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Mozambique : une armée fragile face au djihadisme

Marqué par une indépendance acquise dans le sang en 1975 puis par une guerre civile alimentée des conflits en Rhodésie (actuel Zimbabwe) et avec l’Afrique du Sud de l’apartheid jusqu’en 1992, le Mozambique a ensuite été envisagé comme promis à un avenir radieux. L’apparence d’une paix solide conjuguée à d’importantes ressources naturelles construisait l’illusion. Cependant, les tensions entre le pouvoir détenu par l’ex-mouvement révolutionnaire d’indépendance (FRELIMO) et les ex-combattants du mouvement rebelle (RENAMO) se réveillent en 2013 sans jamais avoir été gommées depuis 1992. Elles conduisent à des crispations violentes entre les frères ennemis. Malgré un apaisement relatif entre ces deux protagonistes fin 2016, le Mozambique reste en 2020 l’un des pays les plus pauvres de la planète avec une cohésion nationale très relative. Dans le même temps, FRELIMO et RENAMO ont perdu leur aura d’antan auprès d’une grande partie de la jeunesse, tout spécialement dans le nord où grandit un danger djihadiste que le pouvoir a ignoré durant plusieurs années.

Avec les clivages entre FRELIMO et RENAMO, des mécanismes de loyauté respective conduisent à une double chaîne de commandement au sein des Forças armadas de defesa de Moçambique (FADM) tout en ayant pour corollaire des problèmes de discipline et de cohésion. Dans la plupart des unités régulières, le moral est anémique. Il ne saurait en être autrement avec des soldes faibles, des unités qui manquent de nourriture… Les compétences des personnels sont insuffisantes. Si les unités d’élite sont meilleures, cette efficacité reste toute relative, comparée à un niveau d’ensemble mauvais. Des efforts pour améliorer la formation du personnel, en particulier des cadres, ne suffisent pas tandis que les nécessités de modernisations se heurtent à un manque de vision stratégique et à la corruption.

Pour ne rien arranger, focalisées sur les promesses d’avenir économique, les autorités placent au second plan la question de la défense et de la sécurité. Les effectifs s’élèvent à environ 12 000 hommes, dont jusqu’à 10 000 pour l’armée de terre alors qu’ils devraient être d’environ 30 000 au total. Or, ce chiffre n’a jamais été atteint, faute de trouver suffisamment de volontaires.

L’ordre de bataille est difficile à établir à partir de sources ouvertes. Il est communément admis que l’armée de terre s’articule en trois bataillons de « forces spéciales », sept bataillons d’infanterie, deux ou trois bataillons d’artillerie, deux bataillons du génie et enfin, un bataillon à vocation logistique. Or la presse lusophone mozambicaine ainsi que divers documents officiels récents (portant sur des promotions, des cérémonies, etc.) donnent des informations différentes qui, compilées, permettent d’établir que l’ordre de bataille comprend un bataillon parachutiste, un bataillon commando et un bataillon d’infanterie de marine (Batalhao de fuzileiros). Ces trois unités sont peut-­être celles décrites comme « forces spéciales ». Elles sont considérées comme l’élite des FADM.

Viennent ensuite des unités régulières, de qualité inégale, réparties en cinq « brigades » d’infanterie (la brigade de Songo, la 3e brigade de Chimoio, la 4e brigade de Tete, la 7e brigade de Cuamba et enfin la 8e brigade de Chokwe, parfois désignée « 108e brigade ») et en au moins quatre bataillons d’infanterie indépendants : Boane, Pemba, Quelimane et Sofala. Les FADM alignent aussi en principe un régiment de chars (Regimento de tanques), un bataillon et un groupe mixte d’artillerie, un régiment d’artillerie antiaérienne et, enfin, un bataillon de transmission et un bataillon de logistique, chargé notamment de la « logistique de production », à savoir l’entretien de matériels, de la production agroalimentaire, etc. Un bataillon d’artillerie côtière est évoqué, mais son existence est très incertaine.

L’armée de terre mozambicaine dispose sur le papier de matériels vieillissants, voire obsolètes et disparates dont à peine 10 % sont considérés comme opérationnels en 2020. À côté de ces véhicules, les engins modernes sont représentés par 11 blindés MRAP Casspir. En 2018 ont été acquis des Tiger, de la Shaanxi Baoji Special Vehicles Company chinoise, parfois confondus avec des ZFB‑05 ou encore avec des VN‑4. Ils sont utilisés notamment par le bataillon commando et l’unité d’infanterie de marine. L’existence de ces véhicules est restée relativement secrète. Leur nombre qui paraît relativement réduit laisse penser que les Tiger sont affectés à un « pool » et attribués aux unités en fonction des besoins du moment. En outre, l’unité d’intervention rapide de la police, véritable force paramilitaire, dispose de blindés de transport de troupes d’un modèle non identifié. L’arrivée de matériels plus modernes a été annoncée durant l’été 2020, sans aucune précision quant à leur nature.

L’artillerie est étoffée, avec pas moins de cinq calibres pour les obusiers, auxquels s’ajoutent une douzaine de lance-­roquettes multiples BM‑21 et des canons de campagne. L’arsenal comprend aussi de nombreux canons sans recul et les traditionnels mortiers de 82 mm ainsi qu’au moins une douzaine de mortiers de 120 mm. L’artillerie antiaérienne se compose de multiples pièces de quatre calibres différents, dont quelques automoteurs ZSU‑57/2 qui semblent ne plus être opérationnels. Enfin, l’armement léger est en plus ou moins bon état selon les unités, avec les classiques AKM et variantes (dont des Types 56‑2), PKM, RPG‑7… Les militaires manquent d’équipements de base, voire de tenues de combat (il n’est pas rare de les voir en opération dotés d’effets civils totalement inadaptés), de munitions et parfois même de nourriture.

De taille modeste par rapport aux besoins, la marine a bénéficié d’efforts de modernisation avec 
notamment six HSI‑32 et surtout trois Ocean Eagle 43. Son ordre de bataille comprend une unité d’infanterie de marine (Fuzileiros) qui représente l’une des unités les plus solides du Mozambique, engagée dans les opérations contre les djihadistes. L’aviation dispose de six MiG‑21bis et de deux MiG‑21UM qui, s’ils paraissent en état de vol, n’ont qu’une valeur limitée pour des missions d’attaque au sol dans un cadre contre-insurrectionnel. À l’été 2019, ils n’avaient toujours pas été engagés contre les djihadistes. Pour la lutte contre-­insurrectionnelle, le pays ne possède que deux FTB‑337G dont la disponibilité est douteuse (et qui n’ont d’ailleurs pas été utilisés), deux Mi‑24 considérés comme non opérationnels et deux Mi‑8. L’aviation de transport est pour l’essentiel représentée par un An‑26B. Dans leur ensemble, les FADM ne sont que très faiblement opérationnelles.

L’insurrection djihadiste

L’insurrection djihadiste dans le nord du Mozambique est remarquée en 2018 avec la présence rapportée d’éléments de l’État islamique (EI), ce que dément fermement le pouvoir. En réalité, cette présence croît discrètement depuis l’automne 2017. Elle se construit autour du mouvement Ansar al-Sunna dans la province de Cabo Delgado. Ce dernier est lui-même issu de l’agglomération à partir de 2015 de petits groupes islamistes (1) regroupant des jeunes vite nommés « al-Shabaab » (2) (« les jeunes »). Leur entraînement militaire est assuré dans un premier temps par au moins trois ex-membres des Forces de défense et de sécurité (FDS) limogés (police et garde-­frontières). Des indices laissent penser que des liens existent avec l’État islamique à partir de 2017, mais les Shabaab mozambicains font d’abord preuve de discrétion à propos de cette influence. Ce flou sur la création du mouvement et sur les proportions de son affiliation à l’EI doit au défaut d’informations. Les autorités œuvrent à empêcher le travail des journalistes et des chercheurs tout en niant l’existence de djihadistes, accusant des « criminels ».

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