Magazine Moyen-Orient

Repères Israël. Économie. Relance post-coronavirus : quels enjeux économiques et sociaux ?

La pandémie de Covid-19 a brouillé les cartes de l’économie israélienne. Alors que l’année 2020 débutait avec des indicateurs au beau fixe, la crise sanitaire a mis en lumière les faiblesses du pays, révélant notamment de graves dysfonctionnements de l’État liés à des dépenses publiques insuffisantes. En fait, l’épidémie a montré les limites du capitalisme néolibéral qui se développe en Israël depuis plus d’une décennie. Pour y faire face, le gouvernement a été contraint de mettre en œuvre une politique plus interventionniste. À l’heure de la relance, de nouveaux enjeux se dressent : le renforcement de la protection sociale, le retour au plein-emploi, la priorité aux énergies renouvelables.

L’année 2020 avait démarré sur les chapeaux de roue pour l’économie israélienne : avec un chômage particulièrement bas (3,4 %), une inflation maîtrisée (0,8 %) et une croissance soutenue (3,5 %), seule l’instabilité politique et régionale constituait une menace pour la bonne tenue de l’économie. C’était sans compter sur la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 : en quelques jours, l’avenir doré a tourné au cauchemar. Comme en Europe, les conséquences économiques des mesures de confinement furent désastreuses.

Alors qu’une deuxième vague épidémique a déferlé sur le pays au début de l’été 2020, l’OCDE prévoit pour cette année une chute du PIB israélien de 8,3 % et un taux de chômage qui va doubler pour atteindre 8 %. Certes, les autorités israéliennes avaient réagi rapidement en imposant un strict confinement dès le début de la pandémie, ce qui permet à Israël de présenter l’un des plus bas niveaux de mortalité par habitant au monde (657 décès au 15 août 2020 pour 8,9 millions de citoyens), soit un bilan sanitaire positif. Sur le plan économique, en revanche, la situation est tout autre.

La fin de l’austérité budgétaire ?

Lancé en 2003, le passage au libéralisme a été accéléré durant la dernière décennie avec l’arrivée de Benyamin Netanyahou au poste de Premier ministre en 2009. Des coupes sombres dans les dépenses publiques, une forte baisse de la fiscalité, une cure d’amaigrissement de la protection sociale et une réduction de la taille du secteur public furent autant de mesures destinées à rendre irréversible l’avènement du capitalisme dur. L’ampleur de la crise actuelle aurait exigé une action rapide et massive de l’État ; celui-ci a préféré tergiverser, soucieux de ne pas transgresser sa doctrine libérale de non-intervention. Lorsqu’il s’est décidé à lancer des mesures visant à atténuer la paralysie économique, elles n’ont pas été à la hauteur des attentes ; le paquet d’aides publiques annoncé en mars 2020 (25 milliards d’euros, soit 7 % du PIB) est bien en dessous de la taille des plans européens.

Face à une récession qui se prolonge et dont les conséquences sont encore floues, la réaction des dirigeants israéliens restera lente et timide. À défaut d’un plan de relance global, le gouvernement israélien dut parer au plus pressé ; mi-juillet 2020, il a annoncé le versement d’une allocation de 750 shekels (185 euros) à tous les Israéliens majeurs, sans distinction de ressources, destinée à soutenir la consommation.
Pour promouvoir la croissance économique, la hausse des dépenses publiques mettra fin à l’austérité budgétaire. L’État devra intervenir pour appuyer les entreprises et sauver des activités stratégiques en péril ; il ne faudra pas hésiter, par exemple, à nationaliser la compagnie aérienne El Al en difficulté (elle fut privatisée en 2004) pour relancer les transports et le tourisme. Le coronavirus apparaît comme une opportunité pour les dirigeants israéliens de penser à une nouvelle forme de capitalisme, moins individualiste et plus solidaire.

L’un des enjeux de l’après-coronavirus sera le rétablissement d’une protection sociale digne de ce nom. La paralysie quasi générale de l’activité durant de longs mois a laissé de nombreuses familles sans ressources et les a rendues dépendantes des aides de l’État pour subvenir à leurs besoins : au plus fort de la crise, un million de salariés et 500 000 indépendants (soit le tiers de la population active) se sont retrouvés en situation de « congé sans solde ». Lorsqu’il a fallu indemniser les salariés mis au chômage forcé, surprise : à force de rogner la protection sociale, l’État a réduit les allocations chômage à leur strict minimum, ce qui ne permet pas de faire face à une grave crise de l’emploi.

Le chômage partiel n’étant pas reconnu en Israël, la sécurité sociale a dû faire preuve d’ingéniosité pour indemniser les salariés qui se sont retrouvés sans emploi sans même avoir été licenciés ; les conditions d’attribution des allocations chômage ont été modifiées à la va-vite et la durée d’indemnisation a été prolongée jusqu’à la fin de la crise, soit au-delà des six mois prévus par la loi. Quant aux travailleurs indépendants, qui ne sont pas couverts par l’assurance chômage, ils sont restés longtemps tributaires du bon vouloir des fonctionnaires du Trésor qui ont débloqué au compte-gouttes l’aide publique (en majorité des prêts remboursables).

Par ailleurs, la crise sanitaire a surpris Israël en manque d’infrastructures médicales et hospitalières. Deux décennies de coupes dans le budget de la santé ont laissé le pays à la traîne du monde occidental : malgré une croissance démographique soutenue, Israël dépense moins pour la santé que la plupart des pays développés – 2 780 dollars par tête, contre 3 995 dollars en moyenne dans les membres de l’OCDE en 2019. Face au vieillissement de la population, l’insuffisance des investissements publics a aggravé la pénurie de personnel soignant comme le manque d’infrastructures : le nombre de lits d’hôpitaux est particulièrement bas avec seulement 3 lits pour 1 000 habitants, contre 4,8 pour la moyenne de l’OCDE.

Favoriser le plein-emploi et une croissance verte

Pays jeune à l’économie dynamique, Israël a rarement connu des périodes longues de chômage ; même pendant les conflits militaires, l’emploi n’a jamais souffert comme durant la pandémie de Covid-19. Le retour au plein-emploi devient un défi de taille pour la société israélienne. Le gouvernement devra convaincre les employeurs de réintégrer les salariés mis au chômage technique ou partiel ; le modèle européen de prise en charge par l’État d’une partie de la masse salariale des chômeurs est fréquemment mis en avant par les économistes israéliens, qui y voient un remède efficace.

Le coronavirus devrait être aussi l’occasion d’améliorer la productivité du travail qui, en Israël, est en retard comparée à la moyenne de l’OCDE. Face au dynamisme de la haute technologie, la « nation start-up » ne parvient pas à intégrer en son sein les Arabes israéliens et les juifs ultra-orthodoxes (haredim), dont le niveau d’instruction et le taux d’activité sont inférieurs à ceux du reste des habitants. Ces deux communautés, qui représentent environ 30 % de la population nationale, devraient constituer une priorité pour la politique de relance post-coronavirus : l’encouragement du télétravail et le développement de l’enseignement technique et de la formation professionnelle seraient à même d’améliorer leur productivité et de réduire la pauvreté qui les touche de plein fouet. Le retour à une forte croissance en 2021 passera par l’intégration de toutes les populations au système éducatif et au marché du travail.

Progressivement, la crise a affecté tous les secteurs de l’activité : selon un sondage réalisé en mai 2020 par l’Autorité israélienne de l’innovation, 65 % des petites start-up (jusqu’à dix salariés) estimaient qu’elles ne pourraient pas maintenir leurs activités au-delà des six prochains mois (1). Déjà handicapée par une pénurie de personnel qualifié et l’insuffisance de capitaux, la haute technologie israélienne voit son avenir remis en cause par le coronavirus.

La crise de la Covid-19 sera aussi l’occasion pour Israël d’accélérer son passage aux énergies renouvelables ; le ministère de l’Énergie l’a bien compris en lançant, début juin, un plan ambitieux qui permettra de produire, en 2030, 30 % de l’électricité du pays à partir des énergies renouvelables – contre 5 % en 2019. À l’heure où les pouvoirs publics cherchent à doper l’emploi et à garantir une croissance soutenue, il sera essentiel de favoriser les énergies propres et les technologies non polluantes.n

Note

(1) Israel Innovation Authority, « Small Businesses during the Coronavirus Crisis », juin 2020.

Légende de la photo ci-dessus : L’épidémie de Covid-19 a obligé les autorités israéliennes à imposer un second confinement en septembre 2020, malgré les risques pour l’économie. © Shutterstock/Alex Eidelman

Article paru dans la revue Moyen-Orient n°48, « Israël : une démocratie en question », octobre-décembre 2020.
0
Votre panier