Récemment portée sous les projecteurs de l’actualité avec la pandémie de COVID‑19, la menace nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) n’a jamais cessé d’être prise en compte par l’appareil de défense national, même si nos moyens… opérations actuelles. On n’en observe pas moins des tentatives régulières, voire l’emploi d’armes chimiques et bactériologiques sur différents théâtres : les attaques au chlore par Al-Qaïda en Irak en 2007, l’affaire des « FARC Files » en 2008, les attaques chimiques en Syrie par le régime baasiste à partir de 2013. Les ripostes équivalentes de différentes factions djihadistes constituent autant d’itérations d’une guerre discrète, mais bien réelle, qui se joue en parallèle des opérations conventionnelles.
Une dissémination de la menace NRBC
Succédant aux attaques au gaz de combat durant la Première Guerre mondiale, l’ère nucléaire entérinée par Hiroshima et Nagasaki eut le plus fort impact dans l’inconscient collectif à partir de 1945 et, encore aujourd’hui, les opérations majeures telles que l’invasion de l’Irak en 2003 continuent d’être conduites sous protection NRBC, pour peu que l’adversaire soit identifié comme disposant d’armes de destruction massive (1). Dans les années 1990, la contre-prolifération de ce type d’arme était l’une des missions clés du JSOC (Joint special operations command) américain, à laquelle des moyens importants furent consacrés afin d’investir et de neutraliser des installations à haut niveau de sécurité, opération dangereuse et ô combien spécifique !
Aujourd’hui, la menace NRBC s’est diversifiée : autrefois réservée à une poignée d’États et articulée autour d’un affrontement symétrique, elle s’est peu à peu diffusée au sein de pays émergents ou n’occupant pas une place de premier rang sur l’échiquier international. Par ailleurs, en marge des acteurs étatiques, elle fait depuis quelques années l’objet d’une dissémination de plus en plus difficile à surveiller et à contenir, des factions armées ou des groupes terroristes y ayant désormais accès. Au fil des cinquante dernières années, nombre de groupes ont tenté de conduire des attaques à base d’agents chimiques, ou y sont parvenus : la secte Aum, le PKK, les Tigres tamouls, le Sentier lumineux, le Front al-Nosra, l’Armée syrienne libre et bien d’autres. Cela est dû en partie au fait que, de tout le panel NRBC, les armes chimiques sont les plus faciles à produire, à déplacer et à utiliser, tout en étant aussi les moins chères à fabriquer, avec un impact psychologique aussi élevé que les autres. Si la menace NRBC de haute intensité n’a pas disparu et doit continuer d’être prise en compte, une partie des menaces rencontrées en opérations ressemblent de plus en plus à celle anticipée sur le sol national.
La guerre en Syrie a démontré que des opérations asymétriques et de plus basse intensité sont devenues perméables à ce type de menace : un acteur étatique aux abois peut engager des moyens militaires comme des obus d’artillerie au chlore, tout comme des groupes rebelles ou djihadistes peuvent utiliser de l’ypérite ou d’autres agents déployés sous forme d’engins explosifs improvisés chimiques assez rudimentaires, quand ils ne les produisent pas de manière autonome comme ce fut le cas pour l’État islamique, qui exécuta lui aussi des tirs d’artillerie avec des munitions chimiques. À ce titre, une chute du régime syrien pourrait s’avérer catastrophique si elle facilitait à des acteurs non étatiques l’accès à des armes de ce type : la récupération d’équipements militaires irakiens par l’État islamique a donné un avant-goût de ce qui pourrait arriver, et l’exemple de la Libye à la suite de l’intervention occidentale de 2011 ne donne aucune certitude en matière de stabilisation postconflit.
Les armées actuelles doivent donc rester prêtes à opérer en environnement pollué, et l’actuelle pandémie vient ajouter au spectre des opérations extérieures les potentialités de menaces biologiques, volontaires comme involontaires (2) sur le sol national. Parmi ces dernières, l’aquaterrorisme désigne les menaces chimiques et biologiques sur les réseaux d’eau potable, qui constituent des cibles depuis la guerre du Péloponnèse. Sa prise en compte incombe aux différents opérateurs des réseaux publics de distribution, en lien avec les services du ministère de l’Intérieur. Le bioterrorisme cible quant à lui les cultures agricoles et la production alimentaire : par exemple, l’utilisation d’insectes pour détruire les récoltes et affamer les populations. La même logique s’applique avec des bactéries ou des germes, ou d’autres agents visant la pollution chimique des sols.
Les principaux agents
Si les menaces nucléaires et radiologiques sont de même nature, puisqu’elles ont pour origine l’émission de particules radioactives, respectivement par une bombe nucléaire ou par une bombe sale, les menaces biologiques et chimiques sont plus variées. Les premières sont subdivisées en trois catégories : les agents de catégorie A sont par exemple le botulisme et l’anthrax, et visent une destruction en masse. Dans la catégorie B, les agents sont caractérisés par une puissance moindre et requièrent une période d’incubation avant de produire leurs effets. Ce délai d’incertitude augmente l’impact psychologique et ajoute une difficulté supplémentaire dans l’identification et l’articulation de la réponse NRBC. La brucellose fait partie de cette catégorie. Enfin, la catégorie C est la moins dangereuse des trois puisqu’elle nécessite une manipulation génétique pour être menaçante : on y trouve la fièvre jaune.
Les agents chimiques, eux, sont répartis en deux catégories : d’une part, les munitions de type militaire et, d’autre part, les agents initialement produits pour un usage civil et militarisés, comme le chlore ou l’acide cyanhydrique. Différents critères permettent de les classer : les agents létaux, qui tuent sur le moment ; les neutralisants, dont l’effet est temporaire ; les incapacitants qui provoquent des maladies physiques ou mentales et dont l’effet se prolonge après l’exposition du sujet. On peut aussi les classer selon leur fonctionnement : les gaz asphyxiants, comme le chlore, qui s’attaquent aux muqueuses pulmonaires ; les vésicants, comme l’ypérite, qui brûlent les points de contact avec le corps tels que la peau, les yeux et les poumons ; les hémotoxiques, tel l’acide cyanhydrique, qui s’attaquent à la distribution d’oxygène à travers le corps ; les neurotoxiques, dont font partie le sarin, le VX (qui est une variante du sarin dont la puissance a été décuplée) et le tabun, qui agissent sur le système nerveux ou selon différents modes d’action, qui produisent différents effets : désorganisation, panique, repli, paranoïa, neutralisation ou destruction pure et simple à différentes échelles.
D’une manière générale, les besoins en matière de lutte NRBC se répartissent en quatre catégories : détection, protection (individuelle et collective), décontamination (des personnels, des matériels et des infrastructures) et traitements médicaux. L’absence de pharmaceutique civile, due à un marché de niche œuvrant majoritairement de manière préventive plutôt que de manière curative, oblige la défense à mener ses propres recherches pour développer des antidotes très spécifiques. La rareté des cas concrets entraîne une rareté des RETEX, qui jouent pourtant un rôle crucial dans l’anticipation d’une menace, ne laissant pas toujours l’occasion d’en tirer des leçons.
L’armée française en zone contaminée
Depuis 2005, date à laquelle le Groupe de défense NBC fut élargi à la taille d’un régiment en fusionnant avec le 2e régiment de dragons, ce dernier est devenu unique dans l’armée de Terre en se spécialisant dans la reconnaissance et la lutte NRBC. Composé de cinq escadrons de reconnaissance et décontamination, d’un escadron de commandement et de logistique, ainsi que d’un escadron de réserve, le 2e RD peut déployer des équipes à pied ou en véhicule pour reconnaître une zone suspecte et y effectuer des mesures, définir des zones tampons tout en armant des points de décontamination pour assurer l’évacuation de victimes et soutenir les opérations en zone polluée. Outre ses véhicules légers de reconnaissance et d’appui et véhicules de l’avant blindés de reconnaissance NRBC, le régiment dispose également de TRM 10000 SDA (Système de décontamination approfondie).
L’armée française équipe également ses personnels de tenues NRBC complètes, les T3P (Tenues de protection à port permanent) avec gants, surbottes et masque ANPVP (Appareil normal de protection à vision panoramique). De nombreux véhicules offrent également une protection active, par filtrage grâce à une solution de traitement et par surpression de l’air dans les habitacles, empêchant ainsi la pénétration de l’air pollué à l’intérieur. Les unités de forces spéciales sont dotées de scaphandres GR3 qui leur assurent une protection cohérente avec leurs besoins spécifiques.
Enfin, l’armée de l’Air et l’armée de Terre alignent un total de 33 exemplaires du système CERPE (Centre de remise en condition du personnel), chacun étant transportable dans un conteneur KC20 et permettant de décontaminer jusqu’à 50 personnels par heure. En 2014 et 2015, le 2e RD a participé à l’opération « Tamarin » avec le Service de santé des armées face au virus Ebola en Guinée-Conakry, où il a contribué à la mise en place d’un centre de traitement des soignants en coopération avec l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), tout en fournissant une aide aux autorités guinéennes. En parallèle, il peut être appelé à participer à des opérations conjointes avec le COS et a créé le détachement d’appui à l’entraînement NRBC. Pendant le confinement face au Sars‑Cov‑2, ce sont là aussi des soldats du 2e RD qui ont décontaminé le porte-avions Charles de Gaulle et le régiment a été de toutes les missions sanitaires de l’opération « Résilience ».