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Cyberattaques et actions d’influence dans la crise du golfe Arabo-Persique de 2017

La guerre de l’information conduit aussi à se poser la question sur la place de l’information dans ces États et sur la crédibilité que la communauté internationale pourrait lui accorder dans ce type de conflit. Ainsi dans une interview significative (12), Omar Ghobash, ambassadeur des EAU en Russie, déclarait « Nous ne revendiquons pas la liberté de la presse. Nous ne faisons pas la promotion de la liberté d’expression. Ce dont nous parlons est la responsabilité dans la prise de parole ». Effectivement, les régimes autoritaires du golfe Arabo-Persique contrôlent l’information et refusent depuis longtemps la liberté d’expression qui pourrait favoriser l’émergence d’un nouveau printemps arabe.

La stratégie du Qatar, très réactive, associant opérations dans le cyberespace et informations par les médias en particulier par Al-Jazeera, disposant aussi de fortes capacités financières, a contrecarré avec efficacité la désinformation et la stratégie du Quartet. Y compris aux États-Unis, principal allié de l’Arabie saoudite et des EAU, cette stratégie a suscité le doute sur la légitimité de l’agression conduite par le Quartet et sur les accusations portées sur le financement du terrorisme islamiste.

De fait, une stratégie d’influence, même associée à des actions économiques, ne suffit pas pour faire plier un État. Celui-ci peut intégrer sa propre stratégie d’influence dans une stratégie globale dans laquelle la diplomatie s’appuyant sur le droit international garde toute sa place. Le Qatar a fait appel aux organisations internationales comme la Cour internationale de Justice de La Haye, qui a condamné les EAU le 23 juillet 2018 pour le blocus en cours, ou l’OMC pour sanctionner le piratage de la chaîne qatarie BeIN Sports depuis l’automne 2017 par l’Arabie saoudite. Enfin, signe fort de son succès et ultime garantie de sa souveraineté, un renforcement du partenariat stratégique dans les domaines militaire et sécuritaire a été signé le 31 janvier 2018 entre les États-Unis et le Qatar.

Notes
(1) Lire Marc Lavergne, « Autour de la crise entre le Qatar et l’Arabie saoudite, grandes manœuvres sur la mer Rouge », Diplomatie no 92, mai-juin 2018 (https://​bit​.ly/​2​C​3​X​SUf).
(2) Marc Jones, « Hacking, bots and information wars in the Qatar spat », The Washington Post, 7 juin 2017.
(3) Rhea Siers, « Information Warfare and the Gulf Dispute », The Cypher Brief, 26 juillet 2017.
(4) « Qatar reveals preliminary results of QNA hacking probe », Al Jazeera, 7 juin 2017.
(5) « UAE orchestrated hacking of Qatari government sites, sparking regional upheaval, according to U.S. intelligence official », The Washington Post, 16 juillet 2017. 
(6) Ryan Grim, « Diplomatic Underground. The Sordid Double Life of Washington’s Most Powerful Ambassador », The Intercept, 30 août 2017. Le nom « Global Leaks » ferait référence à DC Leaks, les pirates informatiques qui ont volé et distribué des courriels de démocrates lors de l’élection présidentielle de 2016. Les membres de Global Leaks utilisent un compte email en « .ru ».
(7) David Samuels, « The Aspiring Novelist Who Became Obama’s Foreign-Policy Guru », The New York Times, 5 mai 2016.
(8) Andreas Krieg, « Comment les émirats se sont unis à l’AIPAC », Middle East Eye, 13 mars 2018.
(9) David D. Kirkpatrick, « Qatar’s Support of Islamists Alienates Allies Near and Far », The New York Times, 7 septembre 2014.
(10) Glenn Greenwald, « How Former Treasury Officials and the UAE Are Manipulating American Journalists », The Intercept, 25 septembre 2014.
(11) Sadek Hamid, « UAE hires Bannon-affiliated company to spread anti-Qatar ads », The New Arab, 9 novembre 2017.
(12) « UAE ambassador threatens further sanctions against Qatar », The Guardian, 28 juin 2017.

Légende de la photo en première page : Des portraits géants de l’émir du Qatar, cheikh Hamad ben Tamim al-Thani, ornent les tours de Doha, la capitale, en février 2018. Un an et demi après le début de la crise qui l’oppose au « Quartet » – Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Égypte, Bahreïn –, le Qatar résiste économiquement et semble même avoir renversé la situation en sa faveur sur le plan diplomatique. Cette résilience repose également en interne sur la mobilisation d’un fort sentiment national, les autorités qatariennes ayant adopté un discours très volontariste, refusant de se poser en victimes. (© Paul Cowan/Shutterstock)

Article paru dans la revue Diplomatie n°95, « Populisme, nationalisme, souverainisme : l’Europe en crise », novembre-décembre 2018.

François Chauvancy, Blocus du Qatar : l’offensive manquée – Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique, Paris, Hermann, septembre 2018, 330 p.

À propos de l'auteur

François Chauvancy

Officier général (2S), et auteur du blog http://chauvancy.blog.lemonde.fr/. Il est chargé d’enseignement à l’Institut catholique de Paris, à l’Université catholique de l’Ouest et à l’Université Paris-Sorbonne sur les questions de défense et d’influence.

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