Magazine Moyen-Orient

Le timide renouveau des mobilisations israéliennes contre l’occupation

Le projet d’annexion porté par le gouvernement de Benyamin Netanyahou vient par ailleurs alimenter la remise en question, de plus en plus fréquente au sein de la gauche israélienne, de ce que l’on pourrait appeler le « paradigme de l’occupation » au profit d’un « paradigme colonial ». Le premier consiste à considérer que la principale cause du conflit israélo-palestinien est l’occupation par Israël, depuis 1967, de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et du plateau du Golan et leur colonisation par une population civile appartenant à la puissance occupante. Dans cette optique, le pas essentiel vers la résolution de ce conflit serait le retrait des Territoires occupés et la création d’un État palestinien. Adopter le « paradigme colonial » consiste, au contraire, à ne voir dans 1967 qu’une étape dans un processus démarré bien plus tôt, avant même la création de l’État d’Israël, et dont le sionisme constitue le fondement. Selon cette perspective, seule une remise en question globale du sionisme, en tant que projet national, idéologie et politique visant à pérenniser cet État par le biais d’un colonialisme de peuplement et s’accompagnant d’un effacement continu de la présence palestinienne, serait à même de permettre un règlement juste et durable du « conflit ». Ce dernier terme est lui-même critiqué par les personnes adoptant ce paradigme en ce qu’il véhicule l’idée d’un affrontement entre deux entités ayant chacune son lot de responsabilités. Jusqu’à récemment, à l’exception de quelques militants antisionistes, la gauche israélienne se concentrait exclusivement sur 1967 : l’occupation des Territoires conquis à cette date représentait le mal et les colons, la figure humaine de ce mal. De nos jours, de plus en plus d’opposants parlent de 1948 comme date clé d’un processus colonial dont le projet d’annexion porté par Benyamin Netanyahou n’est que le dernier avatar.

L’inextricable solution des deux États

Plus marginale et marginalisée que jamais, l’opposition israélienne prend aujourd’hui des airs de dissidence. La remise en question du sionisme, inenvisageable il y a encore quelques années, est presque devenue la norme dans les rangs de celles et ceux qui luttent contre les politiques expansionnistes du gouvernement israélien. Il en va de même du soutien à la campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) portée par la société civile palestinienne et largement relayée à l’étranger, notamment sur les campus américains : il y a dix ans, celui-ci restait timide et circonscrit aux groupes les plus radicaux ; aujourd’hui, rares sont les militants qui ne s’en disent pas solidaires. Enfin, ils sont de plus en plus nombreux à se dire favorables à un État binational où tous, Juifs comme Arabes, jouiraient des mêmes droits et non plus, comme cela fut longtemps le cas, à la « solution à deux États ». Quiconque a parcouru les Territoires palestiniens et a pu voir de ses propres yeux la matérialisation concrète de cinquante et quelques années d’occupation ne peut en effet que douter de la faisabilité d’une telle solution : en 2018, environ 648 000 colons vivaient en Cisjordanie et à Jérusalem-Est dans 256 localités qu’il est actuellement irréaliste d’espérer évacuer. En Israël comme dans les Territoires, populations juive et arabe sont par ailleurs inextricablement mêlées. Les isoler pour créer deux États semble donc voué à l’échec, à moins que d’importantes minorités ethniques subsistent de part et d’autre. C’est déjà le cas du côté israélien, où 18 % de la population est arabe, mais cela impliquerait que les colons deviennent citoyens du futur État palestinien. Difficile à imaginer à ce jour… Au-delà de ces objections purement pratiques, l’idée de séparation, sur laquelle se fonde la « solution à deux États », est souvent rejetée dans les cercles militants de gauche. Ceux qui ont fait l’expérience de la lutte conjointe, sur le terrain protestataire ou dans l’arène électorale, aspirent en effet à un avenir commun, en complète opposition avec celui que leurs dirigeants s’acharnent à leur dessiner.

<strong>La politique expansionniste d’Israël en Cisjordanie en 2019</strong>

Notes

(1) Cette contribution adoptait initialement l’écriture inclusive.

(2) Karine Lamarche, « The Backlash against Israeli human rights NGO : Grounds, Players and Implications », in International Journal of Politics, Culture, and Society, no 32, 2019, p. 301-322.

(3) Karine Lamarche, « “Qui suis-je si je ne milite plus ?” Le refuge berlinois des Israélien·ne·s (dés)engagé·e·s contre l’occupation », in Olivier Fillieule, Catherine Leclerc et Rémi Lefebvre (dir.), Le malheur militant, Les Presses de Sciences Po, à paraître.

(4) Les données sur les colons à Jérusalem sont disponibles sur le site de l’organisation Peace Now : https://​peacenow​.org​.il/​e​n​/​s​e​t​t​l​e​m​e​n​t​s​-​w​a​t​c​h​/​s​e​t​t​l​e​m​e​n​t​s​-​d​a​t​a​/​j​e​r​u​s​a​lem

(5) Muhsin Yusuf, « Les partis arabes d’Israël ou de la participation politique en situation minoritaire », in Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, no 81-82, 1996, p. 119‑133.

(6) Élisabeth Marteu, « Les associations de femmes arabes en Israël : actrices et enjeux de nouvelles formes de mobilisation palestinienne en Israël », thèse de science politique, Sciences Po Paris, 2009. 

Légende de la photo en première page : Un Palestinien est contrôlé par des Israéliens dans Jérusalem-Est, en janvier 2011.© Shutterstock/Ryan Rodrick Beiler

Article paru dans la revue Moyen-Orient n°48, « Israël : une démocratie en question », octobre-décembre 2020.
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