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Coup d’épée dans l’eau ou concept génial ? Les Icarus TAV, Wasp et Branca

Il n’est pour l’instant qu’une représentation informatique, mais la firme canadienne lcarus Aerospace pense tenir la formule la plus adaptée aux opérations de contre-guérilla avec son Tactical air vehicle (TAV), développé selon une logique de système. Mais l’appareil pourra-t-il vaincre la « malédiction des appareils COIN » ?

En l’occurrence, les débats de ces vingt dernières années montrent une attention soutenue pour des appareils légers, dotés de turbopropulseurs et adaptés aux opérations de contre-guérilla, que ce soit en matière d’aptitude au combat, mais aussi de formation à leur utilisation et de maintenance. Concrètement cependant, beaucoup d’appelés se sont succédé, mais peu ont été élus : seuls l’Embraer Super Tucano (1) ou l’Air Tractor AT-802U (2) ont remporté les suffrages des forces aériennes, bien que les volumes de commandes n’aient pas été très élevés – alors que le marché regorge de propositions, qu’elles ressortissent à l’appareil d’entraînement (AT-6B (3), Hurkus, Kobac, AHRLAC…) ou à des appareils agricoles militarisés (Iomax Archangel). Des formules plus évoluées, cette fois à la frontière de l’appareil de combat à haute performance, ont également été proposées, comme le Textron Scorpion (4) ou encore des évolutions du L-159 ALCA (5), du F/T/A-50 ou celles du M-346. Mais là aussi en ne trouvant que très marginalement preneur.
L’appareil COIN « lourd », biturboprop, est également en perte de vitesse. L’OV-10 Bronco n’est plus en service qu’aux Philippines (6). Une proposition d’OV-10X avait été faite au début des années 2010 par Boeing. Le principe était de moderniser des OV-10A
sortis de service en les dotant d’un cockpit tout écrans et d’une capacité à tirer jusqu’à 16 AGM-114 Hellfire. En la réduisant à huit, un canon de 30 mm pouvait être positionné sous la cellule. Comme l’OV-10D, il aurait été doté d’une boule optronique et de contre-mesures. Le coût de la modernisation et de la remise en service a toutefois été considéré comme trop élevé et le programme a été abandonné. Le FMA Pucara (7) est quant à lui en fin de vie. Or c’est précisément dans ce secteur des biturboprops que se positionne l’offre d’Icarus. L’appareil de base – le TAV – a été présenté comme un « Bronco sous stéroïdes », mais cette vision est sans doute partielle.

Un OV-10 qui n’en est pas un
Certes, l’aspect général de l’appareil rappelle l’OV-10, avec ses ailes hautes, une configuration bimoteur bipoutre et une nacelle biplace en tandem (dotée de sièges éjectables) prolongée par un compartiment utilitaire et un train tricycle rentrant. Mais au-delà de la ressemblance visuelle, le concept est plus novateur. D’une part, parce qu’il est développé en système. Le TAV est ainsi proposé en une version totalement militarisée, le Wasp. Il sert également de base à un autre système, le Branta (une oie noire que l’on trouve en Amérique du Nord), lequel est piloté ou dronisé – nous y reviendrons. D’autre part, le TAV/Wasp présente des performances en rupture nette avec celles de l’OV-10 (voir tableau ci-dessous).

<strong>Caractéristiques comparées de l’OV-10A et du Wasp</strong>

Au-delà des performances, les systèmes sont totalement différents, leur champ de mission n’étant pas le même. L’OV-10 est typiquement un appareil de contre-guérilla, à l’avionique rustique – à l’exception des OV-10D embarquant un FLIR et un désignateur laser. Comparativement, le Wasp est conçu pour des missions d’appui aérien rapproché – y compris dans un contexte de contre-guérilla –, mais aussi de surveillance, voire de lutte antinavire et de surveillance maritime. En combinant une charge utile largement supérieure et une capacité à être ravitaillé en vol, il offre ainsi une plus grande polyvalence. C’est d’autant plus le cas que l’avionique envisagée pour le concept est plus étoffée. Le cockpit tout écrans comprend des visualisations tête haute et des systèmes de navigation GPS/INS. L’appareil est ainsi présenté comme « tous temps ». S’il peut embarquer deux hommes d’équipage, il a également été conçu pour n’en embarquer qu’un seul, mais aussi, nativement, pour être dronisé. Dans ce cas de figure, il peut être contrôlé à distance ou opérer de manière autonome (8).
Doté d’une boule FLIR sous le nez, il peut en recevoir une autre, rétractable, en position ventrale, pour accroître les capacités de détection. Il peut également recevoir un radar AESA conformal Leonardo Osprey, dont les modules émetteurs/récepteurs sont positionnés tout autour de la cellule (jusqu’à quatre groupes de modules), offrant une vision à 360°. Le radar lui-même, qui est en cours d’essais, est multimode. Le Wasp peut également embarquer des bouées acoustiques pour les missions de surveillance maritime – il ne semble cependant pas certain qu’il soit en mesure de traiter leurs signaux. Des contre-mesures peuvent aussi être intégrées. L’industriel indique également que l’avionique comprend une fusion de données et une intégration de l’appareil aux logiques réseaucentrées. Ces caractéristiques lui permettraient d’être utilisé en essaims.
La gamme d’armement embarquée est également plus vaste. Il est structurellement équipé d’un canon d’un calibre déterminé par le client, mais peut aussi recevoir une tourelle ventrale tritube de 30 mm (à l’instar de ce qui était fait sur l’OV-10D). De plus, il comporte 11 points d’emport – sept sur le Bronco –, dont six sous les ailes et cinq sous la nacelle centrale. Les armements embarqués comprennent aussi bien des torpilles ou des missiles antinavires légers (le Marte est présenté sur une représentation informatique) que des armes à guidage laser (GBU-12 ou missiles AGM-114 Hellfire), GPS ou multimodes (une représentation le montre ainsi avec des GBU-53B StormBreaker (9)). Les deux points d’emport extérieurs sous les ailes permettent de tirer des missiles air-air AIM-9 Sidewinder. Les charges par pylône n’ont pas été communiquées. S’y ajoutent des réservoirs auxiliaires ou, plus classiquement, des bombes non guidées ou des roquettes.
Par ailleurs, comme l’OV-10, l’appareil est conçu pour pouvoir opérer depuis des zones peu ou pas préparées, avec une structure adaptée à un accès aisé et un train renforcé. La configuration même de l’appareil lui confère de courtes distances de décollage et d’atterrissage. Reste qu’il semble être construit avec des matériaux composites qui s’accommodent assez mal de terrains peu préparés, les projections de gravillons et autres pierres endommageant relativement facilement des cellules dont la maintenance est difficile sur le terrain. De facto, un OV-10 ou un AT-802U, avec leur structure métallique, se réparent « à coup de canettes et de chewing-gum » (10).

L’oie veille
Toujours sur base du TAV, Icarus propose le Branta, qui peut également être piloté ou dronisé. La configuration retenue est similaire, à ceci près que l’envergure de l’appareil est considérablement augmentée, passant de 15,5 à 30 m. Ce changement implique une réduction de la vitesse maximale, mais aussi une augmentation de la masse maximale au décollage, qui passe de 9,525 à 12,246 t, sachant que les configurations avionique et d’armement peuvent être préservées. Le plafond opérationnel s’accroît également, passant à 15 240 m. Le changement de voilure et le vol à haute altitude ont également un effet positif sur l’endurance, qui peut dépasser plus de 30 h, sachant que l’appareil peut là aussi être ravitaillé en vol. En l’occurrence, la version dronisée bénéficie d’un système de ravitaillement en vol automatique. Paradoxalement, c’est peut-être là que l’appareil représente une rupture : potentiellement, c’est un véritable drone MALE/HALE, qui plus est bénéficiant de la plus grosse charge utile du marché, battant de plus de deux tonnes le Heron TP et d’une tonne le futur EuroMALE. À voir cependant comment des charges complexes pourront être intégrées structurellement, mais aussi du point de vue de la gestion des signatures électromagnétiques…

Trop hybride pour gagner des parts de marché ?
In fine, le concept est présenté par Icarus comme étant capable de remplir 90 % des missions d’un appareil de combat classique pour 15 % de son coût. Il reste toutefois à voir ce qui est entendu comme étant un « appareil de combat », mais aussi à concrétiser les promesses de coût. De nos jours, ce n’est pas l’appareil ou sa propulsion qui coûtent le plus cher, mais son avionique ; sans même parler des aspects liés à leur maintenance. Or une configuration complète incluant radar AESA, fusion de données et autres systèmes divers apparaît comme plus évoluée que celle de plusieurs appareils de combat bas de gamme présents sur le marché. Ce qui amène à se poser la question des clients potentiels pour un tel appareil : le concept d’un avion permettant à de petites forces aériennes de disposer d’appareils de contre-guérilla et de surveillance a souvent été présenté comme une « solution miracle » pour leur survie. Cependant, la vision n’a guère fait recette… notamment pour cause de limitations budgétaires.
Comparativement, nombre de forces aériennes plus avancées préfèrent à la spécialisation l’achat d’appareils polyvalents : le « one size fits all » permet de combattre aussi bien dans des opérations contre-irrégulières que contre d’autres forces aériennes avancées. Certes, la formule n’est pas optimale dès lors que les capacités d’un Rafale ou un F-35 sont sous-utilisées face à un adversaire irrégulier. Ce qui pourrait apparaître comme un gaspillage au regard des coûts à l’heure de vol est cependant relatif. D’une part, disposer de plusieurs types d’appareils spécialisés implique aussi de scinder les flux logistiques et la formation des pilotes et des maintenanciers. D’autre part, cela signifie également moins d’argent disponible pour l’achat d’appareils à hautes performances, les budgets d’acquisition devant être ventilés. Or, si l’avion qui peut le plus peut aussi le moins, l’inverse n’est pas vrai… Reste la question du Branta : si l’« effet système » peut attirer des forces aériennes, disposer d’un drone présentant de telles capacités peut être tentant. Du moins, si le projet de cette firme, pour qui la construction d’appareils serait une première, se concrétise…

Notes

(1) Voir la fiche technique qui lui est consacrée dans DSI no 55. 
(2) Voir DSI no 95.
(3) Voir DSI no 127.
(4) Voir DSI no 118.
(5) Voir DSI no 94.
(6) Voir DSI no 131.
(7) Voir DSI no 129.
(8) Ce que recouvre cette autonomie – en particulier dans le domaine de l’ouverture de feu – n’a pas été précisé.
(9) La nouvelle désignation de la Small Diameter Bomb II.
(10) Ce dernier présente une propriété intéressante : subissant de gros flux d’air durant le vol, il constitue une excellente colle.

Légende de la photo en première page : Représentation informatique du Wasp montrant la configuration générale de l’appareil. (© Icarus Aerospace)

Article paru dans la revue DSI n°149, « Contre-terrorisme : Les armées du G5 Sahel », septembre-octobre 2020.
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