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Trieste : un LHD pour Rome

Promulguée en 2015, la « Legge Navale », le plan italien de construction navale devant permettre de soutenir son industrie, prend forme. Les deux premiers des sept « patrouilleurs polyvalents » de la classe Paolo Thaon di Revel ont été lancés ; le ravitailleur Vulcano termine ses essais à la mer ; et les deux patrouilleurs légers de classe Cabrini sont en service. Mais le projet le plus ambitieux est sans doute le LHD Trieste

Le Trieste doit permettre de moderniser les capacités amphibies italiennes, tout en remplaçant le porte-­aéronefs Garibaldi et plusieurs LST de classe San Giorgio. Commandé en juillet 2015 pour 1,1 milliard d’euros, il a été mis sur cale par Fincantieri le 20 février 2018, la première découpe de tôle ayant eu lieu en juillet 2017. Il a été lancé le 25 mai 2019 et doit entrer en service mi-2022, au terme de ses essais. Le choix de l’amirauté italienne s’est porté sur un grand LHD à propulsion CODOGOL (Combined diesel or gas or electric) combinant propulsion diesel et à turbine à gaz, tout en s’appuyant sur des moteurs électriques au-dessous de 10 nœuds (1). Avec 2 600 m3 de fioul F‑76, le bâtiment a une endurance théorique de 30 jours. Il peut atteindre les 25 nœuds. Extérieurement, le Trieste se distingue par une structure combinant un flush-deck et deux îlots (la position avant étant optimisée pour les manœuvres à la mer, celle à l’arrière pour les opérations aériennes), qui permet également de mieux répartir les capteurs. Ses dimensions en feront le deuxième plus gros navire de la Marina Militare après le Cavour, avec un déplacement de 33 000 t.p.c. pour une longueur totale de 245 m, une largeur de 36 m et un tirant d’eau de 7,2 m. Ce sera également le plus gros LHD européen. En effet, le Juan Carlos espagnol affiche 27 000 t.p.c. pour 230 m et les Mistral français, 21 300 t.p.c. pour 199 m de long. Le bâtiment sera également le mieux défendu et recevra une forte dotation en capteurs avancés, qui en feront un véritable porte-­aéronefs. On l’oublie souvent, mais un porte-­aéronefs ne se caractérise pas uniquement par le fait d’embarquer avions V/STOL et hélicoptères : au sein d’un groupe aéronaval, c’est aussi un node central en termes de capacités de détection et de commandement.
Ses installations amphibies incluent un radier d’une longueur de 50 m pour une largeur de 15 m. Il peut embarquer un LCAC américain (Landing craft air cushion) ou quatre barges de débarquement classiques. Des RHIB (Rigid hull inflatable boats) et des barges de transport de personnel sont également positionnés sur les encorbellements bâbord et tribord. En conditions normales, 600 combattants peuvent être embarqués en plus de l’équipage de 460 membres, et jusqu’à 1 200 si le hangar est utilisé pour les accueillir dans des conteneurs de logement. Les véhicules peuvent être embarqués sur deux niveaux. D’une part, celui donnant immédiatement sur le radier – accessible depuis le quai par une rampe à tribord – qui comprend un espace de 50 × 18 m qui permet notamment d’accueillir des chars de bataille Ariete. D’autre part, le hangar aviation, avec lequel il est relié par une rampe et un ascenseur d’une capacité de 40 t.

Utilisé de manière partagée, le hangar aviation permet d’accueillir des véhicules ou des conteneurs sur 1 250 m linéaires. Les installations aéronautiques comprennent un hangar de 107 × 21 m lorsqu’il est partagé avec les véhicules – sans ces derniers, il laisse donc plus de place aux appareils. Il est relié au pont par deux ascenseurs de 14 × 15 m, à bâbord et à tribord, d’une capacité de 40 t. Le pont d’envol a une longueur de 230 m. S’il n’est pas pour l’heure doté d’un tremplin, il permet de mettre en œuvre des F‑35B, une caractéristique voulue dès les premières étapes de la conception du bâtiment. La décision d’un embarquement de l’appareil n’a en revanche pas encore été prise. En théorie, 15 aéronefs pourraient prendre place dans le hangar partagé – ce qui laisse donc une marge d’emport s’il ne l’est pas. Le hangar aviation a par ailleurs été conçu pour intégrer les équipements de soutien nécessaire. De plus, 2 000 m3 de carburéacteur F‑44 sont embarqués.

Le bâtiment est également conçu pour jouer le rôle de poste de commandement opératif, une fonction pour laquelle 740 m² sont réservés. Des installations hospitalières incluant des salles d’opération, de radiologie et de dentisterie de même que 27 lits de soins intensifs complètent le tout. Elles représentent plus de 700 m² et peuvent être étendues si des conteneurs appropriés sont positionnés dans le hangar aviation. Comme sur tous les bâtiments italiens, l’autoprotection est soignée, avec trois canons de 76 mm – aptes à recevoir les munitions Dart et Strales – et trois autres de 25 mm, tous asservis à une conduite de tir. Le Trieste a, en outre, été conçu pour recevoir 16 cellules de lancement verticales SYLVER A50 à tribord arrière. Il ne semble cependant pas encore en être doté. Il peut être approvisionné par des missiles antiaériens Aster‑15/30 ou CAMM (deux missiles par cellule).

Le système de capteurs et de leurres est particulièrement complet. Il comprend une série de systèmes conçus pour les PPA (Pattugliatore Polivalente d’Altura) et ensuite adaptés au Trieste. Pour la première fois, un radar Kronos 3D AESA en bande X (avec quatre panneaux fixes, deux par îlot) et un Kronos AESA en bande L (rotatif) sont installés. Des radars d’approche aéronautique SPN‑720 et SPN‑41, deux radars de navigation et trois radars de conduite de tir complètent le tout. Le bâtiment est également doté de sonars spécialisés : un Black Snake remorqué pour la détection de torpilles, de même que des sonars de détection de mines et de plongeurs. Le bâtiment est également doté d’un système de veille infrarouge distribué DSS (Distributed static staring). S’y ajoutent une suite Virgilius incluant des systèmes R/C/ESM (Radar/communications/electronic support measures) et un brouilleur radar, de même que deux lance-­leurres polyvalents ODLS‑20. Ces derniers mettent en œuvre des charges de leurrage de missiles antinavires, mais aussi de torpilles.

Classiquement, on retrouve également d’autres systèmes, comme les IFF, TACAN et une suite de communication particulièrement complète. Elle comprend des liaisons de données L‑11/‑16/‑22, des transmissions par satellite et une série de systèmes radio. L’ensemble des capteurs et systèmes est intégré dans le système de combat modulaire à architecture ouverte ATHENA/SADOC Mk4. Le bâtiment a donc tout pour permettre un véritable saut capacitaire comparativement au Garibaldi. À la condition cependant que les commandes italiennes de F‑35B suivent…

Note
(1) Soit deux turbines à gaz Rolls-Royce MT30 et deux diesels MAN 20V32, en plus de quatre générateurs diesel et de deux moteurs électriques entraînant deux lignes d’arbre.

Légende de la photo ci-dessus : Le Trieste lors de son lancement. Le bâtiment sera le plus gros LHD européen. (© D.R.)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°74, « Stratégie et capacités navales : un monde de tensions  », octobre-novembre 2020.
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