Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Chine-États-Unis : entre coopération, compétition et confrontation

Quel bilan peut-on dresser des relations sino-américaines après quatre années d’administration Trump, marquées notamment par une guerre commerciale et technologique exacerbée ?

A. Bondaz : Les relations se sont considérablement détériorées, et ont certainement atteint un plus bas historique depuis le processus de normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays entamé dans les années 1970.

Dès l’arrivée au pouvoir du président Trump, les éléments de langage sur la Chine se sont durcis. En décembre 2017, la nouvelle stratégie de sécurité américaine présentait la Chine comme un « concurrent stratégique », au même titre que la Russie, et un rapport de la Maison-Blanche de début 2018 affirmait que « l’agression économique de la Chine [menaçait] non seulement l’économie américaine mais aussi l’économie mondiale ». Dès lors, les prises de parole publiques se sont multipliées, notamment un discours acerbe du vice-président Pence en octobre 2018 critiquant l’influence chinoise dans le pays, et celui du secrétaire d’État Pompeo en juillet 2020 appelant à « inciter la Chine à changer ».

Les derniers mois de l’administration Trump ont d’ailleurs été marqués par la multiplication des mesures à l’encontre de la Chine : sanctions contre des dirigeants responsables de violations systématiques des droits de l’homme au Xinjiang — dont un membre du bureau politique du Parti communiste — ; sanctions contre les dirigeants de Hong Kong — dont la cheffe exécutive Carrie Lam — ; sanctions contre des entreprises chinoises considérées comme proches de l’Armée populaire de libération — se traduisant notamment par la radiation de trois d’entre elles de la Bourse de New York —, etc. En réponse, les autorités chinoises ont, entre autres, sanctionné, le jour de l’investiture du président Biden, 28 anciens responsables américains dont Mike Pompeo pour « s’être immiscés dans les affaires intérieures de la Chine, avoir porté atteinte aux intérêts de la Chine, avoir offensé le peuple chinois et avoir gravement perturbé les relations entre la Chine et les États-Unis ».

Au-delà des tensions bilatérales, dans de nombreux domaines, et d’une rhétorique bien plus ferme des deux côtés — un pléonasme pour ne pas dire « confrontationnelle » —, le plus frappant est la détérioration sans précédent de l’image de la Chine aux États-Unis. Selon un sondage du Pew Research Center de l’été 2020, 73 % des Américains ont une opinion négative de la Chine, un record, contre 60 % en 2019 et 47 % en 2018. Encore plus marquant : en février 2021, 45 % des Américains considéraient la Chine comme « le plus grand ennemi des États-Unis », contre 26 % pour la Russie et 4 % pour l’Iran, mais surtout en hausse de 23 points par rapport à février 2020. Cette détérioration pourrait d’ailleurs avoir un effet politique important en poussant l’administration Biden à se concentrer encore davantage sur la Chine et les menaces perçues qu’elle représente.

Le 10 février dernier, le président Joe Biden a exprimé sa volonté de se doter d’une nouvelle stratégie militaire « ferme » face à la Chine, considérée comme leur adversaire stratégique numéro un. De son côté, le nouveau chef du Pentagone, Lloyd Austin, a estimé que la Chine était le « problème le plus difficile (…) et le plus complexe » pour les États-Unis. Une coexistence pacifique est-elle possible ou se dirige-t-on inexorablement vers le piège de Thucydide ?

Le secrétaire d’État Blinken a reconnu avant même sa confirmation par le Congrès que la relation entre les États-Unis et la Chine est « sans doute la relation la plus importante que nous ayons dans le monde ». Les deux pays n’ont donc d’autres choix que de coexister. La question est cependant de fixer un curseur entre la coopération, la compétition et la confrontation. Sur ce point, la nouvelle administration est claire : la relation bilatérale sera compétitive là où elle devrait l’être, collaborative là où elle peut l’être, et antagoniste là où elle doit l’être. C’est une position de fermeté et d’intransigeance sur certains intérêts considérés comme fondamentaux, ce qui est en réalité exactement la position chinoise exprimée depuis des années. Les États-Unis ne peuvent accepter de perdre leur primauté internationale, et la Chine doit trouver un moyen de dépasser les États-Unis sans provoquer de conflit, ce que l’universitaire Yan Xuetong appelle le « dilemme de l’ascension ».

Si je n’aime pas utiliser le terme de « piège de Thucydide » popularisé par Graham Allison, la question de fond est bel et bien de savoir si la transition de puissance entre les États-Unis et la Chine restera, ou non, pacifique. La littérature académique à ce sujet est loin d’être unanime, et les causes d’un conflit, qu’il soit provoqué par la puissance ascendante ou par la puissance établie, ne sont évidemment pas déterminées à l’avance. Le risque d’une escalade suite à un incident militaire, comme il a pu y en avoir en 2001 au large de l’île de Hainan avec la collision entre un avion de renseignement électromagnétique américain et un chasseur d’interception J-8II chinois, ne peut jamais être exclu et nécessite non seulement le maintien de canaux de communication à tous les niveaux mais surtout d’éviter, de part et d’autre, d’alimenter un nationalisme qui rendrait tout compromis plus difficile à trouver.

Mais clairement, la confrontation est multidimensionnelle et systémique. Il s’agit d’une confrontation multidimensionnelle dans au moins quatre domaines distincts mais qui se chevauchent : géostratégique, économique, technologique, et de gouvernance (notamment l’universalité ou non des valeurs). Dans ce contexte, il n’y aura pas de coalition unique ou un « front uni anti-Chine », pas plus que « d’alliance des démocraties » mais des coalitions distinctes et thématiques. C’est ici tout l’enjeu de positionnement des Européens notamment, qui refusent de s’aligner sur l’un ou sur l’autre, tout en reconnaissant une plus grande proximité, évidente, avec les États-Unis, sans pour autant chercher à rester neutres.

Le 18 mars 2021, Américains et Chinois se sont réunis en Alaska, lors d’une rencontre bilatérale qui s’est déroulée dans un parfum de nouvelle guerre froide. Quel était l’objectif et les enjeux autour de cette réunion qui s’est tenue une semaine après le premier sommet virtuel du Quad, dont l’alliance — qui a vocation à se formaliser — a pour but de contrebalancer la montée en puissance chinoise ?

Au-delà des échanges glaciaux de la première partie, devant les caméras, cette rencontre a été l’occasion pour les États-Unis de mettre en scène une coordination interne et externe sans précédent, et pour chaque partie d’exposer clairement les point de tension mais aussi de s’adresser à son opinion publique.

Premièrement, le format de la rencontre en 2+2 était innovant, et différait des 2+2 classiques au cours desquels les ministres des Affaires étrangères et de la Défense d’un pays rencontrent leurs homologues. Ce tandem secrétaire d’État et conseiller national à la Sécurité permet aux États-Unis d’insister sur la coordination entre l’ensemble des agences gouvernementales américaines tout en s’adressant aux véritables artisans de la politique étrangère chinoise dont Yang Jiechi, directeur du Bureau de la commission centrale des Affaires étrangères du Parti communiste chinois et membre du Politburo. La nomination d’un coordinateur pour l’Indopacifique au sein du Conseil national de Sécurité, Kurt Campbell, ancien secrétaire d’État adjoint pour les affaires est-asiatiques et pacifiques de la première administration Obama, s’inscrit également dans le même effort.

Deuxièmement, la séquence est extrêmement importante puisque cette rencontre a eu lieu après le premier sommet présidentiel en format Quad entre le président Biden et ses homologues japonais, indien et australien, après une visite du secrétaire d’État Blinken et du secrétaire à la Défense Austin chez leurs alliés japonais et coréens, et après un appel téléphonique du conseiller national à la Sécurité Sullivan avec ses homologues français, britannique et allemand. Le message est clair, répété et démontré depuis le début de l‘administration. Les États-Unis se coordonnent sur la Chine avec leurs alliés et partenaires en Indopacifique et en Europe avant d’engager un dialogue avec Pékin. Cette séquence démontre aussi la priorité accordée à la région par l’administration Biden, alors qu’il s’agissait seulement de la troisième fois, depuis 1945 et ce après Rusk en 1961 et Clinton en 2009, qu’un secrétaire d’État se rendait en Indopacifique pour son premier déplacement.

À propos de l'auteur

Antoine Bondaz

Chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), où il dirige l’Observatoire du multilatéralisme en Indopacifique, ainsi que les programmes Corée et Taïwan, et enseignant à Sciences Po.

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