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Drones de surface : la solution à la réduction des flottes ?

Bon nombre de marines sont dans une position délicate. D’une part, le processus de navalisation mondial exige une plus grande présence sur les mers. D’autre part, le recrutement et la fidélisation posent un réel problème : quand bien même les budgets permettraient d’acheter massivement de grandes unités, elles seraient inutiles sans équipage. Dans pareil cadre, jusqu’où peut aller la robotisation et que peuvent les USV (Unmanned surface vehicles) ?

Pour la clarté du propos, écartons ici ce qui renvoie au processus, déjà bien engagé, d’automatisation d’un certain nombre fonctions au sein des grands bâtiments de combat de surface. Il s’agit plutôt de se concentrer sur les USV stricto sensu, en tant qu’unités opérant de manière indépendante ou, dans le cadre d’une marsupialisation (1), depuis de grandes unités. Historiquement, les USV apparaissent en Israël. Au début des années 2000, Rafael conçoit le Protector sur la base d’un RHIB (Rigid hull infaltable boat) de 9 m de long. Télécommandé, il est doté d’un système optronique jour/nuit Toplite et d’un tourelleau téléopéré stabilisé Mini-Typhoon. La logique retenue était de pouvoir mener des missions de surveillance dans les ports, ou des missions de patrouille au départ de grandes unités – comme le fera Singapour depuis un de LPD de classe Endurance opérant dans le golfe Persique.

Le système connaîtra un certain succès – en étant acquis par Singapour et par le Mexique en plus d’Israël – et sera décliné dans une version utilisant un RHIB de 11 m. Une telle intégration simplifie la conception : les RHIB sont préexistants, standardisés (ce qui facilite la manutention, notamment sur les navires) et leurs motorisations sont bien connues. Un Protector de 9 m peut ainsi atteindre 50 nœuds. D’autres firmes israéliennes se positionneront sur le marché : IAI avec le Katana (11,9 m, une vitesse de 60 nœuds et une charge utile modulaire de 2,2 t) ou, d’une manière plus intéressante, Elbit, avec le Seagull, présenté pour la première fois en 2016. Le système n’utilise pas un RHIB, mais une coque spécifique de 12 m, en aluminium, qui a l’apparence d’une vedette, abri de navigation compris. Doté d’un tourelleau téléopéré sur la plage avant et télécommandé, il peut recevoir un grand nombre de charges utiles élargissant ses domaines d’utilisation : sonar remorqué, sonar de détection de mines, catapulte permettant de lancer un drone ou encore tube lance-­torpilles. Cependant, ces options ne peuvent pas être installées de manière concomitante : jusqu’ici, l’USV est d’abord une plate-­forme spécialisée dont la petite taille ne permet pas d’obtenir un haut degré de polyvalence. Ce type de rationalité se retrouve également chez d’autres constructeurs. Récemment, la firme turque Meteksan a présenté l’ULAQ, qui devrait être décliné en plusieurs versions et plusieurs tailles. Construit en composite, c’est un USV de patrouille doté d’une optronique couplée à un désignateur laser et d’un lanceur permettant de tirer quatre missiles Cirit et deux L‑UMTAS. S’y ajoutent les communications nécessaires à sa téléopération et des systèmes de guerre électronique. Son rayon d’action est de 400 km. Son constructeur indique qu’il sera doté d’une intelligence artificielle, mais, comme souvent lorsqu’il en est question, les industriels restent vagues sur sa fonction : évitement d’obstacle et/ou schémas de patrouille aléatoires et/ou aide au ciblage et/ou engagement du feu ?

D’autres États travaillent également à de nouveaux programmes d’USV. Le Japon indique ainsi que ses futures frégates 30DD seront dotées de tels systèmes. Le Royaume-­Uni a procédé à des essais d’intégration d’un RHIB dronisé et doté d’un tourelleau téléopéré sur une frégate Type‑23. Les futures Type‑26 et Type‑31 seront également dotées d’USV, ce qui laisse penser que ce sera également le cas des bâtiments achetés en Australie ou au Canada. L’équipement en USV est également évoqué pour l’équipement des futures F110 espagnoles et Type‑M belgo-­néerlandaises. La Russie a également procédé à des essais de drones ECA depuis une frégate de classe Gorshkov. De ce point de vue, l’intégration d’USV est devenue un critère de modernité pour les nouveaux programmes de bâtiments de surface – au même titre que les UUV sous-marins.

Pratiquement et paradoxalement cependant, cette demande ne semble pas déboucher pour l’heure sur des programmes en bonne et due forme. En fait, le nombre de programmes d’USV a plutôt tendu à stagner ces dernières années.

Il ne faut cependant pas s’y tromper : l’heure est plutôt aux démonstrateurs et à l’acquisition de « briques technologiques » nécessaires aux futurs systèmes. En Corée du Sud par exemple, un programme portant sur le commandement coordonné de plusieurs drones de surface a été lancé et doit aboutir d’ici à 2024. L’intelligence artificielle y jouera un rôle central, mais d’autres aspects seront à prendre en compte. De facto, commander des drones implique une sécurisation des liaisons de données, ce qui nécessite des investissements dans les domaines des communications, mais aussi de la guerre électronique. Cela implique également de valider nombre d’algorithmes certes liés à l’évitement d’obstacles, mais aussi à l’autodiagnostic ou encore à la conscience situationnelle. Cette dernière ne concerne pas uniquement la mission, mais aussi la protection du drone lui-­même : chargé d’armement, il constitue une proie potentiellement facile pour des pirates…

Nouveaux usages pour les USV

L’essentiel des programmes présentés jusqu’ici renvoie donc plus à des démonstrations qu’à l’acquisition d’une capacité opérationnelle en bonne et due forme. Le drone de surface est-il pour autant condamné par sa taille et un spectre étroit de missions ? La réponse est négative, à plusieurs égards. Premièrement, parce que le drone de surface est sur le point de devenir central dans la définition des systèmes antimines du futur. Dans le cas belgo-­néerlandais – où la France joue un rôle central – comme dans le cas franco-­britannique (SLAMF : Système de lutte antimines du futur), il devient une plate-­forme déportée permettant de mettre en œuvre d’autres drones, de recherche ou de destruction par pose d’explosifs. Il permet donc de réduire le nombre de chasseurs de mines – qui deviennent des plates-­formes de commandement, de contrôle et d’analyse (2) – et d’accroître la superficie qui peut être contrôlée.

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