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Économie de défense. L’envolée des coûts d’entretien des matériels

L’entretien des matériels militaires absorbe une part importante et croissante des budgets de défense. Les armées françaises ont consacré jusqu’à 30 % de leurs dépenses d’équipement à la disponibilité des flottes en service en 2017. Pourtant, ce ratio n’était que de 16 % en 2010 et de 8 % en 2000. Comment peut-on expliquer cette envolée ? Quelles sont les réponses envisageables ?

Le Maintien en condition opérationnelle (MCO) est un objectif majeur pour les armées. Il permet de fournir aux soldats les équipements dont ils ont besoin en opérations et pour l’entraînement. Les dépenses de MCO sont toutefois élevées : 4,9 milliards d’euros en 2019, contre seulement 2,6 milliards en 2010. D’ailleurs, l’entretien programmé des matériels ne représente que la moitié de ces coûts. Il faut y ajouter les dépenses de MCO réalisées en interne par le ministère des Armées (personnel, investissement, infrastructures).

Le MCO représente aujourd’hui entre 35 % et 50 % du coût global de possession des équipements majeurs. L’enjeu est de taille d’autant que, en dépit de budgets de MCO en croissance, le taux de disponibilité de nombreux matériels ne progresse pas de manière significative. Au contraire, il reste faible, avec parfois une tendance à se dégrader. Un hélicoptère ou une frégate sur deux de la Marine nationale seulement sont disponibles quand un quart des véhicules blindés de l’armée de Terre manquent à l’appel. L’effort budgétaire est-il insuffisant pour obtenir de réels progrès ? Ou existe-t-il une « crise du MCO » ?

Une partie du problème est conjoncturelle. Les coûts de MCO ne sont pas linéaires au cours de la vie des matériels. Ils sont assez élevés lors de leur entrée en service, en raison de différents ajustements initiaux, pour décroître ensuite en régime de croisière. Plus les plates-formes vieillissent, plus les besoins de MCO augmentent. C’est ce qui se passe aujourd’hui avec des flottes dont l’âge moyen atteint 20, 30 ou même 40 ans. Les besoins en MCO sont en outre amplifiés ces dernières années par la suractivité et la surintensité d’utilisation des matériels en raison du niveau élevé d’engagements militaires.

D’autres facteurs, structurels, entrent en jeu, et une réponse économique peut y être apportée. D’une génération à l’autre, les matériels sont devenus beaucoup plus performants grâce à des améliorations technologiques. Cette évolution répond aux attentes des armées, mais elle a conduit à une hausse des coûts de MCO. La complexité des matériels se traduit par des pièces de rechange plus coûteuses, des opérations de soutien plus complexes, des besoins de maintenance plus réguliers et immobilisant les équipements plus longtemps… Par exemple, le Rafale peut accomplir les missions de cinq à sept avions antérieurs, mais son coût de MCO à l’heure de vol est près de trois fois plus élevé que celui d’un Mirage 2000 ou d’un Mirage F1.

Les coûts de MCO peuvent être réduits en mettant en concurrence les différents prestataires. Cela ne constitue toutefois qu’une solution à court terme. L’accroissement des coûts trouve principalement sa source ailleurs, dans les choix faits lors de la conception des équipements. Pour obtenir certaines performances, il est nécessaire de choisir des matériaux, des composants et une architecture qui peuvent entraîner des coûts élevés de MCO lorsque les équipements entrent en service. Plutôt que de gérer ces coûts a posteriori, il vaut mieux tenter de les anticiper en analysant en amont les dépenses associées aux différentes alternatives techniques sur l’ensemble du cycle de vie des équipements. Le meilleur MCO est celui que l’on peut éviter ou, tout du moins, minimiser tout en offrant un niveau acceptable de performances opérationnelles.

Enfin, l’organisation même du MCO, au ministère des Armées et entre le ministère et ses partenaires industriels, explique le niveau élevé des dépenses de MCO. Nous retrouvons ici des enjeux classiques de la théorie de l’entreprise concernant les coûts de transaction, c’est-à‑dire ceux liés à la recherche d’un partenaire (sélection et négociation du contrat) et à l’exécution des prestations (surveillance des performances et renégociations). Faut-il faire ou faire faire ? Le découpage des activités entre les différents acteurs permet-il une réalisation efficace du MCO ? Comment faire en sorte d’éviter des coûts inutiles, des délais et des conflits de responsabilité ?

Les réformes successives du MCO, la privatisation d’activités industrielles étatiques et le recours croissant à des prestataires privés ont apporté des réponses à certains problèmes de la gestion du MCO, mais ils ont aussi été une nouvelle source de coûts de transaction. En effet, passer d’une organisation interne, fondée sur des règles souvent implicites, à des marchés publics reposant sur des contrats nécessite de repenser la gestion du MCO. Depuis les années 2000, le ministère des Armées s’est progressivement réorganisé en mettant en place des structures intégrées internes pour le MCO (avec une entité par domaine : SIMMAD, SIMMT, SSF), le soutien logistique et les activités industrielles étatiques. Cette réorganisation a permis de réduire les coûts de transaction internes.

La mise en place de partenariats avec le secteur privé, caractérisés par une verticalisation et une globalisation des activités de MCO, contribue aujourd’hui à une nouvelle réduction. Les relations État-industrie s’organisent de plus en plus autour de contrats globaux et pluriannuels qui transfèrent l’essentiel de la responsabilité de la maintenance à un maître d’œuvre industriel unique. Cette stratégie a permis de remplacer les multiples marchés attribués de manière non coordonnée, sur une base annuelle, sans engagement pérenne, par des contrats donnant plus de visibilité et de maîtrise des risques aux prestataires. En contrepartie, ces derniers doivent accepter des objectifs de performance précis et ont des obligations de résultat.

Ainsi, la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé), créée en 2018, a pour ambition de supprimer les interfaces inutiles, de promouvoir une logique de performance de bout en bout et d’accorder à l’industrie des responsabilités plus importantes en contrepartie d’engagements. Pour réduire encore les coûts de transaction, la DMAé a créé plusieurs plateaux permanents État-industrie pour accélérer et fluidifier les échanges d’informations dans une relation de confiance, favorisant la visibilité et la maîtrise des risques.

Par exemple, le soutien de la flotte de Rafale était assuré au travers de pas moins de 22 contrats. La DMAé les a remplacés par un contrat global, RAVEL (Rafale verticalisé), d’une dizaine d’années (hors moteurs). Cette nouvelle approche devrait aider à maîtriser les coûts en fluidifiant les opérations de MCO, en réduisant les prélèvements sur avion, en diminuant les tâches sans plus-value opérationnelle et en anticipant les traitements d’obsolescence. Comme la directrice de la maintenance aéronautique, Monique Legrand-Laroche, le soulignait en juillet 2020, « les premiers résultats sont encourageants. Ce marché a déjà permis de réduire le nombre d’appareils en attente de décision, souvent depuis plusieurs mois ».

La maîtrise des coûts de MCO renvoie ainsi à des solutions assez classiques en économie. Il n’y a donc pas de fatalité liée à l’armement ou aux armées, simplement de bonnes questions à se poser pour aligner l’organisation du MCO avec une logique industrielle et opérationnelle efficace.

<strong>Disponibilité des matériels des armées</strong>
<strong>Le MCO dans le budget d'équipement des armées</strong>
<strong>Évolution des dépenses de maintien en condition opérationnelle</strong>

Légende de la photo ci-dessus : Un Rafale B en Finlande. Les intelligences artificielles devraient contribuer à faciliter le MCO, mais imposent à leur tour un certain nombre de contraintes. (© V. Almansa/Dassault Aviation)

Article paru dans la revue DSI n°151, « Royal Marines : nouvelles missions, nouvelles visions », janvier-février 2021.
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