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L’intelligence artificielle comme facteur de puissance internationale

De fait, la captation de données personnelles est devenue un secteur stratégique lucratif, qui conduit à des politiques contestables, tant de la part des États que des sociétés privées, profitant de l’absence de cadre normatif. Pour autant, il ne faut pas tomber dans le piège de la victimisation d’utilisateurs soumis à l’appétit de Léviathans publics et privés. Les réseaux sociaux, les achats en ligne, les navigations sur Internet, les échanges de messages et les partages d’images, de vidéos et de documents de toutes natures, contribuent à alimenter l’ogre numérique. L’insouciance, si ce n’est l’inconscience des utilisateurs, ajoutée à un manque de connaissance sur les enjeux liés au partage de données personnelles, participe des nombreuses dérives des industriels et des États au travers de ce que Philippe Vion-Dury qualifie de « nouvelle servitude volontaire » dans son ouvrage éponyme, à commencer par le non-respect de droits considérés par certains comme fondamentaux. La violation de la vie privée et l’exploitation de données privées sans consentement des intéressés suscitent bien évidemment des interrogations sur les conséquences éventuelles et la mise en place possible de ce qu’Olivier Ertzscheid appelle, dans son livre L’appétit des géants, une « algocratie », société du contrôle par les algorithmes.

Les récents développements d’applications permettant de détecter la COVID-19 au travers des téléphones intelligents, le recours aux drones (pour veiller au confinement de la population, par exemple en Espagne et en France), la multiplication des interactions par téléphones ou par ordinateurs interposés favorisent l’accroissement du contrôle social et une collecte de données mal régulée dont l’utilisation future reste obscure, et qui fera de l’humain un moyen au lieu d’une fin.

<strong>L'IA, un marché qui vaut des milliards</strong>

Notes

(1) Emmanuel Goffi, « L’intelligence artificielle : sujet des relations internationales, objet éthique », Esprit RI [blog de l’ILERI], 6 décembre 2019.

(2) Charles Thibout, « La compétition mondiale de l’intelligence artificielle », Pouvoirs, no 170, mars 2019, p. 131-142.

(3) « Celui qui deviendra leader en ce domaine [l’IA] sera le maître du monde », déclaration du président russe devant des étudiants de la ville de Yaroslavl, en Russie, le 1er septembre 2017.

(4) Selon un sondage réalisé auprès des directeurs des systèmes d’information des grandes entreprises mondiales : Andy Rowsell-Jones and Chris Howard, « 2019 CIO Survey : CIOs Have Awoken to the Importance of AI », Gartner Research, 3 janvier 2019.

(5) Marianne Daquila et al., « IDC’s Worldwide Semiannual Artificial Intelligence Systems Spending Guide Taxonomy, 2H18 », IDC — International Data Corporation, août 2019.

(6) « Sizing the prize. What’s the real value of AI for your business and how can you capitalise ? », PwC, 2017.

(7) « Artificial Intelligence Market by Offering (Hardware, Software, Services), Technology (Machine Learning, Natural Language Processing, Context-Aware Computing, Computer Vision), End-User Industry, and Geography – Global Forecast to 2025 », Markets and Markets, février 2018.

(8) « Artificial Intelligence (AI) Market Size, Share and Industry Analysis By Component (Hardware, Software, Services), By Technology (Computer Vision, Machine Learning, Natural Language Processing, Others), By Indutry Vertical (BFSI, Healthcare, Manufacturing, Retail, IT & Telecom, Government, Others) and Regional Forecast, 2019-2026 », Fortune Business Insights, Market Research Report, janvier 2020.

(9) Ankush Jain et al., « 100 Data and Analytics Predictions Through 2022 », Gartner Research, 21 mai 2018.

(10) Conseil des Affaires de l’État chinois, « Note du Conseil d’État sur l’impression et la distribution du Plan de développement de la nouvelle génération d’intelligence artificielle », Guofa no 35, 20 juillet 2017.

(11) « Sizing the prize… », op. cit.

(12) « Top AI Trends To Watch In 2018 », CBInsights Research Report, 14 février 2018, p. 5-6.

(13) Alexandra Mousavizadeh et al., « The Global AI Index : the arms race », Tortoise Media, 3 décembre 2019.

(14) Susanne Hupfer, « Capitalizing on the promise of artificial intelligence. Perspectives on AI adoption from around the world », Deloitte Insights, 6 décembre 2019.

(15) Canadian Institute for Advanced Research, « Stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle », mars 2017.

(16) Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, « Stratégie nationale de recherche en intelligence artificielle », 28 novembre 2018.

(17) Selon la CNIL, il s’agit des algorithmes qui « ont été conçus de sorte que leur comportement évolue dans le temps, en fonction des données qui leur ont été fournies ».

(18) Terme employé pour désigner une start-up du secteur des nouvelles technologies valorisée à plus d’un milliard de dollars.

(19) Meng Jing, « Tianjin city in China eyes US$16 billion fund for AI work, dwarfing EU’s plan to spend US$1.78 billion », South China Morning Post, 16 mai 2018.

Légende de la photo en première page : Le 30 mai 2019, Vladimir Poutine participe à un événement sur le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle. En septembre 2017, le président russe a déclaré, lors d’une conférence sur les nouvelles technologies, que « l’intelligence artificielle représente l’avenir non seulement de la Russie, mais de toute l’humanité », ajoutant que « celui qui deviendra le leader dans ce domaine sera le maître du monde, et qu’il ne serait pas souhaitable que quiconque soit en position de monopole ». (© Kremlin​.ru)

Article paru dans la revue Diplomatie n°104, « Ces guerres que l’Amérique ne gagne plus… », juin-juillet 2020.

Charles Thibout, « La compétition mondiale de l’intelligence artificielle », Pouvoirs, no 170, septembre 2019, p. 131-142.

Une approche très centrée sur la position de la Chine sur la scène internationale en matière d’IA : Kai-Fu Lee, AI Superpowers : China, Silicon Valley, and the New World Order, New York, Houghton Mifflin Harcourt, 2018.

À propos de l'auteur

Emmanuel R. Goffi

Co-directeur du Global AI Ethics Institute et co-fondateur et associé sénior du cabinet Éthiciens du numérique. Il est enseignant et consultant en éthiques appliquées à l’intelligence artificielle.

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