pas pouvoir effectuer de tir sans entrer dans la zone d’engagement de l’artillerie occidentale.

Construit sur le châssis du char T‑80, le 2S19 MSTA‑S dispose d’un canon 2A46 de 152 mm installé dans une tourelle habitée abritant une partie des cinq membres d’équipage et disposant d’une dotation de 50 obus. Pouvant frapper à des distances maximales de 30 km avec une cadence de tir de 7 à 8 obus/min, le 2S19 constitue actuellement le cœur de la flotte d’artillerie autotractée russe avec pas moins de 500 unités en service au sein de l’armée de terre ainsi qu’une petite vingtaine au sein de la marine. Le véhicule marquant le pas en matière de distance d’engagement, d’optiques et de cadence de tirs face à ses homologues occidentaux (PzH2000, AS‑90 et XM‑2001 Crusader (2)) et chinois (Type‑88), les Russes vont en développer deux standards de modernisations : les 2S19M1 et 2S19M2 (canon 2A64M2 avec cadence de tir portée à 10 obus/min). En outre, ces variantes permettent d’intégrer le véhicule dans le « système de reconnaissance et de tir » (ROS) russe, augmentant de la sorte significativement ses performances. La production du 2S19M2 se poursuit actuellement, bien qu’elle doive s’achever avec l’arrivée du 2S35 Koalitsiya‑SV, dont la distance d’engagement est portée à 40-45 km (pour les obus conventionnels), qui remplacera les unités les plus anciennes de l’armée russe.

C’est au début des années 2000 que la Russie a lancé les études et les travaux sur le successeur du MSTA‑S dont les performances en matière de portée des obus risquaient d’être insuffisantes face aux nouveaux modèles d’artillerie en cours de développement à l’Ouest. Pour ce faire, la première solution envisagée fut de reprendre une vieille marotte soviétique : le développement d’une artillerie automotrice disposant de deux canons superposés, ce qui permet (tout du moins, c’est ce que les ingénieurs pensaient) de doubler la cadence de tir par rapport au MSTA-S. Catalogué sous le nom de 2S35 Koalitsiya‑SV, le nouveau modèle, présenté pour la première fois à la télévision russe le 3 décembre 2006, comprenait une tourelle inhabitée dotée de deux canons de 152 mm superposés alimentés par deux chargeurs automatisés approvisionnés à raison de 60 obus stockés dans la nuque de la tourelle. L’équipage de trois hommes prenait place dans une capsule blindée installée dans le châssis du véhicule. L’idée bien, qu’elle fût séduisante a fait long feu : l’accroissement significatif de la complexité d’emploi découlant de la présence de deux chargeurs et les contraintes mécaniques induites par les deux canons superposés ont fait que la cadence de tir espérée (ainsi que la précision de tir attendue) ne fut jamais atteinte.

La Russie décida alors de simplifier le projet et d’en revenir à des considérations plus pragmatiques. En 2013 est sorti d’usine, toujours sous le nom de 2S35 Koalitsiya‑SV, un nouveau prototype ne disposant que d’un seul tube. Avec ce nouveau canon 2A88 de 152 mm, le 2S35 présente une configuration s’inspirant de celle du char T‑14 Armata : l’équipage de trois hommes prend place dans une capsule blindée installée à l’avant du châssis, ce dernier étant dérivé de celui du T‑90 (3), auquel il emprunte également le moteur. À terme, ce véhicule d’une masse de 48 t devrait recevoir un nouveau châssis (4) dérivé de celui du T‑14. La tourelle est entièrement automatisée (chargeur pneumatique), ce qui permet d’accroître la capacité de tir avec la possibilité de tirer entre 12 et 14 obus par minute (5), la dotation étant de 70 obus d’une portée maximale de 80 km (avec propulsion additionnelle) stockés en nuque de la tourelle. En outre le 2S35 peut mettre en œuvre l’obus guidé 30F39 (système Krasnopol‑M). Après avoir commencé les essais du véhicule en 2014, l’armée russe en est actuellement au stade de la réception d’un premier lot de véhicules (6) de série, produits par Uraltransmash, qui va servir aux formations et à l’entraînement des équipages.

Outre les véhicules neufs en production, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, la Russie a décidé de lancer plusieurs programmes de modernisation des véhicules hérités de l’époque soviétique.

• Le 2S1 Gvozdika, un obusier automoteur doté d’un canon 2A31 de 122 mm installé sur un châssis chenillé léger MT‑LB, emportant une dotation de 40 obus de divers types, avec une portée maximale de 40 km. Il est entré en service en 1973 au sein de l’armée soviétique et a été produit à plus de 10 000 exemplaires pour l’URSS, les pays du Pacte de Varsovie et d’autres pays « frères » jusqu’en 1991. Véhicule léger et facilement aérotransportable, le 2S1 a été engagé dans tous les conflits soviéto-­russes depuis la guerre de l’Afghanistan. La Russie dispose d’environ 150 unités en service au sein des forces terrestres ainsi qu’une centaine au sein de la marine (7). Alors que son retrait de service se dessinait à court terme, l’engagement du véhicule en Syrie et le fait qu’il puisse être déployé rapidement (ainsi que sa capacité amphibie) ont poussé les décideurs russes à se lancer dans sa modernisation. Les travaux portent sur l’installation d’une nouvelle conduite de tir, de nouveaux viseurs ainsi que d’une antenne GLONASS. On peut également indiquer l’existence d’une cinquantaine de 2S34 Hosta, qui est un 2S1 lourdement modernisé et rééquipé avec un nouveau canon 2A80 de 120 mm pouvant frapper des cibles jusqu’à 14 km.

• Le 2S4 Tyulpan, qui n’est pas un canon automoteur, mais bien un mortier automoteur doté d’un mortier 2B8 de 240 mm monté sur le même châssis chenillé que le 2S3 Akatsiya. Sur les 580 exemplaires produits entre 1972 et 1988, il ne reste qu’environ 40 2S4 actifs ainsi qu’un peu moins de 400 en réserve. Ils sont destinés à traiter les cibles fortifiées et/ou fortement protégées, la portée maximale des munitions (une charge nucléaire était prévue dans la dotation) étant de 19 km. Mesurant l’intérêt représenté par ce système tout à fait particulier (un système de mortier disposant d’une bonne mobilité), la Russie a lancé un programme de modernisation du Tyulpan consistant à remplacer les systèmes de visée, de communication et de navigation (ajout d’une liaison GLONASS). Ce programme de modernisation semble également concerner des véhicules stockés, même s’il ne faut pas s’attendre à voir l’ensemble de la réserve revenir en service.

• Le 2S7 Pion, un obusier automoteur ultralourd doté d’un canon 2A44 de 203 mm installé sur un châssis chenillé dérivé de celui du char T‑80. Le Pion est destiné à traiter les cibles très fortement fortifiées et/ou à haute valeur ajoutée (postes de commandement par exemple). Entré en service en 1975 et produit jusqu’en 1990 à raison d’un peu plus de 500 unités, le 2S7 Pion peut emporter quatre obus pouvant frapper jusqu’à une distance de 47 km (avec propulsion additionnelle), une dotation portée à huit obus sur la version 2S7M Malka. La Russie dispose d’environ 60 unités en service ainsi que 250 en réserve et elle a lancé un programme de modernisation de ses 2S7M Malka qui porte sur le remplacement des composants mécaniques importés ainsi que sur celui des systèmes de visée, de communication et radio. Le nombre de véhicules traités est inconnu pour l’instant, mais il ne serait pas improbable que la Russie réactive certains des véhicules stockés.

Les canons automoteurs lourds 2S3 Akatsiya et 2S5 Giatsin-S seront quant à eux remplacés par des modèles plus performants. Doté d’un canon 2A33 de 152 mm installé sur un châssis chenillé dérivé de celui du 2K11 Krug et emportant une dotation de 40 obus (portée à 46 obus par la suite) pouvant frapper jusqu’à 20 km, le 2S3 a été admis au service en 1971 et a été produit à plus de 4 000 exemplaires jusqu’en 2003. Il en resterait environ 800 en service, qui devraient être remplacés par les MSTA‑S et Koalitsiya‑SV. Il est vrai que sa faible cadence de tir (entre 2 et 4 obus/min) a scellé le sort de ce modèle. Quant au 2S5 doté d’un tube 2A37 de 152 mm installé sur un châssis chenillé identique à celui du 2S3, il a été produit entre 1976 et 1993 à un peu plus de 2 000 exemplaires. Ce canon automoteur emportant 30 obus avait été envisagé pour pouvoir tirer également un obus à charge nucléaire pouvant frapper à 20 km de distance… Inutile de préciser pourquoi cette idée a été abandonnée. La Russie dispose actuellement d’une centaine de 2S5 en service, qui sont progressivement retirés au profit des versions modernisées du MSTA‑S.

Lance-roquettes multiples

Outre l’artillerie à base de canons, la Russie dispose également d’un vaste ensemble de lance-­roquettes multiples (LRM) que l’on peut classer en trois catégories selon les roquettes emportées : les lanceurs de 300 mm, de 220 mm et de 122 mm. Les véhicules employés sont quasi exclusivement des véhicules d’origine soviétique (donc accusant leur âge) et la Russie a lancé un programme de rattrapage visant à moderniser rapidement sa flotte de LRM, ces derniers systèmes étant capables de générer un volume de feu important, mais manquant cruellement de précision. Outre les trois modèles principaux hérités de l’époque soviétique que sont les Smerch, Uragan et Grad, la Russie a lancé un programme de modernisation sur la base d’une plate-­forme standardisée moderne reprenant des composants mécaniques existants et éprouvés issus des systèmes qu’elle est censée remplacer : le Tornado (8).

Dans la catégorie des roquettes lourdes de 300 mm, on retrouve le lanceur 9K58 Smerch (entré en service en 1987) monté sur un châssis à roues (8 × 8) MAZ‑79111 ou sur un MAZ‑543M et emportant 12 roquettes pouvant frapper jusqu’à 90 km (9). La flotte de Smerch (une centaine d’unités au sein des forces terrestres) est actuellement renforcée avec l’arrivée des 9K515 Tornado‑S. Ces derniers sont en réalité des Smerch montés sur châssis MAZ‑543M emportant 12 tubes de 300 mm et disposant d’une nouvelle conduite de tir automatisée, d’un système de navigation basé sur le système GLONASS, de la capacité d’emporter de nouvelles munitions ainsi que d’un temps de (re)déploiement réduit visant à limiter les risques d’être victime d’un tir de contre-­batterie. Les estimations les plus fiables indiquent que la Russie disposerait d’environ 50 Tornado‑S en service, ce dernier étant toujours en production pour un remplacement de l’intégralité de la flotte de Smerch dans quatre à cinq ans si le rythme de fabrication actuel est conservé. Néanmoins, et cela reste à confirmer, il semble que la Russie souhaite non plus remplacer sa flotte de Smerch, mais bien la faire passer au standard Tornado‑S, les travaux principaux consistant à remplacer le système de tir et à ajouter le système GLONASS.

La catégorie intermédiaire de LRM de 220 mm comprend le 9K57 Uragan, entré en service en 1975 et monté sur un châssis à roues (8 × 8) ZIL‑135LM. Il est doté de 16 tubes pouvant frapper des cibles jusqu’à 35 km. La Russie dispose d’environ 200 unités en service, auxquelles s’ajoutent 400 véhicules stockés en réserve. Le système Uragan devrait disparaître à moyen terme, notamment en raison de l’obsolescence de son châssis ainsi que du manque de précision du système. Il est prévu qu’il soit en partie remplacé par une variante modernisée acquise en petites quantités, le 9K512 Uragan‑M : ce système construit sur un châssis à roues (8 × 8) MZKT‑7930 présente la particularité de pouvoir emporter deux types de tubes : soit 30 tubes de 220 mm, soit 12 tubes de 300 mm.

Avec une roquette de 122 mm, il s’agit du plus petit modèle mis en œuvre par l’armée de terre russe bien que le système l’employant soit l’un des plus célèbres : le 9K51 Grad. Ce LRM dont le développement a commencé en 1959 a été admis au service en 1963 et produit à plus de 8 500 exemplaires entre 1963 et 1988. Décliné en plusieurs variantes, ce système peut être monté sur châssis à roues (6 × 6) Ural ou Kamaz et peut tirer 40 roquettes en quelques secondes à une distance maximale de 40 km (selon la munition employée et sur les dernières versions du véhicule seulement). Le nombre important de roquettes embarquées vient en réalité compenser leur manque de précision. Bien qu’il reste environ 500 unités en service dans les forces terrestres russes (et plus de 2 000 en réserve [10]) , le Grad approche de la fin de carrière, son remplacement étant en cours par le 9K51M Tornado‑G. Comme sa dénomination le laisse penser, le 9K51M Tornado‑G est une variante modernisée du 9K51 Grad qui est construite sur un châssis à roues (6 × 6) Ural‑4320 disposant de 40 tubes de 122 mm identiques à ceux du Grad, mais pouvant emporter une panoplie plus large de roquettes. Les principales améliorations ont consisté à remplacer la conduite de tir et à installer des systèmes de navigation par satellite. La Russie a même lancé les travaux (11) visant à moderniser les Grad les plus récents en les portant au standard Tornado‑G, ce qui permettra de renouveler plus vite sa capacité en lanceurs de roquettes de 122 mm. Enfin, elle étudie également la possibilité de monter le système Tornado-G sur un châssis à roues (8 × 8) Kamaz‑63501 (12), ce qui permettrait d’augmenter la capacité de frappe avec la mise en œuvre de 40 tubes de 122 mm pouvant être rapidement rechargés grâce à l’emport direct des roquettes nécessaires ; une solution qui a pour avantages un gain de temps important ainsi que la réduction de l’empreinte logistique du système (plus besoin de véhicules de rechargement).

Il reste le cas spécifique du système TOS‑1A (13) aussi connu sous le nom de Solntsepyok (14) qui est un système de LRM doté de 24 tubes de 220 mm, monté sur un châssis chenillé de char T‑72. Sa spécificité est qu’il met en œuvre des roquettes thermobariques pouvant frapper à une distance maximale de 6 km afin notamment de détruire des objectifs blindés ou enterrés ainsi que des bâtiments. L’emploi du châssis de T‑72 découle d’une des faiblesses du système : la faible distance de frappe des roquettes qui nécessite de disposer d’une protection accrue pour l’équipage. Vu sa spécificité (emploi de roquettes thermobariques) et contrairement aux autres systèmes LRM, le TOS‑1A n’est pas employé par les forces terrestres russes, mais par les troupes de protection NBC (15). Les informations disponibles à propos de ce système varient, mais il semblerait qu’une petite cinquantaine de TOS-1A soient en service. À noter que la Russie travaille sur une version à roues qui serait baptisée TOS‑2 Tosochka et qui reprendrait (le conditionnel est de rigueur) le châssis du camion (6 × 6) Tornado‑U.

L’artillerie tractée

Outre les véhicules autotractés, la Russie dispose également d’un parc important d’artillerie tractée qui emploie les canons mis en œuvre par l’artillerie autotractée ; cette artillerie tractée a d’ailleurs été à l’honneur lors des opérations en Syrie puisqu’elle a été abondamment employée sur les différentes zones d’intervention, ce qui a semble-t-il remis au premier plan l’utilité de tels équipements pour les militaires russes. Les trois modèles mis en œuvre par les forces terrestres russes ainsi que la marine sont les canons 2A18M (D‑30A) de 122 mm (équipant le 2S1 Gvozdika), 2A65 MSTA‑B de 152 mm (équipant le 2S19 MSTA‑S) et 2B16 Nona‑K de 120 mm (équipant le 2S9 Nona‑S).

Le plus ancien de ces modèles est le 2A18M de 122 mm qui est en fin de carrière, son retrait des forces terrestres étant en cours (il est remplacé par des véhicules autotractés ou des MSTA‑B) ; il reste néanmoins en service au sein de la marine, des troupes aéroportées ainsi que de la garde nationale, bien que ce soit en nombre restreint. Le principal modèle de canon tracté employé en Russie est le 2A65 MSTA‑B de 152 mm. L’armée de terre dispose de 150 unités (et environ 500 autres stockées en réserve) et la marine de 50 unités. Enfin, le 2B16 Nona‑K, un mortier à chargement par la culasse de 120 mm, est en service au sein des forces terrestres russes à raison d’une centaine d’unités et au sein de la Marine à raison d’une vingtaine d’unités. On le voit, cette catégorie d’artillerie est loin d’être massivement représentée dans la dotation russe, les dirigeants militaires semblant privilégier l’emploi d’artilleries autotractées.

Véhicules aérotransportables

Outre l’artillerie déployée par les forces terrestres et la marine, il y a également les véhicules à disposition des troupes aéroportées (VDV). Ces derniers sont donc pensés et conçus pour être facilement aérotransportables à bord des Il‑76MD Candid et An‑12 Cub, ceci limitant donc fortement leur taille. Or les ingénieurs soviétiques ont fait simple en mettant au point la famille des Nona‑S : basé sur le châssis du blindé à chenilles BTR‑D sur lequel est installé sous tourelle un mortier 2A51 de 120 mm pouvant emporter jusqu’à 40 munitions et dont la portée maximale s’établit à 14 km. Étant donné les contraintes d’encombrement et de masse, le véhicule ne dispose pas d’un blindage lourd, et l’équipage n’est donc que faiblement protégé. L’emploi du châssis de BTR‑D fait que le véhicule est également amphibie. Entré en service en 1981 et produit jusqu’en 1996 à raison de 1 432 exemplaires, le 2S9 Nona‑S va donner naissance à plusieurs versions améliorées : 2S9‑1, 2S9‑1M. Les VDV disposent d’environ 250 Nona‑S actifs (ainsi qu’environ 500 véhicules supplémentaires stockés) tandis qu’une trentaine de véhicules sont en service dans la marine.

Une version basée sur le châssis à roues (8 × 8) du BTR‑80 a également été mise au point : c’est le 2S23 Nona‑SVK qui dispose d’un mortier de 120 mm, installé sous tourelle, alimenté à raison de 30 obus et pouvant frapper jusqu’à des distances de 12 km. Entré en service en 1991, il est toujours en service au sein de l’armée de terre (une trentaine d’unités) ainsi que dans la marine (12 unités). Enfin, on peut noter la création du 2S31 Vena construit sur un châssis de BMP‑3 et équipé d’un mortier 2A80 de 120 mm installé en tourelle et alimenté à raison de 70 obus disposant d’une portée maximale de 14 km. Le projet, lancé en 1996, a débouché sur la construction d’un premier lot de véhicules de présérie livrés en 2010, mais sans déboucher sur des commandes supplémentaires pour l’instant, bien que le besoin principal sous-jacent à sa création, le remplacement des 2S9 Nona‑S, soit toujours présent.

L’artillerie future

L’armée de terre russe dispose d’une incroyable panoplie d’artillerie composée de plusieurs types de véhicules aptes à emporter un vaste panachage de munitions permettant de traiter tous types d’objectifs. Les programmes de modernisation et de renouvellement sont en cours et il est utile de rappeler que là où l’URSS privilégiait la masse du feu (en gros, une frappe massive, mais peu précise), la Russie introduit des équipements lui permettant de limiter la masse du feu tout en améliorant significativement la précision des frappes, les distances d’engagement ainsi que les vitesses de (re)déploiement pour notamment éviter le tir de contre-batterie.

Il est d’ailleurs intéressant de voir que les projets originaux, qui tablaient sur le remplacement des nombreuses variantes en dotation, sont actuellement mis de côté au profit d’une modernisation des équipements ayant encore un potentiel important, ce qui permet in fine aux forces armées russes de disposer d’une solution pour chaque problème. En outre, l’intégration de l’artillerie russe au sein du ROS (16) – Système de reconnaissance et de tir – permettant aux autres équipements déployés (AWACS, drones, etc.) de transmettre les coordonnées des cibles aux véhicules d’artillerie accroît significativement l’efficacité puisque ce système de reconnaissance avancée est couplé avec des moyens de ciblage beaucoup plus précis qu’auparavant et intègre également une capacité de guerre électronique visant à neutraliser/restreindre la capacité de contre-batterie ennemie. Ce faisant, la Russie a mis en place un système intégré sur lequel travaillait déjà l’URSS, mais dont les travaux avaient été interrompus lors de la disparition de cette dernière.

Le dernier élément qui est pour le moins surprenant lorsque la question de l’artillerie russe est abordée, c’est l’absence (quasi totale) d’artillerie automotrice à roues. Alors que cette solution est de plus en plus employée par les armées occidentales au détriment des plates-­formes sur chenilles, la Russie dispose dans ses cartons du projet de 2S35‑1 Koalitsiya‑SV‑KSh reprenant la tourelle du 2S35 Koalitsiya‑SV, mais installée sur un châssis à roues (8 × 8) Kamaz‑6560. Cependant, malgré les premières images publiées d’un prototype de ce modèle en 2017, il ne semble pas que cette solution suscite un grand enthousiasme. Pourtant, le gain de mobilité offert par ce type de plates-­formes plus légères (et donc moins onéreuses à l’acquisition) tout en conservant une grande capacité de frappe cadrerait bien avec les moyens russes. Il reste à voir si cette option sera suivie d’une production en série à terme. Néanmoins, le projet récent de 2S43 Malva envisageant de monter un canon 2A65 de 152,4 mm sur un châssis à roues BAZ‑6010‑27 indique un intérêt accru des décideurs russes pour cette question (bien que le choix d’un modèle de canon ancien soit surprenant) ; ces projets de canons automoteurs sur roues signeraient le retour à une artillerie plus facilement déployable par rapport aux véhicules chenillés et s’intégreraient dans le programme Nabrosok visant à développer plusieurs mortiers automoteurs (à roues et à chenilles) venant remplacer notamment la flotte de mortiers russes. Mais cela sort du cadre de ce passage en revue, ces projets n’en étant qu’au stade des essais.

Vu l’ampleur de l’artillerie russe et l’importance qui lui a été accordée récemment ainsi que les développements en cours et à venir, si elle n’est pas (encore ?) le « dieu de la guerre », il n’empêche qu’elle est en en passe de détenir une position dominante au sein des forces armées terrestres russes, que ce soit du point de vue opérationnel ou du point de vue doctrinal, et que les développements à venir seront très certainement intéressants à suivre. 

Notes
(1) Également connu sous le nom de Katyusha (Катюша).
(2) Le projet a été abandonné par la suite.
(3) Disposant de six galets de roulement.
(4) Disposant de sept galets de roulement.
(5) Les chiffres varient, mais en comparaison avec les dernières variantes de MSTA-S, le nombre de 14 obus est crédible.
(6https://​ria​.ru/​2​0​1​9​1​2​1​7​/​1​5​6​2​4​3​4​2​5​6​.​h​tml.
(7) Et environ 2 000 véhicules stockés en réserve.
(8) Торнадо.
(9) Le Smerch peut également mettre en œuvre le missile 9M542 qui offre une capacité de frappe à 120 km.
(10) Bien qu’ils soient en réserve, il est très peu probable que ces derniers reviennent un jour en service.
(11https://​ria​.ru/​2​0​1​9​0​5​2​5​/​1​5​5​4​9​0​3​8​1​6​.​h​tml.
(12https://​tass​.ru/​a​r​m​i​y​a​-​i​-​o​p​k​/​6​0​7​7​582.
(13) тяжёлая огнемётная система. Littéralement : « système lance-flammes lourd ».
(14) Солнцепёк (« Soleil de plomb »).
(15) Войска РХБ защиты ВС РФ.
(16) разведивательнфая-огновая система.

Légende de la photo en première page : Tir d’un 2S19. L’élévation en site peut atteindre 68°. (© Meoita/Shutterstock)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°72, « Numéro spécial : opérations terrestres  », juin-juillet 2020.
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