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Artsakh, la fin d’une guerre. En attendant la prochaine ?

Un MiG-29 russe basé en Arménie au cours d’exercices tenus en 2018. (© Wirestocks Creators/Shutterstock)

(Brève parue dans DSI n°151, janvier-février 2021)

La guerre déclenchée par l’Azerbaïdjan contre l’Artsakh fin septembre 2020 a débouché sur une victoire de Bakou, officialisée par un cessez-­le-­feu signé le 10 novembre sous la supervision du président russe. Finalement, l’Azerbaïdjan a repris plus de 50 % de la superficie de la république indépendantiste, et a aussi pu récupérer le district d’Agdam, qui faisait tampon entre l’Azerbaïdjan et une partie de la frontière avec l’Artsakh et qui était occupé par Erevan. Il en est de même pour le district de Kalbajar, qui était dans la même situation. Le corridor de Latchin, qui constitue à présent le seul lien entre l’Artsakh et l’Arménie est également vulnérable et a été placé sous le contrôle des forces russes de maintien de la paix. Par ailleurs, l’Arménie s’est engagée à donner des garanties de passage entre l’exclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan et le reste du pays. Surtout, la prise de Choucha, dans les derniers jours de la guerre, place les forces azerbaïdjanaises en position de prendre rapidement Stepanakert.

Au-delà des analyses que nous avions publiées dans DSI no 150, que retenir de cette guerre ? Du point de vue politique, si la rivalité entre la Turquie et la Russie a trouvé dans le Caucase un nouveau terrain d’expression, la Russie s’est positionnée particulièrement durant et après le conflit. Alors qu’elle disposait de deux bases en Arménie et alors que des frappes azerbaïdjanaises ont visé des positions en Arménie – détruisant notamment une batterie SA‑10 et un lanceur Scud – elle s’est abstenue de toute intervention. Moscou s’est ensuite profilé comme le garant du cessez-­le-feu, mais sans interprétation maximaliste de son rôle : des heurts violents ont lieu après la cessation des hostilités sans que la Russie intervienne. Comparativement, des appareils turcs ont été basés en Azerbaïdjan durant le conflit. S’ils ont sans doute dissuadé toute intervention russe, ils permettent aussi à Ankara de se positionner sur l’après-conflit. Le Parlement turc a ainsi autorisé le déploiement de troupes conjointement avec la Russie pour l’observation du cessez-le-feu pour une durée d’un an, à charge de la présidence turque de préciser le volume des forces.

Du point de vue conceptuel, la guerre d’Artsakh démontre que les opérations de haute intensité n’ont pas lieu qu’entre grandes puissances ; sachant que des acteurs de plus petite taille ont fait la démonstration de leur aptitude à s’approprier correctement des innovations technologiques. Elle montre également les vertus de l’attrition. Contrairement au volume des forces arméniennes avant la guerre de septembre, celui des Artsakhiotes n’était pas précisément connu. Mais si l’on s’en réfère aux informations confirmées par des photos ou des vidéos, les pertes ont été sévères et comparativement bien plus importantes que celles de l’Azerbaïdjan, qui avait lui-même engagé le conflit dans une situation de supériorité quantitative, comme le montre le tableau ci-dessous :

Pertes comparées (sur la base de preuves photo/vidéo) au 10 novembre

Catégorie de système

Pertes des forces arméniennes/ artsakhiotes

Niveau des forces arméniennes avant la guerre

Pertes azerbaïdjanaises

Forces azerbaïdjanaises pré-guerre

MBT

221

109

36

439

IFV

70

231

33

216

APC et MRAP

58

130

14

568

H, SPH

200

159

306

MRL

76

60

1

147

SAM

28

?

?

Guerre électronique

2

?

?

Véhicules divers

536

?

32

?

Drones

4

?

25

?

Avions

1

18

11

66

Hélicoptères

1

30

1

70

Sources : Stijn Mitzer et Jakub Janovsky, « The Fight For Nagorno-Karabakh : Documenting Losses on The Sides Of Armenia and Azerbaijan », blog Oryx, 27 septembre 2020 (https://​www​.oryxspioenkop​.com/​2​0​2​0​/​0​9​/​t​h​e​-​f​i​g​h​t​-​f​o​r​-​n​a​g​o​r​n​o​-​k​a​r​a​b​a​k​h​.​h​tml) ; IISS 2020.

D’un point de vue opératif et tactique, les enseignements sont particulièrement nombreux. Ils montrent, en premier lieu, l’importance des fondamentaux tactiques. La défensive arménienne/artsakhiote a été pour partie neutralisée par l’usage approprié de la troisième dimension par les forces azerbaïdjanaises. Incapables de s’engager dans une défense de retardement appropriée ou d’assurer une couverture antiaérienne et en guerre électronique adéquate, les forces en défense se sont heurtées à une manœuvre azerbaïdjanaise relativement bien maîtrisée. Alors que l’Arménie disposait également de munitions rôdeuses, elle n’a pas réellement été en mesure de les utiliser efficacement. L’essentiel des pertes azerbaïdjanaises, de ce point de vue, a été causé par la combinaison de mines, d’artillerie et d’attaques par l’usage de missiles antichars.

Un autre enseignement, plus spécifiquement opératif, renvoie à l’importance de la planification comme facteur de rentabilisation de l’innovation. Les munitions rôdeuses n’ont été efficaces que dès lors qu’elles ont servi de « bélier », créant des effets de brèche dans les dispositifs antiaériens et antichars arméniens/artsakhiotes, sur les lignes de contact comme dans la grande profondeur. Il en a été de même pour l’usage de l’artillerie, qui a souvent permis d’exploiter les percées avant les avancées des forces blindées/mécanisées. Dans les deux cas, le phasage des actions s’est avéré pertinent et a démontré une vraie réflexion sur l’articulation entre centres de gravité et vulnérabilités critiques, en amont d’un processus de ciblage. Du reste, c’est également valable, dans une moindre mesure, pour l’Arménie, qui a été capable d’utiliser son artillerie pour des frappes contre des sites pétroliers azerbaïdjanais – au moins un pipeline. In fine, le potentiel azerbaïdjanais a été préservé – les pertes de l’aviation portaient sur de vieux An‑2 dronisés pour activer les défenses aériennes arméniennes et ensuite les traiter – tandis que l’arménien a été considérablement réduit. Le dispositif de défense artsakhiote a largement été entamé par les conquêtes territoriales.

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