Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Le rejet du mur : les Sahraouis entre fait accompli et guerre

Eu égard au Maroc, qui est l’autre partie principale en cause, la position unanime des forces politiques sur la marocanité du SO ne paraît faire aucun doute. En réalité, l’histoire en dit autrement. Il faut rappeler d’un côté que la revendication du « Grand Maroc », formulée entre 1955 et 1956, dont la présumée marocanité du Sahara est aujourd’hui la conséquence principale, n’était au début qu’une thèse du plus grand parti nationaliste marocain, l’Istiqlāl. Ce n’est qu’après la fin des opérations militaires franco-espagnoles de 1958 qu’elle devient « patrimoine » de la monarchie – et donc « cause nationale ». De fait, on ne peut pas en comprendre l’origine et le développement sans faire mention de la lutte politique du milieu des années 1950 entre les partis politiques et la monarchie afin d’asseoir leur pouvoir : dans ce contexte, les revendications territoriales deviennent de plus en plus, la plus importante ressource symbolique dont il faut s’approprier pour marginaliser les rivaux politiques. Jusqu’aux années 1970 les seules formations qui ne se rangent pas de manière unanime derrière la monarchie sont celles d’extrême gauche telle Ila Al Amane dans lesquelles, d’ailleurs, militent aussi des étudiants sahraouis.[20] Mais même au sein du camp qui soutient les revendications territoriales, des nuances existent. Citons par exemple l’UNFP né en 1959 d’une scission de l’Istiqlāl, dont le leader, Mehdi Ben Barka, tout en considérant que le Sahara soit marocain, propose que les Sahraouis aient leur mot à dire vis-à-vis de l’annexion du territoire par le Royaume. De manière plus générale, l’UNFP et les autres petites formations qui s’en rapprochent, encadrent la question de la décolonisation du Sahara dans le plus vaste mouvement de libération et d’unification du Maghreb, ainsi qu’il était advenu aussi pour certains dirigeants de l’Armée de Libération entre 1956 et 1958. Cinquante ans plus tard, après la guerre avec le Front Polisario, l’unanimité de toutes les formations politiques derrière la « cause nationale » par excellence est rompue courageusement seulement par La voix démocratique (Annahj Addimocrati) qui demande l’autodétermination du peuple sahraoui. Même les autres partis qui contestent le fonctionnement du régime, réunis dans la Fédération de la Gauche Démocratique, se limitent à dénoncer la mauvaise gestion des « provinces du Sud », sans remettre en cause le principe de l’annexion[21].

<strong>Repères</strong>

Maroc

Roi : Mohammed VI (depuis le 23 juillet 1999)

Chef de gouvernement : Saad Dine El Otmani (depuis le 5 avril 2017)

Superficie : 710 850 km2 (40e rang mondial)

Capitale : Rabat

Population : 35 millions d’habitants

Religion : Islam (99 %).

— — — — — –

Rép. Arabe sahraouie dém.

Chef de l’État : Brahim Ghali (depuis le 12 juillet 2016)

Chef de gouvernement : Mohamed Wali Akeik (depuis le 4 février 2018)

Superficie : 266 000 km2 (77e rang mondial)

Capitale : Laâyoune (proclamée, sous contrôle marocain)

Population : 500 000 habitants (est.)

Religion : Islam.

— — — — — –

Le conflit

Intensité : Niveau 2 (crise non violente)

Objet : Sécession

Parties au conflit : Front Polisario VS gouvernement marocain

Durée : Depuis 1975

Autres conflits dans le pays : 1

Sources : HIIK, CIA, Council on Foreign Relations

Notes

[1] V. à ce sujet « La résistance sahraouie à Gdaïm Izik », n. monographique de L’Ouest Saharien, 8 2012 ; et Ali Yara Omar (éd.), « Gdaïm Izik. Une nouvelle vague de résistance sahraouie (2010-2015), L’Ouest Saharien, 11 2015.

[2] [2] V. à ce sujet les Accords militaires n. 1 de 1997 : https://​www​.usc​.es/​e​x​p​o​r​t​9​/​s​i​t​e​s​/​w​e​b​i​n​s​t​i​t​u​c​i​o​n​a​l​/​g​l​/​i​n​s​t​i​t​u​t​o​s​/​c​e​s​o​/​d​e​s​c​a​r​g​a​s​/​M​i​l​i​t​a​r​y​-​A​g​r​e​e​m​e​n​t​-​1​.​pdf (consulté le 17/01/2021).

[3] Rés. SC/14342, 30/10/2020, https://​www​.un​.org/​p​r​e​s​s​/​f​r​/​2​0​2​0​/​s​c​1​4​3​4​2​.​d​o​c​.​htm (consulté le 17/01/2021).

[4] Notamment pour la reconnaissance de l’administration américaine sortante de la marocanité du SO.

[5] Sur cet épisode de la décolonisation inaccompli du territoire, les références en espagnol sont nombreuses, beaucoup moins celles en français. V. Francesco Correale, Alberto López Bargados. « Rashōmon au Sahara occidental : Perspectives, Contradictions et Défis dans l’interprétation du Conflit de 1956-1958 », in S. Boulay, F. Freire (dir.) Culture et politique dans l ‘ouest saharien, Igé, L’Etrave, 2017, p.211-241 (https://​hal​.archives​-ouvertes​.fr/​h​a​l​-​0​1​2​5​9​5​8​4​/​d​o​c​u​m​ent) (consulté le 6/4/2021) ; v. aussi, des mêmes auteurs le film documentaire Rashōmon au Sahara, librement accessible au site https://​www​.canal​-​u​.tv/​v​i​d​e​o​/​c​i​t​e​r​e​s​/​r​a​s​h​o​m​o​n​_​a​u​_​s​a​h​a​r​a​.​5​8​563 pour la version sous-titrée en français (consultés le 6/4/2021)

[6] Francesco Correale, « Quelques données sur le début de la lutte de libération sahraouie », Moyen Orient, n. 32 oct.-déc. 2016, p. 78-79.

[7] Frente Popular de Liberación de Saguia el Hamra y Río de Oro.

[8] Pour les revendications marocaines, v. Allāl Al-Fāsi, Livre rouge avec documentaires, Tanger, M. Peretti, 1961.

[9] Pour les revendications mauritaniennes : Moktar Ould Daddah, La Mauritanie contre vents et marées, Paris, Karthala, 2012.

[10] https://​www​.un​.org/​d​p​p​a​/​d​e​c​o​l​o​n​i​z​a​t​i​o​n​/​f​r​/​n​sgt (consulté le 6/4/2021)

[11] V. Claudia Barona Castañeda, Hijos de la nube. El Sahara Español desde 1958 hasta la debacle, San Lorenzo del Escorial, Libros C. De Langres, p. 179-190.

[12] https://​www​.icj​-cij​.org/​p​u​b​l​i​c​/​f​i​l​e​s​/​c​a​s​e​-​r​e​l​a​t​e​d​/​6​1​/​6​1​9​4​.​pdf (consulté le 6/4/2021)

[13] Sur la guerre de 1975-1991 v. José Ramón Diego Aguirre, Guerra en el Sáhara, Madrid, Ediciones Istmo S. A., 1991,

[14] Sur le Plan Baker II voir Lurdes Vidal, « Plan Baker : une proposition pour résoudre le plus vieux conflit du Maghreb », Afkar, https://www.iemed.org/observatori/arees-danalisi/arxius-adjunts/afkar/afkar-ideas-1/plan%20baker%20def%20fr-corr.pdf (consulté le 7/4/2021)

[15] Apparition en 2017 de l’Initiative sahraouie pour le changement, courant interne du Front Polisario lancé par le diplomate Bukhari Ahmed, décédé l’année suivante ; plus récemment le Mouvement sahraoui pour la paix, dirigé par son frère Hach Ahmed Bericalla, semble prendre plus de distances avec le leadership du Front Polisario.

[16] Voir les travaux de Carmen Gómez Martín sur le sujet.

[17] Témoignage d’un leader du Front Polisario qui souhaite rester anonyme, recueilli au cours d’une mission d’étude effectuée dans les camps de réfugiés sahraouis en avril-mai 2014.

[18] Sur ces deux catégories v. les travaux de Victoria Veguilla del Moral qui étudie aussi les interactions entre la population sahraouie, les fonctionnaires et les communautés marocaines.

[19] Claudia Barona Castañeda, « Mémoires d’une résistance, l’autre histoire du Sahara occidental », Les Cahiers d’EMAM n. 24-25 2015, en ligne : https://​doi​.org/​1​0​.​4​0​0​0​/​e​m​a​m​.​852 (consulté le 17/01/2021).

[20] V. à ce sujet l’ouvrage de Mehdi Bennouna, Héros sans gloire. Echec d’une révolution (1963-1973), Paris, Ed. Paris Méditerranée, 2002.

[21] Voir par exemple Sahara Marocain. La Position Nationale Révolutionnaire – Organisation 23 mars, Casablanca, Publications du Centre d’Etudes et de Recherche M. Bensaïd Ait Idder, 2016, qui reprend une vieille édition arabe de 1978.

Version longue de l’article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°60, « L’État des conflits dans le monde », Février – Mars 2021.
0
Votre panier