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Armement hypersonique : des progrès notables

La fin de l’année 2019 et l’année 2020 ont été marquées par une série d’annonces et d’essais concernant des systèmes hypersoniques, en Inde, en Chine, mais aussi en Russie. Le développement de ces armements, que nous avions anticipé, est donc bien avéré (1). Mais où en sont ces différents acteurs ?

Si la Chine a procédé a des essais de missiles balistiques DF‑21D et DF‑26 au cours de l’année, peu est connu des caractéristiques de ses missiles DF‑17 et DF‑100, tous deux présentés au public pour la première fois en octobre 2019. Le premier utilise le planeur hypersonique DF‑ZF dont les analystes estimaient initialement qu’il devait équiper des missiles balistiques intercontinentaux ; en réalité, l’engin présenté en octobre semble plutôt être un booster de missile à moyenne portée DF‑16. Sa portée, supérieure à 1 500 km, en fait un engin dont les cibles potentielles sont régionales, dans un contexte où la Corée du Sud, le Japon et Taïwan cherchent à disposer de systèmes antimissiles balistiques – qui doivent être contrés par les systèmes de planeurs hypersoniques – lorsqu’ils n’en sont pas déjà équipés. Selon le CSIS américain, le pénétrateur a volé à au moins neuf reprises de 2014 à 2017, permettant de valider ses caractéristiques de vol – et sachant que les systèmes présentés par la Chine au cours de ses défilés sont réputés être en service opérationnel.

Le deuxième système est nettement plus discret. Deux missiles DF‑100 sont installés sur un TEL (Tracteur-érecteur-lanceur) à cinq essieux. Sa dénomination de « DF‑100 » suggérerait un engin balistique, mais les commentaires du défilé d’octobre 2019 évoquaient un système de la famille CJ – soit un missile de croisière. Le Bulletin of the Atomic Scientists évoquait quant à lui un CJ‑100. En l’occurrence, le missile apparaît comme nettement plus long que le CJ‑10, et d’un diamètre supérieur. Quelques secondes d’une vidéo publiée en septembre 2019, et dont la séquence sera ensuite supprimée, montraient un tir du système qui pourrait s’avérer être un hybride balistique/de croisière.

Concrètement, un booster propulserait le missile à la verticale, avant que la propulsion de ce dernier ne prenne le relais, lui permettant de voler à très haute altitude et à des vitesses égales ou supérieures à Mach 5. Reste que la fonction précise du missile fait toujours l’objet de supputations. Il pourrait ainsi être affecté à des fonctions antinavires ou, plus classiquement, de frappe terrestre à des distances supérieures à 1 500 km. Pratiquement donc, Beijing disposerait de deux systèmes hypersoniques – l’un utilisant la formule du planeur, l’autre celle du missile de croisière – en plus de missiles plus conventionnels, mais dont la trajectoire terminale est également plus prédictible.

Les progrès chinois ne sont pas les seuls. La Russie a récemment procédé à deux essais de son missile 3M22 Zircon. L’engin est destiné à équiper plusieurs plates-­formes navales (2). C’est un missile de croisière antinavire tiré depuis les lanceurs 3S‑14. En février 2020, il a été testé contre une position fixe au sol. Durant l’essai d’octobre 2020, le missile aurait atteint l’altitude de 28 km, touchant sa cible située à 450 km de la frégate qui l’a lancé, le vol ayant duré un peu plus de quatre minutes. Aucune photo du missile lui-même n’a été publiée – uniquement des représentations informatiques génériques et renvoyant plus au X‑51 américain qu’à autre chose –, mais une portée égale ou supérieure à 1 000 km est évoquée. Les images du tir censées illustrer l’essai semblent en revanche renvoyer au lancement d’un missile SS‑N‑26 Strobile (Onyx). Il a été fait mention début 2020 de « maladies de jeunesse » du missile, sans qu’elles soient précisées. En outre, le ministre de la Défense russe annonçait le 27 décembre 2019 qu’un premier régiment de missiles balistiques intercontinentaux dotés du planeur hypersonique Avangard avait été mis en service. Le planeur, d’une masse estimée à environ 2 t, a été testé entre 2015 et 2018 et est destiné à équiper les missiles SS‑19, SS‑18 et Sarmat. Contrairement au Zircon, c’est donc un système à vocation stratégique et à charge nucléaire. L’Inde a également effectué des progrès en 2020. Le 7 septembre, elle a procédé au premier lancement complet d’un Hypersonic technology demonstrator vehicle (HSTDV). Le système est un missile de croisière positionné au sommet d’un booster. Une fois parvenu à environ 30 km d’altitude, le missile a entamé son vol, s’appuyant sur son scramjet pour voler une vingtaine de secondes. Si le HSTDV a donc une portée moindre que celle des systèmes russes ou chinois, il constitue surtout un démonstrateur permettant de valider un certain nombre d’hypothèses, le résultat des travaux devant permettre de concevoir des systèmes opérationnels. En outre, l’Inde entend également, depuis plusieurs années, développer le BrahMos‑2, version hypersonique du BrahMos supersonique. Le missile de croisière aurait a priori une fonction antinavire, mais des versions de frappe terrestre – lancées depuis des plates-­formes navales, aériennes ou terrestres – ne sont pas à exclure. Son degré de communauté avec le Zircon russe reste à établir : de facto, le BrahMos est une version du SS‑N‑26 Strobile/Onyx et le développement du BrahMos‑2 se fait en coopération avec NPO Mashinostroyeniya, également chargé du 3M22.

Aux États-Unis également, des progrès ont été enregistrés. En l’occurrence, un Common-hypersonic glide body (C‑HGB) a été testé le 19 mars 2020 – un premier essai avait eu lieu en octobre 2017 – pour frapper à 15 centimètres du point visé – soit une précision équivalente à celle d’une arme guidée par laser, en conditions optimales. Aucune information n’a cependant été donnée sur la portée du tir, la vitesse atteinte par le système ou encore la présence d’une charge explosive. Le C‑HGB lui-même est un planeur hypersonique destiné à équiper plusieurs types de missiles. Si sa finalité précise n’est pas encore connue, la logique retenue est que chaque service développe ses systèmes avant de les doter de C‑HGB. Si l’on sait que l’US Army entend mettre en service une première batterie de missiles hypersoniques en 2023, le premier essai du C‑HGB avait eu lieu depuis un sous-­marin nucléaire lanceur d’engins de la classe Ohio – suggérant un possible rôle nucléaire.

Les États-Unis travaillent également sur d’autres programmes hypersoniques, comme l’AGM‑183 ARRW (Air-launched rapid response weapon), qui n’aurait jusqu’ici été testé que de manière captive sous un B‑52. L’US Air Force semble toutefois vouloir accélérer les essais et le déploiement du système, mais aussi réfléchir au moyen de le déployer. Concrètement, l’hypothèse d’un maintien en service des B‑1B Lancer – une soixantaine sont toujours opérationnels – est ouvertement évoquée (3). A priori, chaque appareil pourrait embarquer 31 missiles. Du reste, en octobre 2020, une dotation des destroyers américains en systèmes hypersoniques était également évoquée par l’administration Trump, non sans susciter de critiques quant à la faisabilité technique du projet. Au-delà, dans la préparation du budget de défense pour 2021, la même administration proposait d’augmenter de 23 % la part dévolue aux armements hypersoniques, la faisant passer à 3,2 milliards de dollars.

L’année 2020 aura également été marquée par une surprise. Si l’on savait que le Japon étudiait des technologies relatives aux systèmes hypersoniques, il est officiellement passé à une posture plus offensive. L’ATLA (Acquisition, technology and logistics agency) a ainsi présenté en mai 2020 des plans concernant le développement d’un missile de croisière et d’un planeur hypersoniques, leurs charges devant différer selon que leur cible est des bâtiments de combat – il est ainsi question de frapper des « porte-avions », ce qui ne laisse aucun doute quant à la nature chinoise des cibles potentielles – ou des installations au sol. Surtout, le planning de Tokyo est serré : les responsables japonais estiment que les premiers exemplaires entreraient en service entre 2024 et 2028, avant de connaître des modernisations. La navigation serait assurée par des systèmes inertiels, mais aussi un système de géonavigation spatial, Tokyo comptant mettre en place une constellation de sept satellites qui ne seraient utilisés que par les forces japonaises. En juillet 2020, une photo diffusée au cours d’une visite du vice-­ministre japonais de la Défense dans un centre de recherche montrait, en arrière-­plan, la maquette d’un missile hypersonique.

Les technologies hypersoniques connaissent donc un processus de diffusion bien réel. La France a également son propre programme, l’AS4NG, destiné à remplacer l’ASMP‑A et qui aura donc une fonction nucléaire. Dans le même temps, le Royaume-­Uni évoque de temps à autre des projets dans ce domaine, qui se concrétisent essentiellement pour l’heure par des travaux de recherche et notamment le programme TRESHER (Tactical high-speed, responsive and highly efficient round), qui court jusqu’en 2023. Qu’il en découle une capacité opérationnelle, au vu des défis budgétaires attendant Londres dans les prochaines années, c’est autre chose…

Notes

(1) Voir notamment Philippe Langloit, « Frappes hypersoniques : retour vers le futur », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 30, juin-juillet 2013 ; Philippe Langloit, « L’armement hypersonique, option viable en A2/AD ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 56, octobre-novembre 2017 ; Joseph Henrotin, « La mutation hypersonique et ses défis », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 66, juin-juillet 2019 ; Philippe Langloit, « Armement hypersonique : l’approche américaine », Défense & Sécurité Internationale, no 147, mai juin 2020.

(2) Alexandre Sheldon-Duplaix, « Zircon et Kinzhal : révolution navale et stratégique ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 74, octobre-novembre 2020.

(3) John A. Tirpak, « AFGSC Eyes Hypersonic Weapons for B-1, Conventionnal LRSO », www​.airforcemag​.com, 7 avril 2020.

Légende de la photo ci-dessus : Présenté pour la première fois en octobre 2019, le DF-100 est un missile de croisière potentiellement hypersonique. (© MoD)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°75, « Numéro spécial : Technologies militaires 2021  », décembre 2020-janvier 2021 .
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