Magazine DSI

Quelles évolutions pour les pratiques de red teaming ?

Enfin, une démarche de science-­fiction vise, au travers de la recherche et d’une réelle immersion, sa capacité à se mettre « à la place de l’ennemi » et à en narrer le point de vue. Ce basculement de perspective est notamment représenté dans les travaux menés en décembre 2020 par la rédaction d’une vingtaine de pages du carnet d’un ethnologue qui se serait immergé chez les ennemis de la France, représentés par la P‑Nation (13) ; ou encore par l’interview de la chef des pirates du scénario des Barbaresques 3.0 qui permet de développer une forme d’« empathie tactique » afin de comprendre les raisons pour lesquelles ils mènent le combat décrit. Ici, le format vient soutenir une narration volontairement dérangeante pour les forces armées, tout en sous-­entendant de nombreux enjeux : deep fake, hacking… Cette capacité et cette volonté de générer une connexion émotionnelle sont primordiales dans la démarche française.

La notion de red team, si elle peut paraître claire a priori (jouer l’ennemi pour souligner les faiblesses d’une organisation), prend donc des formes extrêmement diverses. On retiendra du choix français le soin d’utiliser des auteurs pour qu’ils puissent recourir à ce que nous avons appelé une « stratégie de détour », mais aussi la volonté de rendre tangibles les enjeux (notamment les émotions) des ennemis de la France grâce à des supports spécifiques. De ce point de vue, la démarche semble totalement complémentaire avec les wargames, les simulations opérationnelles, les rapports ou les ouvrages usuels. L’expérience en cours assume son caractère expérimental et vise également à préciser les contours et les jalons nécessaires d’une démarche à fort impact, chaque saison visant à en améliorer le fonctionnement.

<strong>Principales techniques d’analyse structurée utilisées dans le domaine militaire et le renseignement</strong>

Notes

(1) Créé en 1587 par le pape Sixte V.

(2) Micah Zenko, Red Team : How to Succeed by Thinking Like the Enemy, Basic Books, New York, 2015.

(3) Monique Kardos et Patricia Dexter, A simple handbook for non-traditional Red Teaming, Gouvernement australien, ministère de la Défense, 2017.

(4) Biais cognitif, nommé d’après la psychiatre Hedwig von Restorff, retenant plus facilement un élément inhabituel ou distinctif (NDLR).

(5) Micah Zenko, op. cit.

(6) Entité semi-indépendante existant au sein de la CIA, spécialisée dans les analyses alternatives, et créée par George Tenet.

(7) L’IDART est une équipe du département de l’Énergie américain et qui mène des évaluations technologiques de type red team.

(8) Pascal Carayon et Sara Kraemer, Red Team Performance : Summary and Findings, Sandia National Laboratories, University of Wisconsin-Madison & IDART, 2004.

(9) Micah Zenko, Red Team : How to Succeed by Thinking Like the Enemy, op. cit.

(10) Les red teams n’ont pas vocation à être exactes à chaque fois, mais bien à challenger des partis pris. Ce qui peut amener à des réactions du type « Pierre et le Loup » si ce point est mal intégré par les parties prenantes.

(11) David A. Kirby, Lab Coats in Hollywood : Science, Scientists, and Cinema, MIT Press, Cambridge, 2011.

(12) Comme détaillé par Romain Lucazeau lors du lancement de la red team le 4 décembre 2020.

(13) Les scénarios sont disponibles sur le site de la red team : www​.redteamdefense​.org

Légende de la photo en première page : Un M-113 modifié pour ressembler à un BMP-2 au National training center américain. Le red teaming prend différentes formes, dont celle des OPFOR/FORAD (Opposing forces/Forces adverses). (© DoD)

Article paru dans la revue DSI n°152, « Royaume-Uni : Quelle coopération après le Brexit ? », mars-avril 2021.

À propos de l'auteur

Nicolas Minvielle

Professeur à l’Audencia Business School, animateur de la red team des armées françaises, cofondateur de Making Tomorrow.

À propos de l'auteur

Olivier Wathelet

Anthropologue, gérant de Users Matter, coanimateur de la red team des armées françaises, cofondateur de Making Tomorrow.

À propos de l'auteur

Cédric Denis-Rémis

Vice-président de l’université PSL, directeur de l’Institut des hautes études pour l’innovation et l’entrepreneuriat, Mines ParisTech-PSL.

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