Alors que l’Allemagne prend au 1er juillet 2020 la présidence tournante de l’UE dans un contexte toujours largement dominé par la gestion de la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19, il est intéressant de se pencher sur un sujet que le gouvernement allemand a poussé en avant depuis quelques années : la Coopération structurée permanente (CSP). Le sujet est d’autant plus d’actualité que les ministres européens de la Défense réunis par visioconférence le 16 juin 2020 ont dressé un bilan et proposé des pistes pour améliorer la CSP dans les mois et années à venir (1).
Qu’est-ce qu’une coopération structurée permanente ?
La CSP (ou PESCO dans son acception anglophone) est un outil de coopération intergouvernementale issu du traité de Lisbonne s’adressant aux « États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes » (article 42 § 6). Ainsi, la CSP permet, pour aller plus vite et plus loin en matière de co-
opération militaire, à un groupe d’États de l’UE volontaires de renforcer leur collaboration dans ce domaine, en se joignant à une variété de projets en fonction de leurs besoins. L’objectif de la CSP est de pallier les lacunes, notamment capacitaires, des États européens, de renforcer la compétitivité des firmes européennes de défense et d’éviter les doublons. Les pays qui souhaitent constituer une coopération structurée permanente doivent le notifier au Conseil et au haut représentant de l’UE (article 46 du Traité sur le fonctionnement de l’UE).
La CSP, qui aurait dû être lancée en 2010, n’a en réalité vu le jour qu’en 2017, à la suite de la publication de la Stratégie globale de sécurité de l’UE en juin 2016 et d’initiatives politiques franco-allemandes (soutenues par l’Italie et l’Espagne notamment) durant l’été et l’automne 2016 (2) : c’est donc le 22 juin 2017 que le Conseil européen a décidé d’activer la création d’une CSP, en s’appuyant sur une liste de critères communs (3). La CSP a officiellement été lancée le 11 décembre 2017 et compte 25 pays participants sur les 27 membres de l’UE (4). Elle permet de manifester les engagements communs des États participants en vue de donner davantage de substance à la défense européenne et d’avancer sur le chantier de l’autonomie stratégique de l’UE.
Un outil foisonnant, mais sous-employé
La CSP se caractérise à l’heure actuelle par un véritable foisonnement : elle ne compte pas moins de 46 projets en juin 2020, dont plus de deux tiers sont encore en phase de conceptualisation. En d’autres termes, le nombre très élevé de projets démontre certes l’intérêt des États européens pour cet outil, mais symbolise aussi l’éparpillement des énergies dans des domaines très divers, du support médical à la formation en passant par le cyber. Il est en effet notable que plus d’un tiers des projets développés dans le cadre de la CSP portent sur des questions relatives au cyberespace. Nombre de projets semblent d’ailleurs proches et les ministres de la Défense européens prennent peu à peu conscience des risques de doublons.
Des limites récurrentes
Trois éléments majeurs limitent l’efficacité de la CSP. Tout d’abord, les décisions et recommandations prises dans le cadre de cette coopération sont adoptées à l’unanimité des membres participants, ce qui contraint très fortement son fonctionnement. Un État peut ainsi aisément bloquer le processus décisionnel s’il est en désaccord avec ses partenaires. Ensuite, l’investissement des pays dans la CSP est très variable : quatre États ont pris le leadership d’une large part des projets (Italie, Allemagne, France, Grèce), et la participation des 25 États de la CSP est à géométrie variable, de même que les budgets que ceux-ci consacrent à leur défense (5).
Enfin, des divergences de vues récurrentes hypothèquent la pertinence stratégique de la CSP. Par exemple, si la France et l’Allemagne ont relancé le chantier de la CSP en 2016, Paris et Berlin n’en avaient pas la même acception (6). Pour la France, la CSP idéale devait être restreinte et ambitieuse, permettant de conduire à moyen terme des opérations militaires européennes ; pour l’Allemagne, la CSP devait être inclusive et basée davantage sur les aspects industriels et logistiques. La CSP lancée en décembre 2017 consacre de fait la vision allemande. De même, la Pologne, les Pays-Bas, la Suède ou les États baltes plaident pour une CSP inclusive ouverte à des États tiers tels que le Royaume-Uni, et entendent faire de cet outil de coopération un moyen de renforcer aussi leurs liens avec l’OTAN (7). Si la CSP offre un outil intéressant, il reste à l’employer de façon efficiente en rationalisant les projets qu’elle recouvre afin de pouvoir avancer vers davantage d’autonomie stratégique européenne.
Notes
(1) Nicolas Gros-Verheyde, « Une réunion des ministres de la Défense pour relancer la PESCO et les initiatives de défense, club.bruxelles2.eu, 10 juin 2020.
(2) Voir Delphine Deschaux-Dutard, « La coopération militaire franco-allemande et la défense européenne après le Brexit », Les Champs de Mars, no 32, 2019.
(3) Accessible sur le site du Conseil de l’Europe (http://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2017/06/22-euco-security-defence/).
(4) Seuls le Danemark et Malte ne participent pas à la CSP. Le Danemark a d’ailleurs une clause d’exemption lui permettant de ne pas participer à la PSDC.
(5) Nicolas gros Verheyde, « Pour remédier aux défaillances de la PESCO, les Etats se fixent une nouvelle ligne de conduite », club.bruxelles2.eu, 18 juin 2020.
(6) Claudia Major, Christian Mölling, « PeSCo : The German Perspective », ARES policy paper, no 36, février 2019.
(7) Mathieu Victor, « La participation des pays tiers au sein de la PESCO », GRIP, 30 mars 2020 (https://grip.org/la-participation-des-pays-tiers-au-sein-de-la-pesco/).
Légende de la photo ci-dessus : Un Centauro II italien. Derrière la prolifération de programmes liés à la CSP se pose la question de l’intégration effective de leurs résultats au sein des forces. (© Oto Melara)