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Mozambique : une armée fragile face au djihadisme

La mi-octobre marque la reprise de l’offensive par les forces gouvernementales qui infligent de lourdes pertes aux djihadistes, annonçant la mort d’au moins 270 combattants ennemis et la reprise du contrôle de la zone d’Awasse. Dans tous les cas, l’initiative bascule dans le camp des gouvernementaux. L’importante base surnommée « Syrie » est ciblée à partir du 28 octobre. Les djihadistes maintiennent toutefois leur pression et frappent la Tanzanie : le 20 octobre, plus de 300 combattants lancent des raids dans la région de Mtwara. En dépit de nombreux meurtres et de destructions, les FDS tanzaniennes paraissent garder le contrôle. Au Mozambique, les djihadistes s’emparent de Muidumbe tout en progressant vers la ville stratégique de Mueda, prenant au passage le contrôle de nombreuses localités, à commencer par Namacande, chef-lieu du district de Muidumbe. Chaque fois, les djihadistes assassinent et détruisent des installations, aussi bien gouvernementales que privées. Le nombre de déplacés augmente considérablement : ils sont entre 200 000 et 300 000 fin octobre.

Une contre-offensive d’envergure, au regard des moyens, est déclenchée en novembre 2020. Plus de 1 000 hommes entrent en lice dans une opération à la fois terrestre et aéromobile. Ils sont notamment encadrés par des éléments de DAG et, peut-être, très discrètement, par des forces spéciales de Pretoria. La composante terrestre aligne notamment les « secrets » blindés légers Tiger et les Casspir des FADM, ainsi que les blindés de l’unité d’intervention de la police. Un des deux éléments de la force offensive se déploie défensivement à Mueda-Sede afin de fixer les djihadistes et de les empêcher de s’étendre vers l’est à partir de la zone littorale de Mocímboa da Praia. La position est d’autant plus importante que s’y trouve la plus grande base militaire du nord du Cabo Delgado. L’autre élément entame la progression en direction de Muidumbe afin de reprendre les villages tombés, dont Namacande qui est libéré le 16 novembre 2020. Le 19 novembre, le contrôle du district de Muidumbe revient aux forces gouvernementales. Reste à savoir si la dynamique permettra la reprise de Mocímboa da Praia… Et quand bien même, cette victoire militaire ne suffirait pas à régler la somme colossale de problèmes, au premier rang desquels celui de l’implantation de l’EI. De plus, elle ne transformera pas les FADM en véritable et professionnelle armée nationale. Et si cette condition est indispensable pour instaurer la stabilité dans la région (et plus généralement dans le pays), elle ne suffira pas. Cette stabilité nécessite d’autres piliers que sont la justice et le développement. Toute la difficulté provient du fait qu’il faut des années pour les rebâtir et récolter les fruits de cet effort. Ce qui en fait donc des utopies quand les intérêts politiques et économiques appellent des résultats rapides.

Notes

(1) Groupes informels qui eux-mêmes commencent à se former entre 2013 et 2014.

(2) Sans aucun lien avec l’organisation somalienne communément connue sous ce nom, même si la présence de « formateurs mercenaires » des Shabaab somaliens a été signalée, ces combattants étrangers ayant été payés par Ansar al-Sunna.

(3) Une centaine environ. Par ailleurs, une autre centaine aurait rejoint l’EI au Mozambique avec une suspicion quant à la présence de plusieurs sympathisants de l’EI en Afrique du Sud. Christian Jokinen, « Islamic State’s South African Fighters in Mozambique : The Thulsie Twins Case, Christian Jokinen », Terrorism Monitor, vol. 18, no 20, 5 novembre 2020, The Jamestown Foundation, https://​jamestown​.org/​p​r​o​g​r​a​m​/​i​s​l​a​m​i​c​-​s​t​a​t​e​s​-​s​o​u​t​h​-​a​f​r​i​c​a​n​-​f​i​g​h​t​e​r​s​-​i​n​-​m​o​z​a​m​b​i​q​u​e​-​t​h​e​-​t​h​u​l​s​i​e​-​t​w​i​n​s​-​c​a​se/

(4) À noter que des hélicoptères Gazelle sans marquage sont aperçus au-dessus de Pemba le 6 août 2019 ; ils ont été « loués » avec leurs équipages pour une période de trois mois à la société Frontier Service Group (FSG) d’Erik Prince via Umbra Aviation en Afrique du Sud. Avec l’arrivée des Russes, ils sont retirés en septembre 2019.

(5) « Wagner Mercenaries With GRU-Issued Passports : Validating S BU’s Allegation », Bellingcat, 30 janvier 2019, https://​www​.bellingcat​.com/​n​e​w​s​/​u​k​-​a​n​d​-​e​u​r​o​p​e​/​2​0​1​9​/​0​1​/​3​0​/​w​a​g​n​e​r​-​m​e​r​c​e​n​a​r​i​e​s​-​w​i​t​h​-​g​r​u​-​i​s​s​u​e​d​-​p​a​s​s​p​o​r​t​s​-​v​a​l​i​d​a​t​i​n​g​-​s​b​u​s​-​a​l​l​e​g​a​t​i​on/

(6) CAATSA (Coutering America’s Adversaries Through Sanctions Act of 2017) Section 231(e) List Regarding the Defense Sector of the Government of the Russian Federation, US Department of State, https://​www​.state​.gov/​c​a​a​t​s​a​-​s​e​c​t​i​o​n​-​2​3​1​d​-​d​e​f​e​n​s​e​-​a​n​d​-​i​n​t​e​l​l​i​g​e​n​c​e​-​s​e​c​t​o​r​s​-​o​f​-​t​h​e​-​g​o​v​e​r​n​m​e​n​t​-​o​f​-​t​h​e​-​r​u​s​s​i​a​n​-​f​e​d​e​r​a​t​i​on/

(7) Al J. Venter, « Mozambique Update », Air Forces Monthly, no 388, juillet 2020 ; informations rapportées à Al J. Venter par des sources notamment à Maputo.

(8Ibid.

(9) Pjotr Sauer, « In Push for Africa, Russia’s Wagner Mercenaries Are ‘Out of Their Depth’ in Mozambique », www​.themoscowtimes​.com, 19 novembre 2019 ; d’autres hypothèses peuvent également être avancées : baisse qualitative du Groupe Wagner alors que son volume augmente corrélativement à ses nombreux engagements, sous-estimation de la combativité et des compétences des djihadistes africains.

(10) Matthew Cole et Alex Emmons, « Erik Prince offered Lethal Services to Sanctioned Russian Mercenary Firm Wagner », The Intercept, 13 avril 2020, https://​theintercept​.com/​2​0​2​0​/​0​4​/​1​3​/​e​r​i​k​-​p​r​i​n​c​e​-​r​u​s​s​i​a​-​m​e​r​c​e​n​a​r​y​-​w​a​g​n​e​r​-​l​i​b​y​a​-​m​o​z​a​m​b​i​q​ue/

(11) Des éléments sur les opérations aériennes sont données dans Al J. Venter, « A dirty little war in Mozambique », Air Force Monthly, no 386, mai 2020.

(12) Deux Gazelle et un Bell 206 Long Ranger, un UH-1, un DA-42 Cessna Caravan et au moins un Bat Hawk. DAG a également pu utiliser brièvement un drone CADG Helix via la société Ultimate Air (possédant elle-même au moins le Cessna Caravan, Helix et Cessna étant vus sur la piste de Pemba) ; « Helix surveillance aircraft spotted in Mozambique », DefenceWeb, 28 avril 2020, https://​www​.defenceweb​.co​.za/​a​e​r​o​s​p​a​c​e​/​a​e​r​o​s​p​a​c​e​-​a​e​r​o​s​p​a​c​e​/​h​e​l​i​x​-​s​u​r​v​e​i​l​l​a​n​c​e​-​a​i​r​c​r​a​f​t​-​s​p​o​t​t​e​d​-​i​n​-​m​o​z​a​m​b​i​q​ue/

(13) Un communiqué de l’État islamique donne la date du 8 avril.

(14) Jusqu’en mars 2021 dans le meilleur des cas.

(15) Selon les sources, 55 tués et 90 blessés.

(16) La Tanzanie mène des opérations dans les secteurs forestiers de son côté de la frontière.

(17) Southern African development community (SADC).

(18) « Au Mozambique, Total ravitaille l’armée pour protéger ses intérêts », Courrier International, 10 septembre 2020, https://​www​.courrierinternational​.com/​a​r​t​i​c​l​e​/​d​e​a​l​-​a​u​-​m​o​z​a​m​b​i​q​u​e​-​t​o​t​a​l​-​r​a​v​i​t​a​i​l​l​e​-​l​a​r​m​e​e​-​p​o​u​r​-​p​r​o​t​e​g​e​r​-​s​e​s​-​i​n​t​e​r​ets

(19) Et très risqué ; l’investissement de Total – et donc indirectement de la France – est colossal, jusqu’à 20 milliards de dollars…

(20) Amnesty International, « Mozambique. Des vidéos glaçantes montrent des actes de torture infligés par les forces de sécurité : une enquête doit être menée », 9 septembre 2020, https://​www​.amnesty​.org/​f​r​/​l​a​t​e​s​t​/​n​e​w​s​/​2​0​2​0​/​0​9​/​m​o​z​a​m​b​i​q​u​e​-​t​o​r​t​u​r​e​-​b​y​-​s​e​c​u​r​i​t​y​-​f​o​r​c​e​s​-​i​n​-​g​r​u​e​s​o​m​e​-​v​i​d​e​o​s​-​m​u​s​t​-​b​e​-​i​n​v​e​s​t​i​g​a​t​ed/

(21) « Djihadisme. L’horreur sur un terrain de foot au Mozambique : une cinquantaine de civils décapités », www​.courrierinternational​.com, 11 novembre 2020.

Légende de la photo en première page : Troupes mozambicaines à l’entraînement. À la faiblesse des forces, il faut ajouter une évaluation déficiente de la menace. (© D.R.)

Article paru dans la revue DSI n°151, « Royal Marines : nouvelles missions, nouvelles visions », janvier-février 2021.
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