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Burkina Faso : djihadisme et crise de gouvernance

Alors qu’il bénéficiait d’une stabilité apparente dans les années 1980 et 1990, le Burkina Faso fait dorénavant face à une situation sécuritaire extrêmement tendue. La multiplication des attaques de combattants djihadistes et de groupes d’autodéfense disant agir en représailles aux actions de ces derniers rappelle la violence inouïe qui sévit depuis 2015. Comment expliquer cette évolution ? Quelles en sont les raisons ?

Entre 2015 et 2019, le Burkina Faso a connu plus de 550 attaques notamment djihadistes (1). Le développement de ces groupes tire son origine, en partie, du conflit malien. Les mouvements insurrectionnels ont progressivement étendu leurs actions dans le nord du pays puis dans les régions Est (2) et Centre-Nord. Leur présence est d’autant plus inquiétante que le Burkina Faso représentait à l’échelle du continent africain un État stable et touristique. Plusieurs causes peuvent expliquer la situation actuelle. D’une part, une crise multiforme de la scène politique et du monde rural ; d’autre part, un État faible incapable de reprendre le contrôle de sa population et de son territoire.

Des infrastructures insuffisantes

Le monde rural burkinabé (environ 90 % de la population) traverse une crise. Nombreuses et abondantes, les ressources naturelles sont néanmoins difficiles d’accès. L’eau et l’électricité représentent un enjeu majeur. De plus, bien qu’elle soit difficilement quantifiable, la pauvreté reste élevée, et ce, malgré les efforts accomplis pour la réduire. Le pays occupe le 182e rang dans le classement de l’indice de développement humain du PNUD en 2018. L’État a pourtant investi 119,8 milliards de francs CFA (environ 182 millions d’euros) pour diminuer la pauvreté en 2018, selon le Fonds monétaire international (FMI). Par ailleurs, 60 % des chefs de famille n’ont jamais bénéficié d’éducation. Enfin, les investissements publics dans les infrastructures sont insuffisants : routes en mauvais état, bâtiments administratifs peu entretenus et équipés.

En outre, le Burkina Faso connaît une crise de gouvernance depuis 2014. Les 30 et 31 octobre 2014, la population s’est soulevée contre le président Blaise Compaoré (1987-2014). Dans la capitale, Ouagadougou, des barrages avaient été installés, les places occupées et la foule amassée pour faire pression. Le 31 octobre, la démission du chef de l’État était annoncée. Depuis, les sentiments de frustration, d’abandon et d’injustice se sont accrus. L’État a perdu le contrôle dans les campagnes. Le banditisme s’est développé. Les conflits fonciers se sont accentués. L’élection de Roch Marc Christian Kaboré en novembre 2015 n’a pas permis au pays de retrouver sa stabilité politique. La méfiance d’une partie de la population envers les élites reste enracinée ; son mécontentement envers les institutions se maintient.

Faiblesse générale de l’État central

Malgré ses efforts pour lutter contre l’insécurité sur son territoire, l’État burkinabé reste faible. L’Assemblée nationale a voté le 21 janvier 2020 une loi prévoyant le recrutement de volontaires au sein de la population. Le but est de remédier aux faiblesses des forces de sécurité : manque d’équipement, de formation et de recrues. Mais il est difficile d’envisager comment des civils peu formés et armés peuvent se défendre face à des groupes organisés, équipés et prêts à mourir. De plus, cette initiative risque d’exacerber les violences entre les communautés. Enfin, elle pose la question du développement d’une forme de concurrence avec les forces gouvernementales, sans parler des conséquences du sous-­traitement de la défense à la population. La faiblesse de l’État et son incapacité à enrayer la violence expliquent en partie les frustrations des habitants (nourries par l’injustice foncière, le racket ou la stigmatisation) que les groupes djihadistes ne manquent pas d’exploiter. À cela s’ajoute le développement de groupes d’autodéfense à l’image des Koglweogo, ou « gardiens de la brousse », qui rendent justice eux-mêmes.

Enfin, plus qu’une cause, l’implantation durable du djihadisme – également présent aux frontières du pays – au Burkina Faso est une conséquence de la situation du pays. Trois principaux groupes sont présents : l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO), le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et Ansarul Islam. Apparu en 2016, ce dernier opère notamment dans les provinces du Soum (région Sahel), du Bam et du Sanmatenga (Centre-Nord). Le GSIM est actif dans l’ouest et dans l’est du pays ; ses actions se sont renforcées depuis 2018. Il se rallie à d’autres groupes tels que Ansar Eddine, Al-Mourabitoune et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Enfin, l’EIAO s’étend de la province de l’Oudalan (région Sahel) à celles de Soum, du Namentenga (Centre-Nord) et du Sanmatenga. Des divergences idéologiques existent entre les différents groupes (le GSIM refuse de s’en prendre aux communautés chrétiennes, par exemple), mais ils coopèrent parfois pour mener à bien leurs opérations. Ainsi, Ansarul Islam a appuyé l’EIAO lors de l’attaque de Koutougou qui a tué 24 militaires le 19 août 2019. La situation au Burkina Faso, complexe, violente et tourmentée, tient en grande partie aux faiblesses d’un pouvoir politique faisant face à de multiples crises. 

Carthographie de Laura Margueritte.

<strong>Le Burkina Faso face à la menace terroriste</strong>

Notes

(1) International Crisis Group, Burkina Faso : sortir de la spirale des violences, Rapport Afrique no 287, 24 février 2020.

(2) Tanguy Quidelleur, « Les racines locales de la violence dans l’Est du Burkina Faso. La concurrence pour les ressources, l’État et les armes », in Noria, 28 janvier 2020.

Article paru dans la revue Carto n°59, « L’Égypte d’Al-Sissi », mai-juin 2020.
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