Magazine Moyen-Orient

L’eau et l’agriculture dans un écosystème oasien : transformations et défis de développement

Le problème de la gestion de l’eau soulève la question du tarissement des foggaras. Fin 2010, l’Agence nationale des ressources hydrauliques (ANRH) divulguait une situation préoccupante : 774 étaient actives et 611 mortes. Par ailleurs, le débit se réduit : en 1960, il était proche de 3 665 litres par seconde, passant à 2 853 en 1998 et 3 600 en 2010. Il y a lieu de signaler que c’est au cours des deux dernières décennies que le nombre de foggaras taries a évolué, en raison notamment des effets liés à la promulgation de la loi no 83-18 relative à l’accession à la propriété foncière. Les causes du tarissement sont de trois types : les problèmes propres liés à la foggara, ceux liés à la nature de la nappe d’eau drainée (le faible débit pouvant caractériser la majorité des foggaras revient essentiellement à la nature peu perméable du réservoir) et ceux liés à l’exploitation permanente des forages d’eau qui influe sur le débit global drainé par les foggaras et peut conduire au tarissement total de ce système de captage.

Beaucoup de points d’eau destinés uniquement à l’irrigation de grands périmètres agricoles ont été réalisés. La wilaya d’Adrar dispose, en 2010, de près de 930 forages répartis à travers différentes régions et assurant une dotation cumulée de 9 200 litres par seconde. À cela s’ajoutent 6 620 puits, sans compter les nombreux puits clandestins présents sur le réseau d’alimentation en eau potable dans l’ensemble des ksour de la wilaya. Cela étant, tout tarissement risque d’engendrer le dépérissement total de la palmeraie, se traduisant par une avancée de la sebkha et l’abandon des parcelles cultivées. Dans la région du Touat, le dépérissement a touché toutes les oasis, sans exception, mais d’une façon inégale. Il est dû à plusieurs problèmes : le tarissement des foggaras ou la baisse de leur débit, la création de surfaces agricoles aux dépens des traditionnelles, alors que la majorité des propriétaires terriens pratiquent l’agriculture comme un travail secondaire pour une production de consommation personnelle.

<strong>Géographie du Sahara algérien</strong>

La mise en valeur agricole dans un écosystème fragile

La nouvelle orientation de la politique agricole prise par l’État algérien au début des années 1980 a permis d’amorcer un vaste plan de développement et de réhabilitation des zones marginalisées, dont le sud. L’État a prévu la mise en valeur de plus de 200 000 hectares de terres arides avec une mobilisation d’importantes ressources en eau souterraine par le captage de sources et le forage de puits. Il s’est également impliqué dans l’aménagement d’infrastructures de base (routes, pistes, aménagement rural, électrification, forages…) et la modernisation des systèmes de production agricole.

L’agriculture constitue l’une des principales sources de revenus et obéit à deux types de systèmes d’exploitation des eaux : l’un traditionnel, qui s’appuie sur l’irrigation par foggara, et l’autre moderne, basé sur les techniques de fonçage des puits ou de forage. Le traditionnel est celui qui occupe la plus grande superficie agricole de la wilaya avec près de 64 % de l’ensemble. La surface agricole exploitée est passée de 6 369 hectares dans les années 1970 à 35 700 en 2012, et les plantations de palmiers de 8 097 à 27 400 hectares. La surface globale de la culture céréalière a également augmenté, passant de 1 800 à 8 000 hectares, outre les 27 460 exploitations recensées en 2012. La surface agricole globale de la wilaya, limitée aux oasis et aux jardins, a été développée pour atteindre 366 077 hectares grâce à la politique de mise en valeur des terres agricoles adoptée par l’État ainsi qu’aux programmes et avantages accordés depuis l’indépendance, notamment au profit des wilayas du sud.

L’agriculture saharienne est entrée dans une nouvelle phase d’attribution de terres individuelles permettant de distinguer les petites exploitations (de 2 à 10 hectares), et les grandes (entre 50 et 100 hectares). Le rôle de l’État s’est traduit par la mise en place d’une réglementation propre à cette politique et la concrétisation des projets par l’équipement des périmètres de mise en valeur (études agronomiques, forages, aides diverses, etc.). Quant à l’agriculteur, c’est à lui de rendre son exploitation viable et productive par le biais de son savoir-faire et de son apport financier.

La mise en valeur agricole s’est opérée par accession à la propriété foncière agricole ou par concession, ainsi que dans le cadre de la loi no 83-18 du 13 août 1983 relative à l’accession à la propriété foncière agricole et de son décret exécutif no 83-724 du 10 décembre 1983, complété par un autre décret exécutif (no 92-289 du 6 juillet 1992) propre aux zones sahariennes, fixant les conditions de cession et les modalités d’acquisition des terres sahariennes dans les périmètres de mise en valeur. Par ailleurs, la mise en valeur agricole par concession est régie par le décret exécutif no 97-483 du 15 décembre 1997, fixant les modalités, les charges et les conditions de la concession de parcelles de terre du domaine privé de l’État.

Ainsi, le passage d’une agriculture traditionnelle dans les palmeraies, avec de petites parcelles et une irrigation ingénieuse, à une agriculture moderne sur de grandes surfaces irriguées grâce aux forages et pivots permettent l’extension des zones vertes dans la wilaya d’Adrar. Cela a été favorisé par l’exploitation poussée des ressources souterraines fossiles et les aides de l’État fournies dans le cadre de plusieurs programmes de mises en valeur agricole. Le développement spectaculaire du secteur est un facteur de conflits, entre le traditionnel et le moderne, puisque les nouveaux forages réduisent le débit des foggaras.

Une organisation sociale séculaire en rupture

L’espace saharien algérien a connu en un siècle plus de bouleversements que durant les dix siècles précédents. Ces changements ont permis de reconfigurer d’une manière assez profonde les structures sociales, économiques et bien entendu spatiales que l’espace saharien portait en héritage depuis des siècles. Cependant, on ne peut pas lire l’espace oasien sans lire la manière dont s’organise sa société. Pour vivre dans cet espace à l’aridité inouïe, la population locale a inventé un système de captage d’eau surprenant, mais dont la gestion relève des différentes catégories composant cette société. Cette dynamique se caractérise spatialement par une tendance de concentration de la population dans les zones agglomérées, pour ne pas dire dans les centres urbains les plus importants.

La société oasienne d’Adrar est hiérarchisée en plusieurs groupes, dont les propriétaires de l’eau des foggaras, les chorfas, et de petits agriculteurs. Les premiers sont issus de groupes familiaux de communautés religieuses (zaouïas) ou relevant de grands commerçants. Les deuxièmes sont des travailleurs de la terre qui servent les chorfas. Cette organisation sociale séculaire semble en rupture du fait de l’ouverture progressive sur un nouvel environnement politique et économique moins discriminatif.

En effet, les dynamiques économiques et le développement des activités non agricoles durant les cinquante dernières années avaient entraîné une urbanisation rapide de certains centres ruraux, affectant directement la structure de l’emploi dans ces espaces dont les facteurs ont été amorcés depuis la colonisation. Mais avant de traiter ces aspects, il faut savoir que le tracé géographique des concentrations humaines (agglomérations ou ksour) explique la localisation linéaire du peuplement par les potentialités d’irrigation offertes. Cette organisation est valable pour le Touat, le Gourara et le Tidikelt, dont le peuplement se situe approximativement le long de l’affleurement ouest de la nappe du Continental intercalaire.

À propos de l'auteur

Sid-Ahmed Bellal

Enseignant-chercheur au département de géographie et aménagement du territoire de la faculté des sciences de la terre et de l’univers à l’université Oran-II Mohamed ben Ahmed.

À propos de l'auteur

Tarik Ghodbani

Enseignant-chercheur au département de géographie et aménagement du territoire de la faculté des sciences de la terre et de l’univers à l’université Oran-II Mohamed ben Ahmed.

À propos de l'auteur

Mohamed Hadeid

Enseignant-chercheur au département de géographie et aménagement du territoire de la faculté des sciences de la terre et de l’univers à l’université Oran-II Mohamed ben Ahmed.

À propos de l'auteur

Ouassini Dari

Enseignant-chercheur au département de géographie et aménagement du territoire de la faculté des sciences de la terre et de l’univers à l’université Oran-II Mohamed ben Ahmed.

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